Élégies (Marceline Desbordes-Valmore, 1860)/À Délie, II

La bibliothèque libre.
ÉlégiesCharpentier (p. 62-63).


À DÉLIE


II


Par un badinage enchanteur,
Vous aussi, vous m’avez trompée !
Vous m’avez fait embrasser une erreur :
Légère comme vous, elle s’est échappée.
Pour me guérir du mal qu’Amour m’a fait,
Vous avez abusé de votre esprit aimable ;
Et je vous trouverais coupable,
Si je pouvais en vous trouver rien d’imparfait.
Je l’ai vu cet amant si discret et si tendre ;
J’ai suivi son maintien, son silence, sa voix :
Ai-je pu m’abuser sur l’objet de son choix ?
Ses regards vous parlaient, et j’ai su les entendre.
Mon cœur est éclairé, mais il n’est point jaloux.
J’ai lu ces vers charmants où son âme respire ;
C’est l’amour qui l’inspire,
Et l’inspire pour vous.

Et moi, pour vous aussi je veux être la même :
Non, vous n’inspirez pas un sentiment léger ;

Que ce soit d’amitié, d’amour, que l’on vous aime,
Le cœur qui vous aima ne peut jamais changer.

Laissez-moi ma retraite et ma mélancolie ;
Je la préfère à l’ivresse d’un jour :
On peut rire avec la folie,
Mais il n’est pas prudent de rire avec l’Amour.
Laissez, laissez-moi fuir un danger plein de charmes ;
Ne m’offrez plus un cœur qui n’est qu’à vous :
Le badinage le plus doux
Finit quelquefois par les larmes.

Mais je n’ai rien perdu ; la tranquille amitié
Redeviendra bientôt le charme de ma vie :
Je renonce à l’amant, et je garde une amie ;
C’est du bonheur la plus douce moitié.