À Elisa Mercœur (O. C. Élisa Mercœur)

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À ÉLISA MERCŒUR.
 

J’ai passé comme la fleur, j’ai séché comme l’herbe
des champs.

Chateaubriand (Atala).
 

......Voyez, elle était jeune, aimée,
Elle avait une voix qui survit à la mort.

Marceline Desbordes-Valmore.
 

En regardant briller la couronne de rêves,
Qui de ta pure vie agitait le flambeau,
Triste, on reconnaissait sur ton front pâle et beau
Une fleur enlevée à de lointaines grèves ;
On n’aimait plus le monde où languissaient tes jours,
Tes jours chantans, nourris d’une rosée avare,
Où l’aurore est si froide et le soleil si rare !
Où sur ta frêle étoile on s’alarmait toujours.

Lorsqu’au bord des torrens Dieu sema ton enfance,
Il ne t’y laissa point sans joie et sans défense :

Tes longs yeux découvraient, dans le désert des nuits,
Quelque astre sympathique à tes jeunes ennuis ;
Tu te chantais au ciel, à ta mère bénie,
Qui t’appelait son jour, sa naissante harmonie !
Et le ciel et ta mère et les flots et les monts,
À tes cris : Aimez-moi ! répondaient : Nous t’aimons.
Mais, Péri passagère et vouée à la flamme,
La cité lumineuse éblouissait ton âme,
Et, risquant ta faiblesse à d’arides chemins,
Pour enhardir ton vol, on te battait des mains ;
Croyant qu’il est partout des brises embaumées,
Tu vins heurter ton cœur à des portes fermées ;
Tu dis long-temps : « C’est moi ! je passe… il faut m’ouvrir ! »
La réponse fut lente, et tu viens d’en mourir.
L’harmonieux tourment tremblait dans ta parole,
Mercœur ! Ton premier chant couvait un cri d’adieu :
Ce cri poussé, perdu dans un écho frivole,
Était grave pourtant : il s’adressait à Dieu !
Que lui demandais-tu ? de l’air libre et des ailes ;
Tu les as ! Nous vois-tu traîner nos pieds sous elles ?
Porter pierre sur pierre à ton doux monument,
Pour charmer ta jeune ombre en son isolement ?
Pour dire au temps : « Voyez, elle était jeune, aimée ;
Elle avait une voix qui survit à la mort ;
Une âme dont la forme est vite consumée ;
Un espoir qui s’allume et s’éteint sans remord :
Un soupir, s’il vous plaît, à la poète fille ;
Une brise au gazon qui la couvre déjà ;
Une fleur sur son nom qui se cache et qui brille ;
Un regret au roseau que le vent détacha ;
Une larme à sa mère… elle vit après elle !
Sans pleurer son enfant ne vous éloignez pas :
Ces cyprès verseront, dans leur culte fidèle,
Un chant à votre oreille et de l’ombre à vos pas ;
Un soupir ! un soupir ! l’horloge s’est trompée,

Elle a sonné la mort pour l’heure de l’hymen ;
Vierge enfant, quand sa trame au hasard fut coupée,
Elle montait la vie et lui tendait la main. »

Moi, naguère vouée aux troubles des voyages,
Posant à peine un pied sur de mouvans rivages,
Y cueillant à la hâte un fruit rare, une fleur,
Pour prendre un peu d’haleine au relais du malheur,
J’écoutai, quand sa voix, à mon cœur parvenue,
M’apprit le nom charmant d’une sœur inconnue :
Sa voix fraîche et nouvelle, en perçant l’avenir,
Sa voix qui n’avait pas encor de souvenir,
Chantait l’hymne de vie et de gloire trempée,
Où sa tombe précoce était enveloppée.
J’écoutai sur ma route où vibrait cette voix,
Comme un oiseau qui joue et qui pleure à la fois,
Dans les flots de la foule insoucieuse et vaine ;
J’embrassai du regard la muse armoricaine.
Et je n’entrevis pas sa crédule candeur.
Sans plaindre de ses yeux l’ardente profondeur.
On épuisait alors cette vivante lyre ;
Sa misère voilée on la lui faisait lire ;
Car le monde veut tout quand il daigne écouter,
Et quand il a dit : Chante, il faut toujours chanter !

Par d’innocens flatteurs, innocemment déçue,
L’âme se consumait, victime inaperçue ;
Et quand l’oiseau malade à son toit remontait,
Sa tête sous son aile et sans graine… il chantait !
Il chantait d’autres sons pour attendrir la foule,
Cette foule qui cause et qui rit et qui roule ;
En vain les sons mêlés de courage et d’effroi
Disaient toujours : « Je souffre et j’attends, sauvez-moi ! »
Je me pris à l’aimer d’une tendresse amère ;

J’assistai, prophétique, aux larmes de sa mère ;
Puis avec le transport d’une interne frayeur.
J’emportai mes enfans plus serrés à mon cœur.

Ce qui résonne en nous de tendresse profonde,
Hélas ! n’a pas long-temps son écho dans ce monde ;
Mais puisque vers le ciel nous regardons toujours,
C’est qu’un bonheur s’y cache et qu’il manque à nos jours
Et quand nos souvenirs gémissent,
Il est, dans un frisson sur nous prompt à couler.
Comme des ailes qui frémissent,
Toujours prêtes à s’envoler !

Dis : n’est-ce pas ainsi, fille mélodieuse,
Que s’élançait ton cœur pour entraîner tes pas,
Lorsque ton vol s’ouvrit, plein d’une foi pieuse,
Appelant l’avenir… qui ne répondit pas ?
Car voici ma prière envoyée à ta tombe.
Oh ! sur le bord de l’urne où s’amassent nos fleurs,
Viendras-tu pas poser ton âme de colombe,
Pour compter les amis qui t’ont donné des pleurs ?
Qu’importe que la voix soit vulgaire ou sublime :
La douleur n’a qu’un cri qui sort du même abîme ;
Et le Christ en mourant n’entendit sur sa croix,
Que ceux qui lui criaient : « Mon Dieu ! j’aime et je crois ! »


Mme Marceline Desbordes-Valmore.