À M. Lempereur, curé d’Aimargues

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impr. de P.-A. Bourdier (p. 1-4).


À Monsieur LEMPEREUR
curé d’aimargues
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Paris, 8 juin 1865.
Monsieur le Curé,

Vous avez bien voulu me demander des vers pour une solennité touchante : la pose de la première pierre de la nouvelle Église d’Aimargues.

Si l’amour-propre ne devait se taire en une telle circonstance, le mien aurait à souffrir aujourd’hui ; l’honneur de cette belle entreprise revient tout entier à l’illustre prélat qui a protégé, défendu et béni l’œuvre nouvelle, à l’intelligente et religieuse population qui se presse autour de lui, à vous-même, Monsieur le Curé, dont le zèle, la foi ardente et les écrits ont aidé si puissamment au désir de tous.

Quant à moi, si je cède à votre aimable invitation en vous envoyant ces vers trop peu dignes d’une solennité pareille, c’est que je mets de côté tout orgueil littéraire pour songer seulement à mon titre de compatriote : je suis le fils de cette terre où va s’élever par vos soins un monument qui sera un noble témoignage de notre foi ; j’aime ce sol, cet héritage dont le père de famille vous a donné la garde, et l’enfant du pays, mieux que le poète, vous remercierait des longs efforts dont les effets deviennent visibles enfin.

Agréez, Monsieur le Curé, l’hommage de mes sentiments les plus respectueux.


POUR LA NOUVELLE ÉGLISE D’AIMARGUES
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I
Où vont ces travailleurs dans cette plaine immense ?
Pourquoi ce formidable et bruyant attirail ?
C’est le réseau de fer qui s’achève ou commence,
C’est l’homme courant au travail ;

Déjà le viaduc, le pont nouveau, la digue,
S’élèvent chaque jour ; partout la flamme a lui ;
L’homme sent redoubler sa force, et la prodigue,
Car l’homme travaille pour lui !

C’est bien ! Et gardons-nous de jeter l’anathème
Sur ce labeur humain qui s’accroît en tout lieu ;
C’est ton devoir, mortel : travaille pour toi-même,
Mais travaillons aussi pour Dieu !

II
Tandis qu’autour de nous étalant ses merveilles,
L’industrie a couvert le sol de ses palais,
Pauvre église, à nos yeux, vieille entre les plus vieilles,
Pierre à pierre tu t’écroulais ;

La dalle s’effondrait sous les pas des fidèles.
Les baisers du soleil rongeaient le lourd pilier,
Et la bise ébranlait de ses larges coups d’ailes
Le toit toujours prêt à plier ;


Noble église d’Aimargue, humble, tremblante et noire,
Que saint Louis dota d’un emblème si fier,
Et qui portes encor, comme un titre de gloire,
Une croix flottant sur la mer,

Nous ne l’oublîrons pas, ce poétique emblème ;
Dans le temple nouveau, ce trésor du passé,
Au plus haut du portail ou près de l’autel même
Ce vieux marbre sera placé ;

Il nous rappellera cette foi de nos pères
Qu’on veut troubler en nous, mais qu’on ne peut bannir :
Dans les jours de malheur ou dans les jours prospères,
On est fort par le souvenir !

Maintenant au travail pour l’église nouvelle !
Offrons, les uns leurs bras et les autres de l’or ;
Vous travaillez pour Dieu : redoublez donc de zèle,
Donnons toujours ! Donnons encor !

Faites que la maison soit digne de son maître,
Faites la part de Dieu dans vos prospérités,
Et vos bien, vos trésor centupleront peut-être,
Par cette ombre auguste abrités !


Vte Henri de BORNIER.