Les Chants du crépuscule/À M. le d. d’O.

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Les Chants du crépusculeOllendorf17 (p. 227-228).

XI

À M. LE D. D'O.

Prince, vous avez fait une sainte action.
Loin de la haute sphère où rit l’ambition,
Un père et ses enfants, cheveux blancs, têtes blondes,
Marchaient enveloppés de ténèbres profondes,
Prêts à se perdre au fond d’un gouffre de douleurs,
Le père dans le crime et les filles ailleurs.
Comme des voyageurs, lorsque la nuit les gagne,
Vont s’appelant l’un l’autre aux flancs de la montagne,
Au penchant de l’abîme et rampant à genoux,
Ils ont crié vers moi ; moi, j’ai crié vers vous.
Je vous ai dit : — Voici, tout près du précipice,
Des malheureux perdus dont le pied tremble et glisse !
Oh ! venez à leur aide et tendez-leur la main ! —
Vous vous êtes penché sur le bord du chemin,
Sans demander leurs noms vos mains se sont tendues,
Et vous avez sauvé ces âmes éperdues.
Puis à moi, qui, de joie et de pitié saisi,
Vous contemplais rêveur, vous avez dit : Merci !

C’est bien. C’est noble et grand. — Sous la tente empressée
Que vos mains sur leurs fronts à la hâte ont dressée,
Ils sont là maintenant, recueillant leur espoir,
Leur force et leur courage, et tachant d’entrevoir,
Grâce à votre rayon qui perce leur nuage,
Quelque horizon moins sombre à leur triste voyage,
Groupe encor frissonnant à sa perte échappé !
Pareil au pauvre oiseau, par l’orage trempé,
Qui, s’abritant d’un chêne aux branches éternelles,
Attend pour repartir qu’il ait séché ses ailes !

Jeune homme au cœur royal, soyez toujours ainsi.


La porte qui fait dire au pauvre : C’est ici !
La main toujours tendue au bord de cet abîme
Où tombe le malheur, d’où remonte le crime !
La clef sainte, qu’on trouve au besoin sans flambeau,
Qui rouvre l’espérance et ferme le tombeau !

Soyez l’abri, le toit, le port, l’appui, l’asile !
Faites au prisonnier qu’on frappe et qu’on exile,
A cette jeune fille, hélas, vaincue enfin,
Que marchandent dans l’ombre et le froid et la faim,
Au vieillard qui des jours vide la lie amère,
Aux enfants grelottants qui n’ont ni pain ni mère,
Faites aux malheureux, sans cesse, nuit et jour,
Verser sur vos deux mains bien des larmes d’amour !
Car Dieu fait quelquefois sous ces saintes rosées
Regermer des fleurons aux couronnes rasées.

Comme la nue altière, en son sublime essor,
Se laisse dérober son fluide trésor
Par ces flèches de fer au ciel toujours dressées,
Heureux le prince, empli de pieuses pensées,
Qui sent, du haut des cieux sombres et flamboyants,
Tout son or s’en aller aux mains des suppliants !

Décembre 1834.