À Montparnasse, un soir

La bibliothèque libre.
Éclairs et FuméeEditions Armorica Voir et modifier les données sur WikidataOeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 1 (p. 101).


À MONTPARNASSE, UN SOIR


À Ange Treussart.


Quand l’électricité jeta sa lueur crue,
À travers les carreaux on put voir de la rue,
Attablés, méfiants tout autour du comptoir,
Des hommes froids et durs, accourus là, ce soir,
Pour évoquer ensemble un même et doux mirage.
Alors, ils s’enivraient dans leur rude langage
Des choses de chez eux et qu’ils n’oubliaient pas.
Tristes, ils buvaient fort, harassés, le front las,
Regardant défiler sur le poli du verre,
Des champs, des prés, des bois, une vieille grand’mère
Vaquant aux menus soins à l’entour de l’enclos.
Oh ! la grande douceur dans l’ombre des lits clos,
Le grand foyer rougi où rit un feu qui veille
Dans son fauteuil de bois, le père qui sommeille,
Et les pommiers fleuris, les vieux ajoncs dorés,
Les femmes du lavoir, les bruns champs labourés,
Les ébats des troupeaux, le train des attelages,
La chapelle dormant, la mer sur les rivages,
Des parents, des amis et la douce hantise
Du profil fin et pur de la chère payse.

Pauvres déracinés, atteints de nostalgie,
À l’alcool demandant un peu de sa magie,
S’asseyant à tromper le malheur, les misères,
Ils buvaient, comme seuls boivent les pauvres hères.