À S. A. R. monseigneur le duc d’Orléans (O. C. Élisa Mercœur)

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Mlle  ÉLISA MERCŒUR
À SON ALTESSE ROYALE
MONSEIGNEUR LE DUC D’ORLÉANS [1].

 

Un coup d’œil de Louis enfantait des Corneilles.

 

Qu’il est dans l’avenir de secrets qu’on ignore !
Que de fois un instant changea seul un destin !
Que d’êtres, éclairés par un éclat soudain,
        Sont inconnus la veille encore,
        Sont illustres le lendemain !

Peut-être… si l’espoir où mon cœur s’abandonne
N’est point un fol orgueil, un vain pressentiment,
Elle est prête à finir la nuit qui m’environne.
Oui, le temps peut aussi m’apporter ce moment,
Dont le pouvoir domine une existence entière,
Si, daignant, ô mon prince, accueillir ma prière,

Vous devenez pour moi cet astre protecteur.
Dont l’éclat sur mes jours répandant la lumière,
Les dénonce à la fois à la gloire, au bonheur.

Peu de printemps unis ont composé mon âge ;
Et, prêtresse vouée au culte des neuf sœurs,
        Déjà mes mains de quelques fleurs
Sur leurs autels sacrés ont déposé l’hommagce.
    Mais, de plus beaux succès, de plus nobles efforts,
        Le bienfait de votre présence
Imposerait la dette à ma reconnaissance.
Et fécondant ma lyre en plus brillans accords,
Française, j’oserais à la France chérie
        Consacrer mes hymnes nouveaux.
Heureuse du bonheur de chanter ma patrie,
Acceptez-moi pour barde, ô mon jeune héros !

Mon cœur battant d’espoir dans l’avenir s’élance.
S’il existe entre nous un intervalle immense,

Sur la route du monde où nous marquons nos pas ;
Si les décrets du Ciel séparent ici-bas
Votre brillant destin de mon humble fortune,
Notre culte du moins nous rapproche tous deux,
Tous deux nous adorons une idole commune :
Oui, la gloire reçoit vos souhaits et mes vœux,
Cette idole sublime, à tout grand cœur si chère ;
        Libres esclaves de ses lois,
        Dans son auguste sanctuaire
Les poètes souvent sont rencontrés des Rois.
Ah ! puissions-nous ainsi nous rencontrer parfois,
Apportant tous les deux à l’autel de la gloire,
Comme une digne offrande et comme un pur encens,
        Vous, l’hommage d’une victoire,
          Et moi, celui de mes accens.

  1. Élisa présenta elle-même ses vers à monseigneur le duc d’Orléans, et eut tout lieu, par la manière dont il les accueillit, de s’applaudir de la démarche qu’on lui avait conseillé de faire. Je ne vis jamais politesse plus respectueuse que celle du prince ; courbé jusqu’au niveau du front de la jeune fille qui lui parlait, il resta dans cette posture tout le temps qu’elle mit à lui exposer l’objet de sa demande, qui consistait, comme on l’a vu par ce qui précède, à obtenir qu’il voulût bien assister à la lecture qu’elle devait faire de sa tragédie chez la princesse Bagration, ce qu’il lui promit avec une grâce parfaite. Trop heureux, lui dit-il, s’il pouvait, par sa présence, contribuer au succès de sa pièce, ce dont Élisa ne doutait nullement, car elle pensait qu’en la lisant devant une telle autorité et devant les ministres et les ambassadeurs, que cette lecture ferait nécessairement beaucoup de bruit dans le monde, et que M. Taylor, qui penserait bien que tous les personnages que je viens de citer s’empresseraient d’assister à la représentation, ce qui attirerait la foule, ne s’opposerait plus à ce qu’elle fut représentée (*). C’était cette pensée aussi qui avait porté la princesse Bagration à proposer cette lecture à Élisa. La pauvre enfant était si heureuse de l’idée que sa tragédie pourrait avoir du succès, qu’elle nageait, si je puis me servir de cette expression, au milieu d’un océan d’espérance de bonheur ; elle voyait ses projets d’enfance près de se réaliser ; sa tragédie allait me rendre riche, nous allions être heureuses ; mais le temps ne tarda pas à lui démontrer que le réveil des sounges de bonheur que l’on poursuit n’est bien souvent qu’une triste réalité.

    La terreur que répandit dans tous les esprits l’arrivée subite du choléra, rendant toute réunion d’apparat impossible, fit échouer les projets de lecture, et anéantit, en un instant, l’espérance de succès dont se berçait ma pauvre enfant. Cette contrariété ne contribua pas peu, je le pense, à lui donner ce choléra, qui lui enlevait tant ! J’en fus frappée à mon tour, cela devait être ; mon cœur étant la contre-épreuve de celui de ma fille ; mais je ne tombai malade que lorsqu’Élisa put à peu près se passer de mes soins.

(*) Il y avait dix mois, lors de l’époque dont je parle, qu’Élisa avait lu sa tragédie aux Français, et que M. Taylor, bien qu’elle eût été reçue à l’unanimité, comme on le verra par sa lecture, qui est après sa pièce, s’était opposé à sa représentation.