À bas la calotte/Encore le Sacré Cœur

La bibliothèque libre.
Bibliothèque anti-cléricale (p. 59-63).

ENCORE LE SACRÉ CŒUR


Quand je vous disais que le Sacré Cœur n’avait plus le sou !…

Tenez, vous allez juger s’il faut qu’il soit dans la panne, ce malheureux Cœur Sacré, pour en être réduit aux expédients que voici :

L’autre jour, j’achète un numéro de l’Univers. On m’avait dit qu’il contenait un article de Veuillot engueulant de la belle manière le comte de Falloux ; il n’y a rien que j’aime comme de voir deux cléricaux se jeter au visage leurs vérités. Je prends donc un Univers, je l’ouvre, et — ô surprise — un petit papier soigneusement plié à l’intérieur s’en échappe.

Je ramasse le petit papier, je le déploie à son tour. C’était un prospectus.

Au milieu, un dessin représentant un bonhomme dans un nuage, avec des rayons autour de la tête, l’air de quelqu’un qui n’a pas inventé la poudre, et tenant dans la main son cœur juste à la hauteur et au milieu du ventre. Ce bonhomme, paraît-il, c’est Jésus-Christ. Ou, pour mieux dire, lorsque vous vous trouvez en face d’un Monsieur enguirlandé d’auréoles et ayant le cœur sur la main, vous pouvez dire : « Tiens, je viens de voir le Sacré Cœur ! »

Donc, le Sacré Cœur en est réduit à distribuer des prospectus pour annoncer qu’il n’est pas au coin du quai.

Faut-il qu’il soit râpé, ce pauvre Sacré Cœur !

Et, ma foi, si vous me promettez de ne pas trop vous tordre, je vais vous donner un aperçu de ce diable de prospectus.

La réclame est rédigée par un pékin qui signe « Monseigneur de Rimouski ». Drôle de nom, qui ne m’inspirerait pas trop de confiance si j’étais un dévot.

Donc, « Monseigneur de Rimouski fait appel à la charité des catholiques pour obtenir des aumônes afin de lui venir en aide dans la construction d’un séminaire diocésain et d’une chapelle dédiés au Sacré Cœur ».

Et, pour stimuler l’ardeur des fidèles, cet excellent Monseigneur de Rimouski leur rappelle toutes les « promesses faites par Jésus-Christ à Marie Alacoque en faveur des personnes dévotes à son divin cœur » ; car il paraît que Jésus-Christ est venu en personne un beau matin faire des promesses à Marie Alacoque. Ah ! le bon billet !


Voyons ces promesses :


« 1o Je leur donnerai, a dit le Monsieur au cœur sur la main, toutes les grâces nécessaires dans leur état. » C’est-à-dire, si c’est un banquier, il ne fera jamais une erreur d’addition ; si c’est un gymnasiarque, il ne se cassera jamais le nez en dégringolant de son trapèze ; si c’est un vidangeur, la marchandise aura pour lui l’odeur de la violette.

« 2o Je mettrai la paix dans leurs familles. » Mariez-vous, mes petits agneaux, et soyez dévots au Sacré Cœur, vous n’aurez pas à craindre la mauvaise humeur de vos belles-mères.

« 3o Je les consolerai dans toutes leurs peines. » Ton oncle est mort, mon gros chéri ; tu le pleures à chaudes larmes ?… Apprends que, grâce au Sacré Cœur, tu es son héritier.

« 4o Je serai leur refuge assuré pendant la vie et surtout à la mort. » Durant votre existence le Sacré Cœur vous préservera des accidents de voitures, et à l’agonie, toujours grâce au divin viscère, vous n’aurez pas à craindre les filouteries des gardes-malades.

« 5o Je répandrai d’abondantes bénédictions sur toutes leurs entreprises. » Pas bête, cette promesse ? Ce qu’elle doit attirer de gobe-mouches à la dévotion du Sacré Cœur ne peut manquer d’être pyramidal. J’ai connu un Monsieur extraordinairement dévot ; ce qui ne l’a pas empêché de faire faillite ; mais, après ça, vous savez, il était peut-être simplement dévot au bon Dieu tout court au lieu d’adresser ses hommages spécialement au Sacré Cœur.

« 6o Les pécheurs trouveront dans mon cœur la source et l’océan de miséricorde. » Avis aux Tropmann et aux Dumolard de l’avenir. Une prière au bon ami de Marie Alacoque, et tous les crimes sont pardonnés.

« 7o Les âmes tièdes deviendront ferventes. » Bigre !

« 8o Les âmes ferventes s’élèveront rapidement à une grande perfection. » Si cette promesse divine n’est pas une affreuse plaisanterie de fumiste, je demande que l’on oblige les frères ignorantins à se vouer au Sacré Cœur

« 9o Je bénirai moi-même les maisons où l’image de mon Sacré Cœur sera exposée et honorée. » Voilà mes bureaux qui vont devenir une succursale du paradis ; dès demain, je vais faire placarder la sainte gravure sur la porte du cabinet, et tout le monde aura l’ordre de tirer un coup de chapeau en passant devant.

« 10o Je donnerai aux prêtres le talent de toucher les cœurs les plus endurcis. » Ah ! voilà pourquoi il y a tant d’incrédules depuis quelque temps : c’est que les prêtres négligent le Sacré Cœur. Allons, allons, curés, mes amis, un peu moins de fleurs à la Vierge de Lourdes, un peu plus d’invocations au Sacré Cœur, et avant quatre jours Rochefort lui-même entrera au couvent de la Trappe.

« 11o Les personnes qui propageront cette dévotion auront leur nom inscrit dans mon cœur et il n’en sera jamais effacé. » Ça, c’est bien pensé. Seulement, il y a quelque chose qui me chiffonne : un cœur, ce n’est pas bien gros ; quand celui de Jésus-Christ sera plein de noms, comment fera-t-on pour en inscrire d’autres ?… Enfin espérons qu’à ce moment-là le Sacré Cœur se gonflera comme un ballon à gaz, et de la sorte il y aura place pour tous.

Voilà les onze promesses que Jésus-Christ a faites à Marie Alacoque. C’eût été encore bien autre chose si, au lieu d’être Alacoque, Marie avait été Alaneige ou Aumiroir.

Mais il faudrait être diantrement difficile pour trouver que le fils de la Vierge n’a pas promis assez. Pensez donc ! Pour un peu de dévotion à son cœur, il vous empêche d’être écrasé par les omnibus, rend souple comme un gant votre femme si elle est hargneuse, vous console de toutes vos peines, et guérit même vos vignes du phylloxéra si vous faites le commerce des vins. Que voulez-vous de plus ?

Tout cela, c’est Monseigneur de Rimouski — fichu nom — qui nous l’apprend.

Et, après avoir énuméré tous ces avantages, Monseigneur de Rimouski ajoute sur son prospectus :

« On n’a qu’à faire une fois pour toutes l’aumône de DEUX FRANCS seulement en faveur du Sacre Cœur, et pour cela on a droit à une messe par semaine pendant 25 ans. »

Ce qui fait treize cents messes pour quarante sous, soit environ un septième de centime la messe. Ce n’est pas cher. Il faudrait ne pas avoir une pièce de deux francs dans la poche pour se refuser cette petite satisfaction.

Mais, à propos, je pense à une chose. Voilà un évêque, ce Monseigneur de Rimouski, qui fait une terrible concurrence à ses collègues en soutane noire et violette. Treize cents messes pour quarante sous, tandis que partout on fait payer une messe trois francs en moyenne ! Dame, quand on connaîtra le grand rabais de Monseigneur de Rimouski, on ne s’adressera plus qu’à lui.

Et puis, encore une réflexion.

Les pièces de quarante sous auxquelles Monseigneur de Rimouski fait appel sont destinées à la construction d’une chapelle au Sacré Cœur. C’est dans cette chapelle que sont dites les messes pour les généreux donateurs. Très-bien ! Mais combien un prêtre peut-il dire de messes par jour ? J’ai entendu dire, à l’époque où mes parents me faisaient élever dans la connaissance du catéchisme, de la liturgie, de la théologie et de tout le bataclan, j’ai entendu dire qu’un prêtre ne pouvait pas dire plus de trois messes par jour, et encore fallait-il, pour cela, qu’il fût spécialement autorisé par le pape. Supposons donc qu’il y ait dans la chapelle de Monseigneur de Rimouski — voyons, ne lésinons pas — trente prêtres autorisés par le pape à dire trois messes par jour. Trente prêtres, à trois messes par jour, cela donne six cent trente messes par semaine. Or, puisque par chaque pièce de quarante sous on a droit à une messe par semaine, Monseigneur de Rimouski, s’il ne veut pas voler son monde, ne pourra accepter les pièces de quarante sous que seulement de 630 personnes. Mais alors je suis en droit de me demander si avec 1260 francs il est possible de bâtir une chapelle de nature à contenir assez d’autels pour qu’il puisse s’y dire 90 messes par 30 prêtres chaque matin.

Conclusion, — Voir, dans le Code pénal, l’article qui définit ainsi le délit d’escroquerie : manœuvres frauduleuses ayant pour but de se faire remettre des fonds en alléguant l’existence de fausses entreprises ou en faisant naître l’espérance d’un succès, d’un accident ou de tout autre événement chimérique.

Ah ! Sacré Cœur, Sacré Cœur, je te le prédis, tu finiras, si tu n’y prends garde, par échouer quelque jour sur les bancs de la correctionnelle.