À bout portant/Sa voie

La bibliothèque libre.
Éditions du Devoir (p. 105-107).


Sa voie

Mon fils a trouvé sa voie.

Ça lui est venu à l’heure où le rossignol du cambrioleur se met à chanter.

C’est dire qu’il était plutôt tard ; au fait, il était minuit.

Depuis plusieurs mois mon rejeton me donnait de l’inquiétude. Le brigand me donnait, chose curieuse, ce qu’il n’avait pas lui-même, car toujours il remettait au lendemain le choix d’une carrière.

Son insouciance me désespérait.

— Puisque tu n’es bon à rien, lui dis-je, un jour, fais-toi journaliste.

— Non, répondit l’espoir de mes cheveux blancs, la loi sur le libelle est bien trop mal faite, et ensuite, je ne suis ni médecin ni notaire, ni même avocat.

— Mon fils tu es un drôle de pistolet ; tu finiras par rater ta vocation.

— Je serais raté tout entier, répliqua mon fils, si j’accédais à ton désir.

Nous en restâmes là.

Hier soir — je crois vous avoir dit qu’il était tard — mon bâton de vieillesse (il s’agit toujours de mon héritier, n’est-ce pas ?) me tira des bras de Morphée par des coups de sonnette répétés.

— En voilà une heure, fis-je, courroucé en lui tirant le cordon.

— Ne t’emporte pas, papa ; j’ai trouvé ma vocation et des boutons de culottes.

— Quelle est cette fumisterie ?

Mon fils, pour me calmer, m’expliqua en détail qu’il venait de l’Hôtel de Ville où il avait assisté à une réception magnifique.

— J’ai remarqué, dit-il, qu’après chaque présentation suivie d’une révérence, Messieurs les invités, vivement, portaient leurs mains à leur bretelle. Un soupçon me traversa l’esprit et après la soirée, je retrouvai sur le parquet des milliers de ces petites rondelles métalliques qui sont le trait-d’union entre la culotte et la bretelle.

— Où veux-tu en venir ? demandai-je.

— Voyons papa, ne conçois-tu pas que l’industrie du bouton doit être florissante. Tous ces messieurs qui, en se courbaturant, ont perdu leurs boutons devront…

— Les remplacer. Mais je ne vois pas bien ta vocation là-dedans.

— Vieux papa, c’est là qu’est la fortune ; je me ferai fabricant de boutons.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je me suis laissé convaincre. Maintenant si les réceptions peuvent marcher, les boutons marcheront.