À l’œil (recueil)/Par analogie

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À l’œilFlammarion (p. 100-102).


PAR ANALOGIE


HISTOIRE D’ÉTÉ


Prologue.


C’était aux heures bénies où j’étais encore étudiant.

Demandez à Dieu, ô familles, que vos fils soient plus studieux que moi et moins débauchés.

De mes années d’études, je n’ai gardé nul souvenir glorieux, nulle lauréation, nulle félicitation de mes maîtres.

Oh ! l’interminable flâneur que je fus, par le Luxembourg, par les quais, par — au soleil — les terrasses des brasseries.

Je ne dis pas ça pour me vanter, car je sais bien que c’est très vilain d’agir de la sorte.

J’ai brisé mon avenir une quinzaine de fois. Il en est résulté pour ledit avenir une souplesse de clown pris tout jeune.

Et puis, l’avenir n’étant séparé du passé que par le présent, et le présent n’existant point… alors quoi ?

Enfin, pour tout dire, j’allais au café et je passais dans ce mauvais endroit mainte soirée qui eût été plus fructueusement occupée à des études arides sur le moment, mais, par la suite, rémunératrices.

Entre mes camarades habituels, s’en distinguaient deux qu’on aurait pu appeler les antipodes du tumulte.

L’un Georges Caron ; l’autre, Victor Ducreux.

Georges Caron, vacarmeux comme une chaudronnée de diables cuisant dans l’eau bénite, nous assourdissant par ses réflexions oiseuses, infiniment répétées sur un ton de fausset malplaisant.

Victor Ducreux évoquait l’idée d’un sépulcre soigneusement capitonné. Jamais un mot, sauf, en des cas désespérés, un blasphème bref et sourd.

Or, voici ce qui advint un jour :


I


Ou plutôt un soir.

Nous étions réunis tous au fond d’un petit cabaret de la rue Monsieur-le-Prince qui s’appelait le Coucou et que la pioche des démolisseurs a fait disparaître depuis.

Encore un coin du vieux Paris…, etc.

Pourquoi Georges Caron se taisait-il à ce moment, et depuis quelques moments, et quelques moments ensuite ?

Quoi qu’il en soit, ce mutisme nous anormalisa tant et tant, que, d’une clameur commune, nous dîmes :

— Tiens ! Caron n’est donc pas là !


II


Au même instant — saura-t-on jamais pourquoi ? — le sépulcral Ducreux se mit à jacasser, jacasser : telle une nichée de jeunes pies borgnes.

L’abus des boissons fermentées ? ou si c’était quelque autre surexcitation cérébrale ?

Quoi qu’il en soit, cette bruyance nous anormalisa tant et tant, que d’une clameur commune nous dîmes :

— Tiens ! Ducreux n’est donc pas là ?


III


(Comme je vous ai averti plus haut, c’est une histoire d’été.)