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À portée de la main (éd. Le Fleuron, 1950)/Le Drame et le procès

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LE DRAME ET LE PROCÈS


La mère et la fille viennent, non pas de sombres bords, mais de l’affreux logement étroit, le logement parisien qui déshonore l’intimité familiale. Elles viennent de la géhenne où l’on déplie le soir, à côté d’une couche conjugale, un petit lit qu’on replie le matin. Quelle école ! Tout soupir est sans mystère, et la cloison est perméable au chuchotement. C’est dans ces cages que des parents bornés préparent et favorisent, sans le savoir et sans le vouloir, les drames où le jeune monstre qui les réalise puise l’illusion de la liberté.

Avant d’accomplir le geste qui la sépare du reste de l’humanité, la jeune fille criminelle a sans doute cru mourir cent fois d’impatience, d’intolérance et de solitude entre sa mère qui cousait, son père indéchiffrable. Elle tient de celui-ci un menton puéril et boudeur, un regard offensé. À côté de la lampe, après la partie de jacquet, elle a cent fois mordu l’intérieur de sa joue, rongé son ongle, tourné des feuillets qu’elle ne lisait pas, et écouté avec désespoir la fuite du temps. Car elle sort de parents sans génie, qui ne lui ont pas transmis grand’chose de plus qu’un orgueil morose.

La grande vertu, l’orgueil, les Violette Nozière s’entendent à la rapetisser, à la monnayer en voitures, en cocktails, en oisiveté, en pourboires, en pour-aimer. « Quel abîme qu’une telle vie ! » s’écrie-t-on. Mais non. L’abîme n’est pas si étriqué et je trouve l’héroïne plus butée que mystérieuse. Elle ne raconte rien ? Que veut-on entendre ? Elle avoue son meurtre, mais rien de plus. Le reste, elle aime mieux mourir que de le révéler, car c’est le roman de son orgueil, de sa chimère de bas étage, le roman qui commence par : « À l’époque où je régnais sur les cœurs, lorsque d’un geste suprêmement élégant, je vidais coupe sur coupe et j’allumais, à la flamme d’un briquet de grande valeur, des cigarettes d’Orient avant de m’élancer dans ma Bugatti, je m’avisai que, sans manquer d’argent, mes parents manquaient totalement de chic. Disons le mot : ils n’étaient pas montrables… »

Car ses rêves étaient sûrement écrits en mauvais feuilleton. Elle emploie en parlant des mots de courtisane démodée, dit « mon protecteur ». Pouvait-elle faire moins, si elle a inventé M. Émile, que de le doter d’une moustache blanche, d’une puissante usine, d’une délicatesse de gentilhomme et d’une limousine bleue ? Ne haussez pas, à me lire, les épaules. Vous ne savez pas comme c’est mesquin et terrible une enfant sans honneur que plusieurs promiscuités ont blettie.

Quelle différence avec la fauve richesse, l’éclat de la pègre ! Du crêpe, des regards dérobés, — un jeune visage qui n’est pas beau ; mais, ô surprise ! il est photogénique et ses moindres portraits sont émouvants comme ceux des très bonnes actrices maîtresses de leurs moyens d’expression ; — un visage qui ressemble terriblement, l’adverbe n’est peut-être pas trop fort, à celui du père assassiné. Nous nous attendions au cri de haine de la mère ; mais la mère s’est laissée « raisonner » et risque un mot convenable : « Pitié pour ma fille », qu’un peu plus elle allait oublier parmi ses gémissements. Petit monde familier du mensonge, du compromis, de la réticence…

L’amant de Violette, le mieux aimé des cinq ou six, n’appartient pas à ce milieu-là. Il garde une certaine inconscience badine et minaude, et s’écrie après l’audience : « Eh ben vrai, on m’y reprendra ! », comme s’il venait d’écoper une contravention. Sans doute, elle lui savait gré d’être gai et sans scrupule à la manière estudiantine, la sombre enfant qui réglait les additions comme une dame mûre…

Tout est triste, dans ce procès d’assises, autour de cette meurtrière vexée. « Elle a l’air de ne rien comprendre à ce qu’elle fait », disait un des assistants. Peut-être, en effet, est-ce très difficile à comprendre. Personne, sinon la grâce — j’entends l’humilité — ne peut faire comprendre à Violette Nozière qu’il y a seulement deux espèces d’êtres humains : ceux qui n’ont pas tué et ceux qui ont tué.