À propos des fragments de vases trouvés à Wittem

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Publications de la société d’archéologie dans le duché de Limbourg
Texte établi par Société historique et archéologique dans le Limbourg,  (1p. 104-108).

À PROPOS DES FRAGMENTS DE VASES TROUVÉS À WITTEM.
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En lisant la première livraison des publications de la Société d’Archéologie du duché de Limbourg, publication et société qui paraissent être appelées à un grand succès, j’ai remarqué entre autres un article signé par M. J. van der Maelen.

Il serait à désirer, que tous ceux qui possèdent des objets antiques, trouvés dans le pays, imitassent l’exemple donné par cet archéologue. En effet, si chacun signalait aux diverses sociétés locales les découvertes, vieilles ou récentes, si insignifiantes même qu’elles puissent paraître, venues à sa connaissance, ou dont les produits sont en sa possession, on aurait bientôt une foule de documents précieux, pour compléter et parfaire la carte archéologique de l’ancienne Belgique.

C’est ce que prouve du reste M. J. van der Maelen, lorsqu’il dit dans la dernière phrase de son article : « J’ajouterai seulement que M. Schayes, dans sa statistique archéologique des Pays-Bas, ne mentionne aucuns restes antiques trouvés à Willem ; l’indication marquée sur ma carte archéologique de la Belgique se rapporte aux seuls fragments, dont la description fait le sujet de cet article. »

On le voit, si au lieu de tomber entre des mains aussi intelligentes, ces débris étaient venus entre celles d’un indifférent, qui les eut laissés dans l’oubli, un document précieux eût été perdu.

Il est du reste inutile d’insister sur l’importance de pareilles communications : chacun en comprendra l’intérêt. Aussi devons-nous des remercîments à M. J. van der Maelen, qui, le premier dans cette nouvelle publication, nous a donné l’exemple.

Espérons donc qu’après lui, tous ceux à qui le hasard a fait ou fera découvrir quelques vestiges des époques celtiques, germaniques, romaines, gallo-romaines ou franques, s’empresseront de les faire connaître et doteront ainsi la science de documents nouveaux.

Lorsque M. J. van der Maelen a signalé les antiquités trouvées à Wittem, il s’est naturellement, pour établir des analogies entre les objets qu’il avait à décrire et ceux qui étaient déjà connus, préoccupé surtout des découvertes rayonnant dans un cercle limitrophe. Occupé d’ailleurs de travaux importants dont la célébrité constate chaque jour tous les mérites, il n’a pu aborder l’étude des ouvrages spéciaux traitant des découvertes et des fouilles locales. Il n’est donc pas étonnant qu’il n’ait pas cru devoir chercher en Normandie l’explication d’une inscription lue sur un vase trouvé dans le Limbourg. C’est là cependant qu’il l’eût trouvée.

L’interprétation qu’il donne de l’inscription FRON, marquée sur le fond de l’un des vases décrits et dessinés par lui, fig. 1a et fig. 1b sur la planche jointe à son article, est non-seulement très-ingénieuse, mais de plus très-poétique. Cette explication de FRON en fert rorem, il porte la rosée, l’eau céleste, l’eau bénite, est si charmante qu’on la voudrait vraie. Malheureusement au lieu d’une idée poétique et gracieuse, ce FRON n’est, en réalité, que l’abréviation d’un nom de verrier.

Remarquons d’ailleurs que le but de M. van der Maelen était de soumettre la question et non de la décider. Il se borne en effet à une explication purement conjecturale ; ses expressions je crois devoir lire, on pourrait peut-être, prouvent qu’il a simplement voulu signaler une analogie et attirer l’attention des archéologues sur un point douteux.

M. van der Maelen a parfaitement rétabli ce petit vase de verre dans sa forme primitive. Cette forme est de celle qu’on appelle barillet. S’il m’est permis de me citer moi-même, voici ce qu’il est dit de ces sortes de vases dans Un cabinet d’amateur, à l’article Verrerie[1] « Une forme qui se retrouve constamment dans les cimetières gallo-romains de la France, de l’Allemagne, de la Belgique est celle du barillet. Ce sont des petits flacons à goulot peu allongé, à panse arrondie ornée de six cercles[2]. à chaque extrémité ou davantage. Ils sont soufflés dans un moule comme l’indique une double soudure. Ces barillets se divisent en deux groupes bien distincts ; les uns en verre blanc opalisé, parfois sans anse, parfois en ayant deux ou trois, fort rarement une seule ; les autres en verre commun de couleur verdâtre, et garnis d’une seule anse. Mais ce qui est surtout à remarquer, c’est que les premiers n’ont jamais d’inscription, tandis que les derniers ont presque toujours des noms ou des sigles. Ces légendes prouvent que la fabrique Frontinienne était une des plus florissantes et que ses produits s’étendaient fort loin. En effet, ce sont la lettre F ou le nom de la fabrique FRONTINIANA, en entier ou en abréviation, qui se trouvent le plus souvent sur ces vases. On peut consulter M. l’abbé Cochet, Normandie souterraine, pag. 163, pour connaître la variété de ces légendes et pour suivre le savant archéologue dans ses heureuses dissertations sur les fabriques des verriers gallo-romain. On y verra cette fabrique, située sans doute en Normandie vers le IIe siècle de notre ère, étendre ses produits dans un vaste rayon circonvoisin. On trouve en effet de semblables barillets à Amiens, à Dieppe, à Boulogne et leurs environs, et nous nous rappelons avoir lu, dans le Messager historique de Gand, de l’année 1824, que quelques années auparavant on avait trouvé, en faisant des travaux à la Grand’Place de Tournay, un vase en verre portant au fond la marque FRONTIN. M. N. manufacture Frontinienne, ou de la fabrique de Frontinus. »

On le voit, la découverte d’un barillet de cette fabrique dans les environs de Maestricht, offre un grand intérêt au point de vue de l’étude des rapports commerciaux à cette époque.

Voici la liste des inscriptions frontiniennes lues sur divers barillets trouvés dans les fouilles de la Normandie :

F, FRO, FRON, FRONI, FROTI, FROT, FRONT, COMIOR FRON, PROMETHEVS FROTI, FRONTINIANA F QVA, FRONTINIANA S. C, FRONT. S. C. F, FRONTINI ANA, FRONTI SEXTIN, E. P. FRONT, FRONT S. C. F.

Nous venons de voir que la découverte de Tournay nous permet d’ajouter à ces nombreuses variantes celle de FRONTIN M. N.

« Or, avec ces éléments, dit M. l’abbé Cochet[3], je raisonne ainsi : Frontiniana fabrica indique bien clairement la fabrique Frontinienne, qui a pris son nom du nom même du fabricant. On sait que les familles romaines étaient très-nombreuses, et qu’elles conservaient avec un soin tout particulier leurs privilèges, surtout en pays conquis. Or, il me paraît qu’ici cette famille a duré long-temps, puisque ses produits sont divers et répandus en beaucoup d’endroits ; qu’ils sont nombreux et semés partoût ; qu’ils ont des étiquettes différentes, ce qui suppose de la diversité dans le personnel et dans le temps de la fabrication. Enfin le mot S. C. qui, tiré des monnaies romaines, signifie toujours Senatus-Consulto, indiquerait peut-être ici une concession gouvernementale, un décret du Sénat, qui aurait octroyé le privilége à la famille Frontinus. D’où je conclus que ce serait une fabrique impériale. »

Nous disions plus haut que cette fabrication devait appartenir au IIe siècle ; ce sont en effet ordinairement des monnaies des souverains de cette époque, tels que Trajan, Adrien, Antonin, Faustine, Marc-Aurèle, qui accompagnent ces barillets. M. l’abbé Cochet est porté à croire que cette fabrication a cessé vers la fin du IIIe siècle.

Ceci placerait donc les objets décrits par M. van der Maelen au IIe siècle et non au IVe, comme il a été conduit à le supposer par induction. Il est fâcheux du reste qu’aucune monnaie ne soit venue ici préciser l’époque et fournir un document de plus sur cette fabrique Frontinienne.

G. Hagemans.

Bruxelles, avril 1864.

  1. Un cabinet d’amateur. Notices archéologiques, etc., p. 463.
  2. C’est en effet le nombre des cercles du vase décrit et dessiné par M. J. V. d. M., fig. 1a.
  3. La Normandie souterraine ou notices sur des cimetières romains et des cimetières francs explorés en Normandie, Rouen, 1854, page 163.