À vau-le-nordet/0

La bibliothèque libre.
Librairie Beauchemin, Limitée (p. 11-14).

AVANT-PROPOS

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Le livre que voici est un ana de boutades, brocards, gloses ou malices sur des sujets variés mais ressortissant à tel rumb particulier. Il pourrait bien être le premier d’une série, car il n’y a pas que le seul nordet qui souffle chez nous et qui souffle… des choses et des choses. Quand on dit : il est vent que, j’ai eu vent que, ça peut fort bien être le soroît…

À vau-le nordet se propose modestement de dérider les fronts soucieux penchés, à cœur de jour, sur l’âpre « struggle for life ». Il s’adresse à ceux qui croient, avec Champfort, que « la plus perdue des journées est celle où l’on n’a pas ri ».

La critique — que deviendrait le respect à l’autorité si le maître d’école s’oubliait jusqu’à sourire ? — la critique, si elle daigne jeter les yeux sur ce bouquin, dira peut-être que c’est un galimatias, un salmigondis de gauloiseries grotesques, de scies édentées, de farces saugrenues, de pitreries insipides, de concetti démodés, de banales turlupinades, pasquinades, matassinades et toute la gamme des « ades » les moins bien notées. Elle décrétera que l’auteur est un facétieux, un faquin, un histrion qui perd un temps précieux à enfiler des perles d’un orient douteux et à faire œuvre indigne d’un écrivain sérieux.

Mettons qu’elle ait raison, la critique. De mon côté, je n’ai rien de Pygmalion et, sans autrement chicaner, me borne à répondre : affaire de goût. La chose est arrivée qu’un auteur croyant égayer le public a vu sa pièce égayée de sifflets.

Il y a une chose qui ne souffle pas de doute, c’est que lorsqu’on a trimé toute la sainte journée, creusé l’échinant problème du pain quotidien, potassé Planiol ou Dieulafoy, on ne songe guère, le soir venu, à ouvrir un auteur sérieux, on va plutôt à la comédie, on cherche à la radio un programme bouffe, on reluque dans sa bibliothèque un auteur gai.

Les esprits chagrins pourront dire que je me suis abaissé jusqu’à la gaudriole ou au burlesque : j’estime que je me suis élevé si je mets un peu de gaieté et de sérénité dans l’âme du lecteur. En d’autres termes, si À vau-le-nordet arrive à votre heure de lassitude, ce sera mon heur.

C’est Beyle, l’illustre Beyle, qui a dit qu’« un peu de folie ne gâte rien ». Le grand psychologue avait une façon bien réconfortante d’envisager la vie. Rien de moutonnier chez lui, et il serait bien osé celui qui prétendrait que Beyle ment.

À d’autres donc, à d’autres plus savants le soin de toujours penser sans rire. Pour le quart d’heure, rions sans penser ou pinçons sans rire.

Il est certes bien commode pour l’humanité que de fortes têtes pâlissent sur de gros in-folio tâchant à nous instruire. Mais ne convient-il pas aussi, de fois à autre, de débander l’arc. S’il fallait, pour danser, attendre que fortune chantât !…

L’auteur se défend de donner dans la satire corrodante… ou si peu. Quand il lui arrive de railler, c’est sans amertume, sans fiel. Taquin, gouailleur, brouillon, frondeur, iconoclaste, fort bien, mais hargneux, fi donc !

Aussi, qu’on ne cherche pas, dans ce livre, de personnalités, de coups de boutoir à l’adresse d’un tel ou d’un tel. L’auteur a d’autant moins de mérite de les avoir évités qu’il a la prétention de n’être point méchant. Rosse, parfois, féroce, jamais !

Certes, il ne manque pas, le long de la vie, de types à caricaturer, de faux bonshommes qui prêtent à la charge, de farceurs qui méritent d’être fouaillés, ils n’intéressent pas l’auteur d’À vau-le-nordet.

Ce livre épilogue sur les gens, les choses, les événements, les idées, les travers, au point de vue collectif et sans viser personne en particulier. L’auteur s’est fait un point d’éthique de ne pas poser d’étiquettes sur les individus.

Au reste, on ne donne de bourrades qu’à ses amis, on ne taquine que ceux qu’on estime, on ne fait pas aux drôles ou aux sots l’honneur de la plaisanterie.

Né fiers que fiers !

« Meilleures sont les aigreurs et les pointures de l’ami que les baisers du flatteur », dit Montaigne.

Il est de bonne guerre de dauber les travers et les ridicules, de berner les Jocrisses, de donner des coups d’épingles dans les vessies. C’est dans le tempérament de la race. Le Français est né malin.

Oh ! je n’appréhende pas que les traits décochés par ma fantaisie blessent bien grièvement. Chacun se flatte d’entendre à rire, ce qui revient à dire qu’on a assez de philosophie pour se passer de susceptibilité. Au surplus, ces pointes ne sont guère acérées et, encore un coup, elles ne sont point empoisonnées. Il serait du dernier plaisant d’entendre taxer de dénigrement l’humoriste à qui vient le caprice de lâcher la bride à son dada. Autant en emporte le vent… nordet !

Pour résumer, le livre que voici s’adresse aux gens d’esprit. Des autres, cure n’ai !