École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Lampes docimastiques

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Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (2p. 127-144).

LAMPES DOCIMASTIQUES




INSTRUCTION.



La lampe docimastique consiste dans une application aussi simple que neuve de l’éolipyle, dont l’ajutage replié sous lui-même, ou introduit dans la capacité du digesteur, projette la vapeur de l’esprit-de-vin qu’il contient contre la flamme d’une lampe au-dessus de laquelle l’éolipyle est tenu suspendu. La flamme de la lampe, ainsi mêlée avec la vapeur de l’éolipyle, forme un dard très vif et si pénétrant, que, s’il est dirigé avec le tube horizontal contre un vase de la contenance d’un demi-litre (chopine), il met l’eau qu’il renferme en ébullition dans l’espace de deux minutes. Si l’on rend ce tube oblique, d’horizontal qu’il était, ce qui se fait en changeant l’extrémité de l’ajutage, on peut imprimer à la flamme une direction ascendante, ou la faire plonger dans un creuset, et alors le charbon qu’elle allume rend avec usure à l’éolipyle toute la chaleur qu’il en reçoit ; il naît de cette restitution mutuelle un souffle si violent qu’on ne peut s’en faire une véritable idée sans avoir vu l’expérience. L’usage le plus habituel des ajutages à courbure horizontale et ondulée est d’opérer la prompte ébullition des liquides ; mais on peut aussi les employer à la manipulation du verre et des émaux. Si, quand le premier fait la fonction de chalumeau, on éteint la lampe, et qu’on présente devant son orifice une chandelle ou une bougie allumée, ou, ce qui revient au même, si l’on réduit la mèche de la lampe au plus petit filet possible en fermant presque entièrement la coulisse, on voit aboutir à l’extrémité inférieure de l’ajutage une goutte d’esprit-de-vin, produit de la vapeur qui s’est refroidie dans le trajet du tube ; cette goutte est suivie d’une infinité d’autres qui s’allument successivement, et forment par leur série continuelle une lance bleue, laquelle dure cinq à six heures, en supprimant même le petit filet de mèche qui avait servi à les allumer. Cette lance bleue est très-propre à l’entretien de l’ébullition de l’eau, à la soudure des ouvrages délicats, comme le jaseron et la chaînette, et à la fabrication des perles fausses. Elle réunit à ces différens avantages celui d’être singulièrement commode, en ce qu’il suffit de la détourner du vase contre lequel la lance est dirigée, pour la faire servir de veilleuse ; et que, si l’on veut avoir quelque liquide bouillant, il n’est besoin ensuite que de ramener cette lance contre le vaisseau qu’on veut échauffer.

En employant le tube à courbure ondulée on obtient une flamme obliquement ascendante, et qui sert à chauffer les vaisseaux en-dessous.

La lampe docimastique se prête aux formes les plus élégantes ; celle que l’éditeur de cet ouvrage a adoptée est la plus simple et la plus commode ; elle est modelée sur la lampe antique de Psyché, dominée par un serpent ou par un cou d’aigle dont le bec tient un foudre : une portion de ce foudre sert de bouton de pression pour mettre l’éolipyle qui le traverse à la hauteur que l’on désire.

Il est bon d’observer, relativement à l’usage de cette lampe,

1o. Qu’il ne faut emplir l’éolipyle qu’aux trois quarts, de peur que l’esprit-de-vin mis en ébullition ne passe sous la forme liquide par l’ajutage ;

2o. Qu’on peut alimenter la lampe d’esprit-de-vin ou d’huile. Le premier de ces liquides a sur l’autre l’avantage de ne pas noircir les vaisseaux.

3o. Qu’il faudrait avec cet instrument employer de préférence des vaisseaux d’une forme aplatie, parce que le dard, en s’écrasant contre un plan, y imprime une espèce de soleil, dont le disque prend beaucoup plus d’étendue que sur les vaisseaux cylindriques ; il est bon aussi que ces vaisseaux soient couverts.

4o. Que si l’on désire souder quelques pièces métalliques peu volumineuses, telles qu’une clef de nécessaire ou de portefeuille, une pointe de compas, une plume d’argent, une épingle de cheveux, il faut aviver avec une lime les deux extrémités de la brisure, puis les réunir avec un fil de fer recuit, et les soumettre à l’action de la lance de feu, après les avoir saupoudrées de borax mouillé, et y avoir appliqué un feuillet de soudure d’argent, ou quelques grains de soudure de zinc. Lorsque la soudure coule, ce qui n’exige que l’espace d’une demi-minute, il faut retirer la pièce, et l’opération est finie.

5o. Qu’il est essentiel de tenir le guéridon, dont la lampe à griffe doit toujours être accompagnée, à une hauteur telle que le dard puisse donner précisément contre le centre du vaisseau qu’il supporte et qu’on veut échauffer.

6o. Que, lorsque l’orifice inférieur de l’ajutage se trouve obstrué, ce qui n’arrive qu’autant qu’on emploierait de l’esprit-de-vin d’une mauvaise qualité, il faut souffler la lampe, et ne point laisser jouer inutilement la soupape de sûreté pratiquée au dôme de l’éolipyle, laquelle ne doit agir que dans les opérations docimastiques, qui exigent une chaleur considérable. Pour déboucher l’ajutage il suffit d’employer un fil d’archal qui soit assez tenu pour ne pas en agrandir l’orifice, qu’on diminue à volonté en frappant dessus avec une clef ou le dos d’un couteau.

7o. Que, lorsqu’une fois le dard de la flamme a pris de l’activité, on peut modérer ou augmenter sa chaleur en reculant ou en ramenant la coulisse de la lampe.

8o. Que, plus la mèche dépasse le bec de la lampe, plus le dard acquiert d’énergie.

9o. Que quand la lance de feu ascendante se trouve tranchée, c’est une preuve que l’éolipyle éprouve trop de chaleur, et que la vapeur qui s’en échappe trop rapidement n’a pas le temps de s’allumer à sa naissance. Il est bon dans ce cas de modérer le feu de la lampe en ramenant la coulisse sur les trois quarts de la mèche.

Nous ajouterons ici, pour fixer l’attention sur l’utilité de la lampe docimastique, qu’elle offre aux gens peu aisés une économie essentielle dans beaucoup de cas, en ce qu’avec une dépense d’un centime et demi ils peuvent, sans cheminée, faire bouillir une cafetière de deux tasses en une minute, effet que l’on n’obtiendrait pas à ce prix et aussi promptement avec du charbon ou de la braise. Cette lampe est indispensable pour les voyageurs aisés, qui peuvent la placer dans leur nécessaire, et s’en servir même en voiture pour faire leur thé ou leur café, en se munissant d’un briquet ou d’une pâte phosphorique : que dans l’été surtout, où il est désagréable d’allumer du feu, cet instrument devient de la plus grande commodité, en ce qu’il remplace les réchauds ou les fourneaux les plus actifs ; que, donnant toujours une flamme égale, il dispense les personnes qui s’en servent de toute espèce de soins, et même de leur présence pendant deux heures, si elles tiennent la mèche de la lampe allumée, et pendant cinq si elles l’éteignent, c’est à dire si elles n’ont besoin que de l’entretien de l’ébullition des liquides par la lance bleue dont nous avons parlé.

Pour ne taire enfin aucun des avantages de cette lampe, nous observerons qu’elle peut faire meuble de cheminée ou de console, en ce qu’elle prête par l’élégance de sa forme à toutes les richesses du luxe, qu’elle parfume l’appartement où on l’allume, et, ce qui est bien précieux, que principalement avec de l’esprit-de-vin elle ne présente aucun danger pour le feu, même quand elle est abandonnée à elle-même. La vérité de cette assertion sera facile à sentir si l’on considère que l’emploi de l’esprit-de-vin dans la lampe empêche que la mèche ne charbonne, et que, vînt-elle par conséquent à être soufflée, il ne subsisterait aucune trace de feu ni de la part de l’éolipyle, ni de celle de la lampe, et par conséquent point de flammèches, point d’étincelles à redouter.


Observations générales.


Plus la lampe est près du vase contre lequel la lance de feu est dirigée, plus le liquide est prompt à entrer en ébullition ; mais il est à remarquer que le plus petit dard peut entretenir cette ébullition, et même de fort loin.

Le dard, en frappant contre le vase, échauffe très-promptement le liquide, mais les couches supérieures en sont bouillantes, tandis que le fond du vaisseau est encore froid, de sorte qu’un vase qui aurait deux robinets pourrait fournir simultanément de l’eau chaude et de l’eau froide. Ce phénomène, qui provient de ce que les parties du métal, se trouvant exposées à un choc trop subit et trop isolé, n’ont pas le temps de contracter toutes le même degré de chaleur et de se mettre à l’unisson, procure un avantage assez précieux ; c’est de permettre de tenir un vase d’argent par le pied, pendant qu’il bout, sans qu’on se brûle.

La lance de feu enfin, quand on emploie de l’esprit-de-vin, n’imprime qu’une légère trace sur les vaisseaux d’argent, mais elle n’en laisse absolument aucune sur les vaisseaux d’étain ou de fer blanc, pourvu toutefois qu’on ait la précaution de les tenir pleins.