Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Élégie, Fragmens

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En bien ! je le voulais. J’aurais bien dû me croire !
Tant de fois à ses torts je cédai la victoire !
Je devais une fois, du moins pour la punir,
Tranquillement l’attendre et la laisser venir.
Non. Oubliant quels cris, quelle aigre impatience
Hier sut me contraindre à la fuite, au silence ;
Ce matin’, de mon cœur trop facile bonté !
Je veux la ramener sans blesser sa fierté ;
J’y vole ; contre moi je lui cherche une excuse,
Je viens lui pardonner, c’est moi qu’elle accuse.
C’est moi qui suis injuste, ingrat, capricieux
Je prends sur sa faiblesse un empire odieux.
Et sanglots et fureurs, injures menaçantes,
Et larmes, à couler toujours obéissantes ;
Et pour la paix il faut, loin d’avoir eu raison,
Confus et repentant demander mon pardon.


Les esclaves d’Amour ont tant versé de pleurs !
S’il a quelques plaisirs, il a tant de douleurs !
Qu’il garde ses plaisirs. Dans un vallon tranquille
Les Muses contre lui nous offrent un asile ;
Les Muses, seul objet de mes jeunes désirs,
Mes uniques amours, mes uniques plaisirs.
L’Amour n’ose troubler la paix de Ce rivage.
Leurs modestes regards ont, loin de leur bocage,
Fait fuir Ce dieu Cruel, leur légitime effroi.
Chastes Muses, veillez, veillez toujours sur moi.


Mais, non, le dieu d’amour n’est point l’effroi des muses,
Elles cherchent ses pas, elles aiment ses ruses.
Le cœur qui n’aime rien a beau les implorer,
Leur troupe qui s’enfuit ne veut pas l’inspirer.
Qu’un amant les invoque, et sa voix les attire :
C’est ainsi que toujours elles montent ma lyre.
Si je chante les dieux ou les héros ; sondain
Ma langue balbutie et se travaille en vain.
Si je chante l’amour, ma chanson d’elle-même
S’écoule de ma bouche et vole a ce que j’aime.



SUR LA MORT D’UN ENFANT.


L’INNOCENTE victime, au terrestre séjour,
N’a vu que le printemps qui lui donna jour.
Rien n’est resté de lui qu’un nom, un vain nuage ;
Rien n’est un souvenir ; un songe ; une invisible image.
Adieu, fragile enfant, échappé de nos bras ;
Adieu, dans la maison d’où l’on ne revient pas.
Nous ne te verrons plus ; quand de moisson couverte
La campagne d’été rend la ville déserté :
Dans l’enclos paternel nous ne te verrons plus,
De tes pieds, de tes mains, de tes flancs demi-nus,
Presser l’herbe et les fleurs dont les nymphes de Seine
Couronnent tous les ans les coteaux de Lucienne.
L’axe de l’humble char à tes jeux destiné,
Par de fidèles mains avec toi promené,

Ne sillonnera plus les prés et le rivage.
Tes regards, ton murmure, obscur et doux langage,
N’inquiéteront plus nos soins officieux ;
Nous ne recevrons plus, avec des cris joyeux,
Les efforts impuissans de ta bouche vermeille,
À bégayer les sons offerts à ton oreille.
Adieu, dans le demeure oit nous nous suivrons tous ;
Où ta mère déjà, tourne ses yeux jaloux.


PARTONS, la voile est prête, et Byzance m’appelle.
Je suis vaincu ; je suis au joug d’une cruelle.
Le temps, les longues mers peuvent seuls m’arracher
Ses traits que malgré moi je vais toujours chercher ;
Son image partout à mes yeux répandue ;
Et les lieux qu’elle habite et ceux ou je l’ai vue.
Son nom qui me poursuit, tout offre tout, moment,
Au feu qui me consume un funeste a liment,
Ma chère liberté, mon unique hérite,.
Trésor qu’on méconnaît tant qu’on en a l’usage,
Si doux à perdre, hélas ? et si-tôt regrette,
M’attends-tu sur ces bords ma chère liberté ?
Tout mortel se soulage à parler de ses maux.
Le suc que d’Amérique enfantent les roseaux
Tempère au moins un peu les breuvages d’absinthe.
Ainsi le fiel d’amour s’adoucit par la plainte ;


Soit que le jeune amant raconte son ennui
À quelque ami jadis agité comme lui ;
Soit que seul dans les bois, ses éloquentes peines
Ne s’adressent qu’aux vents, aux rochers, aux fontaines.


(Londres, décembre 1782.)


Sans parens, sans amis, et sans concitoyens,
Oublié sur la terre, et loin de tous les miens,
Par les vagues jeté sur cette île farouche,
Le doux nom de la France est souvent sur ma bouche.
Auprès d’un noir foyer, seul, je me plains du sort.
Je compte les momens, je souhaite la mort.
Et pas un seul ami dont la voix n’encourage ;
Qui près de moi s’asseye, et voyant mon visage
Se baigner de mes pleurs et tomber sur mon sein,
lie dise : « Qu’as-tu donc ?  » et me presse la main.


La grâce, les talens, ni l’amour le plus tendre
D’un douloureux affront ne peuvent nous défendre.
Encore si vos yeux daignaient, pour nous trahir,
Chercher dans vos amans celui qu’on peut choisir ;
Qu’une belle ose aimer sans honte et sans scrupule
Et qu’on ose soi-même avouer pour émule !
Mais dieux ! combien de fois notre orgueil ulcéré
À rougi du rival qui nous fut préféré !

Oui, Thersite souvent peut faire une inconstante.
Souvent l’appât du crime est tout ce qui vous tente,


LE courroux d’un amant n’est point inexorable.
Ah ! si tu la voyais cette belle coupable
Rougir, et s’accuser et se justifier,
Sans implorer sa grâce et sang s’humilier !
Pourtant de l’obtenir doucement inquiète,
Et les cheveux épars immobile, Muette,
Les bras, la gorge nus, en un mol abandon,
Tourner sur toi des yeux qui demandent pardon !
Crois qu’abjurant soudain le reproche farouche,
Tes baisers porteraient son pardon sur sa bouche.


Viens près d’elle au matin ; quand le dieu du repos
Verse au mol oreiller de plus légers pavots,
Voir, sur sa couche encor du soleil ennemie,
Errer nonchalamment une main endormie ;
Ses yeux s’ouvrir, et sur son teint vermeil,
Se reposer encor les ailes du sommeil.