Élégies et Épigrammes (Doublet-1559)

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AV LECTEVR.


Ie ne fai doute, Lecteur debonnaire, que pluſieurs graues & vertueus perſonnages, & bien doctes ne trouuent mauuais en la plus part de mes rimes ce ſuget d’Amour, lequel aiant empeſché pieça toutes les preſſes de France, ſ’eſt fait appeler par quelcun aſsés ironiquemẽt Francoiſe filoſofie, & aucunemẽt ſuis-ie bien de leur auis. Mais il te plaira cõſiderer que l’aueuglée ardeur de ieuneſſe, aiant pris, malgré toutes mes raiſons, le frein aus dens, m’emporta par force en ce champ de ſon plaiſir. Dans lequel errant en depit de moy, ne ſauoi, pour vn peu me deſennuyer, autre choſe faire que rediger aucunefois par écris quelques miẽnes fantaſies, en termes & propos conuenans tant à mon age qu’a ma fortune. Ce qui m’a, peut eſtre, diuerti de plus facheus maus. Toutefois en ce faiſant ie ne crein auoir beaucoup tranſgreſsé les bornes de modeſtie : aiant touſiours euité comme vn rocher toute cete deshonneſte laſciueté, laquelle vſurpée impudemmẽt par quelques antiques Elegiaques, les a rẽdus moins recommandables aus chaſtes oreilles, & a fait grand tort au reſte, de leurs doctes & ingenieuſes inuentions : Là ou, ſ’ils euſſent mieus aimé tirer quelque peu, que du tout lacher la bride à leurs eſpris, on ne leur auroit reproché peut-eſtre les ébas de leur ieuneſſe, non plus qu’à Platon : lequel, ſelon Aule Gelle, aiant peu après a traiter tãt de diuine & humaine ſapiẽce, ſe ioua d’epigrammes amoureus en ſon premier age. Car telle imperfection ne merite moins eſtre excuſee en vn homme ieune, que la verdeur & ſurté en vn fruit non mur. Quant à cete nouuelle cõpoſition de Frãcoiſes Elegies, à la miẽne volonté que quelque eſprit plus eureus ſ’y fut bien emploié deuant moy, lequel auroit, peut eſtre, inuẽté quelque vers & nombre plus propre & mieus raportãt au diſthique elegiaque. Car, quant à moy, voiãt la facon vulgaire de nos vers eſtre plus courte que l’exametre & pentametre, & la dificulté de meſurer deux lignes Francoiſes capables de ſentence entiere & parfaite, ainſi que ſe trouue ordinairement le ſens clos en vn diſthique : Ie confeſſe que mes dois n’ont ſceu, pour cete heure, tordre fil plus propre à lier & aſſembler fleurs elegiaques que ces petis quatreins de vers inegaus.

N’aiant toutefois delibéré me tant complaire ny oſtiner en ma propre inuention, que ie ne la laiſſe & quite treſ-uoluntiers ſi tôt qu’il en ſortira d’autre main quelcune meilleure. Au demeurãt, ie ne doute auſsi, qu’entre mes rimes ne ſe trouuent pluſieurs termes, qui ſentẽt à pleine bouche ce terroir de Normãdie, veu que i en ſuis né, & y ay tant de temps eſté nourry. Mais auec ce qu’iceus termes m’ont ſemblé autãt ou plus propres & ſignifiãs, qu’autres quelconques d’ailleurs, l’affection que chacun naturellement doit porter à ſa patrie, ainſi que i'eſpere, m’en excuſera. Car l’amour que i ay à ce lieu de ma naiſſance, m’en fait plaire non ſeulemẽt le langage, qui n’eſt que bon : mais parauenture auſsi quelques vices. Et ne
voy point que ce treſnoble royaume de France, aiant inſeparablement marié à ſa coronne, noſtre Normãdie, ne doiue admetre le bon lãgage d’icelle (qui n’eſt à vray dire que le ſien meſme ) auſsi bien que toutes les autres choſes. Car ſ’il deigne bien receuoir nos hõmes au ſeruice de ſes guerres, & admetre nos deniers en to ſes afaires, pourquoy dedeignera-il vne douzaine, peut eſtre, de bõs mos Normans, portãs ſa meſme liurée, & aſsés connus pour ſiens, veu que à tout propos il en emprunte mille barbares & étrangers, voire des mains meſme de ſes ennemis ? Or, pour l’orthographe, ſ’entrebatent les Grammariens tãt qu’il leur plaira : Ie trouue les nouuelles raiſons eſtre les meilleures, ſi le plus cõmun vſaige leur auoit donné ſon conſentement. Car par elles, le vray ſon de nos paroles pourroit demourer plus fidelement à iamais repreſenté. Mais quant à moy, ne preſumant point que mes opuſcules ſoient pour paſſer à vne poſterité, ie ne me ſuis point beaucoup ſoucié de changer ainſi rigoureuſement toute l’écriture acoutumée, & ay permis aus Libraires ſ’y gouuerner à leur poſte : me doutant bien, que mille autres vices, lours & grans aſſez en ce petit liure, ne te donneront loiſir (ô lecteur) d’arreſter ton œil ſur telle maniere de legeres fautes.

In Giouenil faillir é men vergogna.

ELEGIE DE I. D.

À IAN DOVBLET
Dieppoys.


LA meſme main, qui ſoubs l’art de ſa mere
L’horreur des vẽs violente apaiſoit,
Et auec Apollon ſon pere
DeVanter vn Orphée faiſoit.
Deſſoubs ſa harpe alors induſtrieuſe
Trainoit ſonnant vne douce chanſon,
Tr(Choſe ſemble bien merueilleuſe)
TrLes rochers & cheſnes au ſon.
Cheſnes & rocs eſtoient la ſotte trouppe,
Le peuple ſot ſautelant alentour,
Le Qui ne veit onc la double crouppe,
Le Ou les neuf ſeurs font leur ſeiour.
C’eſtoit la gent des ſiecles miſerables,
Qui de douceur iamais rien ne ſongea,
QuNe ſe plaiſant qu’en mille fables
QuQue ſoi meſme elle ſe forgea.
Or ta douceur à nulle autre ſeconde,
En mille vers attiquement ſucrés
EnNous redonne la grand’ faconde
EnEt des vieus Latins & des Grécs.
Non pour tromper (choſe facile a faire)
Deſſoubs vn vers plus grauement batti
DeLe ſens d’vn ignare vulgaire,
DeOu d’vn populaire abétti :

Mais pour rauir les ſauantes oreilles
D’vn ſaint trouppeau non iamais ſe ſaoullant
D’D’ouir les nombreuſes merueilles
D’Qu’en tes vers tu nous va coullant.
Soit qu’en ton vers Sibille ſe demeine,
Quand ſa rigueur langoureus tu deſcris,
QuOn te voit endurer la peine,
QuOn voit tes plaincts, larmes, & cris.
Soit que plus dous ta parolle fillée
Chante ſes ieus, ſa beauté, ſa vertu,
ChLa grace des cieus eſt pillée
ChEt ſon chef en eſt reueſtu.
Soit qu’il te plaiſe abaiſſer le tien ſtille
À déplorer la mort d’vn perroquet,
À Vn dous ſucre, ſemble, diſtille
À De ſon induſtrieux caquet.
Ton vers encor, bien qu’en moi il propoſe
Plus la moitie que ie n’i ſai de bien,
PlMe fait promettre quelque choſe
PlDe moimeſme qui ne ſuis rien.
Certes, Doublet, ni le harpeur de Thrace
Trainant les bois, ni le Thebain auſsi
TrN’eurent iamais autant de grace,
TrComme tu en reſpans ici :
Ni ceſtui la dont la harpe ſucrée
Par le peril des ondes euité,
PaA ſa Methimne conſacrée
PaAus piés de l’immortalité.

Bref, ceus qui ont autrefois pris la peine
De veoir Parnaſſe ou Pinde decouuers,
DeRecongnoiſſent vn’Hippocrene
DeDedans le ſucre de tes vers.
Auſsi ta Dieppe, horreur de l’Angleterre,
En ton honneur ia te dreſſe vn autel,
EnEt toute la Normande terre
EnTe voüe vn renom immortel.
La France auſsi ce grand treſor ne cele :
Mais ie la voi, & point ne te deçois,
MaIe la voi deſia qui t’appelle
MaSon premier Ouide François.

À LVIMESMES

Sonnet.

Ô bien heureus & bien heureus encore
Ô Diuin Doublet, bien heureuſe cent fois.
Ô Ceſte douceur, ce miel, & ceſte vois,
Ô Dont le hault ciel heureuſemẽt t’honnore.
Sibille heureuſe, en celui, qui t’adore,
SiQui deploiant ſes bien eſcriuans dois,
SiDit la beauté dont heureus le deçois
SiEt ta vertu, qui ſe ſiecle redore.
Ie voi deſia ſoubs ta Muſe diuine.
IeViure Amarille, & renaiſtre Corinne,
IeEt leurs amans de vos gloires troublés,
Rougir honteus, vous donnans la couronne
RoDu vert Laurier, qui vos chefs enuironne,
RoEt voz honneurs par trois fois redoublés.

ELEGIES DE IAN DOUBLET

DIEPPOYS.
Elegie 1.


IE diſcouroy mille hautes penſées,
Et ia mes mos riẽ qu’ẽflé ne ſõnoiẽt,
Iliades & Odiſsées
En mes maĩs nuit & iour tournoiẽt.
Pour entonner par meſures égales
Sur vn vers graue & d’eroïque pois,
SuCes cheres victoires nauales,
SuDe nos demibrulés Dieppoys.
Mes couſins mors, & mon ébraſsé frere,
Ia bien auant au combat m’auoient mis,
IaEt la Muſe non trop contraire
IaMille clairons m’auoit promis.
Tout alloit bien : Amour s’en prit à rire.
Et de mes vers, qu’egaus il vit marcher,
EtLeur coupant vn pié ſans mot dire,
EtToute vne moitié fit clocher.
Qui t’a donné, faus garſon plein de ruſes,
Tant de pouuoir ſur ce qui n’eſt point tien,
TaNous & nos vers ſommes aus Muſes,
TaPetit Larron, tu n’i as rien.

Et tout cela, & autre iniure meinte,
Libre & hautain, comme i’etoye alors,
LiOſai bien lui dire ſans feinte,
LiDédaignant vn ſi petit cors.
Mais, l’afetté, plus i’uſoi de colére,
Plus il rioit : Il tira ce pendant,
PlEt ſenti ſa fléche legere
PlAins que l’euſſe apperceu bendant.
Pren, Cupidon, pren de mes vers la reſte,
Trenche-les tous, longs ou cours à ton gré,
TrPourueu qu’vn peu moins me moleſte
TrCe fer chaut dans mon cueur ancré.
Or m’eſcuſés, fontes vomiſſes flammes,
Chateaus flotans, & gendarmes nageurs,
ChExcuſés moi vaillantes ames,
ChQui vos cors laiſſates veinqueurs.
À dieu vous di, ia trop ſuis vain & bléme,
Pour aſsés haut voz prouëſſes corner.
PoChanter me conuieint pour moi méme,
PoAins mes chans en larmes tourner.
Si quelque vois, bien que foible & chetiue,
Encor ſe peut de mes poumons tirer,
EnI’ay dequoy, contre Amour pleintiue,
EnLa faire à iamais ſoupirer.
Mais l’oncle mien, ce Mifant docte-ſage,
Qui mieus defend ſa conſtance que moy,
QuEt onq’à ce tiran volage
QuN’obligea le neu de ſa foy.

Cetui pourra trompeter vos fais d’armes,
Dieppoys guerriers, ſi que nul autre mieus.
DiEt tandis ce friant de larmes
DiSe baignera deſſous mes yeus.


Elegie 2.



NI tous les Turs, ni l’archere Angleterre,
Comme ie croi, tant de fleches n’ont pas,
EtComme ſur moy ſeul en deſſerre
Et pVn archerot non iamais las.
Et perce tout. De quelles doubles mailles,
De quel acier couurir donques me pui
DeQuand le Dieu mémes des batailles
DeSe rend & ſes armes à lui ?
Quand i’aperceu que de ſon arc abile,
Il m’aguignoit, ie m’en alay leger
IlBlotir derriere ma Sibille,
IlEt la preſentoie au danger.
Mais comme font quelques foudres legeres,
Quoy que touſiours ie la tinſſe au deuant,
QuLes trais, ſans l’ateindre, ou non gueres,
QuMe vindrent percer bien auant.
Caché me ſuis entre ces neuf brunettes,
Qu’il creint, dit-on : Son arc me trouua la.
QuPlongé me ſuis dans leurs eaus nettes,
QuSon trait iuſqu’au fons deuala.

Ie pren, la courſe, à vol il me deuance :
Ie fuy ſans ceſſe, il me ſuit ſans repos :
Ie fEt iamais qu’au cœur ne me lance,
Ie fQuoy que ie luy tourne le dos.
Sur mon cueur donc ſans ceſſe pleut & grelle
Du fer pointu. C’eſt grand cas toutefois,
DuEncor vit ce cors poure & fraile
DuQui mort deut eſtre mille fois.
Car ceſt archer dans l’Hydre Lernienne
Ne va pas querre vn pront venin mortel,
NeMais, dans la forge Lemnienne,
NeBeaucoup pis, vn feu immortel.
L’eſpert boiteus qui ſon pere ſe cuide
Luy bat des fers dont le coup porte feu,
LuEt d’eſprit tout ſoudain, nous vide,
LuMais n’occit, las, que peu à peu.
Or ie m’arreſte : il vault mieus me ſubmettre,
Ie veus l’atendre, & plus ne reculer.
Ie Car ce feu moins ardra peut-eſtre,
Ie Le laiſſant à ſon gré bruler.
Torches ainſi, plus de branle on leur donne,
Plus ardent fort : & ſe voit meint flambeau,
PlSans eſtre touché de perſonne,
PlS’en aller éteignant tout beau.
Vn ieune beuf, ſ’il reſtiue & ne vueille
Du neuf collier, plus eſt batu beaucoup
DuQu’vn aprenti de bonne vueille,
DuEt qui tire du premier coup.

Vn caualin, ſ’il eſt dur & farouche,
Maint rude mors ſouuent le fachera :
MaS’il preſte à toutes mains la bouche,
MaRien qu’vn dous fil ne machera.
Amour, peut-eſtre, à ceus qui luy reſtiuent,
Plus d’aigre auſsi, plus montre de rigueur,
PlQu’aus volontaires qui le ſuiuent,
PlEt ſe ſubmettent de bon cueur.


Elegie 3.



PVis qu’amour dõq par force m’a fait rẽdre,
Et mon orgueil ne m’a rien profité,
TrIl eſt tems d’autre chemin prendre,
TrPar douceur & humilité.
Tres humble ſerf, maiſtreſſe Damoizelle,
Tien à iamais te plaiſe en gré m’auoir,
TiTe plaiſe ce mien ardent zelle
TiÀ toy dédié receuoir.
Voici vn cueur, qui ſon ame derniere,
Pour ton amour, ſans regret, ſouflera :
PoVoicy vne foy treſ-entiere,
PoQui iamais ne te branlera.
Si tu n’ois point vn long ordre de titres,
Quand on m’apelle, & n’ay qu’vn petit nom,
QuSi tu vois peintes en mes vitres
QuDes armes de peu de renom,

Si bien fort loin ſes bornes ne dilate,
Mon petit fons en peu d’acres arté,
MoSi ſur mule en longue écarlate
MoAu Palais ie ne ſuis porté,
Phebus pourtant, & ſes neuf doctes filles,
De moi font cõte, & m’aimer deignent bien,
DeI’ay faueur des graces gentilles,
DeI’en ay d’Amour, qui me fait tien.
Telle ma foy, telles mes meurs ie vante,
Qu’aus Dieus, ſans plus, en bonté céderont,
QuEt ma richeſſe plus vaillante
QuC’eſt ce cueur ouuert, ſimple & ront.
Ce n’eſt pas moy qui ſe plaiſe en plus d’vne,
Ie ne ſuis pas vn iournalier changeur,
Ie Iamais, ou il n’eſt foy aucune,
Ie Soucy que toy n’aura mon cueur.
Puiſsé-ie vſer tout ce que plus me file
La chiche vieille, aupres de toy touiours,
LaEt entre tes regrés cent mille
LaClorre l’eureus bout de mes iours.
Preſente moy, tandis matieres bonnes,
Qu’eureuſement ma Muſe deduira
QuCar ſi telles tu me les donnes,
QuMon vers de meſme ſortira.
Les vers Tuſcans ont fait par tout le monde,
Belle à iamais Angelique voler :
BeEt ceus d’Ionique faconde
BeFont encor d’Helene parler.

Cynthie auſsi, & Néméſe & Corine
Viuantes ſont dans noz bouches encor,
ViPource que la Muſe latine
ViLes bieneura de plumes d’or.
Par mes quatreins, nous deus auſsi, peut-eſtre,
De ſiecle nul ne ſerons oubliés :
DeEt nos noms en bruit pourrai mettre,
DeÉternellement alliés.


Elegie 4. à Iaques Miſant
ſon oncle.



TV me reprens, quart frere de ma mere,
Cher oncle mien & i’en rougi auſsi,
SoiQue tant vne Muſe legere
SoiM’occupe en l’aueuglé ſouci.
Soit que ie file à trois cordons vne Ode,
Soit que ie cloche en ces quatrains boiteus,
SoMon chant n’a iamais qu’vne mode,
SoAmour le fait gay ou piteus.
Amour touiours, touiours vne Sibille,
De tout mien vers font l’vn ou l’autre bout :
DeEt ia le caquet de la ville,
DeM’en tient en ſes fables par tout.
Mais que veus tu ? la Parque filereſſe
Qui de ton ſang me fait eureuſe part,
QuPeu de ceſte tienne ſageſſe,
QuPeu de tes vertus me depart.

Des le berceau vn dru eſſein d’Himéte,
Aiant brouté tout le mont des neuf ſeurs,
AiAſsis ſur ta tendre bouchete,
AiT’enyura d’attiques douceurs.
Et peu apres (comme à cete Pandore
Chacun des Dieus, mais par deſtin meilleur)
ChChacune fille de Memore
ChTe donna ſon plus de valeur.
Mais ce mur ſens dont les cieus te comblerent
Auant le poil, ces eſprits ſi raſsis,
AuQui n’ayant que vint ans ſemblerent
AuEn auoir plus de trente ſis.
Maiſtres touſiours de ta ieuneſſe ſage,
N’ont permis oncvn ſeul trait de ta main
N’En choſe laſsiue ou volage
N’Sur la carte eſtre coulé vain.
Car, ſ’il t’a pleu de ton ancre t’ébatre,
Peignant ou Grec, ou François, ou Latin,
PeTu ne t’es point fait Idolatre
PeD’vn œil brun ni d’vn rond tetin.
Ou l’immortel, en qui ſeul ſe confie
Tout ſage cueur, ton ſuget a eſté,
ToOu d’antique filozofie
ToAs défoui quelque ſaint traicté.
Rouan encor en letres d’or conſerue
Les graues chans de doctrine ſucrés,
LeQue l’enfance de ta Minerue
LeÀ la mere vierge a ſacrés.

Les Lis flouris, les Palmes glorieuſes,
En ont eſté hors du Carme couuent,
EnPar tes Muſes victorieuſes
EnIuſqu’icy raportez ſouuent.
Et quantefois tes ſaintes comedies
Ont rauy Dieppe a l’entour ſe foulant,
OnMathieu fournier ſes melodies
OnSi douces y entremélant ?
Telle a eſté l’erbe nouuelle & tendre
Le vert printems de tes eſpris naiſſans :
LeMais à quant nous fais tu atendre
LeCes fruis derriere meuriſſans ?
Cedés Romains, cedés poëtes d’Ellade,
Cedés Tuſcans, & nos François auſsi :
CeNe ſçay quoy plus que l’Iliade
CeS’en va tot éclorre d’icy.
Et, ce pendant cruellement ſe ioüe
De mes eſpris ce petit Diable-Dieu,
DeQu’ores ie blame, ores ie loüe,
DeEt ne veut ouir mon adieu.
Ses primes ans, ſi vray les liures diſent,
Enamoura le celeſte Platon :
EnEt de luy encore ſe diſent
EnLes tranſis baiſers d’Agathon.
Mais tot aprés, volant bien d’autres ailes,
Et d’autre amour aueque l’age épris,
EtSaillit aus choſes eternelles,
EtEt en Dieu ferma ſes eſpris.

Virgile auſsi ſa douce Amarilide,
Ieune chanta, & ſon fier Alexis.
IeuPuis deuers la graue Enéide
IeuTot ſe tourna mur & raſsis.
Mais, las helas, plus fiere deſtinée
Verds & meuris violente mes ans,
VeQui dans ceſte flamme oſtinée,
VeIa pres de trente ſont cuiſans.
Amour pour moy n’a point l’aile volage,
Amour pour moy n’eſt point vn Dieu leger :
AmCar pieça ſis en mon courage
AmPlus n’en peut, ſemble, deloger.

Elegie 5.



OR, ſi tu peus, porte-torche Hymenée,
Excuſe toi, & di, pour ton honneur,
NieN’auoir ceſte noce menée
NieQui me vole tout mon bon heur.
Nie, ô Himen, que la ta flamme pure
Ait éclairé : nul ne te vit benir
AitCe lit, qui me couuoit iniure,
AitNi le pain, ni le vin tenir.
Ton frere ailé, ta mere Gnidienne
De ce feſtin ſ’écarterent bien loin :
DeEt Iunon la pronubienne
DeD’i aſsiſter onques n’eut ſoin.

Car, ce iour la, iour de noire pierrette
Merqué chés moy, iour de gauche corbeau,
MeVne innocente pucelette
MePaſſoit toute viue au tombeau.
Ô durs amis ! ô cruel parentage !
Qui d’auarice éblouis & troublés,
QuCe que nature déparage,
QuPar force & contre ell’aſſemblés.
Le gai Printems d’vne verte ieuneſſe
Trop mal ſe couple à vn ſterile Yuer,
TrÀ vne ſeuere vieilleſſe,
TrQui touiours triſte veut réuer.
S’il eſt renté de deus ou trois fois mille,
Si ſon argent vn peu haut l’eleua,
Si Si en longue houſſe par ville
Si Sus vn Ane écourté ſ’en va,
Si n’eſſe aſsés à vne vierge gaie,
Qui ce pendant flaitrir ſes roſes ſent :
QuDe belles bagues on la paie,
QuMais vne vau droit mieus que cent.
Car, ſufit-il ſi vn procés le ride,
Ou de ſes biens touiours quelque ſouci,
OuOu les piés ou les mains lui bride
OuQuelque neu de goute endurci ?
Tel il iouit, ains le iouir dedaigne,
D’vne beauté, vif ſouuenir des cieus,
D’Qui trop loiale l’acompaigne,
D’Mais d’autant chaſte elle apert mieus.

Maudite donq, deus & trois fois maudite,
Maudite encor, ô fortune, ſois tu :
MaProdigue à qui ne le merite,
MaEt touiours écarſe a vertu.
Si des treſors que ce peuplaſſe admire,
Tu m’euſſes fait, ô aueugle, ample don,
TuI’auroi plus que ie ne deſire,
TuEt mes amours a l’abandon.
Froit maintenant & ſeulet ie demeure,
Pour tout plaiſir quelques rimes couſant :
PoEt pour paſſetems de mainte heure,
PoMes vices propres ne taiſant.
Or, ieunes gens, finies ces Muſes viles,
Ce vain ſçauoir : & trop mieus ferés vous
Ce Que n’auons fait, nous inutiles,
Ce Nous faineans & poures tous.
N’aprenés rien que l’Âne d’or Bartole,
Parlés ce plaid que ſur la perche on vent,
ParEt ſurement, de ceſte école
ParVous ſuiura du monde le vent.
Grans biens & tot, ceus-la ſans plus aſſemblẽt,
Et ſont d’hõneur, ce ſemble, au grãd chemin :
Et Et le noble & le vilain tremblent,
Et Sous leur regne de parchemin.
Mais facent tout, & tout gouuerner puiſſent,
Biens & hõneurs ſoient ſous leur ſeule main,
BieEt, à leur poſte, peruertiſſent
BieTout le droit diuin & humain.

Tant ſeulement vueillent n’auoir enuie
À nos amours deignent nous conceder,
À Au moins, qu’vn poure homme, en ſa vie,
À En puiſſe quelqu’vne garder.

Elegie 6.



VNe Sibille en mes yeus la premiere,
Darda du ſang, mais elle méſme auſsi
CruBien tot ſe voirra la derniere
CruSi touiours m’eſt cruelle ainſi.
Cruelle, helas ? ce qu’elle & tout le monde
Croit & appelle honneur & ſainteté,
CrFaut il qu’en moy ſeul ie me fonde,
CrLe nommant tort & cruauté ?
Tout ce qu’honneur, le treſor d’vne dame,
Tout ce que peut chaſteté pardonner,
ToEt ſauf ce ſeul point qui difame
ToElle acorde tout me donner.
Que veus-tu plus, ô ma flamme importune ?
Pourquoy plus outre époins tu mon deſir,
PoÀ vn bien que pieça fortune
PoPar autre main a fait ſaiſir ?
Ie ne ſuis pas ce rauiſſeur inſigne,
Qui viola d’Himen le flambeau ſaint,
QuAimant ceſte fille du Cigne,
QuDont l’Aſie encore ſe plaint.
Ie ne ſuis pas ce mi-cheual mi-homme,
Qui eſpera d’autruy femme iouir,

PluMais loin, auec ſi chere ſomme,
PluHercul’ ne le ſoufrit fouir.
Plutot mourir, que moy perſonne pure,
Moy ſacré prétre à ces neuf chaſtes ſeurs,
MoCorrompre ou ſouiller ie procure,
MoDu monde les plus ſaintes meurs.
Ce beau propos, qui m’eſt bien changé ores,
Amour alors, d’auenture écouta,
AmEt, me trouuant ſi ferme encores,
AmD’aucune faute ſe douta.
Quoy ? i’auoi fait, dit-il, ſi ample bréche
Sur ce rimeur, & ſur ſa rime auſsi,
SuEt encor contre moy ſe préche,
SuEt ne m’a qu’en demi ſouci.
Voions que c’eſt : lui qui rien ne delaie,
Tot pour me voir, eut ſes yeus découuers :
ToEt ſe blama, non de ma plaie,
ToMais de mes yeus laiſsés ouuers.
Qui eſt, dit-il, ce nouueau poëte ſage,
Qui aimer penſe & ſ’aueugler ne veut ?
QuEt, ce diſant, ſur mon viſage
QuSon bendeau ſerre tant qu’il peut.
Délors, délors, aueugle iuſqu’en l’ame,
Ne fai qu’errer : Délors me déconnoi :
NeDélors ni honneur ni difame,
NeNi tort ni raiſon ne connoi.
Et, ce pendant, touiours ſage & acorte,
Et clair voiante, & conſtante touiours

EtSibille, ſur ſes raiſons forte,
EtD’amour ſe moque tous les iours.

Elegie 7. à Dauid Doublet
ſon frere



SEcond Doublet, non autre que moy méme,
Frere de ſang, frere de cueur auſsi,
CaPourquoy me fai-tu triſte & bléme,
CaTe monſtrant bléme & triſte ainſi ?
Car, ſoit que Mars du Scorpion te darde
Ses fiers deſtins, ſoit que du Bouc cornu
SeCe facheus Saturne regarde
SeL’heure, qu’es ſous le ciel venu,
Oſtinément à tes aſtres conſentent
Les miens pareils : Ton heur & ton malheur
LePar méme deſtin me preſentent,
LeSelon toi, plaiſir ou douleur.
Mais ne croi pas que l’humaine franchiſe
Perde le gré de ſes libres raiſons,
PeQuelconque Planéte maitriſe
PeDu Ciel les fatales maiſons.
Nos iours, peut-eſtre, & minutes legeres
Pendent la haut, iuſqu’à la mort contés,
PeMais nos bonnes & pires cheres
PeSont au franc de nos volontés.
Laiſſe tomber ce front cordé de rides,
Iete ce ſoin qui ton age dément :

N’eEt penſe que tu tiens les brides,
N’eQui menent ton entendement.
N’eſtant ny vieil, ny poure, ny malade,
Malade, poure, & vieil ne ſemble encor :
MaConnoi le bon heur qui t’œillade
MaEt ta ſanté, & tes ans d’or.
Ni de l’enfant, qui eſt encore a naiſtre,
Ne pren ſouci : ce pendant qu’il viendra,
NeÀ lui quelqu’vn de nous, peut-eſtre.
NeLa vie & la place rendra.
Son monde ainſi conduit Nature ſage,
Qui ront le viel pour le nouueau batir,
QuEt nous fait ceder à l’autre age
QuQui de nous tombés doit ſortir.


Elegie 8. à Pierre Deſmireurs
Medecin.



LE méme Dieu, ceſte alme Medecine,
Cher Deſmireurs, t’inſpire largement,
ReQui pour tout partage, m’aſsigne
ReDe ſes Lauriers le rongement.
Reduire au ton les muſiques vitales,
Et nos acors iuſtement égaler :
Et Et outre les trames fatales,
Et Du iour à nos ames filer,
C’eſt, Deſmireurs, la fin vtile belle,
C’eſt le cher but de ton art precieus,

AiQui, hors de nos poudres, t’appelle,
AiApres mille bien-fais, aus cieus.
Ainſi aquit ce ſerpent d’Epidaure
Auec ſon pere au monde maint autel :
AuAinſi, dans le ciel, ce Centaure
AuLuit encor archer immortel.
Mais nous chetifs, qu’au ſeul ſon d’vne Lire
Tient amuſés ceſt inique Apollon,
TiEt qui de vaines chanſons dire,
TiÉternellement r’afollon’.
Ô troppe ſimple, helas, ie nous egale,
Pardonnés moi, ie nous egale, helas,
PaÀ la chantereſſe Cigale
PaQui l’yuer dur ne préuoit pas.
Sous le dous ciel, qui rouſoiant l’abréuue,
Elle ſans ſoin, criquéte iour & nuit :
EllTout autant que la ſaiſon bréue
EllD’vn clair Eſté ſur elle luit.
Tandis nos iours le Scorpion retire
Au pair des nuis, & tot l’archer des cieus
AuVens, neiges, & glaces nous tire,
AuEt l’yuer griſonne en tous lieus.
Le mal prouide alors eſtre abuſée
Tard ſ’aperçoit, tard acuſe ſes chams :
TaPlus ne lui tombe ſa rouſée,
TaPlus rien ne ſe recouure aus chans.
De fain donc meurt, & auec ell’à l’heure,
Mene mourant ſon importun cricri :

CaHelas, ſ’il faut qu’ainſi ie meure,
CaAu moins viue ce que i’écri.


Elegie 9.



COmme ſes yeus, & cõme ſon cueur méme,
Comme ſa vie, & plus que tout ſon or,
CarSibille iure qu’elle m’aime,
CarEl’le iure, & en doute encor.
Car au beſoin, d’vn Aquilon la foudre,
Qui ſi ſouuent ceſte Ourſe fait geler,
QuPlus vite qu’vne vague poudre
QuSoufle tout ce ſerment en l’air.
Tantot me nuit de l’œil de Dieu la crainte,
Oeil tout voiant : tantot ront mon bon heur
OeLa foi, qu’vn prétre lui fit ſainte :
OeTantot cent dangers de l’honneur.
Ô Roi des cieus, ce peu de choſe humaine
Vas-tu guétant de ton œil immortel ?
VaTon repos a-il quelque peine
VaDe tout ce deſordre mortel ?
Vn tas de gens nous font par ialouſie,
Croire ici bas qu’on t’ofence d’aimer :
CrEt, par force, à leur fantaſie,
CrCruelles lois en font ſemer.
Or, ces plus vieus, ces ſages teſtes griſes,
Toutes leur loi ſachent de poinct en poinct,
ToSachent & les choſes permiſes,
ToEt qui permiſes ne ſont point.

Mais tous ébas, ma Sibille, conuiennent
À nos ans vers, ans trop bref limités :
À Et d’amour en pardon nous viennent
À Les aueugles temerités.
Ces Grés menteurs (ſi plus en eſt memoire)
Aprés la mort, ie ne ſçai ou la bas,
ApAus bonnes femmes faiſoient croire
ApL’orreur de mille étranges cas.
Mais Radamant, Cerbere, Tiſifonne,
Stige, Acheron, ſonges d’hommes creintifs
StPieça plus n’éfritent perſonne,
StQue quelques enfans bien petis.
Or, dis-tu foi, ce que ton age tendre,
Sous le Latin d’vn vicaire étolé
SoTe fit promettre, ſans l’entendre,
SoÀ qui pieça l’a violé ?
Auant les ans, vne Nonne bigote
Ne peut le monde à iamais abiurer,
NeNe peut, de ſon ame deuote,
NeSous-age, le long veu iurer.
Auant les ans, ni garſon ni pucelle
Leur propre bien ne peuuent étranger :
LePouuois-tu en chaine éternelle.
LeTa ieune franchiſe engager ?
Ce qu’à paſsé la ſimpleſſe ignorante
De l’age moindre, eſt tenu pour non fait :
DeEt y a loi vous ſecourante,
DeQui tout cela caſſe & defait.

Vierge, honteuſe & trop peu ferme encores
Pour reſiſter à tes rudes amis,
PoCe que tu contredirois ores,
PoLors par force tu le promis.
Ta main trembloit, paſſant ceſte promeſſe,
Et bégaiant ta langue te vendoit,
EtCar, le cueur, ma ſeule richeſſe,
EtTouiours mien reſter entendoit.
Amour lui méme ourdit noſtre aliance,
Ains que bien nés le Soleil nous eut veus :
AiEt par ſa ſure préſcience,
AiDe loin l’vn à l’autre étions deus.
Que vaut ſans lui vne foi contractée ?
Quelle promeſſe, à ton aduis, te tient ?
QuAmour pour toi la retractée,
QuEt ceſt homme à tort te detient.
Peus-tu baiſer ce rechigné viſage,
Qui de ſa vie vn ſous-ris ne ſongea ?
QuPeus-tu embraſſer ce vieil age
QuSepulture & terre deia ?
Et moy ton cueur (ſi fauſſe tu ne iures)
Moy ſi diſpos, moy de trois fois neuf ans,
MoMoy coïfé des ſaintes verdures,
MoQui couronnent les frons ſauans,
En vain ie cours, ia deus Olimpiades,
Tiers de mes ans, apres tes rares pas :
TiChante en vain Sonnets & Ballades,
TiEt oubli’ repos & repas.

Que di-tu plus ? quelle excuſe, Sibille,
Peut maintenant tes rigueurs pallier ?
PeI’enten bien, dangers plus de mille
PeTe font de l’honneur ſoucier.
Ô que de nuit, & tenébres épeſſes
Dans nos eſpris ! ô aueugle fouci !
DaÔ honneur ! comme tu t’abaiſſes,
DaLas ! & qui te meſure ainſi ?
Tel cuide donc te chercher, qui t’éuite,
Car, ſans nos vers, tu ne tiens que trois iours,
CaEt l’honneur, qui les ans d’épite
CaPar nos mains paſſer doit touiours.
Ton Pélignois t’a-il deshonnorée
Douce Corinne ? es-tu infame donc,
DoViuant’ par ſa plume dorée,
DoLa plus heureuſe qui fut onc ?
Tant que douceurs, tant que durer au monde
Graces, Amours & neuf Muſes pourront,
GrTouiours, par vne main faconde,
GrDélie & Néméze viuront.
Mais la Deéſſe auecques Mars ſurpriſe
Au dur filé de ſon cocu boiteus,
AuCorrompt ceſte braue entrepriſe
AuDans ton cueur, peut-eſtre, douteus,
L’alme Venus, ſ’il faut croire ce conte,
Par ce malheur trop plus fine deuint,
PaEt voulut qu’vne telle honte
PaPlus onc à ſes amis n’auint.

Délors donna ces ruſes mille & mille,
Ces tours ſutils aus ſeruiteurs vaillans,
CePour tromper la garde inutile
CeQue font des ialous trop veillans.
Ell’enſeigna deuant les maris dire
Tout-ce qu’on veut, auec ſignes diſcrets,
ToMontra chifres obſcurs écrire
ToEt deuiſer iargons ſecrets.
De fauſes clés, de legeres échelles,
De pain aus chiens les amans auiſa,
DeDe feutre mol feit des ſemelles,
DeEt tous huis verueus apaiſa.
Bref iuſqu’au lit elle méme nous meine,
Dans la ruelle, & de ſa propre main,
DaTient le ſoupir de noſtre aleine,
DaTant que ſ’endorme le vilain.
Que veut-on plus ? ſi les chiens par fortune
Ont abaié au bruit d’vn huis malin,
OnC’eſtoit vn Lémure nocturne,
OnQuelque rauaudeur Gobelin.
Car, croi-tu pas ces vieilles mentereſſes,
Qui tous cornus les ont veu tracaſſer ?
QuEt faut au ſaint eſprit des meſſes,
QuQui loin de la les veut chaſſer.
I’auoi tout dit. L’vnique à mes yeus belle,
Auec deus mos me repaſma tout coi.
AuIe t’aime plus que moy, dit-elle,
AuMais Dieu ſeul plus que toi & moy.

                                                

Elegie 10. pour palinodie à
la precedente.



PEre des dieus, humble te remercie,
I’ai deuant toi quelque vergoigne encor :
DeEt ne ſ’eſt au vice endurcie
DeMon ame, qui ſe repent or.
De mille abus mes poures yeus coupables
N’oſent honteus vers ton ciel ſe dreſſer,
N’oNi ma langue, nourrie en fables,
N’oÀ tes oreilles ſ’adreſſer.
I’ai tant de nuis en vanité paſsees,
I’ai tant de iours en vice dépendus,
I’aiTes ſaintes lois tant tréſpaſsées,
I’aiTes dons & graces tant perdus.
I’ai tant peché, tant & tant, ie l’acorde :
Mais, ô ſeigneur, tu vois que ſans ce poinct,
MaTon immenſe miſericorde
MaLieu à ſ’étendre n’auroit point.
Indigne ſuis de ta clemence, pere,
Indigne ſuis de ta promte merci.
InMais, qui tes graces deſeſpere,
InCetui ſeul te trouue endurci.
Voi, pere, voi comme eſt forte & friande
La fauce glus de ce monde pipeur :
LaDe quel ſucre il nous afriande,
LaAu tour de ſon piege attrapeur.
Aus vns hautains des hauteſſes il offre,
Du dous loiſir aus autres, ocieus

MaDe l’or au chiches il encofre,
MaD’honneur paiſt les ambitieus.
Mais quant à moy, ni ſes dignités vaines,
Ne m’ont charmé, ni ſon venteus orgueil,
NeNi ſes loin étendus dommaines,
NeNi de ſes écus le recueil.
Mon ame, ô Dieu, ne ſ’eſt point détournée,
Pour rien tant vil, du train de ſon ſalut :
PoAutre choſe trop mieus ornée,
PoÀ me ſeduire, helas, valut.
Vne beauté, chef d’euure de nature,
Tu le ſais bien, au monde me lia :
TuEt là ma poure ame en torture
TuSon dieu & ſoi méme oublia.
Choſe ſi rare & perfection telle
Portoit plutot du ciel vn ſouuenir,
PoEſtant, d’elle en autre, vne échelle,
PoPour iuſqu’aus ſources paruenir.
Et, à vrai dire, ainſi ſa méme bouche
Le me chantoit, mais par ieuneſſe, lors,
LeMon eſprit encore farouche
LeN’entendoit qu’à ce terreus cors.
Qu’euſsé-ie fait ? des l’œillade premiere,
Vn ſang ardant mes feneſtres perça,
VnEt tout mon bon ſens en arriere,
VnSous le blanc palefroi verſa.
Délors, mon Dieu, ſi quelque reſte encore
Me demeuroit, de tant peu de ſauoir

ToQue i’auoie aquis, pour ta gloire
ToChanter vn iour à mon pouuoir :
Tout l’emploiai en rimaille impudique,
Vain que i’étoie, enſorceler cuidant
VaCeſte belle, ceſte pudique,
VaQu’encor ton eſprit va guidant.
Et tant alla ma mechanceté folle,
Que ce tien œil qui nuit & iour nous voit,
QuIurai eſtre vn ſonge friuolle,
QuPource que cieinte elle en auoit.
Iurai Enfer & ſa noire canaille,
De tes haineurs l’éternelle priſon,
DeN’eſtre que vaine épouuantaille,
DeAus petis enfans ſans raiſon.
Ô Dieu ſeigneur, pourquoi tãt nous delaiſſes ?
Couler ſi bas pourquoi nous ſoufres tu ?
CoEſſe, que tes mains ſauuereſſes
CoDautant plus montrent ta vertu ?
Or te mercie, & graces immortelles,
Sauueur puiſſant, à ta bonté ie doi :
SaCar échapé des rets mortelles
SaEncor ſous ta garde me voi.
Tu as permis qu’après ce beau viſaige,
Que, maugré lui, dis ans ai adoré,
QuDe l’eſprit, trop plus bel image,
QuEn fin me ſuis enamouré.
C’eſt ceſtui-la, qui mes fables laſciues,
Si ſaintement confuſes rabatoit,

AhQui toutes mes raiſons chetiues
AhD’vne ſeule tienne matoit.
Ah, fol Amour, que nous contrains-tu dire !
Que loin fai-tu nôtre ſens foruoier !
QuMais heureus qui ſauf ſ’en retire,
QuEt te peut d’vn dédit paier.
La plume donc, pour amende ſoit arſe,
Qui ſous ma main, helas, tant blafema :
QuEt la carte en cendres éparſe,
QuOu telle lettre ſe ſema.

Elegie 11. à Charles Cardinal de Bourbon, Arch.
de Rouen, en paſſant par ſa maiſon de Gaillon,
à ſon retour de Rome, mois de Sept. 1555.
auquel an les vignes furent gelées.



Onq’, ſi ie pui, mon Prelat, ne ſe face,
Que ce Dieppoys qui n’a que toi ſeigneur,
CeleDeuant ton ſacré chateau paſſe,
CeleSans rien laiſſer à ton honneur.
Celer ne doi, ſans mille & mille blames,
De mes quatreins les douces liaizons,
De Au ſoigneus paſteur de nos ames,
De Et vrai ſeigneur de nos maiſons.
Or, en bon heur, puiſſe ta Normandie
T’auoir reueu noble ſang de nos Rois,
T’aQu’arreſtoit dure maladie,
T’aTrop loin de tes plus chers endrois.

Vn peu trop cher nous couſtẽt ces ſains peres,
À Rome élus, grans porte-cléfs des cieus,
À Dont ſi ſouuent les lons miſteres,
À Nous priuent de l’heur de tes yeus.
Comme en nos ports, la bonne mere pleure,
Quand ſon cher fils, abſent apres dis mois,
QuPar les vens contraires, demeure
QuAu neuf pais du rouge bois :
Elle ſe voue à Cleri, & à Diue,
Et brulle cire, & omone deniets,
EtEt touiours guéte ſur la riue,
EtEt interroge mariniers.
Ainſi, Prelat, ton Normant diocéze
S’eſl angoiſsé de toi ſon pere abſent,
S’eEt vn iour lui en ſembloit ſeize,
S’ePar l’ennui qu’vn tel deſir ſent.
Auſsi ton œil vn Soleil ſe peut dire,
Car, ce pendant qu’abſent il a eſté,
Ca(La vigne ne m’en peut dédire)
CaNous n’auons point ſenti d’Eſté.
Or, tes païs, ſur qui bien loin proiete,
D’vn œil hautain, Gaillon ſes raions d’or,
D’De beau tems n’auront plus ſoufrete,
D’Puis que tu les reuois encor.
Gaillon, Louuiers, & du Roule les coſtes,
Aiant ſenti ce Soleil reuenu,
AiIa déia preſentent aus hotes
AiLe raiſin tout mur deuenu.

Bref, ton retour, Sacré-cramoiſi prince,
Depuis Pontoize à nos plus ſalés bors,
DeRamene en toute ta prouince
DeL’heur, qui comme toi en fut hors.
Ô trop heureus, trop & par trop encore,
Heureus Gallion, ſeul quaſi poſſeſſeur
HeDu prelat que ce Nort adore,
HePour ſon plus noble deffenſeur.
N’aurons-nous point nous autre ceſte grace,
Qu’vn iour vn iour te puiſsions voir auſsi,
QuSur nos bors que la mer embraſſe,
QuVenir relacher ton ſouci ?
Tu y verras quell’eau borne ta terre,
Et de ton port le calme & ample ſein,
Et Tenant mille vaiſſeaus de guerre,
Et Qui ſ’arment à plus d’vn deſſein.
Les vns d’amont le blont Flamen menaſſent,
Autres d’aual au noir Espagnol vont,
AuAucuns à nos marchans qui paſſent
AuScorte ſure & fidelle font.
Tu y verras auſsi ces Hourques fieres,
Pour qui ſembloient nos haures trop petis,
PoEt en cent honteuſes banieres,
PoLeurs Aigles vaincus & captifs.
Leurs gros canons, à ta venue heureuſe,
De nos rampars, iuſqu’au ciel tonneront,
DeMais d’autre vois plus amoureuſe,
DeMes Muſes ton nom ſonneront.


Elegie 12.



PVisqu’il t’a plu, ma douce ame Sibille,
Puisqu’il t’a plu, mes vers te nommeront :
Si iMes vers plus de cent fois cent mille,
Si iSous ton nom ſe renommeront.
Si iuſqu’ici mes Muſes en enfance
Ont ſoupiré François, Grec ou Latin,
OnLe lecteur n’a eu connoiſſance
OnSinon d’vne feinte Catin.
Ainſi Lesbie à ſon docte Catulle
Maint vers onzein fauſſement rempliſſoit :
MaAinſi Néméſe au dous Tibulle
MaMaint fluant couple fourniſſoit.
Or cetui la de vray nommer rougiſſe,
Qui ſon amour peu néte ſentira ;
QuCar la noſtre pure & ſans vice
QuMoins deſormais y mentira.
L’amant Tuſcan que fit ſa flamme ſainte
Tant ſoupirer a l’entour d’Auignon,
TaN’vſa point de lointaine feinte
TaÀ déguiſer vn diuin nom.
Diuin vraiment, fut le nom de la ſienne,
Et d’Apollon & des Muſes aimé :
Et Mais dis fois le nom de la mienne,
Et A eſté diuin eſtimé.
Pardonnés moi Cumane & Erithrée,
Vous autres huit auſsi pardonnez moi,

MaL’onziéme à Dieppe ſ’eſt montrée,
MaQu’a toutes preferer ie doi.


Elegie 13. de Fontainebleau.



PAr les ſablons, par les roches deſertes,
Dont les os durs ces chateaus ont murés,
MaPar les hautes étables vertes,
MaDes cerfs, du vilain aſſeurés,
Maigre, ennuié, laſsé me reproméne,
Chargé du ſoin qu’a nos Dieppoys ie doi,
ChMais, ſurtout, me poiſe la péne
ChD’eſtre, Sibille, loin de toi.
Ni les iardins, ni la fontaine viue,
Nommant ce lieu du nom de ſa bell’eau,
NoNi l’Eſtan, ni ſa fraiche riue,
NoNi des pauillons le plus beau,
Ni les couleurs des longues galeries,
Qui, la vois prés, montrent vn monde vif,
QuNi les riches tapiſſeries,
QuNi bronze, ni marbre naïf,
A eus mon œil tellement ne rauiſſent,
Qu’a toi touiours ne ſoupire mon cueur :
QuAins à chaque pas rafraichiſſent
QuLes memores de ma langueur.
Soir & matin, que ces bois ie trépaſſe,
Ô Ninfes, di-ie, & Satires pelus,
Ô Qui ci dans mainte foſſe baſſe
Ô Couplés vos amours diſſolus,

Peuſſé-ie, au moĩs, main en maĩ, ſous céte õbre,
Quelques cent pas auec madame aller,
QuPeuſiõs nous, bouche à bouche, vn nombre
QuD’honneſtes parolles méller.
Voiant bondir ces ſources eternelles
Du roc mouſſu, qui pas ne ſemble feint,
DuAh, di-ie, lors combien de telles,
DuCe mien feu n’auroient pas eſteint.
Voiant partout la deuiſe roiale,
Ceſte Salmandre au feu ſe nourriſſant,
CeIe penſe à la flamme loiale
CeSeule, ta merci, me paiſſant.
En bronze ai veu l’Egiptienne dame,
Antique piece, & parlai en ce poinct,
AnCe Serpent, Reine, au bras t’entame,
AnEt Cupidon au cueur me poinct.
Bref, viſitant tailles, boſſes, peintures,
Quelconque part m’en aille regardant,
QuAmour vient en mille figures,
QuNouuelles fléches me dardant.
Mais, plus que tout, ces Sibilles m’affollent,
Peintes partout pour leur diuin renom,
PeiDeſirant que mes vers t’enrollent
PeiL’onzième de ce ſacré nom.


Elegie 14. à vn ſien couſin.



DEmi cueur mien, douce part de mon ame,
Trécher couſin, que demanderoit mieus,

À tVne nourriſſe bonne femme
À tPour ſon dous enfançon aus Dieus ?
À te regir, ceſte prudence mure,
À t’exprimer, tu as ce parler dous.
À tTes biens croiſſent, ta ſanté dure,
À tEt te ſuit la faueur de tous :
Car cil tu n’es qui ſon or miſerable
De mois en mois ſ’en va proſtituant,
DePour auoir d’vſure execrable
DeL’enfantement continuant.
Ni cil auſsi, que la mer dépitée
Géne de peur, & tient de ſommeiller,
Doutant de ſa nef agitée,
Qui l’or d’Eſpaigne va piller.
Les Muſes ſeurs, des ton enfance tendre
Dans leurs ſecrets te tiennent enchanté,
DaEt ſur toi plus ne peut deſcendre
DaSouci que de leur ſainteté.
Ore t’endort de la Pouille le Cigne,
Ore t’émeut le Mantuan clairon :
OrTantot Seneque t’endoctrine,
OrTantot t’emmielle Ciceron.
Tu ſçais les tons qui de ton petit monde,
Sous quatre humeurs temperent les acors,
SoTu entens & ce qui abonde,
SoEt ce qui manque au foible cors.
Les lois auſsi, non pas ces glozes dures,
Ni ce vil plait que la perche reuent

TaMais les lois tres-ſaintes & pures,
TaTon eſprit exercent ſouuent.
Tandis reluit ta maiſon claire & nette,
Ta table eſt miſe ou n’a ni trop ni peu,
TaTu n’es à blanche ni brunete
TaAtaché d’inſoluble neu.
Or, quel palais, qu’ell’ardente écarlate,
Quel banc d’azur, peint des roiales fleurs,
QuQuell’humble ſuite, qui les flate
QuPar preſens, prieres & pleurs ?
Quel vain honneur, ſuiui touiours d’enuie,
Charmer pourroit iuſque la ta raiſon,
ChÀ laiſſer ce miel de ta vie,
ChPour tel fart, qui n’eſt que poiſon ?
De meigre ennui, d’auarice affamée,
D’œil enuieus, ni d’amour inſenſé,
D’Ni d’ambition enflammée
D’Le palais n’eſt point diſpenſé.
Cuiſans ſoucis, & angoiſſeuſes creintes,
Y entrent bien, mille ennemis ſecréts,
Y Mille amitiés fauſes & feintes
Y En montent bien les haus degrés.
Viuons, ami, viuons ce que nous ſommes,
Viuons mortels, viuons ce peu de iour :
ViTantot vient éteindre les hommes
ViVne nuit d’éternel ſeiour.



Elegie 15.



LEger aneau, qui de madamoiſelle
Vas, ſ’il lui plait, le petit doit lier,
Va t’Aneau, qu’on doit, du ſeul bon zéle
Va t’De qui te donne, aprecier.
Va t’en heureus, ceſte chair blanche ceindre,
Que de mes bras, bien fier, toute ceindroi’,
QuVa t’en à ceſte beauté ioindre,
QuÀ qui trop mieus ie me ioindroi’.
Mais ne ſai quoi, ſeul trouble de ma vie,
Certain honneur qu’ell’ ſ’oſtine garder,
CeEt le malin plait de l’enuie,
CeNe lui ſoufrent rien hazarder.
Or, ſur ton rond, par le dehors, tu portes
Ceſt œil d’azur, apres les ſiens taillé,
CeMais di lui qu’autres mains plus fortes,
CeLe vif ſemblant m’en ont baillé.
Car ſes deus yeus, & mille éſclers d’œillades,
Deſſus mon cueur, que bien dur il trouua,
DeAmour, à mille poinçonnades,
DeLui-méme par neuf ans graua.
Et au dedans de ton cercle ai fait mettre
Vn cueur ſecret, que ne connoiſſe aucun :
VnCache auſsi ceſte bréue lettre,
Vnl’œil à tovs soit, le cvevr à vn.
L’œil à tous ſoit, il faut qu’vn Soleil luiſe,
Et ne ſe peut telle clarté cacher :

L’aMais le cueur que trop plus ie priſe,
L’aAu mien ſeul vueille ſ’atacher.
L’aneau de fer au doit de Prométhée,
Ramenteuoit les durs & peſans fers,
RaQue pour peu de flamme empruntée,
RaIl auoit ſur le mont ſoufers.
Mais cétui d’or, en ton doit, ſoit vn ſigne
Des liens d’or, liens dous & eureus,
DeQu’épris de ta flamme diuine,
DePorte ce mien cueur amoureus.
Or t’en va donq lui porter ma penſée,
Baguete d’or, mais d’or a peu conté,
BaSi auec lui n’eſt balancée
BaLa bonne & riche volonté.
Que fuſſes tu de ce Tiran de Sardes,
L’aneau charmé qui ſon maiſtre cela,
L’aCar, maugré les langues bauardes,
L’aI’iroi’ moy méme iuſques la.
I’iroi’ moy-méme, & parleroi’ moy-méme :
Fi de papier, fi de rimes auſsi :
Fi Voir lui feroi’ ma face bléme,
Fi Et, au long, ouir mon ſouci.
Et qui gardroit ceſte d’eſtre inuiſible,
(Non le Réaume ains la Reine affectant)
(ND’enuoier au monde paiſible,
(NLes teſtes qui me nuiſent tant ?
Mais ie m’oubly : quels chateaus en Eſpaigne,
Quels ſonges vains, quels ſouhets fai-ie ici ?

CeVa aneau, & porter lui deigne
CeAuecques toi, ma foi auſsi.


Elegie 16.



AVtre que moi, pour les gras benefices,
Suiue la mule aus prelats cramoiſis :
Ce n’Autre que moy coure aus offices,
Ce n’À force de Soleils choiſis.
Ce n’eſt pas moy, qui pour faus hõneur vende
Ma toute d’or, ma chère liberté,
MaOu pour vne oiſiue prebende,
MaEntre les ânes ſoye arté.
En pais ie tien de iuſte patrimoine,
Non loin borné, vn peu de fons Normant,
NoQui ſans rien faire, comme vn moine,
NoMe nourrit, ſi ie veus, dormant.
Là, pour tout ſoin, ie plante à droites lignes,
Maint grand iardin de freres arbriſſeaus,
MaEſperant, car ce ſont nos vignes,
MaVandanger leurs iaunes monceaus.
Et, niuelant, ſi bien ie les compaſſe,
Que de tout ſens, les ordres infinis,
QuTouiours d’vne pareille eſpace
QuEntr’eus ſe trouuent difinis.
Pour leur abry contre ce froit Borée,
Les cheſnes fors, & les ormes épés,
LeDe maint reng à chacune orée,
LeLes ceignent comme enuelopés.

Le long louchet, ou la courte faucille,
Entre mes mains ne me fait honte lors,
EnNi ce lou velu qui m’abille,
EnNi les ſouliers ſales & ors.
De la charue aucunefois, peut-eſtre,
Les mancherons moy-méme guiderai,
LeEt du foüet, ſonné en maiſtre,
LeLes iumens laſſes haſterai.
L’eur de ma main fera voir dans nos grãches,
Les purs fromens, iuſqu’aus tuiles taſsés,
LeEt, du dous reuenu des branches,
LeNos celiers iuſqu’à l’arc preſsés.
Car deuot ſuis : & la dime, ſans faute,
De tous mes fruits noſtre curé reçoit :
DeEt n’eſt feſte baſſe ni haute,
DeDonc le iour chommé ne me ſoit.
Le bon patron de ce poure village,
Qui n’eſt qu’vn ſaint des plus groſſes façons,
QuVn rude bois & lourd image,
QuToutefois nous nous y paſſons,
Voit chacun an, auec maint feu de cire,
Tout ſon autel de mes bons fruits couuert,
ToEt du prime épi ie lui tire
ToVn chapeau mi-iaune mi-vert.
Son guet auſsi (croiés peuple) me garde,
Et mon bétail ſi ſurement maintient,
EtQue nul larron ne ſ’i hazarde,
EtEt le lou même ſ’en abſtient.

Lous & larrons (propice ainſi la Lune
Touiours vous ſoit) n’aiés point apétit,
ToDe vous acquerir proie aucune,
ToSur ce mien troppelet petit.
Maint riche parc ſera plus conuenable
À vos aguets : la ne vous feignés point,
À Grand nombre eſt volontiers prenable,
À Et vient aus larcins mieus a point.
Pour le marché mes beſtes ie n’engréſſe,
Ie ne ba point pour la hale mes blés,
IeNi n’aten des chertés la préſſe,
IeEpargnant les greniers comblés.
Ie vi, ſans plus : &, euſt ſa corne pleine
Toute verſée Abondance chés moi,
ToPar les derniers fruis, à grand peine,
ToConduit iuſqu’aus nouueaus me voi.
Les dieus auſsi plus outre ie n’inuoque :
Car, aſſuré de mon annuel pain,
CaDes grans richeſſes ie me moque,
CaIe me moque auſsi de la fain.
Et me ſufit, au loin de toute enuie,
Sans plus de biens, ſans plus d’honneurs auſsi,
SaDans ceſte mediocre vie,
SaBorner le vol de tout ſouci.


Elegie 17.



PEre Apollon, (car en ta ſainte garde,
Et tiennes ſon les Sibilles auſsi)

NeÔ Pæan, ceſte-ci regarde,
NeRegarde, ô Pæan ceſte-ci.
Ne ſoufre pas ceſte onzieme Sibille,
Pour qui louer m’as donné tant de vers,
PoEſtre vendangée inutile,
PoDes le printems de ſes ans vers.
Ou eſt déia ceſte clarté iumelle,
Qui ton rayon dans ſes yeus égaloit ?
QuOu eſt l’ardeur douce cruelle,
QuQui ſi viue en étinceloit ?
Qui à ſa ioue, helas, decolorée ?
Qui de ſon teint à ce beau pourpre éſclus,
QuY eſtant par tout demeurée
QuVne blanche nege ſans plus ?
Or éſanqué ce rond bort de ſa bouche,
Corail non plus, mais cire diroit on :
CoEt tout ſon chef pent & ſe couche,
CoComm’vn demi trenché bouton.
Car la voila, laſſe, gelée & pale,
Sans cueur, ſans force, vne marbrine mort :
SaPuis, apres ce bref interualle,
SaToute rebrulera plus fort.
Comm’vn brandon qui deuore ſa méche,
Et iuſqu’au bout, de l’vſer n’a repos,
Et iAinſi ce feu fieureus la ſeiche,
Et iBoit ſon ſang & vide ſes os.
Plus propre, helas, vne fieure amoureuſe
Ceſte ieuneſſe en ſoupirs bruleroit,

PaEt puis, doucement langoureuſe,
PaD’autre accès la regéleroit.
Paciemment, & ſans regret, malades
Soient tous ceus-la, qui, chargés des vieus ans
SoMi-morts, tremblans, pales & fades,
SoNe ſont plus qu’au monde nuiſans.
Mais ceſte fleur, à peine écloze encore,
Ce digne ni des petis ailés Dieus,
CeLanguir deia ne doit pas ore,
CeSur la ſaiſon de tout ſon mieus.
Comme au coucher de tes lumières laſſes,
Tout ſe noircit d’vne fraieuſe nuit,
ToEt chacun, les horribles faces,
ToDes Larues vagabondes, fuit :
Ainſi, clair Dieu, ceſte étoile luiſante,
Qui tous mes ſens, par ce monde, guidoit,
QuAuiourdui baſſe & languiſſante,
QuTroubler bien fort, bien fort me doit.
Tout me fait peur, & crein mon ombre méme,
Car, à tout pas, vn mort, ce m’eſt auis,
CaAu moins ne ſai quel’ombre bléme,
CaSe preſente à moy vis à vis.
Mais, ô Phebus, ſi pour vn de tes cignes
Tu m’as élu, ſi m’eleuer en l’air,
TuSi entre tes vierges diuines
TuTu veus ſur Pinde m’appeller,
Preſſ’, ô Pæan ceſte herbe vertueuſe,
Dont ſceut ton fils ſi bien celui guerir,

Et,Qui ſa nouerque inceſtueuſe
Et,Dédeigna d’amour ſecourir.
Et, épreignant quelque ius ſalutaire,
Dieu gueriſſeur, vien toucher ceſte-ci,
DiPour a laquelle ſeule plaire
DiMe plait des vers le dous ſouci.
Car, comm’en vain vn clauier iaune foulent,
Leger-trotans les organiſtes dois,
LeSi les vens derriere ne coulent,
LePour animer les douces vois :
En vain auſsi toute la vierge troppe,
Son miel ſur moy & ſon ſucre perdroit,
SoEn vain de la iumelle croppe
SoLa ſource toute ſ’épandroit.
Si ie ne ſens ces raions de madame,
Dis mille eſpris ſur ma teſte tirer,
DiQui ſeuls, peuuent la vie & l’ame
DiÀ mes Eléges inſpirer.
Fieureus Démon, ſoit qu’vne main ſorciére,
Par charme exprés, & orrible oraiſon,
PaPour de madame eſtre murtriére,
PaTe commande ici ta maiſon,
Soit que toi-méme, enclin à toute iniure,
Faiſant ce mal, ton naturel tu fuis,
FaiPar les Muſes ie te coniure,
FaiEt par ce Parnaſſe ou ie ſuis,
Par Apollon, qui tous vous extermine,
Par les Amours, par les Graces trois ſeurs,

ViPar l’alme Deéſſe, Éricine,
ViPar les Beautés & les Douceurs,
Vide d’ici : Tiſifonne cruelle,
Que grondes- tu ? ô monſtre ſtigien !
QuPriſon te plairoit eternelle,
QuD’vn ſi beau, ſi heureus lien.
Va, vide, fui : va, fieure d’élogée
Faire bien loin quelque vieille trembler,
FaEt iamais plus ne ſois logée,
FaOu l’amour tu puiſſes troubler :
Veus-tu logis ? entre, ie te commande,
Dans ces ialous, & les mene à la mort :
DaDe la, bien feront ta viande,
DaTant de langues qui nous font tort.
Pour ceſte cure, ô ſeul luſtre du monde
Pieça déia ie te médite vn chant,
PiDe la Ciclade vagabonde
PiQui receut Latone acouchant.
Ie dirai, comme onque puis non bougée,
Se ferma là, comme encor tetant,
Se Tu rendis ta mere vangée,
Se Du monſtre la perſecutant.
Et n’oublirai la touiours verte fueille,
Dont tes cheueus aiment ce rond lien,
DoNi, ce ſanglant pris, la dépeulle
DoDu temeraire Phrigien.


Elegie 18.



I’En ſai bien vne, vne eſperte flanniere,
Et n’aille aucun en rechercher plus loin,
ToIe ſai d’amours vne courtiere,
ToVne maquerelle au beſoin.
Toutes les nuits, vaudoiſe abominée,
(Tel eſt le bruit) greſſe ſon cors ridé,
(TEt paſſe par la cheminée,
(TSur le dos d’vn balai bridé.
Pluſieurs ont creu qu’a ces charmes arriue
Humble & tremblant, le noir peuple d’Enfer,
HuEt que d’humain ſang elle écriue
HuNe ſai quels mots à Lucifer.
Sans nulle peur, és croizés cemetieres
Paſſe les nuits, entre les pales corps,
PaQui, par ſes oraiſons ſorcieres,
PaÀ elle reparlent tout morts.
Ell’fait que vaut, en ſa toille nouuelle,
Dans vne nois, l’araigne enſeuelir,
DaEt que vaut ſeiche la ceruelle
DaQue d’vne chate on peut cueillir.
Or, tout ainſi que ſa chaude ieuneſſe
Sans nulle honte en luxure brula,
SaAuiourdui, non mieus, en vieilleſſe,
SaAutre feu d’auarice elle a
Vn promt babil, vne ruze aſſurée,
Front impudent, ongles lons & ſutils,

PoFoi à tout propos pariurée,
PoSont les meilleurs de ſes outils.
Pour ſon métier, toutes bendes frequente,
Mais, tant que peut, ſ’acoſte iour & nuit,
MaDe ceſte ieuneſſe opulente,
MaQui bien cher peu de plaiſir ſuit.
Là elle regne, elle fait les parties :
Quelque ſimplette ell’préche ce pendant,
QuD’aucunes, par plait conuerties,
QuLes bons mariages vendant.
Car el’n’eſt pas de ces vieilles publiques,
Qui, pourement vn écu pratiquant,
QuDe quelques clauſtra les reliques,
QuSur le ſoir ſe vont trafiquant.
Braue de ſoie, & le velours en teſte,
Les bons endrois, impudente, ne fuit,
LeAins ſ’egale à la plus honneſte,
LeEt de ſa nobleſſe fait bruit.
Mais ce pendant, pour ſa proie, elle guette
Si quelque riche eſt a pouruoir encor,
Si Ou, ſi quelque vêfue eſt ieunette,
Si Car peſcher y veut chaine d’or.
Aiant oui par les bruits de la ville,
Qui peu à peu doublant courent touiours,
QuQue le mari d’vne Sibille,
QuBien riche auoit fini tes iours :
À elle vint, & me ſembla ſa langue,
Pour beaucoup nuire eſtre diſerte aſſés,

ApCar i’oui toute la harangue,
ApEntre-deus huis ſur moy pouſſés.
Apres vn mil de ces vulgaires plaintes
Que volontiers tel exorde contient,
QuEt vn fleuue de larmes feintes,
QuQu’à ſa poſte el’lache & retient :
Mais quel profit, dit-el’, quelle reſource
De tous nos pleurs ? que vaut ce dur remors ?
DeDieu de tant de vain pleur ſe cource,
DeEt ne ſeruent larmes aus mors.
Tel long ennui, Sibillette mamie.
Ne fait qu’eſteindre, en ceſte ieune fleur,
NeVoſtre beauté déia blémie
NeQui ſ’ecouleroit toute en pleur.
Dieu, ſ’il lui plait, puis que d’vn il vous priue,
Qui fut, vrai-eſt, vn peu foible & agé
QuPour vous, (car voſtre feu arriue,
QuEt le ſien étoit délogé)
Vous pouruoira, par ſa grace benigne,
D’autre moitié à vous égale mieus,
D’Car, vraiment, vous en eſtes digne,
D’Et aués bon bruit en tous lieus.
Renon aués de ménagere bonne,
Et, Dieu merci, vos biens ſont de bon pris,
Et,Et déia plus d’vne perſonne
Et,De vôtre beauté ſ’eſt épris.
I’en ſai bien vn, mais quoi ? ie ſuis bien neuue,
Il n’eſt pas tems. Toutefois, pourquoi non ?

OcÀ toute heure qu’vn bien ſe treuue
OcIl le faut prendre, ce dit-on.
Occaſion, la deéſſe volage,
Telle ſe peint, ſi i’ai bien retenu,
TeTout ſon poil pend ſur le viſage
TeLe derriere eſt chauue & tout nu.
Arriuant donc, doit au poil eſtre priſe,
Car elle ſ’offre, & ſ’offrant touiours fuit,
CaPuis, n’aiant plus au dos de priſe
CaSe moque du ſot qui la ſuit.
Cil que ie di, qui vôtre ſe ſouhéte,
S’il faut aus biens & honneurs ſ’arreſter,
S’ilN’eſtoit que premier vous appéte,
S’ilPremière deuſsiés l’appeter.
Et n’eſt pas lourd, comme il ſemble, peut-eſtre,
Dur, ni groſsier : mais telle office veut
DuQu’on ſe face graue apparoiſtre,
DuEt le plus ſeuére qu’on peut.
Vn autre en ſai qui ia preſqu’en rafolle,
D’age moien, & riche & ſain & fort,
D’aQuoi qu’vn malin bruit de verolle,
D’aAit menti ſur lui à grand tort.
I’en ſai encor, les voulés vous d’eſpée,
Ou financiers ? à Rouen ou Paris ?
OuÉliſés, pour n’eſtre trompée,
OuIe vous baille au chois cent maris.
Mais à vrai dire, &, en loiauté pure,
Pour le conſeil qu’aus ieunes puis deuoir,

Il n(Car le tems qui piéça me dure,
Il nBeaucoup de choſes m’a fait voir)
Il n’eſt que trop, de ces muguéts qui balent,
De ces iolis, qui ſur eus portent tout :
DeMais ceus, qui pour épouzer valent,
DeSe choiſiſſent par autre bout.
Épouzés moy quelque aſſeuré riche homme,
D’vn haut eſtat, ſi pouués honnoré,
D’vTel que celui que ie ne nomme,
D’vMais premier vous l’ai figuré.
Apres ſa mort vos douaires augmentent,
Et, lui viuant, faute vous n’aués point,
Et,D’autres mille gentils, qui tentent
Et,Vous donner leur ſeruice a point.
Qu’aues vous peur ? le ſaint cornu Moyſe
À mort iadis tel esbat condamnoit :
À Auiourdui, par nos gens d’Egliſe,
À Autre doctrine ſe connoit.
En ce tems-ci, pour pudique i’auoüe,
Celles, ſans plus, que nul onq’ne requit.
CeGentille n’eſt qui ne ſe ioüe,
CeEt toute belle en doit l’aquit.
Le tems volage à pas larron ſe gliſſe,
Et ſans mot dire, helas, trompe noſtre œil,
Et Et comme vn courſier en la liſſe,
Et Nos ans décochent au cercueil.
Tandis qu’aués la claire matinée
De vos beautés, n’en épargnés l’ébat,

VnL’exercée eſt plus tart minée,
VnQuoi qu’vn ſoir toutes les abat.
Vn bon habit demande qu’on le porte,
Et tout metal au ſeruir ſ’eclarcit,
Et Et maiſon qui n’ouure ſa porte,
Et Deſerte, tantot ſe moizit.
Beauté auſsi moins ſert, & plus ſ’empire,
Plus on l’esbat plus claire ſe fait voir,
PluEt croiés que pour y ſuffire,
PluIl en faut plus d’vn ſeul auoir.
Penſes, ma fille, à ce plus riche donques,
Qui vos eſtas vous acroiſtra touiours,
QuEt, chés qui, faute n’aurés onques
QuDe mille commodes amours.
Ie ne creu pas vne langue puante,
Qui contoit hier, & ie ſoutin que non,
QuQue ia de vôtre foi ſe vante,
QuNe ſai quel ieune homme ſans nom :
Pour toute choſe, vn poëte aſſés abile,
Enfant de Dieppe aus riues de la mer,
EnSi fol d’vne étude inutile
EnQu’autre choſe ne veut aimer.
Quand ce ſeroit Clément Maraut lui-méme,
(Ay-ie failli ? Marot dire voulois)
(AyOu ne ſai quel Ronſard de méme
(AyQui ſe dit Pindare Gaulois,
D’eus ni de lui, qu’auriés-vous autre choſe
Qu’vne Balade, vn Rondeau ? voila tout :

TeMais mieus vaut vn écu en proſe,
TeQue mille rimes ſans vn ſout.
Tels, ni amis, ni maris ne faut faire,
Car publier tantot leur dame font,
CaEt de leur femme le douaire,
CaSe prent ſur Parnaſſe le mont.
Deuant Dieu ſoit de l’hõneſte homme l’ame,
Votre mari, ce renom il auoit,
VoQue de procés, comme ſa game,
VoToute la pratique il ſauoit.
Et outre encor ſes biens, dont prou vous laiſſe,
(Qui bien vous eſt en méchef vn bon eur)
(QIl étoit extrait de nobleſſe,
(QDont auſsi vous reſte l’honneur :
Combien facheus, & cõbien (ce vous ſemble)
Fort a porter ,& dur a voir ſeroit
FoÀ nous tous vos amis enſemble,
FoQu’ainſi tant d’eur vous periroit ?
Aprés Rouen, ô ſeiour bien étrange
Dans telles eaus, en cet air marinier :
DaÔ de maris different change !
DaAprés vn Eueſque vn Mounier.
Ainſi filoit la langue ſerpentine
Son dous venin, quand ie fu découuert,
SoAu ſoruenir d’vne voiſine,
SoPar l’vn de mes huis mi-ouuert.
Mes mains à peine à peine ſe garderent,
Qu’aus rares creins, aus plourars chaſsieus,

DiAu ridé maſque ne darderent
DiLeurs ongles alors furieus.
Dieu, pour loyer, te doint, vielle dannée,
Sans feu, ſans vin, le reſte de tes iours,
SaRien qu’yuer par toute l’année,
SaEt goſier alteré touiours.

Elegie 19.



MIlle enuieus, douce chere Sibille,
Graces à Dieu, n’õt ſceu q̃ mordre en moi,
Ce douSinon cete étude tranquile
Ce douQue ie ſui pour l’amour de toi.
Ce dous loiſir à grand vice m’imputent,
Trop, ce leur ſemble, aus hommes mal ſéant :
TrEt ce train des Muſes reputent
TrEuure d’vn eſprit faineant.
Veulent-ils point qu’en la perche criarde
Mon plait ie vende ? ou que moy-méme aſsis,
MoOyant vn auocat qui farde,
MoIe dure cinq heures ou ſis ?
Veulent-ils point qu’a mes coſtés ie métte
D’art Milanoiſe, eſpée & dague auſsi,
D’Et ſur ma teſte, vne plumette,
D’Pour eſtre bien plus noble ainſi ?
I’aurois du Roi les gaiges d’vn gendarme,
Au reng vaillant de ces hardis iureurs,
AuQui ne donnerent onq alarme
AuQu’aus poules des bons laboureurs.

Ou bien, plairoi-ie, en miſte courte robe
Treſorillon, vn de ces courtiſans,
TrQui, de ce que leur chifre robe,
TrPeu ne rendent gorge en dis ans ?
Ô poures gens, ce que leurs cueurs deſirent
N’eſt que caduc, paſſager & iournel :
N’Et mes deſirs hautains aſpirent
N’Au point de renom eternel.
Toute leur peine vne glore pouréte,
Vn faus honneur ne ceſſe pourchaſſant,
VnEt d’écus, outre leur ſoufréte,
VnSommes oiſiues amaſſant.
Mais, non pluſtard, par les cloches funebres,
Leur dernier bruit ſonné leur ſera tout,
LeEt leur nom, ſous mémes tenebres,
LeAuec leurs torches aura bout.
Ce mien loiſir, ce tant d’heures oiſiues,
Tous leurs trauaus, tandis, ſurmontera :
ToCar, par euures à iamais viues,
ToNos noms à la mort oſtera.
Tant qu’aura france vne cheſtienne teſte,
Tant y viuront les Pſalmes de Cahors,
TaEt Noel n’i ſera plus feſte
TaQuand Deniſot en ſera hors.
Plutot ſaint Marc perdre lairra ſa ville,
Quelle ſon Bembe : & lors ce reioindra
QuCe bout d’Italie à Sicille,
QuQuand Sannazar ſ’i eſteindra.

Quand ieunes ans fuiront amours & armes,
Lors Arioſte chantera bien peu,
LoEt quand amans viuront ſans larmes,
LoPetrarque ſera mis au feu.
Tant que ſoit Grece & d’Ilion la place,
Tant en ce monde Homere demourra,
TaQuand troupeaus paitront ſur la glace,
TaL’Arétuzain berger mourra.
Quand nous verrons d’Amour la trouſſe vide,
Et de ſa mère eſteint l’ardant flambeau,
EtLes couples onze-piés d’Ouide
EtNe ſembleront plus rien de beau.
Les marbres donc, & d’acier dures l’ames,
Trouuent leur fin : le tems les ronge & mord :
TrMais nos liures ont quelques ames
TrQui les exentent de la Mort.
Ce peuple vil les choſes viles ſuiue,
Seul ſes honneurs, ſeul tienne bien ſon or :
SePourueu qu’à iamais reſte viue
SeDe moi tant bonne part encor.
Il me ſufit que mainte vierge mure,
Me chante vn iour à ſon raui brument,
MeEt maint garçon, parauenture,
MeVienne ici lire ſon tourment.
Sur les viuans, ſans plus, broute l’enuie,
Et les defuns plus ne deigne aſſaillir.
EtApres donq cete courte vie
EtNoſtre honneur ne nous peut faillir.


Elegie 20.



PVisque l’Enuie encore donq ſ’afile,
Pour de nos cueurs le ferme neu trencher,
Ie ſuBlamant cete petite ville,
Ie ſuQue pour moy tu veus raprocher,
Ie ſuis ingrat, mon cueur, ma Sibillette,
Si, de ma plume, au moins ie ne ſoutien
Si,La patrie & douce villette
Si,Mere de mon ſang & du tien.
Ce ſalé bort de noſtre onde écumeuſe,
Ceſt air marin, dont ils parlent ſi mal,
CeVaut mieus que leur riue fumeuſe,
CeLeur touiours tied’humide val.
Onq, que ie croi, l’aube teinte de roſes,
Ne les ſeut voir : &, auant le mi-iour,
NeÀ peine l’œil de toutes choſes
NeRayonne en leur auſtral ſeiour.
À qui plaira le vent des pompes vaines,
Le bruit des plaids, l’écarlate des cours,
LeSoit ſeur, que ſes raiſons mondaines
LeDedans vn Rouen auront cours.
La donq ſe tienne, &, ſ’il peut, y vieilliſſe,
Mol, langoureus & de goutes noué :
MoEt les Medecins enrichiſſe,
MoAuquels tout Rouen eſt voué.
Nótre Dieppétte, au moins plus ſaine & viue,
Voit, d’un coſté, quelle l’Aurore ſort,

CaEt, de l’autre, purge ſa riue,
CaPar l’alaine ſeiche du Nort.
Car du Su moite vn haut mont nous deliure,
Et en Iſland ſ’enfuit par deſſus nous,
Et Si bien que voions ſ’entre-ſuiure
Et L’yuer ſec, l’Eſté frais & dous.
Auſsi, pour vrai, vn air tiede & mollace,
N’eut rien valu pour engendrer des cueurs
N’Qui fuſſent, ſur l’onde fallace,
N’De tout autre peuple vainqueurs.
Ni tant d’eſpris que Pallas y auoue,
Deus Mifans mors, & deus mors Parmentiers,
DeEt deus, que viuans moins ie loue,
DeTerrien & ce Mifant tiers.
Le bon Crignon, auec ſi peu de lettre
Si ſauant homme, a bien naguére appris,
Si ſEt méme en ſon fils fait connoiſtre,
Si ſCombien ceſt air vaut aus eſpris.
Quoi ? la commune & multitude vile,
Y ſemble née a deſcrire les cieus,
Y Peindre terres, mers & tout ile,
Y Partir vens & meſurer lieus.
Quand aus plaiſirs, nos grans peres honneſtes,
De main en main mille esbas ont laiſſés,
DeMille banquéts, dances & feſtes,
DeEt de ieus & maſques aſſés.
L’éleué bort de noſtre immenſe plaine
Cler, ſec & droit, nous eſt vn pourmenoir,

QuPlus beau, que des vapeurs de Seine,
QuLeur pont auant la nuit tout noir.
Quand le Soleil, à ſon coucher ſe baigne,
Ô dous regard, voir, au tour de ce Dieu :
Ô Tant de criſtaline campaigne,
Ô Et le bout du ciel, tout en feu.
N’eſſe plaiſir tant de vaiſſeaus de guerre
Voir phalerés ſur leur plaine voler ?
VoEt, d’vn ſalut, tant de tonnerre
VoDe leurs flans ſoufle-feus rouler ?
De cheſne dur, ſalubre maiſonage,
Voiſins du ciel nos logis ſon dreſſés,
VoEntaillés de diuers ouurage,
VoPeins, batus d’or, & lambriſsés.
Et quelle ville vne plus belle rue,
Plus large & longue auoir peut nullement,
PluNi d’vn gentil peuple plus drue,
PluNi plus nette de pauement ?
Par les carfours, fontaines eternelles,
(Que nos ayeuls encor n’auoient ſceu voir)
(QBondiſſantes claires & belles,
(QNe ceſſent fin argent plouuoir.
Si tout cela, ſi mieus n’i eſt encore,
Ton ſang au moins, tes deus freres y ſont,
ToI’y ſuis, quoi que mes eſpris ores,
ToDans tes yeus leur demeure font.
Tes bons ayeuls, ſi c’eſt plus quelque choſe,
Sous ample cuiure ont leurs cendres ici :

ReTon pere auec eus y repoſe,
ReEt ta mere & ta ſeur auſsi.
Reuien hanter leurs tombes honnorables,
Et, aupres d’eus (mais bien tart plaiſe à Dieu)
Et,Rendre aus deſtins inexorables,
Et,Les beautés priſes en ce lieu.


Elegie 21. pour ſemondre les Poëtes au Pui de
l’Aſſomption à Dieppe, l’an 1556 lequel
n’eſtant ordinairement que de quatre
pris, fut augmenté de deus.



QVi de fin or, qui d’Indiennes pierres,
Vos frõs vainqueurs voudrés enuirõner,
Cines ſNon pas de ces poures lierres
Cines ſQue le viel tems ſouloit donner :
Cines ſacrés, ſoit que vos plumes blanches,
Sur l’enflé L’oire ou ſur le ſucré Loir :
SuErrant, portent vos gorges franches,
SuQui nótre ſiecle font valoir :
Soit que de Seine à l’vne & l’autre riue,
Paris raui admire vos douceurs,
PaSoit que par voſtre vois naïue
PaÀ Rouen parlent les neuf ſeurs :
Tous leués vous ſur vos ailes hautaines,
Et deignés tant par le vide ramer,
Et Que veniés fondre dans nos plaines,
Et À ce calme ſein de la mer.

Droit à ſon front la mutine Angleterre
Tremblant, nous voit le long du ſalé bort,
TrQue nos ayeuls vindrent conquerre,
TrCes blons ſoudars du gelé Nort.
L’Eſpaigne ſobre & la Flandre iuroigneſſe,
Qui ça & là nos eaus vouloient tenir,
QuOnt ſenti de quelle ieuneſſe
QuVn port de Dieppe peut fournir.
Mais maintenant, puisque tréue paiſible,
Iuſqu’à cinq ans a reſtuyé nos dars
IuſPuisque chanter nous eſt loiſible,
IuſCe pendant que dormira Mars,
Nos deſtres mains, en lieu de lance fiere,
La plume douce à l’ennui meneront,
La Et, en lieu de trompe guerriere,
La Les Muſes deuant ſonneront.
Phebus touiours ſon arc doré n’entéze :
Touiours ne fait Mars ſa pique branler,
ToL’vn quelque fois ſa Venus baiſe,
ToL’autre ſa lire fait parler.
Aſsés Neptune & ſon écaillé gerre,
Sous nos canons dans leur fons ont tremblé,
SoAſsés nos mers teintes de guerre
SoLa rouge d’Egipte ont ſemblé.
Douze deus fois ces grans hourques dépites,
N’i a qu’vn an, en maint captif eſcu,
N’iContre peu de nos naus petites,
N’iPerdirent leur Aigle vaincu.

Mainte foreſt dans l’eau méme en fut arſe,
Maint Eſpagnol & maint Flamen rótis,
MaEt mainte ame en ſon ſang eparſe,
MaSur l’azuré champ de Tetis :
Or, à ſon tour, Apollon nous récrée :
Tout lui voüons ce bien eureus loiſir :
ToToute ceſte tréue eſt ſacrée
ToÀ ſon dous-honneſte plaiſir.
Et toutefois,ni les trauaus d’Alcide,
Ni d’Amphion les haus murs enchantés,
Ni Ni l’ainé, ni le ieune Atride,
Ni Ici ne ſeront point chantés.
La vieille Gréce en fables abuzée,
Et ſans raiſon tels monſtres ſe forgeant,
Et Son Hipocréne a toute vſée
Et En bourdes qu’elle alloit ſongeant.
Mais nous, ô Dieu, nous ta gent reconnue,
Nous par ta grace aſſeurés d’vne foi,
NoFondés en ta vérité nue,
NoChanter ne deuons rien que toi.
Auſsi, Seigneur, toute la France eſt pleine
De ton ſeul nom, & de tés ſaints aimez :
DeL’vn à te pſalmoder met peine,
DeL’autre tes martirs a nommés.
L’vn mieus l’honneur de ton Iſraël corne,
Que du fin Grec ſon aueugle n’écrit,
QuL’autre tout l’Ercule retorne
QuAus ſacrés geſtes de ton Chriſt.

Et nous Dieppoys la feconde pucelle
Ou ſ’encorſa ce Dieu homme ton fils
OuElizons matiere eternelle,
OuDe nos vers, & ſeul but prefis.
Soit que trés-pur ſon natal ſe ramene,
Ou qu’en ſa mort lui ſoient les cieus ouuers,
OuNeptune n’a ſous lui d’aréne
OuTant que lors elle a de nos vers.
Car elle méme, ô merueille bien rare,
Haute aparut ſur nos murs aſsiegés,
HaRepouſſant dans le camp barbare
HaLes boulés ſur nous déchargés.
Et au ſeul bruit de ſa feſte ſonnée
Par nos clohers, l’Anglois troublé d’effroi,
Pa(Ici digne foi ſoit donnée)
PaFut défait par l’ainé du Roi.
Braue Talbot, la fortune meilleure
Ne te fut onc, t’aiant fait répaſſer
NeDe ce ſiege en ton ile a l’eure
NePour nouueau ſecours amaſſer.
Ce fier Anglois vne puiſſance armée
Vers le leuant,ſur nos crouppes logea,
VeQui, d’vn large foſſé fermée,
VeNous batoit par neuf mois déia.
Tout nótre mur n’étoit plus qu’vne bréche,
Et, de tous coins, en maiſons et môutiers
Et,Tomboient le boulet & la fléche,
Et,Ni reſtant que les cueurs entiers.

Quãd, de tous maus, des Charles ce ſettiéme,
Qui des Anglois fit en france la fin,
Qu(Il étoit d’Aout le quatorziéme)
QuNous deliura par ſon Daufin.
Sous le bon eur d’vn ſi noble gendarme,
Les aſsiegeurs eus mémes aſsiegés,
LeIuſqu’en leur fort eurent l’alarme
LePar nos bourgeois encouragés.
Sur le foſſé maint pont de bois habile
Outre-ieté, nous ioignoit main a main :
OuCanons tonnoient, & ceus de l’ile
OuNe ſe defendoient pas en vain.
Déia Moüy, & déia Hercelaines,
(Couple vaillant) bien que vengés aſſés,
(CSoufloient leurs dernieres aleines,
(C(Groſſe perte) aus fons des foſſés :
Et Mars égal la victoire en balance
Tenoit encor, un midi ia bien prés,
TeQuand le deuot ainé de France,
TeSe tourna vers nos lieus ſacrés.
Et, haut les mains contre ſa lance iointes,
Dame, dit il, ô vierge Mere Dieu,
DaQui dois demain tes feſtes ſaintes
DaVoir celebrer par tout ce lieu :
Ne ſoufre pas ce barbare inſulaire,
Venir ainſi ton riche autel piller,
VeTroubler ta feſte anniuerſaire,
VeEt ton cors méme dépouiller.

Tes ſeruiteurs, qu’ici tous ſommes, garde,
Ie te promés, aiant veincu ici,
Ie D’argent vne image, regarde,
Ie Auſsi grande que me voici.
À tant ſe tait : & voila tous enſemble,
Nos hauts clochers leurs creus ærein ſonner,
NoEt bonne réponſe, ce ſemble,
NoÀ ſa iuſte oraiſon donner.
L’Anglois (miracle) à l’heure à l’heure méme,
Cede, recule, & non veincu ſe rend,
CeTant, a ce ſon, vn effroi bléme,
CeLa force & le ſens lui ſurprend.
Leur fort eſt pris, on les tue, on les lie,
Nous deliurés au ciel graces rendons,
NoEt Louys, qui ſon veu n’oublie,
NoY adiouſte cent riches dons.
Nos graues chants, nos balades legeres,
Le dous rondeau à demi-ligne clos,
LeSont encor les rimes premieres,
LeQui ſonnerent ce diuin los.
Leurs pris auſsi, chapeau, bagues, couronne,
De Diamans, de Perles, de fin Or,
DeÀ qui mieus mieus, mieus & mieus ſonne,
DeRichement ſ’expoſent encor.
Mais, de plus neuf, aus Dircéennes odes,
Dignes honneurs, & aus Tuſcans ſonnéts,
DiEntre nos Muſes Palinodes
DiAuons voulu eſtre ordonnés.

Qui mieus ſuiui aura le Thebein cine,
Qui mieus ſuiui le Florentin auſsi,
QuL’vne & l’autre auec pris condigne
QuTrouuera ſon honneur ici.
Haſtés vous donq, trop aus Muſes ſacrée,
Gaigner nos pris, & vous ouurir le ciel,
GaÀ pointe de plume ſucrée,
GaQui peu doiue à l’Attique miel.


Elegie 22. ſur la mort de Ian de Bourbon,
Duc d’Eſtouteuile, Conte d’Anguien,
qui fut tué le iour S. Lorans, 1557.
& git à Vallemont.




Le noble cors qui ci deſſous ſ’empoudre,
François paſſans, ne mourut pas ici :
La troAins dans ceſte ſanglante poudre
La troOu fut ſurpris Montmorenci.
La trop auant, aueques lance & maſſe,
De rouges crois ſon gite il ſe paua,
DeTant vn ſouuenir de ſa race
DeLoin de nos bendes l’enleua.
Quand il fut las, les plus hardis d’Eſpaigne,
Tremblans encor, de loing lui crioient fort,
TrVoi que le grand nombre te gaigne,
TrRen toi, Bourbon, ou tu es mort.
Au Roi, dit-il, & à ma France aimée
Ie ren la vie, & mon eſprit à Dieu,

Quant à ceſte charoigne armée,
Ie la quite aus vers en ce lieu.
Délors mourut : mais encor creinte telle
Ce petit cors tout roide leur faiſoit,
Ce Que main nagueres ſi cruelle,
Ce Le plus fier regarder n’oſoit.
Tel ennemi iamais ne nous auienne,
Dirent-ils tous : &, tout mort qu’il ſoit or,
DiRien deuers nous ne ſ’en retienne,
DiCar les os feroient peur encor.
Si l’ont rendu ; & ſa France éplorée,
Qui de tel ſang trop peu reſter ſe vit,
QuSur la ſepulture honnorée
QuCe ſien regret lui écriuit.
Si me naurer tu auois en penſée,
Mars defectif, au moins pouuoit ton dart
MaM’auoir non au cueur offencée,
MaEt en moins precieuſe part.
Tu me voiois quaſi toute entrepriſe,
D’humeur étrange, & membres ſuperflus :
D’Pourquoi, les laiſſant, m’as tu priſe
D’Au bon ſang dont n’ai tantot plus ?
Adieu le ſang de ma veine meilleure,
Trop tot tiré : Adieu, fleur de mes fleurs,
TrVengeance vous ferai quelque heure,
TrMais tandis, helas, rien que pleurs.


Elegie 23. ſur le mariage du Roi Daufin
auec la Reine d’Ecoſſe en
Auril, 1558.



VOici ton mois, ô fille de l’écume,
Bell’Aphrodite, & le celeſte Tor,
Le cielIa tout ce monde te r’alume,
Le cielFaiſant flamber ſes cornes d’or.
Le ciel te rit, &, a l’enui, la terre
Point ne te ceſſe herbes & fleurs tirer,
PoEt la Mer qui ſemble de verre,
PoTe prie en elle te mirer.
Ne tarde plus. Laiſſe, à bride aualée
Ramer deça tes cines attelez,
RaLa ou Seine a Marne mélée
RaEntourne le roial palais.
Auecques toi pren ce chois de tes filles,
Trois cors tout nus ſ’entretenans touiours,
TrLes Graces, ces trois ſeurs gentilles,
TrEt l’vn, ſans plus, de tes amours.
Au lieu de l’autre, ô Himen himenée,
Vien, chaſte Dieu, ta mere acompaigner :
ViNulle amour d’honneſteté née
ViNe doit ta torche dédaigner,
Et quel des dieus, par nous race mortelle,
Eſtre deuroit plus que toi honnoré ?
EſtEt quel, par vn amant fidelle,
EſtPlus deuotement adoré ?

Pour ſes enfans, en grand ſoin, mainte mere
Déia touſſant t’adreſſe mille veus,
Et ſeul, femmes, ſans vitupere,
Rendre les pucelles tu peus,
Par ton moien la vierge vn peu ia mure,
Tres-volontiers pere & mere laiſſant,
TrDens les mains ſe liurer endure
TrD’vn ieune homme la rauiſſant.
Par ton ſaint feu les heritiers ſuccedent,
Éterniſés en ce gerre mortel,
ÉtEt, quoi que mortels ils decedent,
ÉtTu gardes leur ſang immortel.
Haſte toi donq, & douce mariolaine
Front & cheueus te ceigne tout au tour,
FrEt luiſe en ta deſtre hautaine
FrLe ſaint flambeau de chaſte amour.
Voi, ſi matin, de mille fleurs ornée
L’aube déia, Phebus tout d’or auſsi,
L’aQui n’ouurirent onques iournée,
L’aPlus eureuſe que ceſte-ci.
Pieça déia tout le monde réueillent
Dous violons & perce-cieus cornéts,
DoEt ia les prétres appareillent
DoLeurs temples richement ornés.
Car auiourdui la couronne Écoſſoiſe
Qui de Marie eſtreint le chef roial,
QuSera faite à iamais Francoiſe,
QuSi tu fermes ce neu loial.

François Daufin, & d’Écoſſe la Reine,
Se vont ſous toi & leurs peuples vnir :
Se Fai leur, ô Himen, vne cheine,
Se Qui les puiſſe à iamais tenir.
Enlaſſe-les, eſtrein-les & conferme,
D’vn neu de fer, & Gordien cent fois,
D’vD’vn neu à toutes preuues ferme,
D’vRare chef d’œuure de tes dois.
Comme des cors, fai des deus ames vne,
Des deus cueurs vn, vn deſir, vn ſouci :
DeEt quoi qu’entre deus ſoit Neptune,
DeConioin les peuples tout ainſi.
Ia Lile-bourg dedens Paris ſe trouue,
Et ſon Lion entre nos fleurs lui plait,
Et Ia le ſang d’Eſtuard nous preuue
Et La grand nobleſſe d’ou il eſt.
Es-tu boiteus, Himen ? que veus tu dire ?
La vierge Reine eſt ia pleine d’ennui,
LaEt, de trop atendre, ſoupire,
LaCraignant que tu n’i ſois meshui.
Comme défait la roſe Ciprienne
Des moindres fleurs, tout à l’entour, le teint,
DeComme la claire Délienne
DeLes étoiles proches eſteint,
Marie aſsiſe entre mille pucelles,
Qui dens le cueur, te ſont auſsi maint veu,
QuRaionnant ſa beauté ſur élles,
QuLeur laiſſe de luſtre bien peu.

Telle ta mere eſt maintefois allée
Ou Adonis, ou Anchiſe tenter,
OuTelle, en la Troienne vallée,
OuAu iuge alla ſe preſenter.
L’épous auſsi, premier eſpoir de France,
De l’autre part bien matin éueillé,
DeSe plaint qu’en trop longue eſperance,
DePar ta pareſſe, eſt trauaillé.
Ne pouuoit donq, ô prince, te ſufire
Ce Gaulois ſceptre infallible & certain ?
CeÀ quantes couronnes aſpire
CeCe chef ſi roial & hautain ?
Apres Écoſſe & la Gallique terre,
Ioindre y pourras (& ce t’eſt deu des cieus)
IoiLe branlant ſceptre d’Angleterre,
IoiEt de Naples les plaiſans lieus.
Voire trop plus : mais tinſſes-tu du monde,
La plus grand part humble ſous toi déia.
LaPriſe plus ceſte Ninfe blonde,
LaQue ce qu’Alexandre rengea.
Pour ton amour, ſa patrie & ſa mere,
Et, ſans regret, ſes hommes a laiſſés,
Et,Et, ſur vne fraile Galere,
Et,Les grans flots d’Océan paſſés.
Pour ton amour ſon langage d’Écoſſe,
Ell’oublia, & le tien elle aprit :
EllEt bref, par ceſte heureuſe noce
EllT’ofre ſceptre, cors, & eſprit.

Heureus mari, voici bien pour toi ores,
Le plus beau iour qui iamais éclaira,
Le Mais la nuit, toute noire, encores
Le Trop plus belle te ſemblera.
Pour ce iourdui laiſſe au grand Roi ton pere
Les ieus de Mars, la lice & le tournoi,
LesCar la patronne de Cithere
LesAutres combats dreſſe pour toi.
Trop eſt ta gauche a bien volter connue,
Ta deſtre auſsi à toute arme porter,
TaMais garde qu’vne vierge nue
TaTrop tot ne te puiſſe matter.
Quoi ? ia déia me ſemble ouir les ailes
Des cines blans : voici la coche d’or :
DeEt qui eſt ce plein d’étincelles,
DeCe voleur qui les paſſe encor ?
Ie le connoi, il a deus yeus en teſte :
Bien ſois venu, Amour honneſte & ſaint :
BieMais tres-loin ſoit de noſtre feſte,
BieL’aueugle, vicieus & feint.
Fai fondre ici, Venus, tes cines vites,
Dans la cité de ton iuge Paris :
DaDeſcen auecques tes Charites
DaSur ces celeſtes lis flouris.
Ô de Cithére & de Cypre l’idole,
Mere du monde, à ce coup puiſſes-tu
MeEn ces deus perles qu’on acole,
MeMontrer ta feconde vertu.

Vien, il eſt tems, nótre vierge connoitre,
Vien l’inſpirer : ton œil ſ’ébahira,
ViEt vn peu de ton front, peut-eſtre,
Vi(Ne te déplaiſe) en rougira.
Mais ceſt honneur, pour ceſte heure, Déeſſe,
Pardonne lui : car pas ne peut flourir
PaTouiour ceſte ſienne ieuneſſe,
PaNi iamais la tienne perir.
Fai, deuant toi, ce tien fils Himenée
Marcher armé de ſon pudique feu,
MaThalie, Aglæe, Euphroſinée,
MaIoignent l’indiſſoluble neu.
Que fai-tu plus ſur nótre demi monde
Tardif Soleil ? deſcendras-tu iamais ?
TaPlonge toi vitement en l’onde,
TaCar la nuit vaut mieus deſormais.
Paſſe leger, pique aual, pique, pique,
Découure nous la peinture des cieus,
Tu fais tort à ta ſeur vnique,
Car ſon croiſſant eſt de nos dieus.
De ta nuit, donq, tot nos yeus renuelope,
Blanche Diane, ainſi puiſſe donter
BlaTon grand Henri toute l’Europe,
BlaEt bien haut par tout te planter.
Ia ſes couleurs toute choſe a perdues,
Ie ſuis oui, rien que le ciel ne luit :
Ie ſTenebres ſe ſont épandues,
Ie ſEt voici l’amoureuſe nuit.

Ceſſez le bal, ceſſez le bal mes dames,
C’eſt trop tenu d’attente languiſſant,
C’eEn l’ardeur de ſes chaſtes flammes,
C’eCe ieune mari periſſant.
L’heure ſ’enfuit, par vous ſoit emmenée
La Ninfe ſage : helas, elle rougit :
La Ô douce vergoigne bien née,
La Que de modeſtie en toi git.
Va hardiment, va Reine bien heureuſe,
C’eſt à ton Roi, ton mari, que tu vas :
C’eDequoi, pucelle, es tu peureuſe ?
C’eC’eſt le ſeul ami que tu as.
Ce ſeul ami mille parens ſurpaſſe,
Ce ſeul ami mille reaumes vaut,
Ce Iamais ſa foi ne verras laſſe,
Ce Ni ſon cueur d’autre flamme chaut.
Roi Écoſſois, des François l’eſperance,
La nuit échape, & ie t’amuſe ici :
La Or t’en va prendre iouiſſance,
La Or t’en va la donner auſsi.
Or vous iouéz, or commencéz à viure,
Paiſséz vos yeus, beuéz mille plaiſirs,
PaiChacun de l’vn l’autre ſ’en-yure,
PaiEt immortels ſoient vos deſirs.
L’arbre acolé & le rampant Lierre
Plus fort que vous ne ſoient entr’embraſséz,
PluNi la vigne haute de terre
PluEt l’orme mieus entrelaſsés.

Tu cueilliras la demimure roſe,
La fraiche fleur, fille du point du iour,
La Pour toi ſeul ſi vermeille écloſe
La Dans le flouri iardin d’Amour.
Et dont la tige, entre tes mains feconde,
Iettonnera mille ſcions diuers,
IetQui doiuent iuſqu’aus fins du monde
IetEſtendre vn iour leurs rameaus vers.
Ie di tes fils, qui, tout tels que leur pere,
Au trais ſans plus, connus enfans du Roi,
AuDe la chaſteté de leur mere,
AuPar le viſage feront foi.
Or, chaſte lit, puiſſe ta molle plume
De paix & ioye vn ni touiours couuer.
De Iamais ſoupir ne ſ’y allume,
De Ne pleur n’i vienne rien lauer.
Il faut ſortir, fermés l’huis damoiſelles,
La nuit ſe pert, viués amans, viués :
La Ô que de garſons & pucelles
La Deſirent l’eur que vous aués :



Elegie 24. à Ian Fourdin.




Si le treſsor des Pindoiſes déeſſes,
À peu de gens chichement departi,
Si iM’auoit de ſes douces richeſſes
Si iOtroié quelque bon parti,
Si i’auois beu de l’heureuſe fontaine,
Qui fait du miel dans les goſiers ſacrés,

PieOu de ceſte Ronſarde veine
PieQui les bors du Loir a ſucréts :
Pieça, Fourdin, pieça bien empennée
Par mes eſcris, ta glore voleroit,
PaEt la plume à Vendome née
PaSon Dorat mieus n’extoleroit.
Douze Apollons, cent Muſes ie ſouhéte,
Non pour rebatre, ou le ſac d’Ilion,
NoOu la riche toiſon d’æéte,
NoOu le fier Néméan lion.
Mille menteurs, voulans d’vne fumée
Faire du plomb, ont reuomi ſans fruit
FaiToute l’Aganippe humée
FaiPour telles bourdes mettre en bruit.
Mais tout le don qu’en ce lieu ie demande,
Seroit, ſans plus, pour au vrai t’exprimer,
SerCombien la part eſt belle & grande
SerQu’en moi tu dois tienne eſtimer.
Foie & poumons, cueur & teſte ie t’ofre,
À éplucher : ſonne moi, touche moi,
À éTu as en ton Doublet vn cofre,
À éD’entier amour & pure foi.
Car, au laiſſer de mes nois pueriles,
Tu me receus blanc & vierge tableau,
TuSur qui, des lors, tes dois habiles
TuMenerent le premier pinceau.
Tu me montras de quel charme de langue
Vn Arpinois toute Rome enchantoit,

Ie Et de combien forte harangue
Ie Démoſténe vn Roi combatoit.
Ie vi la ville auec ſon Hector morte,
Qui mille naus plus de neuf ans ſoutint,
QuI’oui mentir de langue acorte,
QuCe Grec que Calipſon retint.
Ie vi ænée & Turne ſ’entrebattre,
Ie m’endormi au lut Auſonien,
Ie Et, ſis fois, me tint au theatre
Ie Le Comique Sidonien.
Par tous ceus-la, Fourdin, tu mis grand peine
À me létrer, & ma langue embellir,
À Mais c’eſt toute peinture vaine,
À Qui l’ame auſsi ne veut pollir.
Tres-clair miroer de vie entiere & ſainte,
Tes chaſtes meurs a nous touiours ſ’ofroient,
TeEt, nous bridant de douce creinte,
TeRien voir méchant ne nous ſoufroient.
Te ſouuient-il de cent douces fineſſes,
Dont, tout iouant, tromper nous ſoulois tu,
DoAlléchant nos tendres ieuneſſes
DoAus lettres & à la vertu ?
Mais, ſi n’a ſceu à tes labeurs répondre,
Ce mien eſprit à peu de glore né,
Ce(Car tu t’eforçois le ſemondre
CeÀ plus haut qu’il n’eſt déſtiné)
Ne vois tu pas ſur vne méme croppe,
Maint chéne droit iuſqu’au ciel ſe porter,

Le Et maint autre en la méme troppe,
Le Maleureuſement auorter ?
Le laboureur ſ’étonne que deuiennent,
Tant d’autres grains qu’il auoit épandus,
TaCar les vns, ſans plus, lui paruiénnent,
TaLes autres demeurent perdus.
Ainſi, Fourdin, ſi toute ta ſemence
Sur ce Doublet n’a rendu dine fuit,
SuVn Daniel (grand recompenſe)
SuPlus heureuſement as inſtruit.
Ie voi déia qu’vn dru tout blanc pennage,
Plume de cine, ailer lui vient le dos,
PluEt ſa bouche, par ton ménage,
PluBoit vn fleuue de ſucrez mots.
Ceſtui ſeul donc (pardonne m’en l’enuie)
Pourra ton nom du ſourd oubli ſauuer,
PoEt a perpetuelle vie,
PoAueques le ſien, éleuer.

Elegie 25. tirée d’vn epigramme Latin.



NOus admirons mille metamorphoſes
Du tems des dieus, age trop récité :
En peuMais ce ſiecle, en pareilles choſes,
En peuNe doit rien à l’antiquité.
En peu de rime & groſsiere écriture,
Vous peindrai ci d’vn trait de mon lourdois,
VoVne fort nouuelle auenture,
VoDigne de plus habiles dois.

Belle ſans pair, d’vn forgeron la femme,
Naguére oſa d’elle tant preſumer
NaQue d’vn chacun, la bonne dame,
NaSe faiſoit Venus ſurnommer.
Le bon mari, bien laid, comme lon conte,
Touiours ſuant, touiours tout potelé,
ToN’auoit pas lui-méme de honte
ToD’eſtre auſsi Vulcan appellé.
Mais ce pendant la reine de Cithére,
Des diuins noms tel emprunt n’endura,
DeAins pour vengeance tres-ſéuere
DeVoici qu’elle en délibéra.
Toi qui Venus, dit-elle, oſes te faire,
Sois donc Venus, de nom, d’eſprit auſsi :
SoEt toi, Vulcan : &, pour parfaire,
SoAiez méme ce Mars ici.
La choſe eſt dite, & faite tout enſemble,
Vn gras Prieur en eſt le braue Mars :
VnEt ceſte ci, qui Venus ſemble,
VnSe preſte à lui de toutes pars.
Tant qu’vne fois, par ſecréte pipée,
Le noir Vulcan les ſurprent embraſséz,
LeEt tous deus d’vne longue épée,
LeLes euſt à l’heure outre-percéz.
Mais, par pitié miſericordieuſe,
Les dieus benins (comme iadis ſouuent
LeEn l’antiquité fabuleuſe)
LeMirent leur puiſſance au deuant.

La poure femme eſt louue deuenue,
Gloute de proie : & ſon lou la rauit :
GlCar en lou, tout d’vne venue,
GlLe moine auſsi tourné ſe vit.
Le forgeron, a qui ſa femme on ote,
Mué ſe trouue en l’oiſeau mal plaiſant,
MuQui touiours touiours vne note
MuAu mois de Mai va rediſant.

Elegie 26. à Dieu pour la paix.



Si tu perméts, Pere treſ-debonnaire,
À toi parler, qui ſais ſans nótre vois,
DeigMieus que nous mémes nótre afaire,
DeigCar le fons de nos cueurs tu vois.
Deigne, Seigneur, qu’à ta grandeur i’adreſſe
Vn peu de mos, quelques ſoupirs auſsi :
VnCar pitié du monde me preſſe,
VnEt de ta glore le ſouci.
Voi tout puiſſant, voi, mes alége enſemble,
Ton poure peuple, aſsés aſsés puni :
ToVoici tant de maus, ce me ſemble,
ToQue rien ne t’y reſte impuni.
Ceus qui d’argent auoient leur force faite,
Vont mẽdiant, ceus qui creuoient d’orgueil,
VoOnt veu leur fortune défaite,
VoEt or leur ſouuient du cercueil.
Le citoien, loin de ſa cité, pleure,
Meurtri, brulé, pillé, banni, tout nu,

Le Car l’ennemi ſien y demeure,
Le Seigneur par force deuenu.
Le laboureur voit l’eſpoir de ſa peine
Par main étrange, auant l’Aout moiſſonné,
ParVoit ſes beufs qu’vn barbare emmeine,
ParEt ſon chome à Vulcan donné
Que veus-tu plus ? les grãs monarques mémes,
Quand il t’a pleu leur calme vn peu troubler,
QuOnt ſenti ſur leurs teſtes blémes,
QuLeurs triples couronnes trembler.
Qu’eſt-il beſoin toutes les verges dire
Dont ta vengeance, ô Dieu nous a touchés !
DoDouce toutesfois eſt ton ire,
DoEt trop moindre que nos pechés.
Pour nous, ſeigneur, de trop pl’ de mal dignes.
Chetifs hommeaus, race deüe à la mort,
ChNe difére pas nos ruines,
ChSi pitié ia ne t’en remord.
Mais qui ſera-ce en ceſt éfroi des armes,
Qui chantera les louanges de Dieu ?
QuEn ceſte tempeſte d’alarmes
QuTes cantiques auront-ils lieu ?
Quelque vaincu, rendant l’ame, peut-eſtre,
Aucuns ſoupirs, bien tard, t’adreſſera :
AuMais le vainqueur, ſans te connoitre,
AuSa ſeule glore penſera.
Ou eſt le Prince a la main non ſouillée,
Qui dine ſoit de ton temple batir,

NoSi ſa gent vn iour débroillée
NoVient à ta verité ſentir ?
Nos grãs ſeigneurs dreſſent des cãps cõtraires,
Non pour l’Aurore à ta foi conquerir,
NoAins freres le ſang de leur freres,
NoPar tout outrage vont querir.
Et qui vit onq vne beſte ſauuage,
Once tachée, ou Tigre au pié leger,
OnVenir à ceſte extréme rage
OnDe ſa propre eſpece outrager ?
Le Turc ſuperbe en va rendre la grace
Au ſourd tombeau en Méque idolatré,
AuPriant qu’en ta chrétienne race
AuDécord immortel ſoit entré.
Et ce pendant deſſous le mui demeure,
Ton feu celé : on te ſupprime ainſi,
ToEt tes vrais teſmoins pour ceſte heure
ToN’ont lieu ni audience ici
Or, fai Seigneur, ſur l’enclume remettre
Ces dars ſanglans, & tant de fer polu,
CeQui tout en bons picquois deut eſtre,
CeFaus & faucillons remoulu.
Tous ces couteaus que l’vn ſur l’autre on rue,
Commande donq qu’au feu ſoient repurgés,
CoEt pour l’innocente charrue,
CoEn maint coutre & ſoc reforgés.
N’endure plus ces horribles ſerpentes
Goſiers-d’ærein, tes foudres imiter,

Et,Toutes ces poudres violentes,
Et,Au fons de la mer fai ieter.
Et, pour ton nom, que ſeul toute la terre
Deut retentir, ſeul tout homme ſonner
DeDeigne à ton cher r’achaté gerre,
DePere de paix, ta paix donner.


FIN DES ELEGIES DE

IAN DOVBLET

Dieppoys.

EPIGRAMMES,
ET DIVERSES RIMES

DE IAN DOVBLET.


Premier Epigramme,
Imitation d’Anacreon.

                                     

Tionville ie veus dire,
Calais chanter ie deſire,
Mais ſonner onc ne voulut
Que d’amourétes mon lut.
Changé l’ai de façon toute,
De nerfs, de table & de coute,
Moy-méme rien n’y chantant
Que ce Henri tout domptant,
Mais touiours mes cordeletes
Me répondent d’amourétes.
MeAdieu donques deſormais,
Guerres & hommes armés,
Adieu vos glores hautaines,
Vaillans Rois & capitaines,
Car ce mien lut oſtiné,
N’eſt qu’aus amours deſtiné.


Inuention Greque d’Anacreon.



SVr les heures de minuit,
Lors que pieça tourne & luit
Ceſte lente chariote,
Que conduit l’enfant Boote,
Et laſſés les hommes tous,
S’étendent au ſomme dous,
Amour d’vne fauſſe ſorte
Vint martéler à ma porte.
Qui frape, di-ie, la bas ?
Vous me troublerés, helas,
Ce dous ſonge qui m’embraſſe.
CeN’ayés peur, ouurés, de graſſe,
Répont-il, ouurés moy l’huis,
Vn petit enfant ie ſuis,
L’eau me perce, on ne voit goute,
Et ne ſçai ou ie me boute.
Et I’eu pitié quant l’écoutai,
Et d’allumer me hatai,
I’ouure, & eſt vrai que i’auiſe
D’vn petit enfant la guiſe,
Mais il portoit arc turquois,
Longues ailes & carquois.
LoIe l’améne, ie le chaufe,
Ses mains des miennes rechaufe,
Et ſes creins moites pignant,
N’en ceſſoi’l'eau épréignant.

Et Puis, quand plus n’en y eut goute,
Et l’humeur fut ſeiche toute :
Et Ça, dit-il, faiſons l’eſſai
De ce petit arc que i’ai :
Voyons ſi l’eau de l’orage
A ma corde à fait dommage.
A Il bende, &, d’vn trait adroit,
Au milieu du cueur tout droit,
Comme vn Tan poignant m’afolle,
Puis me gaudiſſant ſ’enuole.
PuAdieu, dit-il, adieu donq
Mon ote, ie ne vi onq
Ceſte corde eſtre meilleure,
Mais plaie au cueur t’en demeure.

Dudit Anacreon.



Ce leger enfant Amour,
Cueillant des roſes vn iour,
N’aperceut point vne abeille
Dormant’en la plus vermeille,
Qui d’aguillion inhumain,
Au bout d’vn doit de la main
Lui lança pointure amere :
Il ſ’écrie, & en Cithére
A l’heure à l’heure volé,
Or ſuis-ie, mere, afollé,
Afollé ſuis-ie a ceſte heure,

Dit-il, & faut que i’en meure.
DiVn petit ſerpent volant,
(Ces ruraus vont l’appellant
Mouche à miel, ô fauſſe mouche)
M’a donné ceſte écarmouche.
M’Venus ſouriant adonq,
Si telle pointure donq,
Si attainte, ſi dépite,
Vient d’vne mouche petite,
Quel mal, mon fis, cuides-tu
Face ton long trait pointu ?

De fermeté.



CElle qui tient ma foi
Ne doit pas creindre,
Qu’autre iamais en moy
QuSe puiſſe empraindre.

Son image ſi bien
SoY eſt grauée,
Qu’elle n’en peut pour rien
QuEſtre leuée.

Amour, mon cueur n’eſt pas
AmDe cire tendre,
Car cent cous tu frapas
CaAins qu’i rien prendre.


Lors qu’il laiſſas en fin
LoDe ta main forte,
Ce viſage diuin
CeQu’au vif ie porte.

Sur la mort d’vn petit Perroquet,
auquel vne belette coupa
la gorge.



PLorés mignardes amourétes,
Dames blanches, dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi
Acompaignés ce dueil ici.
AcL’oizelet de madamoiſelle,
L’ébat & les delices d’elle,
L’honneur des petis perroqués,
Et dont les grans furent moqués,
Ores, par vne dent traiteſſe,
Parti de ſa douce maitreſſe,
À Proſerpine las, helas,
S’en eſt allé parler la bas.
Reſte, ſans plus, de ſi grand perte,
La plume iaune, rouge, verte :
Falloit-il encor, ô maleur,
Y voir de ſon ſang la couleur ?
Ces douceurs, las, meritoiẽt-elles
De Progné les taches cruelles ?
Maudit ſois tu, maudit cent fois

Muſeau cruel, ou que tu ſois :
Fauſſe meurtriére belléte,
Qui cete douce gorgeléte
De ta dent as oſé trencher :
Tant ton repas nous couſte cher.
TaLa nuit déia plus que demie
Tenoit toute choſe endormie,
Chacun repoſoit ſans ſouci,
Et le bon oiſelét auſsi,
Quand, toi ſeule par les tenébres,
Nous braſſant ces regrés funebres,
Vins adreſſer ton traitre pas
Au flair du precieus repas,
Et oſas, rauiſante beſte,
Meurtrir vne ſi chere teſte :
Il cria qu’on le ſecourut,
Mais parlant enſemble mourut.
Enſemble trépaſſe & ſ’éueille,
Leue enſemble & rabat l’oreille,
Et ſi treſ-piteus ſe rendort
Qu’on voit bien qu’il ronfle à la mort.
QuPlorés mignardes amouretes,
Dames blances, dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi
Acompaignez ce dueil ici.
AcAh, qui lors ſa maiſtreſſe eut veue,
Venir au ſecours demi nue
Se tourmenter, ſe ſammeſter,

Ses femmes à l’aide appeller,
On l’auroit certes comparée
À la Ciprienne éplorée
Quand du lit on la vit courir
Au tendron qu’vn porc fit mourir.
AuLa mort ſur l’oiſeau ia trop fiére,
Lui batoit l’aleine derniere,
De ſon bec la terre il mordoit,
Et les ailes roides tordoit,
Quand elle bien tard arriuée
Sentant la chaleur deriuée,
Et du cueur méme peu à peu
Fuir bondiſſant le dernier feu :
Dens l’yuoire de ſes mains cloſes,
L’étuue, & veut par mille choſes,
R’allumer les petis eſpris
Ia par trop de glace ſurpris :
Dans ſon lit plourante le porte
Et ores de mots le conforte,
Qui charmer deuſſent vn Enfer :
Ores l’eſpére rechaufer
Entre les deus pommes iumelles,
Ses deus reflotantes mamelles,
Qui, bien haut, ſous ceſt apre dueil
Bondir faiſoient leur dous orgueil.
Mais, ſurtout, le petit bec croche
Contre ſes leures elle approche :
Et comme nagueres ſouloit.

Baiſotant, donner lui vouloit
La douce liqueur de ſa bouche,
Mais, ce bien peu auant le touche.
MaPour tout cela l’horrible mort
Qui le haſte & preſſe trop fort,
D’vn ſeul ſoupir ne lui pardonne :
Ia l’ame extréme l’abandonne,
Ia ſont les yeus clos & ſellés,
Et les petis membres gélés.
Et Plorés mignardes amouretes,
Dames blanches dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi,
Acompaignés ce dueil ici.
AcOu es tu diſerte languette,
Ou es tu clere paroléte,
Et vous, helas, ou eſtes vous
Petit mignon, mignon ſi dous ?
Qui ſera Roi en voſtre place
Perroquet ? qui aura la grace
De dire ſi bien à ſon tour,
À madamoiſélle bon iour ?
Et toi cleret, par qui tout tourne,
Deuant l’œil de qui ſ’en atourne,
Qui te chantera deſormais
Mieus que lui, qui n’en beut iamais ?
Car de l’eau pure étoit contente
Sa petite gorge excellente.
Bien que quelquefois mignotant,

Sa maiſtreſſe, & la baiſotant
L’afeté, oſoit bien pour boire,
Fretiller ſa languete noire
Entre ce franc coral iumeau,
Y ſuſſant, qui le faiſait beau,
Vn miel, vn bame, vne eau de vie,
Donc nous tous lui portions ennie.
Et ſ’il ſe ſentoit nullement
Auoir fait choſe rudement,
Fut de ſon bec, fut de ſa pate,
Dieu ſait comme il auoit grand hate
S’étendre, de peur tout tranſi,
Humble, à l’enuers, criant merci.
HuMais, helas, ou eſt le merite
De ces douceurs ? que lui profite
Ce goſier, qui fut ſi diſpos
À reparler tous nos propos ?
Que lui vaut, ni maitreſſe honneſte,
Ni ce pourpre peignant ſa teſte,
Ceſt or, ceſt azur, ce vert gai,
Vert éfaçant le mois de mai ?
Il meurt, helas, auant ſon heure,
Et maint villain corbeau demeure.
Ce paſſetems on nous rauit,
Et l’ecouſte, pour nuire, vit.
Et Bonnes choſes ſont coutumiéres,
De faillir touiours les premiéres :
Et les pires, tout au rebours,

Volontiers fourniſſent leur cours.
Ainſi du bon Protheſilée
L’ame ieune fut exilée.
Le vil Therſite demeura,
Et ainſi Hector moins dura
Que Paris ſon feminin frere,
L’vn vaillant, & l’autre au contraire.
L’vQue dirai-ie des ſaints priez,
Tous l’vn apres l’autre criez ?
Ni pour eus, ni pour le bon zelle,
Des veus que fit madamoiſelle,
Na ſceu, des ſtigiennes eaus
Reuenir l’honneur des oiſeaus.
RePlorés mignardes amouretes,
Dames blanches, dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi
Acompaignés ce dueil ici.
AcSous les collines Elizées,
(Lieu des ames fauoriſées)
Y a, qu’a peine lon peut voir,
Vne forét d’Ebéne noir :
Dont la terre, que Léthe inonde,
Touiours d’vne herbe brune abonde.
La (ſi mainte doute lon croit)
S’en vont les bons oiſeaus tout droit :
Mais des autres ors & infames,
(Comme on dit) n’i entrent les ames
(CLà les blans cines ont leurs nis :

La vole l’vnique Phenis.
La le Pan étend ſa richeſſe.
La l’amant Roſignol ne ceſſe.
La fuit la Teurtre ſon épous.
La ſe baiſent les Pigeons dous.
Ceſte troppe, legeres ombres,
Iuſqu’au pas de leus bornes ſombres,
Sont venus humbles au deuant
Receuoir l’oiſelet ſauant,
Qui a pris ſa place eternelle,
De tout ce beau parc la plus belle,
Or eſſe-la comme ie croi,
Que vraiment Perroquet eſt Roi.


Epigramme du latin de Pulex.



GRoſſe de moi, a trois deuins ma mére
S’en enqueroit : l’vn vn fis annonça,
Et toPar l’autre vne fille elle eſpere,
Et toLe tiers, neutre me prononça.
Et tout fut vrai, car ie vins Androgine :
Puis, ſur ma mort : l’vn que pendu ſerai,
PuL’autre qu’vn glaiue eſt ma ruine,
PuLe tiers dit que ie me noiray.
Nul ne mentit. Eſtant monté à peine
Deſſus vn arbre au bort de l’eau tout pres,
DeI’auoie épée, ell’ſe dégaine,
DeEt ie tombe ſur elle apres,

La teſte en l’eau : mais venir n’i ſeut onques,
L’vn de mes piés aus branches acroché :
L’vAinſi, fils, fille, & neutre donques,
L’vIe fus noyé, tué, branché.


L’ænigme de Cleobule.



Vn pere douze enfans porte,
Qui en ont trente chacun,
Tous de diferente ſorte,
Si l’vn eſt blanc, l’autre eſt brun.
On les voit tous vn à vn,
Iamais deus ni trois enſemble,
Et ſans qu’il en meure aucun,
Tous les iours meurent, ce ſemble.


Auertiſſement aus dames.



Vn amant, pour gaigner
Ce qu’il deſire,
Iure ſans épargner,
IuPromet, ſoupire.

Puis quand il a trouué
PuQui le contente,
Et tantot abreué
Et Sa ſoif ardente,

Adieu la foi, adieu,
AdAu vent promeſſe,

Autant en autre lieu,
AuChangeons ſans ceſſe.

De ces dous iouuenceaus
DeGuetés vous, dames,
Qui, ſur leurs ans nouueaus,
QuSont pleins de flammes.

Plutot que paille au feu
PluD’ardeur ſ’ateignent,
Mais, durans auſsi peu,
MaTantot ſ’éteignent.

Comme amont & aual,
CoSoit chaut, ſoit glace,
Le veneur matinal
Le Vn liéure chaſſe :

Et puis, quand pris il eſt,
Et Bien peu le priſe,
Car la chaſſe lui plait
CaMieus que la priſe.

Ainſi ces ieunes cueurs
AiBien fort vous preſſent,
Mais rien que vos rigueurs
MaIls ne careſſent.

Car, moins les accoſtés,
CaPlus vous pourſuiuent,

Et tant leur reſiſtés,
Et Tant vous captiuent.

Mais ſi tot que ſur vous
MLeur point ils gaignent
Vous étes miſes ſous,
VEt vous dédaignent.

Et, par qui humblement
Et,Futes ſeruies,
Vous pleignés durement
VoEſtre aſſeruies.

Tantot leur feu leger
TaAilleurs va luire :
Glore font de changer,
GlEt tout ſeduire.

Non pas qu’à n’aimer point
NoIe vous exorte,
Et pitié, de tout point
Et Doiue eſtre morte.

Car, dames ſans ami
CaDe rien n’eſt dame,
Et ſon cors endormi
Et Lui rabat l’ame.

C’eſt la vigne ſans pal
C’eLaiſsée en friche,

Non ſoignée à l’egal
NoDe ſon fruit riche.

Ce poil folet ſans plus,
Ce Age trop tendre,
De conſtance eſtre exclus
DeDeués entendre.

Cueillés la grappe ainſi,
CuNon verte ou dure
Ni flaitriſſant auſsi,
Ni Comme trop mure.


D’abſence d’amie.



Le Soleil reculant
Nos iours nous rongne,
Et auec lui coulant
Et L’Eſté ſ’eloigne.

Les vens troublent la mer,
LeBranlent la terre.
Neige ſe voit ſemer,
NeGlace tout ſerre.

Il n’eſt plus d’oiſeau dous,
Il nQui chanter vueille,
Et plus ne voions nous
Et Ni fleur ni fueille


Ainſi ma vie en dueil
AiToute ſe tourne,
Quand, mon Soleil, ton œil
QuAilleurs ſeiourne.

Plus ne voi que langueur :
PluEt mille doutes
Viénent glacer mon cueur
ViéSans raiſon toutes.

L’Aout à beau arriuer
L’ACar, toi abſente,
Touiours ce triſte iuer
ToFaut que ie ſente.


Du 7.liu.des epigrammes Grecz.



CAtin mes eſpris me volle,
Et de ſes yeus, peu à peu
S’ellMe fait fondre, comme au feu
S’ellS’écoule vne cire molle.
S’ell’ eſt brune, moins vaut-elle ?
S’ellVn charbon eſt bien tout noir.
S’ellMais quand il ard, ſemble à voir
S’ellL’œil d’vne roſe nouuelle.


Dudit liure, Imitation Grecque.



ENtre les léures de Catin
Vn moite baiſer ai emblé.

Plus dous, plus fort, plus chaut que vin,
De ſucre & canelle comblé.
Et ce Nectar tel m’a ſemblé
Coulant par ma bouche rauie,
Qu’a ſentir mon cerueau troublé,
D’amour ſuis yure pour ma vie.


Autre imitation Greque du ſetieme liure
des Epigrammes.



PAr ton ſaint nom, Venus, ie le confeſſe,
Colérement ai iuré ce matin,
MaisQue d’vn mois (ô Dieus combien eſſe !)
MaisIe ne viſiterai Catin.
Mais, ô deéſſe, helas, ie lui pardonne :
S’il te plait donc, pardonne moi auſsi.
S’ilCar midi à grand peine ſonne,
S’ilEt ia demi mort ſuis ici.
Or, Aquilons, tout ce qu’vn amant iure
Souflés le au Su : quant à moy, i’aime mieus,
SoPrés d’elle m’éiouir pariure,
SoQue languir ſuperſtitieus.


Quatrain, imitation Greque.



QVe vaut, Catin, ceſte fuite friuole,
Eſſe qu’Amour ne te puiſſe attraper ?
SouflésTu es de pié, & ce Dieu vole,
SouflésComme penſes-tu échaper ?



Eue coniure auec le Serpent con-
tre l’homme.



DEs ceſte heure, auecque toi,
Cher Serpent, pour vne pomme,
Ie coniure contre l’homme,
Et fauſſe à iamais ma foi.
Par ce, que toute femelle,
D’vne malice éternelle,
Fera touiours comme moy.


Pris de l’epigramme Grec.



FEmme ne ſont que tourment,
Aumoins, iamais les meilleures,
Neurent que deus bonnes heures,
La noce & l’enterrement.


Du latin de Plaute.



S’il eſt quelcun qui deſire,
Sans nul repos ſ’empécher,
Deus cDeus choſes lui faut chercher,
Deus cVne femme & vn nauire.


Sur les œuures de Lucian, tiré de ſon
epigramme Grec.



LVcian qui fit ceci,
Aiant connu toutes choſes,

CaLes a dans ce liure encloſes,
CaFolles & ſages auſsi.
Car ce qu’vn homme bien fin,
CaEſtime eſtre grand prudence,
CaTout autrement qu’il ne penſe
CaN’eſt que follie en la fin.
Bref, en ce monde incertain,
CaNul ne peut penſer ne dire
CaRien qui puiſſe a tous ſufire
CaNe parfaictement certain.
Ains, ce qui te ſemblera
CaChoſe grande & admirable,
CaMoquerie & vaine fable
CaAu ſens d’vn autre ſera.


Sur les ruines de Rome tiré de l’epi-
gramme Latin.



EStranger qui viens, bon homme,
À Rome, pour Rome voir,
VoEt ne peus, méme dans Rome
VoRien de Rome aperceuoir,
Voi des murailles les maſſes,
VoVoi les marbres démolis
VoEt les grans deſertes places
VoDes théatres abolis.
Voi-la Rome : conſidere,
VoComme, morte qu’ell’ſoit or,

EllSa charoigne braue & fiere
EllSemble menaſſer encor.
Ell’a vaincu terre & onde,
EllPuis ell’ ſ’eſt veincue auſsi,
EllAfin qu’à veincre, du monde
EllNe lui reſtat rien ainſi.
Or, ſous ceſte Rome eſclaue,
EllRome la maitreſſe git,
EllEt l’aſſeruie & la braue
EllDorment en ce meſme lit.
Le Tibre, d’entiere marque,
EllReſte ſeul au nom Romain,
EllEt encor, ſous mainte barque,
EllÀ la mer file ſoudain.
Voi, combien peut la fortune,
EllCe qui ne bougeoit vient bas ;
EllEt ce qui n’a ceſſe aucune
EllDemeure, & ne ſe pert pas.


Du roiaume de Naples, immitation de l’epi-
gramme Grec, qui ſe commence,
Ἀγρὸς Ἀχαιμενΐδου.



I’Etoie au François vn iour,
À l’Eſpagnol ie ſuis ores,
Vn auVn autre & vn autre encores
Vn auY pourront faire leur tour.

Sienne me croit cetui ci,
SieL’autre auſsi me cuidoit ſienne,
SieEt quiconque apres y vienne
SieIl cuidera tout ainſi.
A qui, a qui ſuis-ie donq ?
A qC’eſt ici, ſans doute aucune,
A qLe roiaume de fortune,
A qQue garder nul ne peut onq.


Quatrein de Niobé.



De viue que i’étoi’, les dieus
Me feirent pierre par enuie :
Or Praxitel, faiſant trop mieus,
De pierre m’a remiſe en vie.


Du latin de Morus.



DOcte Docteur, touiours tu nous viens dire
La lettre occit, tu n’as que ce propos,
MaisLa lettre occit : tant le redire ?
MaisTu nous occis de ces deus mos :
Mais, quant à toi, tu as donné bon ordre,
Que nulle lettre occir onq’ ne te vint :
QuLettres n’ont garde de te mordre,
QuCar te voir onq’ ne leur auint.
Si n’eſſe à tort que tu creins, teſte ſote,
D’en eſtre occis : bien t’en dois ſoucier :

Car tu n’as d’eſprit vne iote,
Qui te puiſſe viuifier.


Du latin d’Éraſme.



Ce Iupiter, des antiques l’idole,
(Si telle fable a quelque foi encor)
MaisAbuza vne Europe folle
MaisSous le cornu maſque d’vn tor.
Mais auiourdui, & ce ne ſont plus fables,
Sous humbles peaus d’aignelés innocens,
SoMille ſortes de maſqués Diables
SoMettent la nótre hors du ſens.



FIN DES EPIGRAMMES
de ian dovblet
Dieppoys.
EXTRAIT DV PRIVILEGE.


IL eſt permis à Charles Langelier Libraire iuré de l’Vniuerſité de Paris, de faire imprimer & mettre en vẽte vn petit liure, intitulé Elegies de Ian Doublet Dieppoys, Et auons inhibé & defendu à tous Imprimeurs & Libraires, & autres marchans quelz qu’ilz ſoyent, d’en imprimer ou faire imprimer, vendre ne diſtribuer, autres que ledict Langelier aura faict imprimer, iuſques à ſix ans prochainement venans, à conter du iour que leſdictes Elegies auront eſtez acheuées d’imprimer. Et ce ſur peine de confiſcation deſdictz liures & d’amende arbitraire, ainſi qu’il eſt plus amplement contenu en ſes lettres de priuilege. Donné à Paris, le ſeizieſme iour de Ianvier, l’an de grace mil cinq cens cinquantehuict.

Et de noſtre regne le douzieſme,
Par le conſeil.

DECOVRLAY.