Élégies et Sonnets/À Mademoiselle Clémence de Bourges
À MADEMOISELLE
CLÉMENCE DE BOVRGES,
LIONNOIZE
stant le tems venu, Mademoiselle, que
les seueres loix des hommes n’empeschent plus femmes de s’appliquer
aus sciences et disciplines ; il me semble que
celles qui ont la commodité, doiuent employer
cette honneste liberté que notre sexe ha autrefois
tant désirée, à icelles aprendre : et montrer aus
hommes le tort qu’ils nous faisoient en nous
priuant du bien et de l’honneur qui nous en pouuoit venir : Et si quelcune paruient en tel
degré, que de pouuoir mettre ses concepcions
par escrit, le faire songneusement et non
dédaigner la gloire, et s’en parer plustot que de
chaînes, anneaus, et somptueus habits : lesquels
ne pouuons vrayement estimer notres, que par
usage. Mais l’honneur que la science nous procurera,
sera entièrement notre : et ne nous
pourra estre oté, ne par finesse de larron, ne
force d’ennemis, ne longueur de tems. Si j’eusse
esté tant fauorisée des Cieus, que d’auoir l’esprit
grand assez pour comprendre ce dont il ha ù
enuie, ie seruirois en cet endroit plus d’exemple
que d’amonicion. Mais ayant passé partie de
ma ieunesse à l’exercice de la Musique, et ce
qui m’a resté de tems l’ayant trouué court pour
la rudesse de mon entendement, et ne pouuant
de moymesme satisfaire au bon vouloir que ie
porte à notre sexe, de le voir non en beauté
seulement, mais en science et en vertu passer
ou égaler les hommes : ie ne puis faire autre
chose que de prier les vertueuses Dames d’esleuer un peu leurs esprits par dessus leurs quenoilles
et fuseaus, et s’employer à faire entendre au
monde que si nous sommes faites pour commander,
si ne deuons nous estre dédaignees
pour compagnes tant es afaires domestiques que
publiques, de ceus qui gouuernent et se font
obeïr. En outre la reputacion que notre sexe en
receura nous aurons valù au publiq, que les
hommes mettront plus de peine et d’estude aus
sciences vertueuses, de peur qu’ils n’ayent honte
de voir preceder celles, desquelles ils ont pretendu
estre toujours superieurs quasi en tout.
Pource, nous faut il animer l’une l’autre à si
louable entreprise : De laquelle ne deuez
eslongner ni espargner votre esprit, ià de plusieurs
et diuerses graces accompagné : ny votre
ieunesse, et autres faueurs de fortune, pour
aquerir cet honneur que les lettres et sciences
ont acoutumé porter aux personnes qui les
fuyuent. S’il y ha quelque chose recommandable
après la gloire et l’honneur, le plaisir que
l’estude des lettres ha acoutumé donner nous y doit chacune inciter : qui est autre que les
autres recreacions ; desquelles quand on en ha
pris tant que l’on veut, on ne se peut vanter
d’autre chose, que d’auoir passé le temps. Mais
celle de l’estude laisse un contentement de foy,
qui nous demeure plus longuement. Car le
passé nous réjouit, et sert plus que le présent :
mais les plaisirs des sentimens se perdent incontinent,
et ne reuiennent iamais, et en est quelquefois
la memoire autant facheuse, comme les
actes ont esté delectables. Dauantage les autres
voluptez sont telles, que quelque souuenir qui
en vienne, si ne nous peut il remettre en telle
disposicion que nous estions : et quelque imaginacion
forte que nous imprimions en la teste,
si connoissons nous bien que ce n’est qu’une
ombre du passé qui nous abuse et trompe.
Mais quand il auient que mettons par escrit nos
concepcions, combien que puis après notre
cerueau coure par une infinité d’afaires et incessamment
remue, si est ce que longtems apres
reprenant nos escrits, nous reuenons au mesme point, et à la mesme disposicion ou nous
estions. Lors nous redouble notre aise : car
nous retrouuons le plaisir passé qu’auons ù ou
en la matière dont escriuions, ou en l’intelligence
des sciences ou lors estions adonnez. Et
outre ce, le iugement que font nos fecondes
concepcions des premieres, nous rend un singulier
contentement. Ces deus biens qui prouiennent
d’escrire vous y doiuent inciter, estant
asseuree que le premier ne faudra d’acompagner
vos escrits, comme il fait tous vos autres actes
et façons de viure. Le second sera en vous de le
prendre, ou ne l’auoir point : ainsi que ce dont
vous escrirez vous contentera. Quant à moy
tant en escriuant premièrement ces ieunesses
que en les reuoyant depuis, ie n’y cherchois
autre chose qu’un honneste passetems et moyen
de fuir oisiueté : et n’auoy point intencion que
personne que moy les dust iamais voir. Mais
depuis que quelcuns de mes amis ont trouué
moyen de les lire sans que i’en susse rien, et
que (ainsi comme aisément nous croyons ceus qui nous louent) ils m’ont fait à croire que les
deuois mettre en lumière : ie ne les ay osé
esconduire, les menassant ce pendant de leur
faire boire la moitié de la honte qui en prouiendroit.
Et pource que les femmes ne se
montrent volontiers en publiq seules, ie vous
ay choisie pour me servir de guide, vous
dediant ce petit euure, que ne vous enuoye à
autre fin que pour vous acertener du bon
vouloir lequel de long tems ie vous porte, et
vous inciter et faire venir enuie en voyant ce
mien euure rude et mal bâti, d’en mettre en
lumière un autre qui soit mieus limé et de
meilleure grace.
Dieu vous maintienne en santé.