Éléments de la philosophie de Newton/Édition Garnier/Partie 3/Chapitre 13

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CHAPITRE XIII.
Des comètes ; du pouvoir de l’attraction sur elles. — Anciennes idées sur les comètes, rectifiées par Tycho-Brahé. Vérité et erreur dans Descartes. Les comètes doivent nécessairement décrire une section conique autour du soleil. Chemin des comètes. Pourquoi une comète, en passant près du soleil, ne tombe point sur cet astre. Les comètes sont des corps opaques. Elles sont des planètes. Difficulté de connaître leur retour. Ce que c’est que la queue des comètes. Méprise de Descartes sur la queue des comètes. Newton a mesuré la ligne que doit décrire la queue d’une comète en plusieurs années. Usage probable des comètes.

Puisque l’attraction agit ainsi sur tous les corps célestes, on voit aisément que sa puissance doit s’étendre sur les comètes qui viennent traverser un ciel au centre duquel est le soleil. Pour voir les progrès de la raison humaine, il n’est pas inutile de rappeler ici la pensée d’Aristote et de tous les péripatéticiens sur les comètes : ils croyaient que c’étaient des exhalaisons. Ces globes, dont l’orbite s’étend si loin au-dessus de Saturne, leur paraissaient des feux follets placés fort au-dessous de la lune, qui était, selon eux, la sphère du feu.

Il est vrai que, longtemps avant Aristote, on avait eu, en Égypte et à Babylone, des notions bien plus saines de l’astronomie. Pythagore, qui avait voyagé dans l’Orient, en avait rapporté non-seulement la connaissance du vrai système du monde, renouvelé depuis par Copernic, mais il y avait encore puisé l’idée que les comètes sont des planètes qui tournent autour du soleil.

Il est à croire que les Orientaux avaient deviné ces vérités par une suite de conséquences qui apparemment ne parvinrent pas jusqu’aux Grecs, lorsque Alexandre envoya les observations babyloniennes à Aristote. Il faut faire l’honneur aux Grecs de croire qu’ils n’auraient point corrompu à plaisir des systèmes bien prouvés, pour leur en substituer de si faux et de si peu philosophiques.

Tycho-Brahé fut le premier des modernes qui osa dire que les comètes n’étaient point au-dessous de la lune, et qu’elles allaient jusqu’à l’apogée de Vénus. Il était trop peu hardi.

Descartes, qui n’en avait point observé, jugea pourtant qu’elles pouvaient dans leurs cours s’élever fort au-dessus de Saturne ; mais en quoi il se trompa, ce fut en assurant sans aucune preuve, et même sans vraisemblance, que les comètes ne s’approchaient jamais plus près de nous que vers l’orbe de Saturne: ce qui le jetait dans cette erreur était cette hypothèse de tourbillons de matière subtile, qui mène toujours à la fausseté.

Il sentait la difficulté qu’il y aurait eu dans son système à faire circuler, contre l’ordre des signes, ces globes étrangers au milieu de nos planètes, et dans ce plein de matière subtile.

Il les regardait donc à la vérité comme des globes célestes ; mais, ne se servant dans cet examen que de son imagination, il disait que c’étaient des soleils encroûtés qui, ayant quitté le centre de leur tourbillon, s’en allaient éternellement et le plus qu’ils pouvaient en ligne directe des confins d’un tourbillon dans les confins d’un autre tourbillon, sans que dans ce plein infini, et dans le cours de ces torrents immenses différemment emportés, leur marche fût interrompue. De quel égarement sont susceptibles les plus grands génies, quand l’esprit de système et d’hypothèse les conduit !

Les comètes ne vont point en ligne droite, et n’y sauraient aller : car, puisqu’elles traversent les orbes des planètes, elles sont dans la sphère d’activité de la gravitation du soleil, ainsi que les planètes. Il faut donc de deux choses l’une, ou que le soleil les attire à son centre par une ligne perpendiculaire, ou qu’elles décrivent autour du soleil quelque section conique. Or Newton, aidé du célèbre astronome Halley, le Cassini d’Angleterre, ayant suivi dans son cours cette comète de 1680, qui fit tant de bruit, inventa une nouvelle théorie par laquelle il détermina la figure de l’orbite que devait décrire cette comète. Cassini le père avait déjà fixé la route que devait décrire la comète de 1664 ; il avait osé le premier prédire le cours d’une comète : l’astronomie n’avait encore produit rien de si hardi. Newton embrassa une théorie générale ; il prouve que toute comète doit paraître décrire une parabole autour du soleil, et assigne l’espèce de parabole qu’elle doit paraître décrire dans tous les cas.

Ensuite, par cette même théorie, il détermine comment cette parabole apparente se change en effet en une ellipse ; et il fait voir que la comète de 1680 achève son cours dans une ellipse si approchante de la parabole, et si excentrique au soleil, qu’elle doit faire son chemin en 500 et tant d’années : ce qui prouve l’extrême longueur de son orbite, puisque Saturne, si éloigné du soleil, achève pourtant son cours en trente années.

Voici le chemin de la comète A (figure 72), dans une ellipse autour du soleil ; cette comète suivrait son cours en G, et ne reviendrait plus si elle suivait une parabole.

Mais, puisqu’elle est dans la sphère d’activité du soleil, elle doit l’avoir pour centre de son mouvement ; ainsi, à mesure qu’elle décrit la parabole A G, elle est ramenée par la gravitation vers le soleil, dans cette autre courbe A E D : ceux qui demandent pourquoi les planètes, étant dans leur périhélie, ne tombent point dans le soleil, peuvent, à plus forte raison, s’étonner qu’une comète qui passe si près de cet astre ne soit point engloutie par la force de l’attraction, qui augmente selon le carré de rapprochement, c’est-à-dire que la comète étant cent fois plus près, est dix mille fois plus attirée vers le centre du soleil.

La comète de 1680, par exemple, descendit si près du soleil qu’elle n’en était éloignée que de la sixième partie de cet astre.

Qu’on se souvienne ici de la grande règle de Galilée : un corps qui tombe acquiert toujours de nouveaux degrés de vitesse ; or, cette planète tombant presque en ligne parabolique vers le corps du soleil, garde à chaque instant la somme des forces acquises dans les instants précédents : ainsi cette force augmente tellement qu’elle en a autant pour remonter qu’elle en a eu pour descendre ; et elle repasse par les mêmes degrés de vitesse, comme un pendule qui fait ses vibrations.

Si on demande à présent quelle preuve on a que les comètes sont des corps opaques comme des planètes, et non des exhalaisons de feu, cette preuve est aussi aisée qu’indubitable.

1° La comète de l’année 1680 n’était pas, dans son périgée, éloignée du bord du soleil de la sixième partie du disque de cet astre. Il est aisé de calculer de combien cette comète devait être plus échauffée que la terre : donc il fallait que ce fût un corps très-solide pour que cet embrasement ne le détruisît pas.

2° La clarté des comètes augmente à nos yeux quand elles sont près du soleil, et diminue quand elles s’en éloignent : donc elles réfléchissent la lumière du soleil comme les autres planètes.

Voilà donc notre monde bien augmenté de ce qu’il était autrefois. Avant Galilée, on comptait sept planètes en y mettant très-mal à propos le soleil ; en voici seize aujourd’hui, dans lesquelles la terre se trouve, sans compter l’anneau de Saturne ; et il y a quelque apparence qu’on connaîtra un jour un certain nombre de ces autres planètes, qui, sous le nom de comètes, tournent comme nous autour du soleil ; mais il ne faut pas espérer qu’on les connaisse toutes.

Il est vrai qu’il faut des observations bien fines, et des mesures exactes jusqu’au plus grand scrupule, pour déterminer l’orbite de ces globes ; la moindre erreur peut faire une différence de plusieurs centaines d’années.

C’est peut-être une de ces petites erreurs qui trompa le célèbre mathématicien Jacques Bernouilli. Il assura que la comète de 1680 reparaîtrait au mois de mai 1719 ; il ne lui donnait qu’une période d’environ quarante années, ce n’était que dix ans de plus qu’à Saturne ; cependant son orbite était incomparablement plus excentrique au soleil que celle de Saturne. Newton trouve que l’orbite de cette comète est à celle que décrit Saturne, à peu près comme 16 est à 1, et qu’ainsi son cours devait être de plus de cinq cents années.

Pour s’assurer du cours et du retour des comètes, il faudrait premièrement une longue suite bien conservée d’observations exactes ; ensuite, si une comète fait en même temps le même chemin à la même distance, avec la même chevelure et la même queue qu’une comète observée autrefois, on ne sera pas encore absolument certain que cette comète soit la même : car il se peut très-bien faire qu’une comète dont on attendait le retour ait été détournée de son chemin par l’attraction de quelques corps célestes, laquelle aura changé sa courbe. Cette courbe, qui passait auparavant à quelque distance du soleil, aura passé depuis dans cet astre, et la comète y aura été engloutie ; une autre aura pris sa place par l’attraction de ce même corps céleste, et ce sera cette autre comète qu’on reverra à la place de celle qu’on attendait. Ainsi, après des observations de plusieurs milliers de siècles, on ne pourrait se flatter d’avoir une théorie bien démontrée des comètes.

Quant à ce qu’on nomme la queue, la chevelure et la barbe de la comète, c’est une longue traînée de lumière assez faible qui l’accompagne, tant quelle est exposée à notre vue : on l’appelle barbe, quand la comète parait à l’orient du soleil, et que cette lumière semble la précéder ; on l’appelle queue, quand elle est à l’occident, et que cette lumière semble la suivre. On l’appelle chevelure lorsque, étant en opposition avec le soleil, sa lumière semble plus répandue autour d’elle.

La situation de cette lumière, qui varie par rapport à nous, est toujours la même par rapport au soleil ; elle est toujours opposée à cet astre ; et cette vérité était connue dès le xvie siècle ; elle avait été découverte par Pierre Appien.

La queue des comètes est toujours moins brillante à mesure qu’elles s’éloignent du soleil.

Descartes s’est mépris dans l’explication de cette queue des comètes ; il prétendait que c’était une réfraction de la lumière de ces astres. Une seule réflexion renverse ce système. Les planètes ont beaucoup plus de lumière que les comètes : elles devraient donc avoir des queues, des chevelures, des barbes beaucoup plus longues; elles n’en ont point du tout. Cette explication de Descartes est donc sensiblement fausse.

Newton ajoute à cet argument contre Descartes une autre objection non moins décisive : c’est que si la réfraction de la lumière réfléchie du corps des comètes causait ces traînées de lumière, ou devrait y voir des couleurs différentes, attendu la grande inégalité des réfractions dans la longueur de ces queues.

Ces traînées de lumière ne sont autre chose que des parties enflammées de la comète même, que le soleil détache de ces globes qui approchent de lui. La preuve en est que ces vapeurs sont très-faibles et à peine visibles quand la comète commence à venir dans son périhélie ; mais, à mesure qu’elle en approche, la traînée de feu augmente de grandeur et d’éclat ; sa plus grande étendue et sa plus grande clarté paraissent quand elle sort du voisinage du soleil, comme des charbons qui sortent en fumant d’un foyer ardent.

Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que Newton a mesuré la ligne que décrit cette fumée de la comète, et de combien elle est moins courbe quand la comète remonte dans sa ligne elliptique ; et il a fait voir que cette traînée de lumière était continuellement renouvelée.

Si dans une philosophie toute mathématique, toute fondée sur l’expérience et le calcul, il est permis d’avancer des probabilités, je dirai que Newton a soupçonné dans les comètes une fin et un usage fort contraires à ce qui était établi par la superstition de tous les temps.

Loin que les comètes soient dangereuses, loin qu’elles doivent exciter la crainte, elles sont, selon lui, de nouveaux bienfaits du Créateur. Les hommes, qui, par je ne sais quelle fatalité, représentent toujours la Divinité malfaisante, les regardaient comme des signes de colère et comme des présages de destruction. Newton, au contraire, les regarde avec raison comme des effets de la bonté divine, et physiquement nécessaires aux mondes dans le voisinage desquels elles voyagent ; il soupçonne que les vapeurs qui sortent d’elles sont attirées dans les orbites des planètes, et servent à renouveler l’humidité de ces globes terrestres, qui diminue toujours. Il pense encore que la partie la plus élastique et la plus subtile de l’air que nous respirons nous vient des comètes. Il a surtout, ce me semble, grande raison de croire qu’elles renouvellent quelquefois la substance du soleil. La courbe qu’elles décrivent, la proximité où elles sont souvent de cet astre, rendent cette opinion plus que probable. Il me semble que c’est deviner en sage, et que si c’est se tromper, c’est se tromper en grand homme.

Mais ce qui n’est, ce me semble, ni deviner ni se tromper, c’est de conclure de la route des comètes que le plein et les tourbillons sont impossibles : car plusieurs comètes ont traversé d’orient en occident, et du sud au nord, et du nord au sud les orbites des planètes ; et toute comète qui se trouve dans la région de Mars, de Jupiter ou de Saturne, va incomparablement plus vite que Mars, Jupiter et Saturne, comme je l’ai déjà dit. Donc enfin les planètes, soumises aux lois de la gravitation comme tous les autres corps, anéantissent sans réplique l’hypothèse du plein et des tourbillons.