Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Éloge de Vincent de Gournay/Observations de l’éditeur

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Œuvres de Turgot, Texte établi par Eugène DaireGuillaumintome I (p. 257-258).


ÉLOGE DE GOURNAY.



OBSERVATIONS DE L’ÉDITEUR.

Le nom propre qui sert de titre à ce travail n’est pas un obstacle à ce que nous le placions après les Mémoires qu’on vient de lire, car il continue le développement des doctrines économiques de Turgot. On conçoit, en effet, que l’éloge de l’auteur de la célèbre formule du Laissez-faire et laissez-passer, doit se confondre avec celui même de la liberté du commerce et de l’industrie. On trouvera, dans le panégyrique de cette dernière, un genre d’éloquence qui ne pouvait se rencontrer que sous la plume d’un témoin oculaire des maux qu’entraîne après soi la servitude du travail. C’est le tableau, daguerréotypé pour ainsi dire, de toutes les souffrances que cause au corps social la manie présomptueuse de vouloir réglementer la production et la distribution de la richesse. Non-seulement Turgot l’a tracé de main de maître, quoique dans une forme très-simple, mais il n’a pas borné là son œuvre ; et, retournant les faits sous toutes les faces, il nous montre quels intérêts les ont enfantés, et quels sophismes tendent à les maintenir. Il y a dans cet écrit, toujours plein de gravité, une ironie poignante et perpétuelle qui ressort du fond des choses, et qui, par cela même, n’impressionne que plus vivement le lecteur. C’est ainsi, par exemple, qu’on ne peut défendre son âme d’une sorte de dégoût et de pitié pour l’époque contemporaine de ce grand homme, quand il laisse échapper ces paroles : « Vous avez quatre volumes in-4o d’instructions, de règlements, pour fixer la longueur et la largeur de chaque pièce d’étoffe, et pour déterminer la longueur des fils dont elle sera composée ; mais, dans le même pays où la puissance publique s’abîme dans ces minutieux et ridicules détails, la loi abandonne à la jurisprudence des tribunaux, à l’arbitraire du juge, quoi ?… l’application de la peine de mort ! »

La liberté du travail, dans l’intérêt de l’État, des producteurs et des consommateurs, telle est, en résumé, la thèse soutenue par Turgot dans le pieux hommage qu’il rend à la mémoire d’un homme dont la science de l’économie politique devra toujours honorer le nom. Pour juger du mérite des développements qu’y a donnés l’auteur, il faut avant tout se rappeler la date de cet écrit, et ne pas perdre de vue qu’il précédait de quinze ans l’immortel ouvrage de la Richesse des nations. Enfin, comme nous l’apprend la lettre qui l’accompagne, Turgot avait rédigé ce travail à la hâte, et il n’y voyait qu’une simple note destinée à fournir à Marmontel, officiellement chargé de l’éloge de Gournay, les matériaux nécessaires à cet académicien pour accomplir la mission qui lui était confiée.

Nous rattachons à cet éloge le préambule que lui avait donné Dupont de Nemours, dans la notice suivante sur les Économistes du dix-huitième siècle. (E. D.)