Éloge de la folie (Nolhac)/XXIII

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Traduction par Pierre de Nolhac.
Garnier-Flammarion (p. 32-33).

XXIII. — N’est-ce pas au champ de la guerre que se moissonnent les exploits ? Or, qu’est-il de plus fou que d’entamer ce genre de lutte pour on ne sait quel motif, alors que chaque parti en retire toujours moins de bien que de mal ? Il y a des hommes qui tombent ; comme les gens de Mégare, ils ne comptent pas. Mais, quand s’affrontent les armées bardées de fer, quand éclate le chant rauque des trompettes, à quoi seraient bons, je vous prie, ces sages épuisés par l’étude, au sang pauvre et refroidi, qui n’ont que le souffle ? On a besoin alors d’hommes gros et gras, qui réfléchissent peu et aillent de l’avant. Préférerait-on ce Démosthène soldat qui, docile aux conseils d’Archiloque, jeta son bouclier pour fuir, dès qu’il aperçut l’ennemi ? Il était aussi lâche au combat que sage à la tribune. On dira bien qu’en guerre l’intelligence joue un très grand rôle. Dans le chef, je l’accorde ; encore est-ce l’intelligence d’un soldat, non celle d’un philosophe. La noble guerre est faite par des parasites, des entremetteurs, des larrons, des brigands, des rustres, des imbéciles, des débiteurs insolvables, en somme par le rebut de la société, et nullement par des philosophes veillant sous la lampe.