Épîtres (Voltaire)/Épître 75

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 343-344).


ÉPÎTRE LXXV.


À MONSIEUR LE MARÉCHAL DE SAXE[1],
EN LUI ENVOYANT LES ŒUVRES DE M. LE MARQUIS DE ROCHEMORE,
SON ANCIEN AMI, MORT DEPUIS PEU.
(Ce dernier est supposé lui faire un envoi de l’autre monde.)


Je goûtais dans ma nuit profonde
Les froides douceurs du repos,
Et m’occupais peu des héros
Qui troublent le repos du monde ;
Mais dans nos champs élysiens
Je vois une troupe en colère
De fiers Bretons, d’Autrichiens,
Qui vous maudit et vous révère ;
Je vois des Français éventés,
Qui tous se flattent de vous plaire,
Et qui sont encore entêtés
De leurs plaisirs et de leur gloire,
Car ils sont morts à vos côtés
Entre les bras de la Victoire,

Enfin dans ces lieux tout m’apprend
Que celui que je vis à table
Gai, doux, facile, complaisant,
Et des humains le plus aimable,
Devient aujourd’hui le plus grand.
J’allais vous faire un compliment ;
Mais, parmi les choses étranges
Qu’on dit à la cour de Pluton,
On prétend que ce fier Saxon
S’enfuit au seul bruit des louanges,
Comme l’Anglais fuit à son nom.
Lisez seulement mes folies,
Mes vers, qui n’ont loué jamais
Que les trop dangereux attraits
Du dieu du vin et des Sylvies :
Ces sujets ont toujours tenté
Les héros de l’antiquité
Comme ceux du siècle où nous sommes :
Pour qui sera la volupté,
S’il en faut priver les grands hommes ?



  1. Je crois cette épître de 1748. C’est d’elle qu’il doit être question dans la lettre à Mme  d’Argental, du 25 février 1748. Rochemore mourut en 1740 ou 1743. Ses poésies n’ont jamais été recueillies. Une lettre en prose et en vers, qu’il avait adressée au comte d’Argental, est imprimée dans le tome II de la Correspondance littéraire de Grimm. (B.)