Épitres (Horace, Panckoucke)/I/7

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Épitres
Traduction par Collectif dont C.-L.-F. Panckoucke.
Texte établi par Charles-Louis-Fleury PanckouckeC.L.F. Panckoucke (2p. 241-247).

ÉPITRE VII. A MÉCÈNE .

Je t'avais promis de ne rester que cinq jours à la campagne, et, infidèle à ma promesse, je me fais désirer pendant tout le cours de Sextile. Mais, si tu tiens à me voir bien portant, il faut m'accorder, quand je redoute la maladie, l'indulgence que tu ne me refuses pas quand je suis malade, surtout à cette époque où les premières figues et les chaleurs entourent de ses noirs licteurs le chef des cérémonies funèbres ; où il n'est point de père, de tendre mère qui ne tremblent pour leur fils ; où les soins de l'amitié et les fatigues du barreau amènent les fièvres et ouvrent les testaments. Quand l'hiver viendra blanchir de ses frimas les plaines d'Albe, ton poète descendra vers la mer, et, soigneux de sa personne, s'enfermera avec ses livres ; puis il ira, cher ami, te revoir, si tu le permets, avec le zéphyr et les premières hirondelles.

Tu n'as pas, pour m'enrichir, imité l'hôte de la Calabre, quand il offre ses fruits. « Mange donc, mon cher. — J'en ai assez. — Eh bien, emportes-en tant que tu voudras. — C'est trop d'obligeance. — Ce petit présent ne déplaira point à tes marmots. — Je suis aussi reconnaissant que si j'en emportais ma charge. Comme tu voudras : on va donner le reste aux pourceaux. » C'est ainsi qu'une sotte prodigalité donne ce qu'elle méprise et dédaigne. De là ces moissons d'ingrats qui pullulent et pulluleront chaque année.

L'homme de bien, le sage, se déclare prêt à obliger ceux qui le méritent, et cependant il sait distinguer l'argent des lupins. Je me montrerai digne d'un bienfaiteur tel que toi. Mais, si tu veux que je ne te quitte jamais, rends-moi ma santé, rends-moi la noire chevelure qui ombrageait mon front ; rends-moi mon doux parler, mon gracieux sourire, et les regrets que m'inspirait au milieu du vin la fuite de l'agaçante Cynare.

Un mulot effilé s'était un jour glissé, par une fente étroite, dans un muid de blé. Bien repu et la panse pleine, il tentait vainement d'en sortir : « Si tu veux t'échapper d'ici, lui crie de loin une belette, il te faut maigre repasser le trou par lequel tu t'es maigre introduit. » Si l'on m'adresse cet apologue, je suis prêt à tout rendre, on ne m'a jamais vu, rassasié de bonne chère, vanter le sommeil du peuple, et je ne change point mon oisive indépendance pour les trésors de l'Arabie. Tu m'as souvent loué de ma modération ; tu m'as entendu te donner les noms et de prince et de père, et je ne te les ai pas épargnés en ton absence : essaie si je pourrai sans regret te rendre tous tes dons. Télémaque, le fils du patient Ulysse, disait avec raison : « Non, Ithaque n'est point faite pour des coursiers ; elle n'offre ni vastes plaines ni gras pâturages : je laisserai donc entre tes mains, Atride, des présents qui te conviennent mieux. » Aux petits il faut peu, et la pompe royale de Rome a moins de charme à mes yeux que la solitude de Tibur ou les délices de Tarente.

Un citoyen actif et ferme, un orateur illustré par ses triomphes au barreau, Philippe, revenait un jour de ses travaux vers huit heures, et se plaignait que l'âge lui allongeât le chemin du Forum aux Carènes, quand il aperçut, dit-on, dans la boutique solitaire d'un barbier, un homme frais rasé qui, un petit couteau à la main, se coupait tranquillement les ongles. « Demetrius, dit-il (c'était le nom de l'adroit esclave chargé des ordres), va, informe-toi, et reviens m'apprendre quelle est sa famille, son nom, sa fortune, son père ou son patron. » L'esclave va, revient, et dit: « Son nom est Vulteius Mena ; c'est un crieur public d'une mince fortune, d'une bonne réputation ; il aime tour à tour le travail et le repos, sait acquérir et jouir : content de la compagnie de ses égaux, il a un domicile assuré, se plaît aux jeux publics, et, ses affaires terminées, se promène au Champ-de-Mars. — Je suis curieux de tenir de lui-même tout ce que tu m'annonces : dis-lui qu'il vienne souper avec moi. — Mena ne veut pas croire à cette invitation; il s'étonne en silence. — Mais enfin ? — Il répond que c'est trop de bonté. — Me refuse-t-il ? — Le drôle refuse, soit indifférence, soit timidité. » Le matin, Philippe surprend notre Vulteius occupé à vendre de méchantes ferrailles à la canaille en tunique, et le salue le premier. Aussitôt le crieur de s'excuser sur ses travaux, sur la tyrannie des affaires, de ne s'être pas rendu chez lui le matin, enfin de s'être laissé prévenir. « Je te pardonnerai, sois-en sûr, si tu soupes aujourd'hui avec moi. — Comme tu voudras. — Tu viendras vers neuf heures, maintenant, courage et bonne chance ! » Vulteius, exact au rendez-vous, parle à tort et à travers; enfin on l'envoie se coucher. Dès lors, comme le poisson crédule court à l'appât qui lui cache l'hameçon, notre homme, client le matin, et le soir convive assidu, est invité à venir, pendant les féries latines, visiter un domaine voisin de Rome. Juché sur un bidet, il ne se lasse point de louer le sol et le climat de Sabine. Philippe le voit, s'en amuse ; et, tout en voulant se délasser et s'égayer un moment, il donne à son compagnon sept mille sesterces, promet de lui en prêter sept mille autres, et lui met en tête d'acquérir une petite propriété. Il l'achète. Enfin, pour ne pas lasser ta patience par de trop longs détails, notre citadin se fait paysan ; il ne parle plus que de sillons et de vignes, prépare ses ormeaux, se tue de travail, et la soif de posséder le vieillit à vue d'œil. Mais, quand il voit ses brebis dérobées, ses chèvres mortes de maladie, la moisson tromper son espoir, et ses bœufs succomber à la fatigue, rebuté de tant de pertes, il enfourche un cheval au milieu de la nuit, et court furieux à la maison de Philippe. « Vulteius, lui dit celui-ci en le voyant si hâve et si négligé, tu es, ce me semble, trop dur à toi-même et trop serré. — Par Pollux, patron, tu dirais trop misérable, si tu voulais me donner le vrai nom qui me convient. Aussi, je t'en supplie, je t'en conjure, par ton génie, par cette main que j'embrasse, par tes pénates, rends-moi à mon premier état. »

Une fois qu'on a reconnu combien ce qu'on a dédaigné vaut mieux que ce qu'on désirait, il faut, par un prompt retour, reprendre ce qu'on a quitté. Il est juste que chacun se mesure à son aune, et se chausse à son pied.