Épitres (Horace, Leconte de Lisle)/I/10

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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Épitre X. — À FUSCUS ARISTIUS.


L’ami de la campagne salue Fuscus ami de la ville. Sur ce point seul, tous deux diffèrent absolument ; mais, pour le reste, ils sont jumeaux à peu près, et leurs esprits sont frères : ce qui déplaît à l’un déplaît à l’autre, et nous approuvons les mêmes choses, comme les deux vieux pigeons si connus. Toi, tu gardes le nid ; moi, je vante les cours d’eau d’une belle campagne, les rochers enveloppés de mousse et les bois. Que veux-tu ? Je vis et je règne dès que j’ai quitté ce que vous élevez au ciel avec applaudissement ; et, comme l’esclave fugitif du prêtre, je renonce aux gâteaux sacrés, avide du pain, que je préfère à leur miel.

S’il faut vivre conformément à la nature, s’il faut d’abord chercher l’emplacement de sa maison, sais-tu rien de préférable en cela à une agréable campagne ? Les hivers y sont plus tièdes ; une brise plus fraîche y adoucit la rage de la Canicule et les ardeurs du Lion, quand, furieux, il est percé par les traits du Soleil. L’envieuse inquiétude y trouble moins le sommeil. L’herbe est-elle moins parfumée et moins brillante que les marbres Libyques ? L’eau qui, dans les carrefours, tend à rompre les tuyaux de plomb, est-elle plus pure que celle qui murmure en roulant sur sa pente ? La forêt croit, il est vrai, même au milieu de vos colonnades ; et la maison est vantée, qui laisse voir au loin dans les champs. On chasse la nature à coups de fourche ; mais elle revient toujours, et, furtive, elle l’emporte victorieusement sur les dédains injustes.

Celui qui ne peut distinguer la pourpre Sidonienne des laines qui ont bu la teinture d’Aquinum n’éprouve pas une perte plus certaine, qui touche de plus près à ses moelles, que celui qui ne fait point la différence du vrai au faux. Plus la prospérité rend heureux, plus les revers accablent. On renonce de mauvaise grâce à ce qu’on admire. Fuis les grandeurs : sous un humble toit on peut laisser en arrière les rois et les amis des rois.

Le cerf, meilleur au combat, chassait le cheval de leurs communs herbages. Celui-ci, vaincu après une longue lutte, implora le secours de l’homme et se soumit au frein ; mais, revenu victorieux de son ennemi, il ne put rejeter le cavalier de son dos, ni le frein de sa bouche. Ainsi de celui qui, craignant la pauvreté, se prive de la liberté qui vaut mieux que l’or : il porte honteusement un maître et il servira éternellement, n’ayant pas su se contenter de peu. La richesse qui n’est pas faite pour nous est une chaussure trop grande qui fait tomber, ou trop petite qui blesse. Vis sagement content de ton sort, Aristius, et ne me renvoie pas sans reproche, si tu me vois amasser sans relâche plus qu’il ne me faut.

L’argent est tyran ou esclave de qui l’amasse ; il est fait pour suivre la corde et non pour la tirer. Je t’écris ceci près du temple ruiné de Vacuna, fâché que tu ne sois pas auprès de moi, et content de tout le reste.