Épitres (Horace, Leconte de Lisle)/I/2

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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À LOLLIUS
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Épitre II. — À LOLLIUS.


Pendant que tu déclames à Roma, très-grand Lollius, j’ai relu à Prænesté celui qui a écrit la guerre de Troja. Ce qui est beau, honteux, utile ou non, il le dit plus clairement et mieux que Chrysippus et Crantor. Pourquoi pensé-je ainsi ? Si tu n’es distrait par rien, écoute.

Ce poëme qui raconte le long combat des Græcs et des Barbares par suite des amours de Pâris, contient les fureurs insensées des peuples et des rois. Anténor est d’avis de retrancher la cause de la guerre. Que dit Pâris ? il ne veut pas être contraint de régner en paix et de vivre heureux. Nestor s’empresse d’apaiser les querelles qui s’élèvent entre le Pélide et l’Atride : l’amour excite l’un et la colère les dévore tous les deux. Quand les rois sont fous furieux, les Achiviens souffrent. Dans les murs d’Ilios et au dehors, il n’y a que révolte, ruse, crime, débauche et colère. Ce que peuvent la vertu et la sagesse, le poëte nous en offre un exemple utile dans Ulyssès. Ce dompteur de Troja parcourt un grand nombre de villes et observe les mœurs des hommes ; et, tandis qu’à travers la large mer il prépare son retour et celui de ses cornpagnons, il subit mille maux, sans être jamais submergé par le flot des choses contraires. Tu sais les voix des Sirènes et les coupes de Circa. Si, dans un désir insensé, il eût bu comme ses compagnons, il eût vécu honteusement et sans cœur sous le joug d’une courtisane, comme un chien immonde, ou comme un pourceau ami de la fange. Pour nous, destinés à manger nos biens, nous sommes en nombre, amants de Pénélopa, vauriens, ou jeunes hommes d’Alcinoüs uniquement occupés du soin de leur peau, trouvant fort beau de dormir la moitié du jour et de charmer leur ennui aux sons de la cithare. Pour égorger un homme, les brigands se lèvent au milieu de la nuit ; et toi, pour te sauver toi-même, tu ne t’éveillerais pas ? Si tu ne veux pas courir te portant bien, tu courras étant hydropique ; et si tu ne demandes, avant le jour, un livre et de la lumière, si tu ne tends pas ton esprit aux études et aux choses honnêtes, tu veilleras tourmenté par l’envie ou par l’amour. Pourquoi te hâter de retirer de ton œil ce qui le blesse, et diffères-tu de toute une année de guérir ton esprit, s’il est malade ? Commencer, c’est avoir fait la moitié de la tâche. Ose être sage : commence. Qui retarde l’heure de vivre honnêtement attend comme le campagnard que le fleuve ait cessé de couler ; mais il coule et il coulera roulant ses eaux pendant tous les âges. On cherche de l’argent, une femme riche pour avoir des enfants ; on laboure des forêts incultes. Qu’il ne souhaite rien de plus, celui qui a le nécessaire. Ni la maison, ni le domaine, ni le monceau d’airain et d’or ne font sortir la fièvre du corps malade de leur possesseur, ni les soucis de son esprit : s’il veut jouir des choses qu’il a amassées, il faut qu’il se porte bien. À celui qui désire ou qui craint, sa maison et sa richesse font le même bien qu’un tableau peint à des yeux malades, des fomentations à un goutteux, et les sons de la cithare à des oreilles pleines d’humeurs et douloureuses. À moins que le vase ne soit propre, ce que tu y verses aigrit. Dédaigne les voluptés : une volupté payée par la douleur est un mal. L’avare manque toujours de tout : mets une limite à tes vœux. L’envieux maigrit des abondantes richesses d’autrui : les tyrans Siculiens n’ont point inventé de plus grand supplice que l’envie. Celui qui ne modère pas sa colère, plus tard voudrait n’avoir pas fait ce que le ressentiment lui a conseillé, quand il se hâtait de venger son injure par la violence. La colère est une courte folie. Gouverne ta passion ; si elle n’obéit, elle commande ; il faut la refréner et l’enchaîner. Le maître enseigne au cheval dont la bouche est tendre à marcher, docile, dans la voie indiquée par le cavalier ; et le jeune chien de chasse aboie longtemps dans la cour contre une peau de cerf, avant de chasser dans les bois. C’est maintenant, enfant, que ton cœur pur doit s’abreuver de bonnes paroles, et que tu dois te confier aux sages. L’argile neuve qui a été une fois pénétrée d’un parfum le gardera longtemps. Si tu t’arrêtes, ou si tu marches avec trop d’ardeur, je ne t’attendrai, ni ne te rejoindrai.