Étude microscopique, comparée, de la Barégine de M. Longchamp

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Lue à l’Académie royale des Sciences, dans la séance du 4 janvier 1836.




La question de la Barégine, toute simple qu’elle me paraisse en elle-même quand on ne la considère que sous le rapport de ses caractères physiques et d’histoire naturelle, se complique de jour en jour davantage. La cause de cette complication, ou plutôt de cette confusion, vient, je pense, de ce que l’on a négligé de s’entendre, de se communiquer et d’étudier comparativement, sous le microscope, les divers produits auxquels on assignait ou un même nom ou des noms différents.

Dans un mémoire lu à l’Académie le 12 août 1833, M. Longchamp fit connaître une matière glaireuse, incolore, azotée, qu’il avait observée, pour la première fois, dans les eaux thermales sulfureuses de Barèges, où on la voit formant, sur les parois des réservoirs, des enduits de deux ou trois pouces d’épaisseur, et à laquelle il donna le nom trop exclusif de Barégine. Il en signala parfaitement les caractères physiques saisissables à l’œil nu, ainsi que les caractères chimiques ; mais il négligea de l’étudier sous le microscope, seul moyen de décider si cette matière est simplement organique non organisée[1], c’est-à-dire, un agglomérat de particules muqueuses n’offrant, sous le microscope, aucune apparence d’organisation, même au degré le plus simple, ou si c’est un composé tout à la fois de cette même matière organique, de végétaux globuleux ou filamenteux, ou bien encore d’animalcules ; toutes ces choses pouvant exister ensemble ou séparément, et n’en pas moins former, pour l’œil nu, des masses amorphes de consistance et d’aspect gélatineux. L’habile chimiste que je viens de citer ayant eu la bonté de me donner un échantillon de sa Barégine, le même que je mets en ce moment sous les yeux de l’Académie, j’ai pu, depuis six mois environ, m’éclairer sur la nature et la composition organique de cette production. Conservée comme elle l’est dans de l’eau alcoolisée, elle ressemble à une gelée animale ou végétale ; car on peut la comparer tout aussi bien à de la colle forte presque dissoute qu’à de la gelée de pomme ou de coing (fig. 1). Elle forme des masses nuageuses, transparentes, presque incolores ou d’un gris de lin très-léger, qui jaunit un peu en vieillissant. Elle n’a ni odeur ni saveur bien sensibles ; quoique assez visqueuse, elle colle faiblement le papier, ce qui suppose sa prompte décomposition.


Analyse microscopique de la Barégine mucilagineuse inorganisée et incolore de M. Longchamp.


Lorsque, sous le microscope armé du grossissement d’environ 300 fois, on met, entre deux lames de verre, de petites portions de cette Barégine, on reconnaît que ce n’est point une matière organique simple, homogène, mais bien un agglomérat (fig. 2, 3 et 4) composé des parties suivantes : 1° une large base, sorte de gangue muqueuse chaotique, formée d’une grande quantité de particules puncti-granuliformes, organiques, transparentes, sans couleur et sans mouvements monadaires[2] : particules dues sans doute à des sporules rudimentaires avortées, et, bien plus, à de nombreux débris ou détriments d’organisations végétales et animales qui ont précédé ; 2° un nombre assez considérable de sporules globuleuses ou ovoïdes, excessivement petites, enveloppées dans le mucus inorganisé de la gangue, qui leur sert en même temps d’habitation et de nourriture, et dont quelques-unes sont dans un état de germination filamenteuse plus ou moins avancée. Ces filaments, encore très-courts, d’une ténuité extrême, assez difficiles à bien voir sous le microscope, sont blancs, transparents, non rameux : ils annoncent le début d’une végétation confervoïdè, sans doute bien connue, et sans doute aussi le commencement de ces longs filaments blancs[3] que M. Longchamp, qui les a vus flottants dans l’eau des bains, compare à de la filasse, et qui plus tard, dans certaines conditions favorables à cette végétation, verdissent et forment alors, suivant son expression, de la Barégine verte filamenteuse[4]. Parmi ces deux composants, les particules organiques et les sporules organisées se voient, en outre, quelques autres corps, tels que des grains de sable et des débris méconnaissables, provenant très-probablement de végétaux et d’animaux infusoires décomposés.

Voilà tout ce que j’ai pu apprendre de l’examen microscopique de la Barégine de M. Longchamp, telle qu’il l’a recueillie, à l’état gélatineux aux parois des réservoirs qui contiennent les eaux thermales sulfureuses de Barèges, et telle qu’il a eu l’obligeance de me la communiquer.

M. Longchamp n’ayant observé qu’à l’œil nu les caractères physiques de la Barégine, ne s’est point aperçu que cette matière non organisée, que ce chaos du règne organique, n’était point pure ; qu’en elle il se trouvait, comme dans une sorte de territoire, des sporules plus ou moins avancées en germination, et que c’était à la présence de ces sporules qu’étaient dues les végétations filamenteuses, confervoïdes, blanches d’abord, et puis vertes, et non à la matière gélatineuse, qui, seule, peut tout au plus servir de nourriture à cette conferve, et qui, seule, peut mériter, jusqu’à un certain point, la dénomination particulière de Barégine.

Il est à regretter que M. Longchamp n’ait pas en même temps recueilli et conservé ce qu’il appelle de la Barégine filamenteuse blanche et de la Barégine filamenteuse verte ; car, alors, on aurait facilement rapporté cette production confervoïde à son genre et à son espèce, ce qui eût évité des discussions sans profit pour la science, épargné le temps de l’Académie et celui des personnes qui s’occupent de l’étude de ces sortes de matières.

Dans son savant mémoire, M. Longchamp dit : « La Barégine existe dissoute dans les eaux thermales, d’où elle se sépare par l’évaporation. En effet, on ne l’aperçoit jamais en suspension dans l’eau ; on la trouve sur les parois des réservoirs, mais seulement dans la capacité qui se remplit et se vide successivement : car elle ne se montre pas sur les parois qui restent toujours couvertes d’eau. »

Toutes les eaux, l’eau de la mer plus particulièrement, contiennent en suspension des particules organiques muqueuses qui me paraissent identiques avec celles suspendues dans les eaux thermales, et que M. Longchamp considère comme la Barégine dissoute et flottante. Ces particules, en raison de leur isolement, de leur écartement les unes des autres, de leur excessive ténuité, et plus encore de leur extrême transparence, ne peuvent être aperçues qu’à leur état d’agglomération en masse, ou seulement d’enduits à la surface des corps submergés ; enduits qui, souvent, ne sont appréciables qu’au seul sens du toucher. Ces masses ou ces enduits de matière muqueuse ne sont point, suivant moi, le résultat seulement de l’évaporation de l’eau ; cela me semble être plutôt un dépôt successif de particules dans lequel la pesanteur, et surtout l’attraction, agissent plus particulièrement ; et ce qui le prouve, c’est que ces enduits se forment à la surface des corps constamment couverts d’eau et dans lesquels on ne peut admettre la cause de l’évaporation.

« Lorsqu’une eau thermale s’écoule à l’air, continue l’auteur, la Barégine ne se présente plus en gelée, mais en longs filaments blancs qui flottent dans l’eau. »

J’ai déjà dit que la matière glaireuse appelée Barégine était un composé tout à la fois de matière organique et de sporules ou seminules confervoïdes organisées, qui s’y trouvent déposées et enveloppées comme dans un territoire particulier. Tant que l’air et la lumière n’agissent point sur ces seminules, elles restent engourdies ; mais dès que ces deux grands agents de l’organisation se font sentir, elles germent promptement et s’allongent en de longs filaments blancs susceptibles de verdir ensuite, comme l’observe M. Longchamp, par la présence et le contact de l’eau ordinaire et par l’action de l’oxygène. Ce qu’il faut bien remarquer ici, c’est la grande différence qui existe 1o entre la Barégine glaireuse, qui n’est qu’un dépôt, qu’un chaos de matière organique qui ne peut s’organiser d’elle-même, mais qui peut servir comme élément, et par assimilation, à la nourriture et au développement d’un corps organisé ; et 2o la seminule confervoïde organisée, qui seule peut végéter et s’allonger en filaments blancs, et seule peut verdir sous l’influence de l’air, de la lumière et de l’oxygène, comme nous l’apprend M. Longchamp dans le passage suivant : « Je viens de dire que la Barégine passe de l’état blanc à l’état vert par le contact de l’eau ordinaire, et j’ai attribué cet effet à l’oxygène ; mais la Barégine en gelée n’éprouve aucune coloration à l’air. » C’est que la Barégine en gelée, qui n’est qu’une matière organique sans organisation ou sans vie, ne peut se colorer en vert comme les conferves qui vivent et végètent dans cette matière. Le tort de l’auteur a été de confondre sous la même dénomination de Barégine la matière mucilagineuse, végéto-animale, sans organisation possible, et ces végétaux filamenteux confervoïdes qui y vivent comme dans un territoire qui leur est propre.

Plus bas, M. Longchamp dit encore : « J’ai conservé, pendant cinq ou six mois environ, deux onces de Barégine en gelée dans un petit bocal de verre débouché, et j’ajoutais de temps en temps un peu d’eau, pour que la matière restât toujours au même point d’hydratation. La partie qui était en contact avec l’air ne s’est nullement colorée ; mais, ce qui est fort surprenant, c’est qu’elle s’est successivement colorée par le fond, et elle est enfin devenue parfaitement noire jusqu’à neuf ou dix lignes de la surface. Cette couche supérieure ne s’est jamais colorée. » En mettant de la Barégine délayée dans un bocal de verre débouché, M. Longchamp y a mis pêle-mêle de la Barégine pure, c’est-à-dire, de la matière muqueuse inorganisée et des seminules confervoides organisées qui s’y trouvaient mélangées ; celles-ci, plus pesantes que les particules muqueuses, descendirent au fond du bocal, et là germèrent et verdirent, en élevant successivement leur filament ; tandis que la partie supérieure de la masse, qui ne se composait que de particules incolores, dut rester blanche. Quant à sa coloration en noir, j’en dirai quelque chose à la fin de ce mémoire, en parlant d’une autre sorte de Barégine rapportée tout récemment de Barèges, et que m’a remise notre confrère M. Robiquet.

En cherchant dans la nature une substance analogue, ou plutôt identique avec la Barégine, M. Longchamp pense l’avoir trouvée dans la fibrine ; et, à ce sujet, il s’exprime de la manière suivante, page 16 de son mémoire : « Si la Barégine est, comme je le pense, de la fibrine, voilà donc l’élément de la charpente animale que nous trouvons dans les eaux thermales. Ce fait est certainement curieux ; mais je ne veux pas lui donner plus de valeur que celle qu’il comporte. »

Il y a de l’analogie, sans doute, entre la Barégine pure, simplement mucilagineuse, et la fibrine, en ce que ces deux substances ou ces deux produits sont également des agglomérats ou des coagulums informes composés de particules muqueuses provenant de la détrition naturelle ou mécanique de corps organisés, et en ce que toutes deux sont des matières nutritives. Mais je ne vois pas pourquoi ces deux substances, ou plutôt cette substance, puisque l’auteur ne voit que de la fibrine dans la Barégine, serait plutôt l’élément de la charpente animale que celui de la charpente végétale, et pourquoi enfin cette exclusion en faveur de la fibrine, lorsque tant de substances organiques diverses servent également à nourrir ou à charpenter les végétaux et les animaux.

Venons maintenant à cette autre Barégine de Néris, recueillie et rapportée à Paris par M. Robiquet, et dont il a eu l’extrême obligeance de me communiquer plusieurs échantillons desséchés.

Au premier aspect de ces échantillons (fig. 1), on voit qu’ils sont composés d’un grand nombre de membranes ou pellicules chiffonnées ou repliées les unes sur les autres ; ce qui, pour un œil exercé, dénote clairement une espèce végétale, soit du genre Nostoch, soit du genre Anabaina de M. Bory de Saint-Vincent. Leur couleur varie du vert clair brillant et comme vitré au vert noir. Quoique contenant une certaine quantité de parties terreuses, ils offrent une légèreté remarquable. Trempés dans l’eau, ils se gonflent, les pellicules s’étendent, et leur couleur prend un peu plus d’intensité. Alors ils répandent cette odeur marécageuse que tout le monde connaît.


Analyse microscopique de la Barégine membraneuse organisée, végétale et verte, de Néris.


Vue sous le même grossissement dont j’ai parlé plus haut, la Barégine de Néris se montre (fig. 2 et 3) composée 1° de membranes minces, transparentes, incolores, et comme tissées à l’aide d’un grand nombre de filaments très-fins, entrelacés et agglutinés les uns aux autres par le moyen de particules muqueuses interposées ; 2° d’une quantité considérable d’individus filamenteux, libres entre eux, d’âges et de dimensions différents ; les plus ténus incolores et comme formés d’une suite de points ; les plus gros moniliformes ou en chapelets, c’est-à-dire, composés d’une suite de petits mérithalles[5] courts, globuleux ou légèrement ovoïdes, le terminal souvent un peu plus gros, creux à l’intérieur, et contenant la matière vive et verte de laquelle seule dépend la couleur verte des masses vues à l’œil nu[6].

Ces filaments, ou plutôt ces petits végétaux moniliformes, comme tous ceux des Nostochs que j’ai eu l’occasion d’observer, n’oscillent jamais. Ce phénomène d’oscillation, dans lequel quelques auteurs ont cru voir un signe d’animalité[7], ne se fait sentir que dans le filament des véritables Oscillaires ; encore est-il bon de remarquer qu’il n’a lieu que dans les espèces les plus ténues, car, dès que le filament a un peu plus de diamètre, comme, par exemple, dans l’Oscillaire des murailles[8], tout mouvement d’oscillation cesse.

Dans les filaments moniliformes dont se compose la masse de la Barégine de Néris, je n’ai pu voir le caractère qui distingue les Anabaina de M. Bory de Saint-Vincent des véritables Nostochs ; caractère qui, selon l’auteur, consiste 1° dans la présence d’un tube extérieur comme sur-ajouté au filament simple et moniliforme des Nostochs ; et 2° dans quelques-uns des articles globuleux qui, à des distances variables, sont plus gros que les autres[9].

D’après ces observations microscopiques, la Barégine de Néris doit être considérée, non comme une simple substance organique, comme une matière simplement composée de particules muqueuses, mais bien comme une véritable végétation due à l’agglomération en masse d’un nombre prodigieux d’individus végétaux moniliformes du genre Nostoch, et auxquels nous pensons qu’il convient de donner le nom spécifique de thermalis, pour rappeler ce nom déjà donné à la même plante par Thore, et en même temps pour indiquer les lieux où elle croît ordinairement.

Il résulte de cette étude microscopique comparée, que la Barégine de M. Longchamp et celle de Néris sont deux choses fort différentes, qui n’auraient jamais dû porter le même nom ; car c’est de là qu’est résultée la confusion qui a eu lieu relativement à ces deux produits.

La Barégine de M. Longchamp, seule qui puisse conserver provisoirement la dénomination trop spéciale de Barégine, consiste dans une matière gélatineuse, transparente, presque incolore, sans trace d’organisation apparente, en ayant soin toutefois d’en isoler les sporules confervoïdes qui peuvent par hasard s’y trouver intercalées, et qui doivent, en ce cas, être seulement considérées comme des corps reproducteurs placés et comme ensemencés dans un territoire particulier, et non comme faisant partie de la matière mucilagineuse inorganisée qui les enveloppe et leur sert de base ; matière qui me paraît la même, ou au moins très-analogue, que celle divisée et en suspension dans les couches de l’atmosphère les plus rapprochées de nous, et que l’on désigne sous le nom de miasmes ou d’émanations putrides ; que celle nommée Humus, déposée à la surface de la terre ; que celle suspendue dans toutes ou dans presque toutes les eaux, dans celles de la mer plus particulièrement, qui provient de la décomposition continuelle des végétaux et des animaux qui vivent et meurent dans ces milieux, et qui enduit de mucus, d’une manière si remarquable, la surface de tous les corps qui se trouvent habituellement dans l’eau ; de cette matière, enfin, qui doit être considérée comme le chaos du règne organisé, dans lequel tous les individus puisent directement ou indirectement leur nourriture, et dans lequel ils viennent ensuite s’abattre et se confondre. De ce que je viens de dire, il résulte que la Barégine de Barèges n’est que de la matière chaotique, qui s’accumule en plus grande quantité qu’en d’autres lieux aux parois des réservoirs contenant les eaux thermales de ce pays.

Si la Barégine prétendue des eaux thermales de Néris eût été mieux observée d’abord, mais surtout comparée avec la matière glaireuse, incolore et inorganisée de M. Longchamp, elle n’aurait jamais reçu le nom de Barégine, et aurait été de suite reconnue, comme du reste elle l’a été par M. Robiquet dans son savant mémoire lu à l’Académie[10], pour une plante du genre Nostoch, pour le Tremella thermalis de Thore, ou l’Anabaina monticulosa[11] de notre confrère M. Bory de Saint-Vincent ; et, dès lors, point de rapprochement possible entre deux productions aussi distinctes que le seraient, par exemple, de la gélatine d’une part, et de l’autre les divers animaux qui auraient servi, par dissolution, à produire cette gélatine.

Cette distinction, bien établie, aurait empêché M. Dutrochet, qui ne connaissait que le Nostoch de Néris, que lui avait procuré M. Robiquet, de se prononcer contre la Barégine glaireuse et inorganisée de M. Longchamp, qu’il n’avait point encore étudiée, et dont, probablement, il ignorait l’existence à Paris[12].

Pour caractériser avec le moins de mots possible deux choses qui ne pouvaient être confondues, je dirai que :

La Barégine de Barèges, dans son plus grand état de pureté, est une matière glaireuse, organique, sans organisation, azotée, formée par dépôt successif d’un grand nombre de particules muqueuses, dues à la détrition de végétaux et d’animaux, la plupart infusoires. C’est le Chaos du règne organisé ; c’est, par comparaison, les nombreux matériaux épars et en désordre d’un édifice qui s’est écroulé et qui n’existe plus, mais qui peuvent toujours servir à la construction d’un autre.

La prétendue Barégine de Néris, comme l’a très-bien observé M. Robiquet, est, au contraire, une plante bien connue, bien décrite et bien constituée. C’est un véritable Nostoch, dont la dénomination de Barégine, qui lui a été inutilement appliquée, doit être promptement oubliée.

En terminant cet examen, qu’il me soit permis de dire un mot sur l’absolue nécessité de l’usage du microscope pour l’étude approfondie des divers corps de la nature. Ce qui s’est passé depuis quelque temps à l’Académie, au sujet de la Barégine, servira d’excuse à cette très-courte digression.

Sans le microscope, qui nous rapproche des objets inapercevables à la vue simple, le sang n’est qu’un liquide rouge ; la lymphe, le lait, le sperme, que des liquides blancs. On ignore alors que dans l’eau, qui forme la base de ces liquides, vivent isolément et indépendamment les uns des autres, comme dans un océan qui leur est propre, des myriades d’individus globuleux ou ovoïdes, composés quelquefois d’un noyau et d’une enveloppe, tels que ceux du sang, ou très-variés dans leurs formes, selon les diverses espèces d’animaux, et doués d’un mouvement instinctif, comme les animalcules spermatiques.

Qui oserait, aujourd’hui, parler avec assurance de l’élégante structure d’une fibre musculaire, avant de l’avoir étudiée sous le microscope ?

Qui pourrait, en ce moment, trouver de l’analogie entre cette fibre musculaire organisée, vivante[13], de forme, d’étendue et de durée déterminée, et ces agglomérats informes et sans vie que l’on nomme de la fibrine, lorsque ces agglomérats ne sont que des coagulums formés par le rapprochement fortuit et l’agglutination des particules muqueuses et incolores des globules organisés du sang, à mesure que ceux-ci se décomposent ?

C’est en l’absence de ce moyen d’optique, qu’en Organogénie végétale, on s’est servi des dénominations vagues de Parenchyme pour désigner certains tissus cellulaires, par cela seul qu’ils sont plus lâches et plus aqueux que d’autres ; de Poussière fécondante et d’Aura seminalis, en parlant des vésicules polliniques, si admirablement variées dans leur organisation, ainsi que de leurs innombrables granules, dont les formes diverses et les dimensions peuvent être pourtant exactement appréciées, figurées, décrites et mesurées.

C’est ainsi que, dans les ouvrages les plus estimés et les plus récents[14] ; malgré les observations exactes et microscopiques de M. Raspail sur l’organisation des glandes vesiculaires, réticulées et sphériques, qui se développent sur les bractées et les fruits des cônes du Houblon[15], on dit encore, comme autrefois, en parlant du pollen, que la Lupuline est une Poussière jaune, une simple sécrétion de matière, une sécrétion pulvérulente[16] : expressions entièrement erronées, employées longtemps, lorsqu’on parlait de la fécule pu de la globuline des tissus cellulaires ; mais enfin abandonnées, depuis que l’on sait que chaque grain de globuline, né par extension des parois intérieures des vésicules-mères, est un corps tout aussi organisé, tout aussi vivant que l’est, par exemple, l’ovule adhèrent d’un ovaire.

Un grand nombre de genres et d’espèces de prétendus végétaux cryptogames, simplement observés à la vue simple, ou seulement à la loupe, disparaissent de nos catalogues par l’observation microscopique, qui les réduit à n’être, ou que des amas d’individus distincts, comme les Lepra, ou que des poils monstrueux, véritables petits bédeguars, comme les Erineum[17] ; ou, enfin, que d’informes Coagulum, composés d’animalcules, libres d’abord, puis agglomérés et agglutinés, comme les Mycoderma qui se forment peu à peu dans les liquides fermentescibles plus ou moins eh contact avec l’air atmosphérique[18].

Les autres parties de l’histoire naturelle, comme la chimie et la médecine elles-mêmes, ne sauraient, dans leurs recherches exactes, se passer désormais du microscope ; et cependant, que de naturalistes, de chimistes, de médecins qui en dédaignent les services !

Nos connaissances ne peuvent s’arrêter là. La science, en progrès, exige beaucoup plus ; elle veut que nous mettions à contribution tous les moyens d’investigation qui nous sont offerts ; aussi, j’en ai la conviction, verrons-nous bientôt tous ceux qui se livrent à l’étude des différents corps de la nature ne plus oser travailler et produire sans le secours de l’action des verres combinés.



Nouvel examen microscopique d’une matière mélangée recueillie dans les eaux thermales sulfureuses de Barèges et communiquée, à Paris, à M. Robiquet, par M. le docteur Aulagnier, médecin en chef de l’hôpital militaire de Barèges.


Barégine prise à Barèges le 20 novembre 1835.


C’est sous cette indication que M. Robiquet nous a remis, à M. Dutrochet et à moi, une fiole remplie d’une matière gélatinoïde, d’une odeur excessivement fétide, délayée dans une assez grande quantité d’eau, d’un vert sale-grisâtre et comme granité, c’est-à-dire, composé de parties blanches qui ressemblent à du blanc d’œuf divisé, de parties verdâtres et de parties noires.

À la simple vue, cette matière verdâtre, et brouillée par le mouvement du voyage de Barèges à Paris, peut assez bien être comparée, quant à son mélange, au marbre Sainte-Anne, composé, comme on le sait, de parties blanches, de parties grisâtres et de parties noires.

À ce premier aspect, elle paraît tout à fait différente de la Barégine glaireuse, transparente et incolore, de M. Longchamp. C’est ce qu’en effet l’observation microscopique ne tarde pas à démontrer.

Vue sous le microscope, cette matière offre, au lieu d’une simple mucosité, l’assemblage de plusieurs choses réunies et étrangères les unes aux autres. 1° Une base mucilagineuse, puncti-granuliforme, amorphe, sans mouvements monadaires de grouillement, et que je considère comme étant la Barégine pure de M. Longchamp, et comme formant les parties blanches du mélange vu à l’œil nu.

2° Un nombre prodigieux de filaments longs, excessivement ténus, ayant tout au plus pour diamètre 1/400e de millimètre ; moniliformes, ou au moins noduleux ; paraissant entièrement incolores sous le microscope, quoique produisant, par leur grande réunion, la couleur verdâtre des petites masses observées sans le secours des verres. Parmi ces filaments, végétant en désordre, on en voit d’autres qui rayonnent d’un centre commun, et qui annoncent que tous, d’abord, ont eu une semblable origine, et qu’ensuite, détachés de la souche mère, ils vivent isolément dans la base mucilagineuse (Barégine), qui leur sert de gangue ou d’un territoire éminemment nutritif.

3° Une grande quantité de corps assez opaques, noirâtres, les plus petits paraissant cubiques, d’autres quaternaires, ou comme formés de quatre petits cubes disposés en croix, et d’autres groupés en nombre variable. Tous ces corps, qui me paraissent des cristaux, sont empâtés, à distance, dans une mucosité particulière de forme ovoïde. Cette mucosité, ou cette espèce de géode, étant quelquefois détruite dans sa forme ovoïde, on voit les corps opaques dont je viens de parler se répandre, sans cependant s’éloigner beaucoup les uns des autres. C’est à la présence de ces corps, qui me sont entièrement inconnus, que sont dues les parties noires du mélange, et probablement aussi la coloration en noir de la Barégine, dont M. Longchamp parle dans son mémoire.

Parmi ces trois composants, on trouve encore un grand nombre de cadavres de Bacillaires et de Navicules ; des fragments de végétaux confervoïdes, au nombre desquels j’ai reconnu un tronçon de Lemanea[19] ; des tubes chiffonnés de conferves, des cristaux lamelleux transparents, les mis rhomboëdriques, les autres parallélogrammiques, et quelques-uns d’une forme hexagonale ; des grains de sable de diverses grosseurs.

L’analyse microscopique que je viens de faire, démontre que la matière reçue nouvellement de Barèges ne peut être considérée comme étant la Barégine pure de M. Longchamp. C’est, comme on l’a vu, un mélange, une sorte de magma composé de choses fort diverses, appartenant aux trois règnes ; mais dans lequel mélange se trouve une portion assez forte de matière mucilagineuse semblable à celle que M. Longchamp a nommée de la Barégine.





EXPLICATION DES FIGURES
CONTENUES DANS LA PLANCHE QUI ACCOMPAGNE CE MÉMOIRE.


A. Barégine de M. Longchamp.


Fig. 1. Une portion de Barégine, mouillée d’eau alcoolisée, vue à l’œil nu. Elle est transparente, et sa couleur est d’un gris de lin clair lavé d’une teinte légère de jaune ambré.
Fig. 2. La même matière vue sous le microscope armé du grossissement de 300 fois. C’est un mucilage dans lequel se trouvent des sporules ou seminules confervoïdes dont quelques-unes sont plus ou moins avancées en germination filamenteuse. On y trouve, en outre, des fragments informes, étrangers au mucilage, et qui proviennent de la détrition de corps organisés qui ont cessé d’exister.
Fig. 3 et 4. Deux masses de la même matière. 4a. Une portion de trachée ou hélice végétale ? trouvée dans le mucus. 4b. Quelques filaments tortillés également extraits du mucus.
Fig. 5. Ces deux lignes représentent, dans leur écartement, un centième de mill., de manière à faire connaître que le globule seminulifère qui s’y trouve figuré a, pour diamètre, 1 trois-centième de mill.


B. Nostoch thermalis, Turp.


Fig. 1. Une portion de la prétendue Barégine de Néris, mouillée d’eau pure et vue à l’œil nu. Cette masse, qui est le Tremella thermalis de Thore, l’Anabaina monticulosa de M. Bory de Saint-Vincent, et que je crois devoir désigner sous les noms de Nostoch thermalis, se compose de membranes très-minces, chiffonnées, boursouflées, repliées sur elles-mêmes, et produites par le feutrage d’un grand nombre d’individus filamenteux et moniliformes.
Fig. 2. Une plus petite portion vue sous un faible grossissement du microscope.
Fig. 3. Une autre plus grossie. On voit, en a, une fausse membrane composée de points muqueux et comme tissée à l’aide d’un grand nombre d’individus filamenteux très-fins. Sur cette membrane ou sous cette membrane vivent une quantité considérable d’individus filamenteux moniliformes, d’âges et de diamètres différents. Les plus gros sont seuls colorés en vert et se terminent quelquefois par un article plus développé que les autres ; mais je n’ai pas vu, dans leur étendue, ces autres articles plus gros et placés, variablement, de distance en distance, et non plus ces tubes extérieurs engaînant le filament moniliforme, deux choses qui caractérisent le genre Anabaina.
Fig. 4. Portion très-grossie d’un individu, pour faire voir que la matière verte et vive occupe le creux de chaque article ou mérithalle.
Fig. 5. Ces deux lignes indiquent dans leur écartement 1 centième de mill. Le bout de filament qu’on y a figuré n’occupant que la moitié de la distance, a, par conséquent, 1 deux-centième de mill.


C. Mélange ou Magma, composé de choses diverses, pris dans les eaux thermales sulfureuses de Barèges par M. le docteur Aulagnier, et communiqué à M. Robiquet sous la dénomination de Barégine.


Fig. 1. Portion de Magma mouillée d’eau et telle qu’elle se présente à l’œil nu. Son aspect comme brouillé, probablement par les mouvements que ce mélange a éprouvés pendant le voyage de Barèges à Paris, rappelle, jusqu’à un certain point, par les trois parties diversement colorées dont il se compose, celui du marbre Sainte-Anne. Les parties blanches ou blanchâtres sont de la matière chaotique, mucilagineuse, la Barégine de M. Longchamp. Les parties vert-grisâtres sont produites par la présence d’un grand nombre de filaments, très-ténus et noduleux ou moniliformes, du genre Nostoch. Et enfin les parties noires doivent leur existence à de nombreux corps opaques, presque noirs, que je suppose être des cristaux.
Fig. 2. Une petite portion du Magma vue sous le microscope armé du grossissement de 300 fois. On voit une base formée de matière chaotique, muqueuse, végéto-animale (Barégine de M. Longchamp). Dans cette matière chaotique vivent, comme dans un territoire, un grand nombre d’individus du genre Nostoch. aa. Grains de sable. b. Cristal parallélogrammique. cc. Cristaux rhomboëdriques. d. Cristal hexaëdre. e. Cadavre d’une Bacillaire. ff. Cadavres de deux Navicules. g. Tronçon d’une tige de Lemanea. h. Portion tubuleuse d’un végétal confervoïde inconnu.
Fig. 3, 4 et 5. On trouve des filaments qui partent ou rayonnent d’un centre commun, et qui annoncent que tous ceux, libres entre eux, de la fig. 2 ont commencé ainsi.
Fig. 6. Quelques-uns des filaments plus grossis.
Fig. 7. Un grand nombre de corps cristalloïdes, opaques, cubiques ou groupés, le plus ordinairement par quatre et en croix, enveloppés ou empâtés dans une sorte de gangue muqueuse et ovoïde. C’est à ces réunions de corps noirs que sont dues les parties noires du Magma vu à l’œil nu. a. Un cristal quaternaire ou en croix, isolé de la gangue muqueuse. b. Un autre de forme différente. Ces cristaux se terminent en pyramide.
Fig. 8. Deux lignes indiquant 1 centième de mill., pour faire connaître que les filaments n’ont, pour diamètre, que 1 quatre centième de mill.




Planche d’illustration




  1. Avant d’aller plus loin, je dois prévenir que j’appelle matière organique non organisée, toutes les matières mucilagineuses, nutritives et assimilables, qui, sous le microscope, n’offrent qu’un chaos composé de particules qui, pour la plupart, proviennent du détritus de végétaux et d’animaux qui ont cessé d’exister dans leur organisation individuelle. Il faut cependant l’avouer, la nature paraît se moquer de tout ce que nous appelons des caractères distinctifs tranchés. Il semble que tout son pouvoir soit borné à ce grand développement successif dans lequel nous voyons toutes les choses rangées dans l’ordre du plus simple au plus composé, et cela sans aucune interruption sensible. On ne peut, véritablement, préciser le point où la matière chaotique commence à jouir des propriétés inhérentes à l’organisation, lorsque nous voyons, par exemple, le thallus qui précède, et d’où résultent, par continuité, les petites tubes seminulifères du Solenia fasciculata, n’être, quoique végétant, qu’une sorte d’enduit glaireux, incolore, transparent, et dans lequel on ne peut apercevoir ni globules, ni fibres, ni vésicules pouvant, par assemblage combiné, servir à constituer un tissu quelconque. D’après cet exemple et beaucoup d’autres semblables que l’on pourrait citer, soit dans le bas du règne animal, soit même dans ce qu’on appelle des fausses membranes, il est assez difficile, n’étant pas sur les lieux, de décider d’une manière affirmative si les couches glaireuses et pariétales des réservoirs de Barèges sont ou ne sont pas douées de vitalité organique, quoique je les considère comme de simples dépôts de matière muqueuse chaotique.
  2. Ces particules organiques conservées dans l’alcool peuvent avoir perdu le mouvement dont, peut-être, elles jouissaient avant d’être plongées dans ce menstrue.
  3. Conserva alba, de Vandelli ? Tractarus de thermis agri Palavini, 1761.
  4. L’aspect filamenteux de cette production confervoïde qui, à son état blanc, ressemble à de la filasse, empêche que l’on ne puisse la confondre avec le Nostoch de Néris, dont les individus moniliformes sont toujours agglomérés en masses membraneuses.
  5. Tous les articles vésiculeux ou tubuleux des végétaux confervoïdes sont, rigoureusement parlant, de véritables mérithalles réduits à la plus simple expression, c’est-à-dire, à un seul des éléments, des mérithalles plus composés, plus solides et plus épais dont se forment les scions annuels des végétaux appendiculaires, autrement dits des végétaux appendiculés ou pourvus de feuilles. C’est toujours sur le bord latéral et supérieur des uns et des autres de ces mérithalles que sont ces points ou ces nœuds vitaux d’où naissent les bourgeons réguliers et prévus d’une nouvelle génération. Beaucoup de Coralines offrent cette même disposition symétrique.
  6. Dans les végétaux confervoïdes, les vésicules ou les tubes qui en constituent la charpente, sont toujours, comme les vésicules et les tubes dont se forment, par addition, les masses tissulaires des végétaux appendiculaires, transparents et incolores. C’est donc, dans les deux cas, à la présence et à la couleur propre de la globuline née et contenue dans ces organes creux que sont dues, le plus souvent, les magnifiques couleurs qui embellisent la végétation. Je regarde comme identique la matière colorée des végétaux confervoïdes et la globuline de la vésicule des tissus cellulaires des autres végétaux. Tous ces grains globuleux au moins dans leur origine ont leur centre vital particulier d’organisation et tous ont en eux la faculté d’absorber, d’assimiler, de s’étendre et de reproduire indéfiniment l’espèce, toutes les fois que des circonstances favorables protègent leur végétation et empêchent leur fréquent avortement.
  7. Un individu de Nostoch est uni-tige ou non rameux, et se compose d’un nombre déterminé, variable selon les espèces et selon les individus dans chaque espèce, d’articles ou de petits mérithalles globuleux, vésiculeux, transparents, incolores, qui naissent successivement à la suite les uns des autres, et dans l’intérieur desquels est renfermée la matière verte et vive de ces végétaux microscopiques. Comme il arrive que le dernier de ces mérithalles prend plus de développement que tous ceux placés au-dessus de lui, on en avait conclu que cet article terminal était la tête d’un prétendu animalcule.
    Je ferai voir ailleurs que ce dernier article, en prenant plus de développement, suit la marche naturelle des végétaux, et qu’il tend à devenir la fructification terminale de ces végétaux ; que c’est une véritable capsule seminulifère ou sporigère, comme je l’ai parfaitement reconnu dans les individus qui composent les masses du Nostoch lichenoides, où les capsules grandes et ovoïdes contiennent un assez grand nombre de sporules d’inégale grosseur et très-visibles sous le microscope.
  8. Oscillatoria parietina, Vauch., p. 176. Oscillatoria muralis, Lyngb. Tent. Hydroph., p. 95. Lyngbya muralis, Ag.
  9. « Les caractères du genre qui nous occupe, dit M. Bory de Saint-Vincent, Dict. class., t. 1, p. 307, pl. Arthrodiées, fig. 7, b c, consistent dans le double tube de leurs filaments libres et simples, dont l’extérieur, qui paraît être cylindrique et inarticulé, a échappé aux observateurs, tandis que l’intérieur, qui seul a été aperçu, est composé d’articles ovoïdes ou obronds, disposés comme les perles d’un collier, dont certains, placés de distance en distance, sont plus gros que les autres. »
    Le dernier de ces deux caractères, celui du plus grand développement de quelques articles, caractère que je n’ai pu découvrir dans le Nostoch de Néris, n’a, probablement rien de constant, rien de régulier. Tout à fait forfuit, il dépend de circonstances environnantes et momentanées qui favorisent la végétation de tel ou tel article naissant, terminal alors, puis intermédiaire par suite du développement de nouveaux articles.
    Ce développement inégal et intermittent de quelques-uns des mérithalles globuleux des tiges des Nostochs se voit souvent dans les mérithalles des scions ou des tiges des végétaux appendiculaires. La tige des Palmiers, et de quelques autres végétaux monocotylédons, offre des renflements et des étranglements produits par des causes semblables. Dans les Opuntia, les mérithalles aplatis de leurs tiges sont loin, comme chacun le sait d’avoir les mêmes dimensions.
  10. Réflexions sur les eaux thermales de Néris, lues à l’Académie en la séance du 17 août 1835, dont il a paru un extrait dans le Compte rendu hebdomadaire, t. 1, p. 48-50, et publiées entièrement dans le Journal de Pharmacie, N° XI, 1835.
    C’est dans ces Réflexions, si riches en observations chimiques, que se trouve établie, faute de comparaison à l’œil nu et par examen microscopique, l’identité impossible entre la Barégine simplement glaireuse et chaotique des eaux thermales sulfureuses de Barèges et le Nostoch organisé des eaux thermales de Néris.
    M. Robiquet a parfaitement décrit le Nostoch thermalis qui croît au fond des basosins de Néris ; il l’a très-bien observé dans toutes les phases de son développement, c’est-à-dire, dans le développement ou l’étendue de ces petits herbages verdoyants et comme membraneux qu’offrent à l’œil nu les innombrables individus moniliformes qui composent, par entrelacement, ces sortes d’herbages ; individus qui ne peuvent être vus et étudiés qu’à l’aide des verres grossissants.
    M. Robiquet parle aussi de la manière singulière dont les petits herbages membranoïdes, d’abord couchés sur le sol du fond des bassins, sont ensuite soulevés sous forme de tuyaux ou de monticules, par l’émission d’un gaz captif sous-jacent, qui fait effort pour se dégager et qui finit par se faire jour en les crevant au sommet en autant de petits cratères. C’est de ces soulèvements monticuleux, image exacte du grand soulèvement des montagnes volcaniques, que M. Bory de Saint-Vincent, qui avait observé le même phénomène, et qui en a fait sur les lieux un superbe dessin, a pris le caractère et le nom spécifique de son Anabaina monticulosa. Voici comment s’exprime M. Robiquet à l’égard des soulèvements dont il vient d’être question : « Lorsque ce bassin vient d’être nettoyé, ou mieux encore quand on le reconstruit à neuf, on est assez longtemps sans remarquer de changement ; puis on voit apparaître quelques taches verdâtres sur plusieurs points du fond. Peu à peu ces taches s’agrandissent, et bientôt tout le sol se trouve enduit de cette espèce de mousse qui forme une sorte de tapis au fond du bassin.
    « Quelques phénomènes assez curieux succèdent à ce premier développement, si rien n’en vient troubler la marche. Ainsi on remarque que cet enduit (a) prend de plus en plus de consistance, et qu’il se forme çà et là quelques boursouflements, d’abord peu apparents, et qui finissent par devenir très-saillants. Ce qu’il y a de plus singulier dans ce soulèvement occasionné par l’émission d’un gaz qui se trouve comme emprisonné entre le sol et cette espèce de membrane, c’est que celle-ci étant d’une inégale épaisseur et n’opposant pas partout la même résistance, les parties les plus minces se distendent sous la pression ascensionnelle du gaz, et finissent par donner naissance à des tuyaux plus ou moins allongés, qui tous se terminent par un petit sphéroïde dans lequel se trouve enveloppée une bulle de gaz.
    « On conçoit que cet ensemble de tuyaux d’inégale hauteur doive simuler une sorte de végétation (b), et on prévoit aussi que ces bulles qui forment autant d’aérostats, doivent, à force de s’accumuler, soulever de plus en plus ces sortes de mucosités, et finir par les détacher entièrement du sol. »
    Puisque l’occasion se présente de parler sur le soulèvement, en monticules, des membranes du Nostoch de Néris, par le moyen d’une force gazeuse qui agit en dessous dans le sens ascensionnel, et de comparer ces monticules, comme image, aux montagnes également soulevées par des forces intérieures, je ne puis m’empêcher de faire ici cet autre rapprochement qui me paraît assez curieux :
    « Un mont, près des remparts de l’antique Trézène,
    S’élève où s’étendait autrefois une plaine.
    Qui le croirait ? on dit que les vents souterrains,
    Soufflant dans leur prison, sans trouver de chemins,
    Comme une outre autrefois enflèrent la campagne.
    Cette enflure subsiste, et forme une montagne. »
    Métamorph. d’Ovide, Traduct. de Desaintange,
    t. IV, p. 355, 3e édit.

    Après avoir lu ces six vers, dans lesquels toute l’ingénieuse hypothèse sur la formation des montagnes par soulèvement est si bien exprimée, on reste convaincu de l’ancienneté de cette idée, et on regrette que les auteurs scientifiques modernes qui l’ont fait revivre, n’aient pas toujours placé ces vers, comme épigraphe, en tête de tous leurs travaux ayant trait à la théorie de la formation des montagnes par soulèvement. Ce qu’ils auraient perdu, quant à la priorité de l’idée, ils l’auraient retrouvé sous le rapport de l’appui en faveur de l’hypothèse.
    La description d’Ovide prouve que l’opinion des montagnes par soulèvement existait de son temps et que, très-probablement, elle datait déjà d’une époque qui se perdait dans la nuit des temps. D’après cela, il n’est ni juste ni exact d’accorder, à tel ou tel géologiste moderne, l’honneur d’avoir eu, le premier, une idée qui, de fait, n’a été qu’exhumée.
    Mais il est juste de dire qu’entre une idée plus ou moins conçue a priori et la même idée savamment développée à l’aide d’observations positives, il y a une grande différence ; il est bien remarquable que, presque toujours, l’idée simple et l’idée développée sont le produit de deux individus, dont l’un n’est propre qu’aux aperçus et l’autre qu’aux développements des idées d autrui. Il est rare que l’homme qui découvre sache profiter de ses découvertes ; son génie trop actif et toujours en travail ne lui en laisse pas le temps. Il est rare aussi que l’homme qui exploite habilement, pour son compte, la découverte d’autrui soit apte à découvrir lui-même, et assez juste, assez généreux, pour faire la part de son prédécesseur. Combien de bons travaux, soit littéraires, soit scientifiques, n’existeraient pas sans les précédents qui leur ont donné naissance et que presque toujours nous ignorons !
    Combien de magnifiques tableaux en peinture connus sous le nom d’un seul auteur, sont cependant le produit de plusieurs dont les uns, comme le philosophe Diderot (c), ont donné l’idée et dirigé la composition, tandis que d’autres ont fait le ciel, les eaux, les arbres, les draperies ! etc., etc.
    Il résulte de l’ensemble de toutes ces spécialités différentes que l’homme, considéré individuellement, n’est que l’un des éléments d’un tout, et que la science est l’œuvre du temps et l’œuvre de tous.

    (a). Sorte de feutre produit par l’entrelacement des nombreux individus, filamenteux et moniliformes à mesure qu’ils se multiplient.
    (b). Cela ressemble mieux encore à une carte de géographie exécutée en relief.
    (c). Essais sur la peinture.
  11. Dict. clas., t. I, p. 307-308 ; et t. XII, p. 482.
  12. Note sur la Barégine, lue à l’Académie, séance du 26 octobre. Comptes-rendus hebdomadaires de cette séance, t. I, p. 286.
  13. De la Vie organique ou végétative. La vie animale ne peut exister que dans le résultat de l’ensemble de toutes les parties qui constituent l’individu composé, et non dans chacune des parties qui ne jouissent, comme le poil, le globule sanguin, la fibre musculaire, etc., etc., que de la vie purement organique ou végétative.
  14. Dict. class., t. IX, p. 545. Maison rustique du dix-neuvième siècle, t. II, p. 113.
  15. Chimie organique, p. 174.
  16. Entre la matière organique et un corps organisé, même au degré le plus simple, il y a une ligne de démarcation des plus tranchées.
    La matière organique, soit qu’elle provienne par voie de sécrétion, soit qu’elle résulte de la décomposition plus ou moins complète d’êtres organisés, est toujours, par elle-même, impropre à la production d’aucun être vivant ; mais elle peut être attirée, absorbée par un corps organisé, et, en s’y assimilant, sous l’influence de la vie, produire en lui toute l’étendue de ses tissus.
    Les corps organisés, sans exception, sont toujours le produit, par extension, d’une mère semblable qui précède. Les prétendues générations spontanées, d’abord si nombreuses, soit végétales, soit animales, disparaissent chaque jour sous l’action puissante du microscope. Il n’est pas un seul végétal, le plus peut comme le plus simple, dont nous ne connaissions les moyens de la reproduction de son espèce, soit que ces moyens consistent à reproduire par petits fragments ou boutures, soit par seminules, ce qui, au fond, revient toujours au même, puisqu’une seminule n’est qu’une extension ou un bourgeon terminal qui se sépare, par fraction, du végétal-mère.
  17. Fée. Mém. sur le groupe des Phyllériées, etc. Brochure de 74 pages accompagnées de 11 planches.
    Ces prétendus végétaux cryptogames et parasites ne sont que des poils normaux de certaines feuilles devenus monstrueux ou changés en de petits bédeguars, par l’excitation produite, soit par des pucerons, soit par diverses espèces d’Acariens, comme je m’en suis assuré sur un assez grand nombre d’espèces de feuilles susceptibles d’offrir ces sortes d’excroissances.
  18. Le genre Mycoderma créé par M. Persoon n’existe plus comme végétation depuis les belles observations microscopiques de M. Desmazières. Cet auteur a prouvé par des études aussi exactes qu’ingénieuses que ces prétendus champignons n’étaient autre chose que des coagulum informes et sans limites dans leur étendue, composés d’animalcules agglutinés.
    Ces observations, que j’ai répétées avec soin et que j’ai accompagnées d’un bon nombre de figures, sont de la plus grande vérité.
  19. Nodularia fluvatilis, Lyngb. Tent. Hydroph., t. XXIX, p. 99, fig. A. Lemanea corallina, Bory. Dict. des Sciences nat., Atl., t. II, pl. 29, fig. 2.