Étude sur la convention de Genève pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne (1864 et 1868)/02/10

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ARTICLES CONCERNANT LA MARINE.

Les articles relatifs à la marine sont du nombre de ceux qui ne datent que de 1868 et n’ont pas encore été ratifiés. Nous n’en parlerons conséquemment que sous toutes réserves, d’autant plus qu’il est probable que le texte proposé par la Conférence de Genève subira quelques légères modifications avant d’être définitivement adopté. Cette considération nous aurait engagé à retarder la publication de cette étude, si nous avions conçu l’espoir d’un prompt accord des Gouvernements, mais ayant des motifs de craindre que l’affaire ne traîne en longueur, nous avons passé outre, tout en regrettant que les choses ne soient pas plus avancées qu’elles ne le sont.

Les développements dans lesquels nous sommes entré, au sujet des articles de la Convention primitive, nous dispenseront de longues explications sur les articles additionnels qu’il nous reste à passer en revue, car il y a entre eux de grandes analogies. Ce sont les mêmes principes qui les ont dictés les uns et les autres, et ils ne diffèrent guère qu’en ce qui tient aux conditions spéciales de la guerre sur terre ou sur mer.

Art. 6. (Additionnel.) Les embarcations qui, à leurs risques et périls, pendant et après le combat, recueillent ou qui, ayant recueilli des naufragés ou des blessés, les portent à bord d’un navire soit neutre, soit hospitalier, jouiront, jusqu’à l’accomplissement de leur mission, de la part de neutralité que les circonstances du combat et la situation des navires en conflit permettront de leur appliquer.

L’appréciation de ces circonstances est confiée à l’humanité de tous les combattants.

Les naufragés et les blessés ainsi recueillis et sauvés ne pourront servir pendant la durée de la guerre.

Cet article concerne ce que l’on peut appeler les ambulances maritimes dont il est destiné à favoriser l’action. On retrouve ici la règle appliquée déjà aux guerres terrestres, c’est-à dire qu’en principe les établissements sanitaires ne sont neutres qu’autant qu’ils fonctionnent ou renferment des blessés. Aux blessés on a cependant joint les naufragés, qui forment une classe de malheureux non moins intéressante, et spéciale aux combats navals. Jusqu’à présent on n’a pas vu d’embarcations de sauvetage se porter au secours des naufragés, valides ou blessés, tant que durait la lutte, soit que les évolutions des navires rendissent la chose difficile, soit qu’aucune protection ne les couvrit. Quant aux empêchements qui résultent des manœuvres des flottes, on ne saurait y parer et l’on ne peut non plus garantir aux sauveteurs une immunité absolue, s’ils se trouvnt par exemple sur la ligne de tir des combattants ou resserrés entre deux bâtiments ennemis. Cependant on a cru prendre une mesure efficace en les recommandant à l’humanité des belligérants, de telle sorte qu’on les épargnât toutes les fois que cela ne compromettrait pas le succès de la bataille. Espérons que, grâce à cette disposition, on verra désormais des ambulances s’aventurer jusque dans les eaux des combats, de même qu’on en voit sur terre parcourir les champs de bataille pendant l’action.

L’article 6 paraît établir, dans son dernier alinéa, une démarcation essentielle entre les deux genres de guerre. Il met à la neutralité, dont seront couvertes les ambulances maritimes, une condition qui n’existe point pour les ambulances terrestres ; c’est que les naufragés et les blessés recueillis par elles ne pourront plus servir pendant la durée de la guerre. Cette clause est assez singulière, car, à la prendre à la lettre, il en résulte qu’un belligérant ne peut secourir ou transborder ses propres marins, naufragés ou blessés, sans se priver par cela même de leur concours ultérieur. Sur terre un blessé guéri rentre dans les rangs s’il n’a été fait prisonnier ; sur mer il semble que cela soit défendu. Nous sommes tentés d’attribuer cette anomalie à un défaut de rédaction et nous croyons que l’alinéa de l’article 6 ne doit s’appliquer qu’aux naufragés. Nous donnerons les motifs de cette supposition lorsque nous nous occuperons de l’article 13, mais dès à présent nous invoquerons en sa faveur l’article 10 additionnel. Cet article établit en effet que les blessés et les malades, évacués sur les bâtiments de commerce auxquels les embarcations de sauvetage les auront remis, seront rendus incapables de servir de nouveau pendant la durée de la guerre, par le fait de la visite d’un croiseur ennemi. C’est donc qu’ils ne l’étaient pas auparavant.

Art. 7. (Additionnel.) Le personnel religieux, médical et hospitalier de tout bâtiment capturé, est déclaré neutre. Il emporte, en quittant le navire, les objets et les instruments de chirurgie qui sont sa propriété particulière.

Art. 8. (Additionnel.) Le personnel désigné dans l’article précédent doit continuer à remplir ses fonctions sur le bâtiment capturé, concourir aux évacuations de blessés faites par le vainqueur, puis il doit être libre de rejoindre son pays, conformément au second paragraphe du premier article additionnel ci-dessus.

Les stipulations du deuxième article additionnel ci-dessus sont applicables au traitement de ce personnel.

Ces deux articles ne font qu’appliquer à la marine des dispositions analogues à celles contenues dans les articles 2 et 3 de la Convention, ainsi que dans les articles additionnels 1 et 2, pour les armées de terre.

Art. 9. (Additionnel.) Les bâtiments hôpitaux militaires restent soumis aux lois de la guerre, en ce qui concerne leur matériel ; ils deviennent la propriété du capteur, mais celui-ci ne pourra les détourner de leur affectation spéciale pendant la durée de la guerre.

Les bâtiments hôpitaux militaires doivent-ils être traités comme les hôpitaux fixes de la terre ferme ? La Conférence de Genève s’est prononcée pour l’affirmative, mais non sans hésitation, car si d’une part l’hôpital flottant, pouvant être utilisé pour des transports de troupes ou même pour le combat, a une importance militaire plus grande que l’hôpital terrestre, d’autre part les intérêts des blessés sont beaucoup plus compromis par sa capture, puisque sa destination peut être aisément changée. C’est pour cela que tout en permettant de s’emparer d’un navire hôpital, on a décidé qu’il ne pourrait être détourné de son affectation spéciale…

Le système adopté par la Conférence a toutefois des inconvénients réels, car il empêche l’hôpital maritime de rendre tous les services que l’on est en droit d’en attendre. S’il tient de l’hôpital militaire par son organisation perfectionnée, il tient aussi de l’ambulance par sa mobilité[1]. Or, en ne le neutralisant pas, on paralyse ses mouvements, et on l’empêche d’aller lui-même en temps utile à la recherche des victimes, qui ont d’autant plus besoin d’un prompt secours qu’elles se débattent contre les flots, et sont exposées à une mort imminente. Le bienfait de l’article 6 additionnel sera incomplet tant que des navires hôpitaux ne pourront pas se tenir à proximité du combat, pour recevoir les naufragés et les blessés recueillis par les petites embarcations de sauvetage. L’article 13 prévoit bien et autorise l’emploi de navires équipés par les Sociétés de secours, mais une flotte ne saurait, pour le moment du moins, se reposer entièrement sur cette assistance volontaire ; il faut qu’elle puisse compter sur le matériel sanitaire de l’État.

Le motif qui a engagé les Gouvernements à ne pas trop se relâcher de leur droit de prise sur les hôpitaux maritimes, a été la possibilité qu’ils fussent établis sur des navires de guerre temporairement affectés à ce service. Leur capture alors serait d’une grande valeur, cela se comprend ; mais ne pourrait-on pas tout concilier en réservant ce cas, et en déclarant que les navires de l’État servant d’hôpitaux seraient, à l’instar des navires de commerce faisant le même office, couverts par la neutralité, pourvu qu’ils fussent impropres au combat ? D’après les informations que nous avons recueillies, il est vraisemblable que cette théorie prévaudra dans la rédaction définitive des articles additionnels.

Art. 10. (Additionnel.) Tout bâtiment de commerce, à quelque nation qu’il appartienne, chargé exclusivement de blessés et de malades dont il opère l’évacuation, est couvert par la neutralité ; mais le seul fait de la visite, notifié sur le journal du bord, par un croiseur ennemi, rend les blessés et les malades incapables de servir pendant la durée de la guerre. Le croiseur aura même le droit de mettre à bord un commissaire, pour accompagner le convoi et vérifier ainsi la bonne foi de l’opération.

Si le bâtiment de commerce contenait en outre un chargement, la neutralité le couvrirait encore, pourvu, que ce chargement ne fût pas de nature à être confisqué par le belligérant.

Les belligérants conservent le droit d’interdire aux bâtiments neutralisés toute communication et toute direction qu’ils jugeraient nuisibles au secret de leurs opérations. Dans les cas urgents, des conventions particulières pourront être faites entre les commandants en chef pour neutraliser momentanément d’une manière spéciale les navires destinés à l’évacuation des malades et des blessés.

Cet article est assez intelligible par lui-même pour que nous puissions nous borner à quelques remarques à son sujet.

Le premier alinéa prévoit la visite d’un croiseur. Le droit de visite est en effet le corollaire obligé du droit de saisir certains biens sur mer, même sous pavillon neutre. Il ne s’agit évidemment ici que d’un croiseur ennemi par rapport à celui des belligérants au service duquel le bâtiment de commerce est utilisé, et non par rapport au propriétaire de ce navire de transport, lequel peut être neutre en vertu de sa nationalité.

Remarquons les mots incapables de servir, pris dans le sens d’une incapacité morale et conventionnelle, puisqu’elle ne résulte que de la simple visite d’un croiseur et quelle frappe tous les blessés, sans tenir compte de la gravité plus ou moins grande des lésions dont ils sont atteints. Dans l’article 6 et dans l’article additionnel 5 où la même expression a été employée, elle ne désigne qu’une incapacité physique. Il y a là une inconséquence. Si le bâtiment de transport est assimilé, comme cela semble naturel, à un convoi de blessés, on doit se borner à vérifier la nature de sa cargaison et n’imposer aucune condition aux hommes qui s’y trouvent, car il n’y a pas de raisons pour agir à cet égard différemment sur mer que sur terre. Mais si on ne laisse aller les blessés visités qu’en limitant leur liberté, c’est qu’on les considère comme des prisonniers. Dès lors pourquoi les libérer sans se précautionner comme on l’a fait, soit par les articles 6 et 5 additionnel vis-à-vis des prisonniers blessés sur terre, soit par l’article 11 additionnel vis-à-vis des prisonniers blessés sur mer ? Il est superflu d’ajouter que nous ne désirons pas que l’on mette ces diverses dispositions d’accord en restreignant les faveurs octroyées par l’article 10, mais que nous voudrions au contraire voir admettre dans tous les cas la maxime généreuse inscrite dans cet article.

Au deuxième alinéa il est fait mention d’un chargement de nature à être confisqué par un belligérant. C’est intentionnellement que le législateur n’a pas été plus explicite ; il ne s’est pas cru obligé de dire quelles sont les cargaisons saisissables. Il savait que le droit maritime est précisément sur ce point en voie de transformation, et il n’a pas voulu trancher une question controversée, dont il n’avait pas besoin de connaître la solution pour établir un principe tutélaire en faveur des blessés. Si les signataires de la Convention de Genève avaient tous signé la déclaration de Paris du 16 avril 1856, il n’y aurait pas d’équivoque possible, puisque ce document établit que l’on peut saisir seulement la contrebande de guerre appartenant à l’ennemi, sous tous les pavillons, et la marchandise ennemie sous pavillon ennemi. Mais cette doctrine n’est pas universellement admise ; il est tel État, ayant adhéré à la Convention de Genève, qui trouve celle de Paris compromettante et refuse d’y souscrire, tandis que tel autre veut la liberté complète du commerce.

Au point de vue où nous nous plaçons, ces divergences importent peu, l’essentiel est que, dans chaque guerre, les belligérants sachent bien quelles sont, d’après le droit régnant entre eux, les propriétés saisissables, pour que l’article 10 additionnel de la Convention s’applique sans difficulté. Il a l’élasticité nécessaire pour se plier aux variations et au progrès du droit quant au respect de la propriété privée ou publique.

Le troisième alinéa a pour but de sauvegarder les intérêts militaires. Un navire pourrait fort bien, tout en évacuant des blessés, donner l’éveil sur telle évolution de l’ennemi dont il aurait surpris le secret pendant sa route. Si donc il est atteint par celui-ci, rien de plus juste qu’on lui interdise des communications compromettantes. Le retard que le repatriement des blessés subira de la sorte, sera une rigueur parfaitement justifiée par les nécessités de la guerre.

En nous occupant des convois de blessés sur terre, nous avons dit que la neutralité qui les couvre n’allait pas jusqu’à permettre à une place assiégée ou bloquée d’évacuer ses défenseurs hors de combat. Cette même observation s’applique aux guerres navales. Des bâtiments quelconques, appartenant à des nations neutres, ne peuvent forcer un blocus effectif sans une autorisation spéciale ; à plus forte raison cette condition doit-elle être exigée de ceux qui naviguent pour le compte du belligérant bloqué, et dont il voudrait faire usage pour se débarrasser de ses blessés.

C’est à cela que fait allusion le quatrième alinéa de l’article 10 ; nous croyons du moins que les cas urgents, dont il parle, ne sont autres que les sièges et les blocus. Il est regrettable toutefois que cela n’ait pas été dit plus catégoriquement, car ce quatrième alinéa, tel qu’il est, semble en contradiction avec le premier. On ne s’explique guère, en effet, pourquoi, dans des cas urgents, il faut une convention particulière pour neutraliser des bâtiments de transport qui, dans les cas ordinaires, jouissent déjà du bénéfice de la neutralité.

Art. 11. (Additionnel.) Les marins et les militaires embarqués, blessés ou malades, à quelque nation qu’ils appartiennent, seront protégés et soignés par les capteurs.
xxxxLeur repatriement est soumis aux prescriptions de l’article 6 de la Convention et de l’article 5 additionnel.

Nous renvoyons le lecteur au Commentaire que nous avons donné des dispositions de la Convention visées par cet article.

Art. 12. (Additionnel.) Le drapeau distinctif à joindre au pavillon national, pour indiquer un navire ou une embarcation quelconque qui réclame le bénéfice de la neutralité, en vertu des principes de cette Convention, est le pavillon blanc à croix rouge.
xxxxLes belligérants exercent à cet égard toute vérification qu’ils jugent nécessaire.
xxxxLes bâtiments hôpitaux militaires seront distingués par une peinture extérieure blanche avec batterie verte.
Le pavillon adopté est semblable au drapeau des armées de terre dont nous avons donné la description.

Quoiqu’il ne soit rien dit ici du brassard attribué au personnel sanitaire neutralisé, par l’article 7 de la Convention, nous pensons qu’il devra être porté sur mer comme sur terre.

La peinture extérieure destinée à faire reconnaître les bâtiments hôpitaux militaires, est une garantie de plus contre les méprises. On en modifiera peut-être les couleurs pour les assortir à celles du pavillon, si l’on en vient, comme nous le souhaitons, à neutraliser les bâtiments hôpitaux militaires, à l’instar des autres navires affectés au service sanitaire.

Quant à la vérification que les belligérants peuvent exercer à l’égard du pavillon, elle constitue un droit incontestable, puisqu’il est la seule garantie réelle contre des abus et des fraudes. Le texte ne dit pas quand se fera cette vérification, parce qu’il était impossible de le préciser, et que les belligérants doivent se réserver la faculté de l’opérer, toutes les fois qu’ils le jugeront opportun ou nécessaire.

Art. 13. (Additionnel.) Les navires hospitaliers, équipés aux frais des Sociétés de secours reconnues par les Gouvernements signataires de cette Convention, pourvus de commission émanée du Souverain qui aura donné l’autorisation expresse de leur armement, et d’un document de l’autorité maritime compétente, stipulant qu’ils ont été soumis à son contrôle pendant leur ar­mement et à leur départ final, et qu’ils étaient alors uniquement appropriés au but de leur mission, seront considérés comme neutres, ainsi que tout leur per­sonnel.
xxxxIls seront respectés et protégés par les belligérants.
xxxxIls se feront reconnaître en hissant, avec leur pa­villon national, le pavillon blanc à croix rouge. La marque distinctive de leur personnel, dans l’exercice de ces fonctions sera un brassard aux mêmes couleurs.
xxxxLeur peinture extérieure sera blanche avec batterie rouge.
xxxxCes navires porteront secours et assistance aux blessés et aux naufragés des belligérants, sans dis­tinction de nationalité.
xxxxIls ne devront gêner en aucune manière les mouvements des combattants.
xxxxPendant et après le combat, ils agiront à leurs risques et périls.
xxxxLes belligérants auront sur eux le droit de contrôle et de visite ; ils pourront refuser leur concours, leur enjoindre de s’éloigner et les détenir si la gravité des circonstances l’exigeait.
xxxxLes blessés et les naufragés recueillis par ces na­vires ne pourront être réclamés par aucun des combattants, et il leur sera imposé de ne pas servir pen­dant la durée de la guerre.

Cet article introduit dans la Convention un élément nouveau, par la reconnaissance officielle qu’il contient de l’existence et de l’intervention des Sociétés de secours. Rien de pareil n’a été admis pour les guerres terrestres, et il est assez surprenant que l’on accepte l’assistance des Sociétés sur mer, où elles n’ont pas fait leurs preuves, et où leur fonctionnement est entouré des plus grandes difficultés, tandis que sur terre, où elles ont rendu déjà d’immenses services, on s’en méfie encore. Quoiqu’il en soit, les Sociétés de secours, heureuses de cette concession, se préparent à exercer le droit qui leur a été conféré par cet article. En présence de la nouvelle sphère d’activité que l’on a ouverte devant elles, elles ont mis sérieusement à l’étude le rôle qu’elles peuvent être appelées à jouer dans les guerres navales. Ce sujet a déjà été discuté dans leur Conférence de Berlin, et le Comité central prussien vient d’en faire l’objet d’un concours littéraire, qui sera clos en 1870.

Les navires hospitaliers inofficiels se distingueront de ceux de l’État par leur peinture extérieure, mais ils arboreront le même pavillon blanc à croix rouge. Les Sociétés de secours, dans leur dernière réunion, ont proposé, en outre, l’usage de deux autres pavillons. Elles estiment avoir besoin elles-mêmes d’un moyen de faire savoir aux combattants que leurs bâtiments sont en mesure de recevoir des blessés ou des malades, et elles voudraient employer pour cela un pavillon jaune à croix rouge. Elles demandent aussi que l’on convienne que tout navire en perdition, par suite de naufrage ou d’incendie, les appellera à son secours en hissant un pavillon jaune comme signal de détresse.

Une réflexion nous est suggérée par le dernier alinéa de l’article 13. Pourquoi les blessés et les naufragés recueillis par les Sociétés seront-ils empêchés de servir de nouveau pendant la durée de la guerre, tandis que les blessés évacués sur des bâtiments de commerce ne sont soumis à la même condition que s’ils sont visités par un croiseur ennemi ? Nous avons déjà relevé la même anomalie, en nous occupant de l’article 6 additionnel et des embarcations qui opèrent le sauvetage pendant ou après le combat. Il résulte de cet ensemble de dispositions, qu’un blessé recueilli pendant le combat par une petite embarcation ne peut plus servir, puis que, porté à bord d’un bâtiment de commerce pour être évacué, il cesse d’être sous le coup de cette interdiction, pourvu qu’il échappe à la visite d’un croiseur ; mais s’il est porté au contraire à bord d’un navire d’une Société, la défense subsiste. Il suffit de ces hypothèses pour mettre en évidence une défectuosité du texte projeté. Peut-être devrait-on, pour la faire disparaître, tout en se conformant à ce que nous supposons avoir été l’intention du législateur, distinguer les naufragés des blessés, car la Convention n’entraîne que pour ces derniers les bizarres conséquences que nous en avons tirées ; la contradiction entre les articles 6 et 13 d’une part et 10 d’autre part n’existe que pour eux. En effet l’article 10 ne s’occupe que des évacuations, aussi ne parle-t-il que de blessés et de malades, car l’on n’évacue pas des naufragés non blessés ; tandis que les gens recueillis, suivant l’expression des articles 6 et 13, soit par les embarcations de sauvetage, soit par les navires hospitaliers des Sociétés de secours peuvent être valides et capables de servir de nouveau. Nous comprenons fort bien que l’interdiction de prendre encore part aux opérations de la campagne ait été prononcée contre ces derniers, car s’ils ne sont pas sauvés ils périssent dans les flots et sont perdus pour leur armée ; les retirer de l’eau et les renvoyer à leur poste de combat, ce serait faire acte d’hostilité, et l’ennemi ne le tolérerait pas. Si donc on autorise des personnes dévouées à faire de nobles efforts pour tâcher de leur conserver la vie, ce ne peut être qu’à la condition expresse de les considérer comme morts tant que durera la guerre. Mais pour les blessés non naufragés il en est différemment et tant qu’ils ne sont pas tombés au pouvoir de l’ennemi, ne fût-ce que par la visite d’un croiseur, on doit leur laisser leur entière liberté.

Afin d’arriver à une rédaction claire et logique, il faudrait, selon nous, supprimer la mention des blessés dans les articles additionnels 6 et 13, puis, par un alinéa supplémentaire dans l’article 13, assimiler les navires hospitaliers des Sociétés de secours aux bâtiments de commerce servant à l’évacuation des blessés, quant aux effets de la neutralité dont ils sont couverts.

Sans ces changements les navires des Sociétés se trouveraient dans un état d’infériorité vis-à-vis des bâtiments de commerce ou même des hôpitaux de l’État, infériorité qui rendrait leur concours peu enviable pour les Gouvernements, puisque tous les hommes recueillis et soignés à leur bord seraient forcément perdus pour les armées.

Art. 14. (Additionnel.) Dans les guerres maritimes, toute forte présomption que l’un des belligérants pro­fite du bénéfice de la neutralité dans un autre intérêt que celui des blessés et des malades, permet à l’autre belligérant, jusqu’à preuve du contraire, de suspendre la Convention à son égard.
xxxxSi cette présomption devient une certitude, la Con­vention peut même lui être dénoncée pour toute la durée de la guerre.

On ne saurait déterminer a priori ce qui constituera une forte présomption de fraude. Mais si l’on songe que la présomption est plus que la probabilité, plus que la vraisemblance, qu’elle est la dernière étape du doute avant de franchir le fossé qui le sépare de la certitude, et si l’on considère que, pour se prévaloir de cet article, les belligérants devront pouvoir ar­guer d’une présomption forte, c’est-à-dire fondée sur des indices graves, on se convaincra que des précautions suffisantes ont été prises con­tre l’abus qu’ils seraient enclins à en faire. Le droit de visite qui leur est conféré leur permet­tra d’ailleurs presque toujours de s’éclairer, avant de suspendre l’effet de la Convention ou de la dénoncer.


  1. 1868, 30.