Étude sur le corset/Chapitre 4

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CHAPITRE IV


Organes thoraciques et abdominaux

APPAREIL RESPIRATOIRE

Le corset ne déforme pas impunément le thorax sans que ces déformations ne retentissent sur l’appareil respiratoire immédiatement sous-jacent.

Inspiration et expiration sont les deux temps nécessaires à l’accomplissement de l’acte respiratoire. Le diamètre antéro-postérieur de la cage thoracique s’agrandit par le mouvement d’élévation des côtes et le transversal par le mouvement de rotation de ces mêmes côtes ; quant au diamètre vertical, il est directement augmenté par l’abaissement du diaphragme. C’est donc dans tous ses diamètres que la poitrine se dilate pour faire appel à l’air extérieur pendant l’inspiration. L’expiration s’effectue par le rappel à l’état de repos de tous les diamètres.

Nous voyons tout de suite que dans une poitrine où le corset limite ces mouvements d’expansion en tous sens l’inspiration et l’expiration vont être en défaut, car nous savons qu’un ballon en caoutchouc — d’après la comparaison classique avec le poumon — revient avec d’autant plus de force sur lui-même que l’on a, dans l’insufflation, approché de sa limite d’élasticité. Cette limite d’élasticité, le poumon ne peut l’atteindre. Chez la femme corsetée, les parois thoraciques, le diaphragme, les fausses côtes, en un mot tous les diamètres, sont immobilisés. La capacité respiratoire en est par conséquent très affaiblie et, en admettant que le thorax se développerait, la forme que lui donne le corset suffirait à gêner l’inspiration. M. le Dr Guillet a, en effet, démontré mathématiquement que plus un thorax est aplati, plus il est dilatable, et c’est dans l’excès contraire que tombe le port du corset en rendant tous les diamètres égaux. Le point maximum de la constriction à la taille, c’est le thorax inférieur que le corset va annuler, tant au point de vue du squelette que du diaphragme, car celui-ci ne pouvant s’étaler va se plisser sur lui-même et, comme les côtes sur lesquelles il s’insère sont à peu près immobiles, il n’agit plus que faiblement sur la respiration.

Aussi lorsqu’une femme met son corset voit-on tout de suite la respiration manifester la première son trouble : elle se précipite, s’accélère d’abord, ensuite le calme reparaît : on peut voir alors que le nombre de respirations par seconde diminue sensiblement et qu’elles sont seulement entremêlées de temps en temps d’une ou deux grandes inspirations. Voilà donc l’intégrité de la fonction respiratoire qui n’est plus maintenue. Le jeu des organes inspirateurs est profondément entravé : le poumon, n’étant plus suffisamment développé, n’offre plus à l’air la surface nécessaire pour le mettre en contact avec tout le sang de l’organisme à hématoser et la cage thoracique, irrégulièrement conformée, n’est plus assez vaste pour que cet organe puisse se développer complètement. Sommes-nous loin des préceptes de Sappey, qui écrivait : « C’est en vain que l’on chercherait dans l’économie un appareil où l’énergie de la fonction soit plus rigoureusement liée au volume de l’organe : une poitrine largement développée accuse toujours des poumons volumineux, une respiration puissante, une nutrition active, un grand développement des muscles ; elle annonce, en un mot, la plénitude de la vie. »

La simple inspection du thorax d’une femme munie de son corset nous montre très nettement que si le bas de la poitrine est à peu près immobilisé, l’augmentation du diamètre antéro-postérieur vis-à-vis du haut du sternum est deux fois plus grande que celle que ce même diamètre subit à la partie inférieure de cet os. Cela vient de ce que le thorax devant se développer le fait dans la partie restée seule libre en augmentant le seul diamètre qui à cet endroit puisse être développé : l’antéro-postérieur (la respiration prend le type costo-claviculaire). Nous touchons ici à une question qui a soulevé pas mal de controverses. Le type de respiration costal supérieur est-il réellement produit par le corset ou bien est-il l’apanage de la femme ? Actuellement cependant tous les hygiénistes ont la conviction que le corset fait subir cette transformation au type respiratoire normal. M. Marey, à l’aide de chronophotographies faites sur des femmes ayant enlevé leur corset, a démontré de la façon la plus évidente que la respiration abdominale est normale chez la femme. M. Mays (de Philadelphie) est arrivé aux mêmes conclusions en observant des Indiennes n’ayant jamais porté de corset. Il est d’ailleurs facile de se rendre compte que le type costo-supérieur n’existe qu’à l’état latent chez les filles de la campagne ne portant que très rarement un corset.

Du reste, le type de respiration artificielle que la femme est obligée d’employer n’est qu’une compensation insuffisante, car la difficulté de respiration augmente avec le travail à effectuer. La gêne qui en résulte est très manifeste, et très évidente surtout, lorsque la femme se livre à des exercices qui exigent une respiration profonde, tels que la marche précipitée, la montée d’un escalier. Elle se traduit alors par de l’essoufflement, de l’accélération cardiaque, parfois même de la cyanose.

Le chant et la parole, qui ont besoin d’une respiration longue et prolongée, vont s’accomplir avec difficulté, car à l’expiration succédera un besoin irrésistible de respirer fortement. Et comment cela pourrait-il être, puisque M. Garnault, dans son livre Physiologie de la voix parlée et chantée, a constaté, à l’aide du spiromètre, que l’usage du corset réduit, même chez les personnes qui prétendent n’être pas serrées, la capacité respiratoire d’un tiers et qu’une fois le corset enlevé, bien que cette capacité respiratoire augmente immédiatement, elle ne revient jamais aux proportions normales que l’on observe chez une personne de même taille n’ayant pas l’habitude du corset.

La respiration abdominale est une grande ressource du chant :

1o Parce que, d’abord, la fatigue est moins grande, l’ampliation des parties supérieures étant, au contraire, très laborieuse ;

2o La congestion de la gorge est évitée par la libre circulation du sang non entravée par les contractions des différents muscles du cou servant à l’inspiration ;

3o Pas de halètement, puisqu’il est impossible de respirer avec une grande fréquence.

Le type claviculaire, non seulement met le chanteur dans l’impossibilité de régler sa respiration, chose essentielle dans le chant, mais encore la suractivité des sommets pulmonaires se manifeste par de disgracieux et pénibles mouvements du haut de la poitrine, surtout marqués dans les passages de force.

Il en sera de même pour le rire, qui est une suite d’expirations saccadées, — quelle antithèse ! une expression de joie qui va devenir pénible !… Et alors, comme le dit Vaissette, quel supplice pour une femme de ne pouvoir parler, ni chanter, ni rire !

Donc, la respiration chez la femme n’est modifiée que par le fait du corset et la cage thoracique, à sa base surtout, est définitivement amoindrie chez les personnes qui font usage de ce vêtement depuis le jeune âge ; le champ respiratoire est, par suite, diminué ; ce qui, nous le verrons plus loin, présente des conséquences sérieuses au point de vue de la nutrition générale.

APPAREIL CIRCULATOIRE

Le cœur est certainement moins sensible à l’action déformante du corset que le poumon, mais, comme les fonctions de ces deux appareils sont intimement liées, ce qui agit sur l’une a son écho sur l’autre. C’est donc incomplètement oxygéné que le sang parcourra la petite circulation du poumon au cœur pour être lancé de nouveau dans la grande circulation. Ce sont des phénomènes d’ordre général qui découleront de ce mauvais fonctionnement pulmonaire et cardiaque et que nous étudierons plus loin.

Localement, Dechambre a constaté chez des jeunes filles que lorsque le corset n’est pas trop serré il ne se passe rien d’anormal : simplement quelques battements accélérés pendant les premiers moments de la constriction, puis tout rentre dans l’ordre. Mais si le corset est trop serré, en même temps qu’il y a diminution de la cage thoracique et resserrement des poumons, il y a, par suite, amoindrissement du médiastin, le tissu pulmonaire ne pouvant s’amplier librement du côté des parois tend avec d’autant plus de force à se développer en dedans et, par suite, à comprimer les organes du médiastin. Le cœur enfermé dans son péricarde, n’ayant plus la même liberté par amoindrissement de la loge cardiaque, perd une partie de sa force et la quantité de sang reçue et lancée par lui étant la même, il va suppléer — tout comme le poumon — par la quantité et la fréquence à l’énergie de ses contractions ; le cœur va essayer de gagner en vitesse ce qu’il perd en expansion ; il y a surcroît de travail pour le cœur gauche et quand le cœur est déjà hypertrophié, le corset vient aggraver la situation. Cette gêne dans le fonctionnement même du muscle cardiaque aboutit aux palpitations, qui apparaissent avec tout leur cortège de gêne atroce, d’anxiété et de préoccupations.

Ce n’est pas seulement localement que le corset influe sur l’appareil circulatoire : nous avons déjà noté les rapports qui existent entre le poumon et le cœur. De plus, le corset, en comprimant dans la cavité abdominale le foie, produit une pression se faisant sentir dans tous les points et se répercutant partout sur le système circulatoire ; d’avant en arrière, c’est la compression entre la paroi, les viscères et la colonne vertébrale ; c’est ensuite le foie refoulé, gênant l’expansion du diaphragme et qui coince le cœur plus avant dans le médiastin en même temps qu’il comprime directement la veine cave inférieure. Plus bas, c’est la compression sur les organes abdominaux inférieurs qui augmente la pression générale. Comme conséquence directe de tout cela, il se produit de la gêne de la circulation des membres, de la tête, du cœur. C’est la raison pour laquelle Huchard recommande aux cardiaques de ne porter que des corsets peu serrés, de façon à ne pas empêcher, surtout dans la jeunesse et l’adolescence, le développement du thorax et le libre jeu de la respiration.

Le corset produit donc, par sa constriction exagérée, ce double effet : troubles de la circulation et sang de mauvaise qualité. Ainsi se trouvent réalisées d’excellentes conditions pour l’éclosion de nombreuses maladies, toujours graves et d’autant plus inguérissables qu’elles sont le résultat d’une prédisposition devenue constitutionnelle.

ESTOMAC

Cruveilhier, dès 1834, dans son Anatomie descriptive, écrivait : « On ne saurait trop insister sur l’influence qu’exerce l’usage de corsets trop serrés sur la situation et sur la forme des viscères qui occupent la base du thorax. Aussi les changements de situation et de direction de l’estomac sont-ils plus fréquents chez les femmes que chez les hommes. Sommering avait observé, sans en indiquer la cause, que l’estomac est plus arrondi chez l’homme et plus oblong chez la femme. »

Et depuis, aucun des auteurs qui ont traité la question du corset n’a nié la néfaste influence du corset sur l’estomac. Bouvier lui-même signale la compression de cet organe, les lésions des fonctions digestives et la réduction du volume de l’estomac. Cruveilhier, Lévy, Bouveret, Glénard, Mathieu se sont occupés avec toute la compétence voulue de la question. Et la discussion n’est même plus permise, après les thèses de Chabrié et de Chapotot, qui ont mis la question au point et dont nous nous sommes largement inspiré dans ce chapitre.

Dans les changements de forme que l’estomac va subir, sous l’influence de la compression, il sera surtout sollicité par les déplacements des organes voisins et Mme Tylicka a dit très justement que le corset agit sur l’estomac, non plus sur les parties comprimées comme pour les autres organes, mais sur les parties mobiles. Or, quelle est de toutes les parties celle qui est la plus mobile ? C’est la grande courbure, qui s’insinue librement entre les deux feuillets du grand épiploon et qui est mobile autour de l’axe vertical fixe de l’organe. Le cardia est le point le plus fixe de l’estomac (Glénard) étant maintenu solidement par sa continuité avec l’œsophage et son passage à travers l’anneau diaphragmatique et, s’ajoutant à cela, l’adhérence de la séreuse de l’estomac avec le revêtement péritonéal du diaphragme. Le pylore est également peu mobile, car il est relié, d’une part, aux corps vertébraux par l’intermédiaire du duodénum, maintenu d’autre part par le ligament hépatique reliant le pylore au cardia en formant une large lame solide unie au sillon transverse du foie. C’est donc la grande courbure qui va subir les déplacements prenant pour axe les deux points fixes précités.

Voyons donc comment agit la compression et quels sont les effets qu’elle produit.

Tout d’abord une déformation peu fréquente, mais directe, est celle qui dans le cas d’une compression totale très serrée fait le thorax en gaine ou en cylindre ; l’estomac fortement serré de toutes parts peut se réduire à l’état d’un cylindre vertical et son pylore descendre plus ou moins bas dans la cavité abdominale. L’abaissement de l’organe est, du reste, la première des déformations. En effet, l’estomac, chassé par le foie de droite à gauche et de haut en bas, va tendre à devenir vertical ; cela s’opère sous une influence uniquement mécanique, le foie poussant à gauche en même temps qu’il pèse ; mais à gauche l’estomac va rencontrer la rate qui, elle, est poussée à droite ; notre organe est donc saisi entre le foie et la rate, tous deux plus résistants que lui ; il va donc être forcé de s’aplatir plus ou moins pour récupérer son volume normal, il s’effile, bascule en bas, s’abaisse en tournant autour du cardia, cherchant de l’espace dans la cavité abdominale. Le pylore suit aussi ce mouvement de descente en même temps qu’il se porte vers la gauche, il en résulte une coudure duodénale qui peut équivaloir à un véritable rétrécissement. Cette déformation va tout d’abord donner à l’estomac une direction sinon absolument verticale, du moins très voisine d’une ligne parallèle à l’axe longitudinal de la colonne vertébrale.

D’après Bouveret et Chapotot, les déplacements de l’estomac peuvent se présenter sous trois formes :

1o Simple verticalité : le grand axe est simplement dévié, se rapprochant de la verticale ; le pylore s’abaisse peu à peu et se porte à gauche, c’est le stade de l’abaissement en masse de l’organe.

2o Abaissement plus ou moins marqué du pylore et tendance à la formation d’une ectasie sous-pylorique, résultat du rétrécissement duodénal et de la stase consécutive des liquides dans la partie la plus déclive de l’estomac, dans l’antre prépylorique. L’estomac tend, à ce stade, à devenir cylindrique, ressemblant plus ou moins à un cæcum. L’agrandissement de l’estomac par suite de son allongement n’est qu’apparent ; le diamètre transversal diminue au profit de la hauteur de l’organe ; les tuniques de l’estomac peuvent commencer à se modifier.

3o Formation de l’ectasie sous-pylorique ; le pylore ne s’abaissant plus, il se forme au-dessous de lui une poche qui descend de plus en plus, sollicitée par le poids du contenu stomacal. En même temps les tuniques peuvent se modifier profondément, tantôt s’atrophiant, tantôt, au contraire, s’hypertrophiant pour pouvoir subvenir à l’énorme dépense d’énergie motrice dont l’estomac aura besoin pour vider la poche pylorique de son contenu.

La formation de cette ectasie est due non seulement à la présence du foie et de la rate, mais aussi a la situation que le corset crée à l’estomac en le comprimant lui-même transversalement. En effet, la pression du corset le refoule en arrière ; à l’état de vacuité cette situation n’amène rien d’anormal, mais l’estomac ne la tolère plus dès qu’il se remplit, et cela arrive plusieurs fois par jour. La grande courbure est obligée, en effet, de venir faire saillie à ce moment au-dessous de la ligne de striction et petit à petit la déformation verticale et la pesanteur aidant, la dilatation se forme, se constitue jusqu’au jour où, même à l’état de vacuité, l’estomac ne reprendra plus sa position normale.

La conséquence de cette dilatation sous-pylorique est, en somme, que l’estomac tend à prendre une disposition en bissac et voila donc l’estomac biloculaire constitué. C’est, en effet, comme le dit Chabrié, un estomac qui présente vers sa partie médiane un étranglement plus ou moins accentué qui le divise en deux poches distinctes. La grande déformation en poche de l’estomac étant obtenue, voici comment s’effectue l’étranglement : pression du foie et pression propre du corset s’aident mutuellement pour sa formation. Il y a d’abord simple biloculation mécanique qui disparaît quand la pression cesse. Puis celle-ci étant continue, se faisant toujours au même point, variable dans son intensité, elle agit comme une épine irritative, déterminant en ce point la contraction du plan des fibres circulaires et, secondairement, la biloculation permanente. Notons cependant que tous les auteurs n’acceptent pas l’explication de l’origine mécanique produite par une pression extérieure. Les uns en font une déformation congénitale, d’autres une déformation due à des cicatrices d’ulcères. Glénard dit « être le premier à avoir proposé l’adoption de la biloculation comme un temps normal de la contraction physiologique de l’estomac ». Sommering, Cruveilhier, Sappey, Clozier, Bouveret, Chapotot ont cependant assez bien démontré l’origine mécanique de la biloculation pour que nous nous en tenions à leur opinion et nous pouvons, avec Charpy, l’accepter comme très fréquente, car il la rencontre 23 fois sur 100 sur des sujets très serrés dans leur corset. Trolard apporte une nouvelle preuve en disant que chaque fois qu’il a rencontré « non des traces de séparation des deux poches, mais une séparation bien nette, celle-ci a résisté à l’insufflation », et il ajoute qu’à chacune de ces fois : « le sillon de séparation des deux lobes de l’estomac correspond toujours au sillon du foie (corset) dont il n’est en réalité que le prolongement. »

Cliniquement, par quels phénomènes va se traduire la présence de ces deux poches stomacales ? Par des troubles fonctionnels d’odre mécanique, d’ordre réflexe, d’autres enfin portant sur le chimisme stomacal.

Dans les deux premiers stades de la déformation, les troubles seront dus aux modifications de la statique stomacale, aux variations de rapport entre les deux orifices de l’organe. L’estomac n’aura d’autre gêne que le défaut d’expansion, car l’état de vacuité sera très rapidement obtenu, de par la verticalité même de l’organe.

Tout cela va se traduire par des troubles d’ordre banal, une impression de gêne accompagnée de malaise, avec une sensation plus ou moins vive de plénitude à l’épigastre due à la difficulté d’expansion de l’organe.

Mais, arrivée au troisième stade, la symptomatologie de la déformation est plus nette et plus perceptible. En effet, les liquides et les aliments sont en état de stase dans l’ectasie sous-pylorique, et c’est dans cette poche que doivent se passer les mouvements physiologiques de la première digestion. Or ces mouvements sont gênés, car, d’une part, les fibres musculaires distendues n’ont plus la même activité et, d’autre part, l’appui fourni par la paroi abdominale est très atténué ; celle-ci, comme nous l’avons vu, est devenue passive et se laisse distendre à son tour. La digestion va en être ralentie considérablement, laborieuse et pénible, car les aliments pour être expulsés doivent atteindre le pylore, trajet rendu doublement difficile par la longueur et la direction de la route et par la compression à laquelle nous savons que cet orifice est soumis. L’effort musculaire nécessité sera d’autant plus fort que le trajet à parcourir sera plus grand, c’est-à-dire que la dilatation descendra plus bas et cela se traduira par des douleurs localisées dues à un péristaltisme douloureux de l’estomac, des accès de gastralgie, des sensations de tiraillements à l’épigastre, prouvant que l’estomac lutte par de violentes contractions pour vider la poche sous-pylorique.

Quand la dilatation a acquis un certain développement, c’est alors la rétention gastrique qui s’installe, reconnaissable à son clapotage stomacal le matin à jeun.

La percussion indique la présence d’un grand cul-de-sac en haut et que l’organe se trouve entièrement vertical à gauche.

M. Clozier (de Beauvais) a déterminé le signe clinique de l’estomac en bissac en donnant l’explication du bruit de glou-glou ; bruit hydro-aérique. C’est le symptôme principal, ou du moins celui qui attire le plus l’attention, constitué par un bruit anormal qui se produit dans l’estomac pendant les mouvements respiratoires : il est perceptible à plusieurs mètres de distance et isochrone à la respiration. Il se produit avec toute son intensité après le repas et mieux après l’ingurgitation d’une certaine quantité de liquide, surtout quand le sujet est muni d’un corset modérément serré. La production de ce bruit s’explique ainsi. D’après ce que nous venons de dire de la déformation de l’estomac, nous sommes amené à considérer cet organe comme formant une sorte de gouttière dans laquelle l’inspiration ferait remonter les liquides par une véritable aspiration dont le mécanisme, quoique plus compliqué, serait en réalité analogue au jeu du piston d’une pompe. Cette montée du liquide occasionne un premier bruit. À ce bruit s’en ajoute un second, produit par l’abaissement du diaphragme et l’élargissement consécutif des parois latérales de l’estomac, d’où déformation de la gouttière et chute en masse du liquide dans le cul-de-sac anormalement formé.

Glénard prétend que le corset ne fait que « favoriser ce qu’il peut y avoir d’anachrone dans la contraction de l’estomac et n’intervient que pour en exciter les contractions et rendre bruyante, par le fait de la respiration, une disposition qui sans lui resterait silencieuse, et le corset ne peut pas à son avis causer la biloculation suffisante à la possibilité d’un bruit. »

Bouveret donne une explication simple et tout aussi plausible : La rétention gastrique amène la production de fermentations anormales donnant naissance à des gaz ; dans les mouvements respiratoires, le diaphragme agit sur les gaz et les liquides contenus dans la cavité inférieure de l’estomac biloculé et les fait refluer avec bruit dans la cavité supérieure.

Cette question n’est donc pas entièrement élucidée. Mais quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins acquis que le corset produit le borborygme caractéristique de la biloculation, que celle-ci soit due ou non à la pression du corset.

Nous ne pensons pas que le corset puisse avoir d’autre action sur la digestion stomacale que celle consécutive aux modifications subies par les phénomènes mécaniques de cette même digestion. Évidemment, quand la poche pylorique sera suffisamment développée, nous aurons les éructations, les vomissements, le pyrosis, la constipation, cortège habituel de la dilatation d’estomac. Les expériences faites sur le chimisme stomacal ont donné très peu de résultats : tantôt on a constaté de l’hyperchlorhydrie, tantôt de l’hypochlorhydrie. M. Bouveret pense qu’il y a le plus habituellement de l’hypo ou de l’anachlorhydrie. Il en résulterait des fermentations acides secondaires que favorise la rétention gastrique. Les malades atteints de dilatation sont, de la part de leur péristaltisme, atteints de douleurs que l’on confond fréquemment avec celles de l’hyperchlorhydrie ; et d’ailleurs, le diagnostic différentiel établi, cela ne prouverait pas grand’ chose, car les deux affections existent communément ensemble.

Ce qu’il est permis de constater simplement, c’est que les femmes et jeunes filles qui portent un corset serré ont souvent des troubles digestifs plus ou moins marqués, selon le degré plus ou moins prononcé de leur dyspepsie flatulente.

Dernière conséquence très variable suivant les sujets : c’est la répercussion de toutes ces modifications sur les réflexes, l’état nerveux du sujet ; malaises, congestions à la fin des repas, palpitations, angoisse précordiale.

Pour parer à toutes ces souffrances, la prophylaxie est simple : supprimer la cause, car n’oublions pas que l’estomac est le pourvoyeur de tous les organes et que nous devons, selon le mot de Peter, « l’entourer d’un soin pieux ».

FOIE

Le foie, situé dans l’hypocondre droit, reçoit en ligne directe l’effet de la constriction que le corset produit à son niveau : il est, en effet, immédiatement situé sous les fausses côtes ; or, nous savons que c’est sur ce point que l’action déformante du corset se fait le plus sentir.

De par sa situation anatomique, le foie est donc admirablement prédisposé à subir les effets d’une pression lente et continue. De plus, comme le dit Testut, « le foie est un organe malléable. Il se moule exactement dans l’espace qui lui est réservé et subit l’influence de toutes les pressions exercées à sa surface, quand toutes ces pressions sont lentes et continues ». Quoique de nombreuses attaches le retiennent à sa place normale, — veine cave inférieure, veine ombilicale oblitérée, les différents replis du péritoine, — il n’est pas absolument fixé car nous savons que les épanchements pleurétiques peuvent l’abaisser et les tumeurs abdominales l’élever. À ces causes de mouvement, il faut ajouter celle du corset qui fait que le foie est refoulé en dedans du côté de la ligne médiane ; de plus, comme la place qu’il occupe, par suite de la compression, est devenue insuffisante pour le contenir, il se déplace en bas, s’abaisse, demandant à la partie inférieure de l’abdomen l’espace qui lui manque. Notons, toutefois, que c’est sa partie antérieure seule qui s’abaisse, car il est fixé et immobile en arrière, de sorte que sa face convexe au lieu de rester comme elle est habituellement, supérieure et horizontale, devient antérieure et verticale.

Cette action d’abaissement que le corset produit sur le foie a été l’objet de discussions nombreuses. Le corset abaisse-t-il réellement primitivement le foie ou bien abaisse-t-il davantage les foies déjà abaissés. Quoique Corbin dise que l’abaissement du foie par le corset soit un fait constant, Glénard n’est pas de cet avis et écrit : « Dans le cas d’abaissement du foie, le foie reste cependant au rebord costal. C’est qu’en effet la déformation et l’abaissement du foie sont produits par la déformation et l’abaissement du thorax et ces déviations restent toujours parallèles dans leur intensité ». La déformation produite par le corset sur le foie aura pour résultat d’allonger ses lobes et de les faire converger en bas l’un vers l’autre par leur extrémité inférieure ; mais les bords de ce foie déformé conservent leurs rapports avec la base du thorax qui, de son côté, traduira la déformation génératrice de celle du foie par l’écrasement latéral de l’angle xiphoïdien.

Charpy pense que la constriction par le corset ne paraît pas suffisante à elle seule pour abaisser le foie et si parfois on trouve cet organe au-dessous des côtes, c’est que l’abaissement est compliqué d’antéversion et d’allongement vertical du viscère et que ce déplacement n’est rendu possible que par la détension abdominale qui accompagne la constriction. Et il ajoute que « l’intestin grêle prolabé, le côlon transverse vide, l’estomac plus ou moins disloqué ne fournissent plus au foie le coussin élastique qui le maintenait en place. Il fuit du côté de la moindre résistance. »

Quoi qu’il en soit, nous rangeant du côté de la majorité des observateurs, nous disons que l’influence pathogénique du corset ne saurait être contestée, car celui-ci marque son action non seulement en déformant l’organe mais encore en lui imprimant des marques profondes et indélébiles connues sous le nom de sillons du foie, parfaitement étudiés aujourd’hui. Ces sillons sont, du reste, en rapport avec le degré de déformation de l’organe, que ce soit le foie plat, linguiforme, en dôme (Charpy) ou globuleux. On les rencontre fréquemment dans les autopsies et l’amphithéâtre en a donné bien des exemples. La production de ces sillons ne dépend point tant du degré de constriction que de sa durée. Ainsi Leue, qui a étudié à fond la question, donne les chiffres suivants, d’après la statistique d’autopsies de l’Institut pathologique de Kiel :

Âge 16-20 21-30 31-40 41-50 51-60
Nombre d’autopsies 89 277 247 213 168
Fréquence des sillons 2 12 32 51 53
Pourcentage 2,1 4,3 12,9 23,9 31,5

Ce qui montre que la fréquence augmente avec l’âge, et cela s’explique par le fait que ce qui n’était en premier lieu qu’une empreinte, qui aurait pu disparaître si la constriction avait cessé, devient un sillon profond si la compression persiste, comme c’est le cas ordinaire.

En quoi consistent ces sillons, ils sont de deux sortes : sillons costaux et sillons diaphragmatiques. Les sillons costaux siègent sur la partie descendante ou latérale du lobe droit ; les sillons diaphragmatiques siègent au sommet du lobe droit et quelquefois du gauche, ils ont une direction antéro-postérieure.

Les sillons costaux présentent des divers degrés de développement suivant les sujets : ils se présentent sous forme d’empreintes, de sillons simples, de sillons cicatriciels.

Les empreintes sont de simples dépressions peu profondes, disparaissant au bout d’un certain temps, quand la constriction a cessé ; elles sont presque toujours multiples (deux ou trois) et présentent la largeur de la côte.

Les sillons simples sont des empreintes où sans avoir tassé le tissu hépatique, la côte s’y est cependant creusé une place.

Dans les sillons cicatriciels, la trace de la constriction est très visible : là, en effet, le péritoine qui recouvre le sillon est le siège d’une inflammation résultant de la constriction ; il en résulte des cicatrices blanchâtres siégeant toujours sur la convexité du lobe droit. Quelquefois à l’autopsie on ne trouve que des cicatrices. Si, en effet, la constriction vient à cesser, la cicatrice persiste, mais le sillon tend à disparaître. Parfois, lorsque la constriction continue est très forte, le sillon devient plus profond ; à son niveau, la substance hépatique disparaît, le péritoine de la face antérieure s’adosse au péritoine de la face postérieure pour former ainsi un ligament. Donc, ce n’est point seulement le tissu hépatique qui par l’effet de la constriction peut s’altérer, mais aussi le péritoine et cette altération de la séreuse peut aller depuis un léger épaississement jusqu’à la formation d’une cicatrice. Quand la compression s’est exercée pendant de longues années, on a une séreuse rugueuse, épaissie, criant sous le scalpel : c’est la lésion de périhépatite localisée.

Ces sillons peuvent acquérir un développement tel que l’organe peut en être bilobé. On en a cité quelques cas, Garny[1] en particulier.

Frerichs dit que par la constriction annulaire exercée par le corset, une partie du lobe droit et très souvent du lobe gauche se trouve presque séparée du reste de l’organe et cette séparation a lieu plus ou moins suivant le siège de la constriction. Le sillon formé pénètre parfois assez profondément dans le parenchyme pour qu’il ne reste presque plus qu’une connexion ligamenteuse lâche qui permet de mouvoir la partie ainsi séparée.

Ajoutons toutefois que le foie bilobé est extrêmement rare.

Les sillons diaphragmatiques, quoique coexistant fréquemment avec les sillons costaux, en sont nettement différents. Tandis que ceux-ci sont transversaux et siègent sur la partie latérale et antérieure du lobe droit, les sillons diaphragmatiques siègent sur le sommet du foie, sur son lobe droit surtout et sur la limite des deux lobes ; quelquefois à gauche ; leur direction est antéro-postérieure.

Quel est le mode de formation de ces sillons ? Cruveilhier, qui considère le foie comme pouvant changer de forme très facilement et se mouler sur les organes voisins, considère ces sillons comme résultant des plis du diaphragme lorsque le foie est fixé contre eux par une pression venant du dehors (corset). Pour Liebermesteir, sous l’influence de la compression la mobilité du diaphragme est atteinte, celui-ci est abaissé et dès lors les sillons résultent d’un trouble fonctionnel de la respiration. Pour Zahn, il y a d’abord, sous l’influence d’une cause quelconque, gêne dans l’inspiration d’où surcroît de travail pour le diaphragme et hypertrophie de ce dernier, hypertrophie qui se traduit à l’œil nu sur la surface de l’organe par l’existence de lignes foncées séparées par des lignes plus claires ; cette hypertrophie va se faire surtout aux points d’insertion, aux digitations costales, là où va se faire le plus solide point d’appui. La gêne continuant, l’hypertrophie des digitations continue. Si maintenant, à la suite d’une déformation hépatique et sous l’action de la pression abdominale tendant à faciliter l’expiration, la partie convexe du foie vient se mouler sur les plis saillants du diaphragme, il se produit à l’acte expiratoire des sillons a direction antéro-postérieure différente des impressions costales situées obliquement. Ces sillons diaphragmatiques sont chez quelques sujets si profonds qu’ils semblent, après avoir été amorcés, continuer et résulter d’une sorte de plissement de l’organe sous l’influence de la pression qu’il subit dans tous les sens.

Quel que soit le mécanisme invoqué, il n’en reste pas moins évident, vu la fréquence des sillons chez la femme, que le corset en rétrécissant la base de la poitrine dans le sens transversal comprime le foie, qui se tasse verticalement et entraîne le plissement du diaphragme qui s’y enfonce.

Physiologiquement, l’organe n’est pas moins touché qu’anatomiquement par la compression du corset. Pour envisager les désordres physiologiques, voyons comment s’opère la circulation hépatique.

Le système porte a une disposition spéciale. Située entre deux réseaux capillaires, celui de l’intestin et celui du foie, la veine porte est dépourvue de valvules, elle n’est pas entourée de muscles dont les contractions puissent favoriser la compression du sang. Le sang qui la traverse a donc de singuliers obstacles à surmonter si, au moment de l’inspiration, l’abaissement du diaphragme ne comprimait les viscères abdominaux, n’exprimait l’éponge hépatique et, par le vide thoracique qu’il produit, n’aspirait pour ainsi dire le liquide.

Nous avons vu ce qu’il fallait penser du jeu du diaphragme réduit à néant par le corset.

La ligature brusque de la veine porte chez les animaux amène rapidement la mort. La ligature lente et progressive, comparable à la compression lente que l’on observe en clinique, a ralenti simplement dans les expériences d’Oré l’activité biligineuse du foie. Lorsque l’oblitération devient complète, on peut encore compter sur la suppléance, démontrée par Schiff et Küthe, des veines collatérales. Remarquons immédiatement que la suppléance des veines collatérales, en admettant qu’elle devînt nécessaire, serait aussi entravée par le corset qui exerce une constriction en masse.

Si la ligature de la veine porte tarit la bile, il ne faudrait pas croire qu’à l’opposé l’exagération de la pression sanguine dans le vaisseau favorise la sécrétion biliaire. On comprend, en effet, que l’engorgement des capillaires sanguins, tel qu’on l’observe dans les congestions hépatiques, exerce sur les canalicules biliaires une compression préjudiciable.

La congestion passive que produit le rétrécissement de la veine cave inférieure au-dessus de l’abouchement des veines sus-hépatiques est défavorable à la biligénie, d’après les travaux d’Heidenheim. Ce qu’il faut à cette sécrétion, c’est une pression sanguine modérée. Même avec une pression sanguine très affaiblie elle persiste ; on la voit survivre aux grandes hémorragies intestinales ou autres. La circulation veineuse a donc un rôle capital.

Les branches de l’artère hépatique sont les vaisseaux nourriciers du foie. D’après Testut, la circulation artérielle a beaucoup moins de développement que la circulation veineuse, elle s’effectue sous une pression beaucoup plus faible, elle s’arrête dès que la pression du réseau veineux sus-hépatique tend à s’élever.

De ces données physiologiques nous pouvons conclure que :

Dans la compression d’un organe, la partie directement influencée s’anémie localement et que toutes les parties voisines se congestionnent. Anémie et congestion, d’après ce que nous venons de dire, ralentissent le cours de la bile. Et ces deux états sont, d’une façon indéniable, provoqués par le corset. Cela a pu être démontré à l’aide de fistule biliaire pratiquée chez le lapin. On recueillait la quantité de bile écoulée pendant un certain temps, le thorax de l’animal étant libre, et on répétait l’expérience l’animal étant fortement bandé et serré ; les résultats furent des plus concluants.

Nous savons donc que le corset, en provoquant la congestion hépatique, augmente la pression sanguine et diminue considérablement la circulation nourricière artérielle. Donc, le foie est mal nourri et souffre. La bile ne s’écoule plus, parce qu’elle est sécrétée en moins grande abondance, parce que la vésicule biliaire se trouve comprimée au moment même où elle devrait jouir de la plus entière liberté. Comprimée à la suite des repas par l’estomac distendu, elle se vide incomplètement. Cette stagnation a pour conséquence la précipitation de la cholestérine. Le champ de l’hématose étant également, comme nous l’avons vu, considérablement diminué, la quantité d’oxygène introduite est moindre, les acides non transformés sont en plus grande quantité, les sels alcalins nécessaires à sa dissolution sont insuffisants, tandis que les acides gras ou biliaires, produits non oxydés, se trouvent en quantité exagérée. Suivant le mécanisme invoqué par Bouchard, ils accaparent les sels alcalins et la cholestérine se précipite.

Nous savons aussi que :

1o La bile est indispensable à la digestion, à l’action du suc pancréatique, à l’absorption des graisses ; grâce aux acides biliaires, elle a un rôle antiseptique ;

2o Elle élimine de la cholestérine, des pigments biliaires, des graisses.

Quand on songe à l’importance capitale de ces deux points principaux, on comprend les inconvénients du corset, au point de vue qui nous occupe. La lithiase biliaire est, comme on l’a dit, la goutte de la femme. Or cette lithiase hépatique peut se manifester sous l’influence des pressions que le corset fait subir au foie soit directement soit indirectement, par l’intermédiaire d’autres organes.

Enfin n’oublions pas que le foie arrête, digère ou élimine les poisons, les substances nocives qui lui sont livrées par la veine porte, venant de l’intestin et par l’artère hépatique, aboutissant de tout l’organisme. Il est chargé de tenir en échec l’infection intestinale et l’infection générale, et c’est courir de gros risques que de le mettre volontairement en état d’infériorité devant de tels adversaires.

RATE

Le corset comprime le thorax de la 9e à la 11e côte : c’est la zone à laquelle correspond la loge splénique. Nous savons que, sous l’influence de cette compression, la rate peut être chassée de sa loge, refoulée vers la ligne médiane et venir coincer ainsi l’estomac contre le foie. M. Dieulafé nous a présenté à plusieurs reprises des rates déformées provenant de femmes chez lesquelles ces modifications de l’organe coïncidaient toujours avec des déformations thoraciques et hépatiques. Ces déformations consistent en des sillons plus ou moins marqués, quelquefois même en des déformations en masse. M. Dieulafé a donné l’explication du mécanisme qui modifie la rate dans sa position et sa forme. Sous l’influence de la pression, la rate subit un déplacement, un redressement vertical : elle se rapproche de la verticale par son grand axe. Comme elle est normalement située entre la 9e et la 11e côte, son grand axe étant presque parallèle à la direction oblique des côtes, le relèvement de cet organe est nécessaire pour que ces dernières marquent leur empreinte sous forme de sillons transversaux. Dans ce mouvement de la rate, le pôle supérieur s’éloigne de la colonne vertébrale ; en effet, le thorax comprimé dans tous ses diamètres, la loge splénique est rétrécie, l’organe qu’elle contient est déplacé, mais arrêté en dedans par le rein, il se porte forcément en dehors.

Toujours d’après M. Dieulafé, il pourrait même sur la rate, sous l’influence de la compression, se produire des lobules accessoires.

REIN

La néphroptose est chose fréquente chez la femme, et surtout à droite. Bouchard dit : « On trouve l’ectopie du rein droit uniquement chez les dilatés dont le thorax est le siège d’une constriction habituelle à sa base. Le corset et la ceinture empêchent le foie de passer au-devant du rein et si, dix à quinze fois par an, se produisent des poussées de congestion hépatique, on comprend aisément que le rein refoulé peu à peu se déplace consécutivement à l’élongation graduelle de ses attaches vasculaires. »

Comment expliquer que le rein droit est si souvent déplacé ? Ce n’est pas seulement le foie qui dans l’hypocondre droit transmet au rein la compression qu’il subit et le fait sortir de sa loge, ouverte, nous le savons, seulement en bas et en avant. Il y a aussi une action mécanique directe de la part du corset : celui-ci comprime, en effet, l’échancrure costo-iliaque, tout en formant en arrière un plan rigide qui lui permet d’agir plus efficacement sur le rein.

À côté de cet abaissement du rein, il faut ajouter la présence parfois d’empreintes costales au pôle supérieur qui, d’ailleurs, sont rares.

Disons aussi que les modifications de l’organe ne se bornent pas à des changements de position, il peut en résulter des faits plus graves ; c’est ainsi que lorsque le prolapsus du rein est poussé très loin, il peut arriver que dans un déplacement extrême, causé par un effort ou même par la station verticale prolongée, l’uretère subisse une coudure qui l’oblitère, suspend l’excrétion urinaire et devient ainsi cause d’un accès d’hydronéphrose intermittente.

Notons enfin que les envies fréquentes d’uriner se rattachent à la compression de la vessie par l’intestin refoulé.

UTÉRUS

Le premier effet que produit le corset sur l’utérus est de le déplacer en lui transmettant sa pression par la masse intestinale ptosée. Cet organe est, en effet, très libre, suspendu dans le petit bassin à l’aide des deux ligaments larges et prêt à se renverser en antéro ou rétroversion. Et l’organe est d’autant plus préparé à subir ces déviations que c’est à l’âge où on l’affuble d’un corset que la jeune fille voit apparaître les premiers symptômes de la vie utérine ; les règles s’installent au moment où, poussée par la coquetterie, elle croit se rendre belle en se serrant la taille. Aussi est-il fréquent de voir de ces jeunes personnes dont les menstruations ne peuvent apparaître sans douleurs épouvantables, et il ne l’est pas moins de les voir obligées de quitter ce vêtement pendant les deux ou trois premiers jours de leurs époques.

Mais, outre ces phénomènes d’ordre mécanique, le corset contrarie fâcheusement d’autres phénomènes organiques plus profonds.

Nous avons vu, en effet, de quelle façon le corset gênait le poumon et le cœur, c’est-à-dire la circulation. Cela ne va-t-il point avoir une répercussion fâcheuse sur l’utérus, organe éminemment vasculaire ? La réponse est évidemment positive. D’après Stephan, la dysménorrhée est due aux troubles vasculaires de l’appareil utérin. Cet inconvénient serait évité si l’on pouvait assurer aux organes du bassin un fonctionnement absolument normal au point de vue circulatoire.

Layet, dans sa thèse, accuse le corset de provoquer la leucorrhée par obstacle, au cours de la lymphe.

C’est qu’en effet le corset se pose en obstacle sur la circulation et joue le rôle d’une ligature placée entre le cœur et l’utérus, faisant surtout sentir son action sur la circulation de retour par la veine porte et la veine hypogastrique, non seulement en comprimant ces vaisseaux par l’intermédiaire des organes abdominaux, mais en amoindrissant considérablement les mouvements du diaphragme qui dominent l’action aspiratrice sur la circulation veineuse. Les écoulements leucorrhéiques, les endométrites, les prolapsus en sont la conséquence et Bouvier écrit : « Les divers déplacements utérins qui se produisent si souvent lors des engorgements de cet organe, et ces engorgements eux-mêmes, paraissent résulter dans un certain nombre de cas de la pression exercée sur l’utérus par les intestins que les corsets, ceintures trop serrées, refoulent en bas et de la gêne qui se produit alors dans la circulation du petit bassin. Cette influence ne peut être mise en doute ; lorsqu’on néglige d’en tenir compte, on s’expose à voir échouer les traitements les plus rationnels. »

À quoi tout cela aboutit-il le jour où la femme veut être mère et où elle entre dans la période de gestation ?

Ribemont-Dessaignes, dans son Traité d’obstétrique, écrit : « La conformation du bassin, la compression exercée par le corset sur le paquet intestinal sont autant de causes qui modifient la situation de l’utérus pendant les deux premiers mois de la gestation. »

Qu’en résulte-t-il ? Que les troubles de la grossesse, tels que vomissements incoercibles, malaises, douleurs abdominales, seront exagérés jusqu’au jour où les symptômes de gêne s’étant aggravés, la femme, déçue dans ses espérances de mère, fera un pénible avortement ; car, comme le dit Pinard, « à un moment donné, l’organe (l’utérus) se révolte contre cette pression, entre en contraction prématurée, décolle l’œuf et l’expulse. »

C’est qu’en effet le corset entravant la dilatation de l’utérus, soit directement, soit indirectement, celui-ci va être continuellement irrité par la présence de ces deux forces opposées, l’une agissant de dehors en dedans, et l’autre de dedans en dehors, et lorsque cette irritation arrivera au degré voulu, l’organe réagira violemment sur son contenu et en déterminera l’expulsion.

Les exemples d’avortement ayant pour cause la pression du corset sont courants en obstétrique ; aussi tous les auteurs en ont-ils blâmé énergiquement l’usage pendant la grossesse, le considérant comme une violence extérieure commise sur la femme enceinte.

Pinard, Chantreuil, Tarnier, Poncet, Delisle et bien d’autres nous ont donné des exemples d’avortement dont quelques-uns se sont accompagnés de la mort de la mère.

Et si, pour quelques femmes, le corset n’est qu’un agent fortuit, cause de leur blessure, pour bien d’autres il est l’instrument dont elles connaissent les propriétés à ce point de vue. C’est, en effet, surtout chez les filles-mères que l’abus du corset serré est la cause de fréquents avortements. Mme Tylicka dit à ce sujet dans sa thèse : « La statistique démontre que les enfants légitimes de 0 à 1 an meurent moins que les illégitimes. Après le premier mois, la mortalité des illégitimes décroît à la ville où, avec plus de lumière, on pardonne à la fille-mère et on lui vient en aide ; tandis qu’elle continue à la campagne, où l’on est intolérant et où l’on repousse la prétendue coupable… Il n’y a rien d’étonnant que des filles-mères cachent leur grossesse, les unes sans idées criminelles se cachent le plus possible ; les autres cherchent tous les moyens pour faire avorter le fruit illégitimement conçu. »

Et c’est dans ces conditions, que si l’on pratique un examen, on voit, dit le professeur Audebert (de Toulouse), que la femme a au premier aspect le ventre tout à fait plat, puis à mesure qu’on lui dit de se dévêtir, on est étonné de voir que quand le corset s’enlève le ventre se relève, bondit pour ainsi dire, jusqu’à prendre les proportions d’un abdomen de femme à terme, ce que l’examen vérifie toujours. Rien d’étonnant alors que, sous l’influence d’une telle compression consciencieusement exagérée, portant sur l’organe en distension, pression à laquelle viennent s’ajouter les troubles respiratoires et circulatoires, le résultat soit le décollement prématuré de l’œuf et l’avortement ou l’enfant non viable.

C’est sous l’influence de ces préoccupations que l’on a toujours conseillé aux femmes, bien inutilement d’ailleurs presque toujours, de n’exercer sur leur ventre aucune compression susceptible d’entraver le développement de la matrice et de l’enfant qu’elle contient. Et, d’ailleurs, le mot enceinte, employé pour caractériser l’état de la femme qui a conçu, n’est-il pas emprunté à cet usage de la société romaine qui faisait aux femmes grosses l’obligation de poser la ceinture dont elles faisaient usage pour maintenir les plis de leur robe ?

Quand l’avortement est provoqué par le corset, le mal est relativement petit, car il est facile de supprimer la cause : mais le corset a parfois des résultats autrement funestes sur la vie des organes génitaux : l’utérus pouvant être mis en anté ou en rétroversion ; la compression pouvant changer ses rapports normaux avec les autres organes ; il y a là une cause mécanique de stérilité : cause mécanique à laquelle ne tardent pas à venir s’ajouter des phénomènes physio-pathologiques, la métrite et les écoulements leucorrhéiques.

Combien de jeunes femmes qui comptent plusieurs années de mariage déplorent encore leur malheureuse infécondité ! Elles font des vœux ardents pour être mères, mais elles ne pensent pas que l’oppression des organes dans lesquels l’être tant désiré doit recevoir la vie est peut-être la cause principale de leur stérilité. Qu’elles se mettent en liberté, qu’elles abjurent leur coquetterie, qu’elles rejettent bien loin leurs principaux corsets et alors elles pourront prétendre aux ineffables douceurs de la maternité (Layet).

Et celles qui, malgré leur cuirasse, auront pu concevoir et porter à terme seront bien plus douloureusement surprises lorsqu’elles mettront au monde des enfants si faibles, si maladifs qu’ils meurent peu de temps après ; ou bien, lorsque par suite d’une altération de la conformation du fœtus, occasionnée par l’obstacle qu’est le corset à son développement proportionnel, elles mettent au monde des estropiés, des créatures difformes, rabougries, chétives, parfois même de véritables monstruosités.


Nous en avons dit assez, pensons-nous, dans cette rapide étude pour admettre comme principe la suppression du corset et des buscs dès les premiers mois de la grossesse. Car, non seulement en se déformant la taille, la femme va contre sa beauté et sa santé mais aussi contre l’avenir de sa race, en lésant ses organes les plus essentiels ; or il ne faut pas l’oublier, la femme est le moule de l’humanité et c’est pour prévenir cette mutilation que des mères de famille n’ont pas craint de s’élever contre la mode et de former une Ligue, qui s’efforce aujourd’hui de faire pénétrer dans toutes les classes de la société les préceptes d’hygiène basés sur des recherches scientifiques qui dénoncent et suppriment le corset.

Nous avons eu un moment l’intention d’ajouter à cette étude un chapitre radioscopique et radiographique traitant les déformations du buste et le déplacement des organes thoraciques et abdominaux. Cela aurait été des plus intéressant à entreprendre, mais il aurait fallu une compétence en radio-diagnostic que nous ne pouvons avoir après les deux mois seulement passés dans le service de M. le Professeur Bergonié. Il aurait fallu, de plus, consacrer à cette étude non pas un chapitre, mais une thèse entière dont les divers chapitres se rapporteraient à chacun des organes pouvant être déplacé ou gêné dans son fonctionnement par le corset. Nous nous sommes donc borné à mettre ici quelques mesures et à n’apporter que quelques examens faits à la hâte, parce qu’ils sont en dehors du sujet proprement dit. Voici ces quelques résultats avec les mesures : nous ne les donnons point comme quelque chose de définitif, mais comme une amorce de ce qui pourrait être fait par quelqu’un dont la compétence serait plus haute que la nôtre propre.

Nous avons tout d’abord examiné à la radioscopie un sujet de vingt-quatre ans étant corseté et nous avons vu que l’élargissement du thorax à sa base n’était, dans l’inspiration, que de 1 cent. 1/2 pour chaque moitié du thorax et que l’agrandissement du diamètre transversal à la partie supérieure de la poitrine était légèrement supérieur à 1/2 centimètre. Le même examen étant pratiqué sur le même sujet sans corset, l’élargissement de la base était porté à près de 3 centimètres dans les inspirations normales, alors que le diamètre transverse supérieur était à peine légèrement augmenté.

Notre examen a ensuite porté sur les mouvements du diaphragme. Sans corset, l’écartement entre les deux lignes extrêmes de la course du diaphragme, celles-ci étant repérées aux deux temps des mouvements respiratoires légèrement forcés, était de 7 centimètres vers le centre, de 6 cent, 5 à droite ou en regard de la ligne mamelonnaire et de 6 cent. 6 environ au niveau du même point à gauche.

La même femme revêtue de son corset nous donne dans les mêmes conditions d’examen : 5 cent. 1 à la région médiane, 4 cent. 1 à droite et 4 centimètres à gauche.

Nous ne pouvons donc que constater les différences considérables qui existent : 1 cent. 9 à la région médiane, 1 cent. 9 à droite et 2 cent. 6 à gauche.

Et notons que ces différences existent chez une femme jeune et peu serrée, comme nous avons pu l’observer nous-même, le sujet n’ayant point été averti de cet examen.


  1. Du corset. Paris, 1854.