Étymologies des noms de lieu de la Drôme/Chapitre 3

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Texte établi par Auguste Aubry,  (p. 72-90).
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§ III.

Noms empruntés à l’idée générale de cours d’eau, ruisseau.


L’Aigues ou Eygues, affluent du Rhône, doit son nom à un radical qu’on retrouve dans aqua, eau, fontaine, en l., aga, en b. l., agua, en esp. et en port., aigue, en prov., aigein et oich, en irl., aigean et uisge, en éc., agen, en br. ; ach et aig, en k., aughas, chose liquide, en s. c. t., aghal ou eghel, réunion d’eaux, en hébr.[1]. De cette racine dérivent : aiguière, aigualier, fontainier, porteur d’eau ; Aigala, cours d’eau qui arrose Alixan ; la terre des Aigalades, près de Marseille (aquæ latæ, eaux répandues) ; Eygalayes, près de Séderon, qui appartenait, dans le XVIIIe siècle, aux la Tour-Gouvernel ; Eygaliers, près du Buis, où coulent de nombreux ruisseaux, appelé Aguilerium, de Ayguelarüs, en 1317 ; ce fief appartenait, en 1766, aux Ventaillac ; Eyguières (Bouches-du-Rhône), Aqueria et Aquaria.

Aix, près de Die, ancienne baronnie qui a appartenu aux d’Isoard et aux Artaud (XIIIe et XIVe s.), aux la Tour-Gouvernet (XVIe s.), et aux de Veynes (1789) ; appelé de Aquis, en 1189 et 1279 ; Ais, en 1178 et 1214 ; Ays, en 1224, 1256 et 1332 ; de Aysio, en 1226, en 1300 et en 1322[2]. Il y a, dans cette commune, une source salée près de laquelle on a trouvé un petit autel consacré à Bormano et à Borma, divinités gauloises considérées comme le génie de plusieurs sources thermales, dont quelques-unes portent encore le nom de Bourbon ou Bourbonne[3]. Beaucoup de villages situés près d'une source minérale s’appelaient Aquæ; c’était aussi le nom d’Aix (Provence) , et d’Aix-les-Bains. Il y a eu dans ce mot, probablement sous l’influence du radical celtique aig, addition de voyelle ou épenthèse, comme dans Dieppe, pour Deppa ; aigu, pour acutus; aimer, pour amare ; aile, pour ala, et la dernière syllabe d’aquæ s’est usée peu à peu, comme dans beaucoup d’autres mots analogues. Pour l’Auron ou l’Oron, voir le § II, v.o, Valloire.

La partie méridionale de la ville de Montélimar porte le nom d’Aigu ; il a la même origine que celui d’une église dont il ne reste plus de vestige depuis longtemps. Elle était au midi du Roubion, près du pont et de la route de Marseille; on a trouvé dans ce quartier beaucoup d’ossements humains, des médailles et des antiquités romaines, et quelques inscriptions gravées sur des pierres employées à la construction des maisons du faubourg Saint-James. Cet édifice est appelé Prioratus de Ayguno, dans un acte suspect de 1161, et Ecclesia Beatæ Mariæ de Ayguno, dans des titres de 1262, 1340 et 1363[4]. En 1449, ce prieuré fut annexé à la collégiale, et les bâtiments qui le composaient furent détruits par les protestants[5]. La porte de la ville qui y conduisait est désignée dans les anciens documents sous les noms de porta Ayguni, Accusiorum et Acutiorum. M. Mésengère (Statistique, p. 654) ne laisse pas échapper l’occasion de rattacher l’église de N.-D. d’Aygu à un oratoire païen, élevé par les Romains « à Icarus ou Aigarus (le Bouvier), qu’on invoquait contre les eaux dévastatrices, » mais dont jamais personne n’a entendu parler.

Il me paraît beaucoup plus naturel de voir dans le nom de l’église d’Aigu, dont la fondation remonte peut-être au IXe ou au Xe siècle, un souvenir de la mansio appelée Acunum par Peutinger et la table théodosienne ; Acuno, par Antonin ; Acusio et Acusium, dans l’Itinéraire de Bordeaux, et qui ne peut pas être Ancone, petit village situé sur les bords du Rhône, dans des terrains souvent inondés et impropres à l’établissement d’une bonne route (v. Ancone, § V). C’est à Montélimar, d’ailleurs, qu’on a trouvé la colonne milliaire transportée plus tard du jardin des Recollets (le collège) dans celui de la préfecture de Valence (Statistique, p. 622) ; l’addition d’une voyelle a changé Acunum en Aygunum, comme aqua en aigue.

Acunum dut être abandonné peu à peu, lorsque, dans les premiers temps du moyen âge, les Adhémar ou leurs prédécesseurs se fortifièrent sur la hauteur, et donnèrent leur nom à une nouvelle ville dans l’enceinte de laquelle on n’a pas trouvé de débris romains autres que la colonne milliaire. La mansio était sur l’emplacement de N.-D. d’Aigu, un peu en amont du confluent du Roubion et du Jabron, ce qui permettait de passer séparément et avec plus de facilité ces deux torrents, dont les eaux n’étaient pas encore réunies. Le nom d’Acunum est peut-être synonyme de celui de la Rivière, commun à un si grand nombre de localités ; voir Jabron. Il aurait été alors emprunté à la même racine qu’Aigues, suivie d’une finale indiquant souvent un diminutif ou une forme adjective, et qui servait aussi à latiniser ou à gréciser les mots gaulois, finale qui a disparu dans le nom plus moderne d’Aigu. J’avoue que cette traduction est un peu hypothétique, mais elle me semble préférable à celle de M. Diefenbach, qui assimile Acunum à Agaunum ou Acaunum en valais ; ce nom veut dire, en c., pierre, rocher[6], ce qui est inapplicable à Acunum près duquel il n’existe ni rocher, ni trace de monuments dits celtiques.

Archiane, près de Châtillon, ancien fief des évêques de Die, Archiana, en 1293, doit son nom à deux sources très-abondantes qui sortent des anfractuosités de la montagne du Glandas, et alimentent la Drome pendant l’été. Archiane reproduit assez fidèlement la forme bretonne ar’chan ou archan, le canal ou les fontaines (ar, le, la, les), dont on retrouve le radical dans kanal et c’hanal, canal, chanal, cours d’eau, en br., caineal, en irl., kanal, en all. et en rus., khani, en s. c. t. ; de khan, creuser (χαινειν en gr.)[7]. Archiane est donc synonyme des noms hybrides Arfons et Arfont, la fontaine, et de celui d’Archen, que M. Chotin[8] traduit par les eaux, les ruisseaux. L’i a été introduit dans Archiane comme dans chien pour canem (de canis). V. le § I, v.o Arnayon.

Le Plan-de-Baix, au nord de Crest, est un ancien fief des Poitiers, qui appartenait, au XVIe s., aux Bertrand, du Royannais, dans le XVIIe, aux d’Arbalestier, et dans le XVIIIe, aux Baudet de Beauregard et aux Montrond, aujourd’hui représentés par MM.  de Sièyes et Flour de Saint-Genis. Les anciennes formes étaient Bais, en 1169, 1178, 1191, 1222 et 1244[9], Baix aux Montagnes (1374), et Bays-le-Rebost (1481), peut-être de repositus, caché, retiré. Ce nom est le même que celui du moulin de Baix, entre Montélimar et Grignan, et celui de Baix (Ardèche), Bais, en 1197 et 1237, Bays, en 1227, Apud Basium, en 1219[10]. Ce dernier bourg est appelé Bannium dans un acte suspect ou faux de 1201[11], et Castrum Banii dans un acte de 1519 ; on trouve quelquefois aussi la même forme pour le nom du Plan-de-Baix, mais le savant auteur de l’Histoire du Vivarais, M.  l’abbé Rouchier, à l’obligeance duquel je dois divers renseignements, pense que les formes Bamum et Banium résultent d’une mauvaise lecture des anciens actes, reproduite indéfiniment, comme beaucoup d’erreurs, et qu’il doit y avoir Bacium ou Bavium. Je le pense aussi et je ne crois pas que ces noms altérés aient pu être changés en Baix, tandis que Bacium et Basium représentent assez bien le bach allemand. Quant à l’ancienne forme Baix-sur-Baix, elle était due à ce que le village était dominé par un château-fort qui portait le même nom[12].

Plan de Baix signifie plateau de la rivière, c’est-à-dire de la Gervanne, qui coule au pied d’une haute falaise taillée à pic, et Baix, baigné par le Rhône, est synonyme du nom si commun de la Rivière. D’après M. Gatschet[13], Baïe, Baye, Baïa, Baiz, Biez, noms fréquents dans la Suisse allemande, correspondent au bach (ruisseau, autrefois rivière) germanique, et ont la même racine que paias, lac, baie, amas d’eau, en s. c. t., baïa et baya, en b. l., baï, en b. q., bahia, rivière, en esp., Baïae, nom d’une ville de Campanie, qui signifie aussi bains, eaux thermales, en l. Roubaix (Rosbacum), ruisseau des roseaux, représente le Rossbach allemand et le Roossbeek hollandais, et Marbaix, ruisseau des marais, est identique à Marbach et Marbeke[14]. Voir Buesch.

Bach appartient à la même série que beek, en holl., baek, en dan. et en suéd., bekr, en sc., beck, en ang. s., bec, en anc. normand et peut-être en celtique, beck, en anc. ang., bak, en pers., πηγη en gr. ; bek renferme, en ar. et en héb., l’idée de couler[15] ; becque, canal de décharge, dans le nord de la France ; on retrouve bec dans Bec-Hellouin, Bec-Thomas, etc., en Normandie ; dans Maubec, nom commun à cinq villages, dont l’un, situé près de Vienne, avait donné son nom à une illustre maison éteinte aujourd’hui. Maubec (Vaucluse) est appelé Malus Becus en latin, et Maubec (Basses-Pyrénées), Malbec et Malbeg. Maubec est un quartier situé au nord de Chanos-Curson ; en 1836, on a fondé, près de Montélimar, un vaste couvent de Trappistines dans un lieu appelé Maubec, près d’un petit torrent qui déborde et charrie des cailloux à la suite des orages. Ce nom et celui de Maubac doivent être traduits par mauvais ruisseau. La fontaine de Saint-Bacq (Sanctus Bacchus), près de Suze-la-Rousse, doit son nom au même radical, ainsi que les quartiers appelés Bègou, situés, en général, dans des lieux coupés de ruisseaux.

Béconne, sur les bords du Lez, près de Taulignan, se nommait Becone, en 1201, Becona, en 1284 ; ce fief a donné son nom à une des nombreuses branches de la maison de Vesc, tombée en quenouille il y a environ un demi-siècle dans la famille de Bevel du Perron. Beconne, qui appartenait aux Vesc dans le XIIe siècle, était encore leur propriété en 1789, mais pendant ce long intervalle il avait passé entre les mains des Montauban (1332), des Poitiers et des Alleman (1445), pour revenir aux de Vesc en 1478[16]. Beconne, Bécon, le Bégou, le Becquet, etc., sont des diminutifs du radical bec, peut-être aussi une altération de berg, montagne, en al.

Le nom de la Berre est commun à deux cours d’eau ; l’un passe près de Pierrelatte et l’autre près de Narbonne ; on peut citer encore le vaste étang de Berre. Ce mot, fréquemment employé dans la composition des noms des torrents des Pyrénées, tels que Béranguet, Berdanchon, Berdoutan, Bérecame, Bérème, a dû être un substantif. On peut le rapprocher du sanscrit var, vari, eau, rivière ; varunas, océan ; varida, nuage (litt. donneur d’eau) ; du zend vairi, eau, rivière (feor et feoran en irl.). Le Var et le Varana sont deux rivières de l’Inde[17]. On peut citer encore le Vars ou Vers de la Provence, le Vara de la Calédonie, le Varusa de la Cisalpine, le Veronius, affluent de la Garonne, la Vareize, près de Vienne, Varisia en 938[18], et la Véoure ou Vioure, qui arrose les murs et quelquefois les maisons de Chabeuil. Les permutations des lettres b, f, v sont fréquentes lorsqu’un mot passe d’une langue dans l’autre.

On place sur les bords de la Berre la mutatio ou relai appelée Novemcraris dans les Itinéraires. M. Vallentin a émis le premier une idée que je crois très-juste : il pense que Craris est le résultat d’une erreur de lecture ou de copie et qu’il devait y avoir Baris. La mutatio de Novembaris aurait alors emprunté son nom à celui de la Berre ou Barre, comme celle de Lectoce, au Lez ; les changements de l’a en e sont communs, comme dans pater, père, mater, mère. Quant à la traduction de novem j’avoue mon embarras, à moins que ce soit une altération dé novio, comme dans Noviodunum et Noviomagus, nouveau village ; ce serait alors une allusion à un nouveau lit de la Berre, formé à la suite d’une inondation.

Bondonneau, près de Montélimar, où les Romains avaient un etablissement thermal important dont on a trouvé de nombreux débris, ainsi que des tuyaux en plomb, des restes de mosaïques, des médailles, des statuettes et des objets en argent, dont l’un, qui est une anse de vase, a été payé, dit-on, 4,000 francs, et se trouve au musée du Louvre[19], veut dire eau qui bouillonne ou bondonne en anc. prov. et en v. franç. Cette source doit son nom aux bulles d’air qu’elle dégage.

La Bourne, affluent de l’Isère, Borna en 1107 et 1174 est encore un substantif devenu nom propre. Il est emprunté à la même racine que born, burne, brunne, fontaine, ruisseau en t. born, bourn, burn, en ang. s., born, en all. et en holl. ; Bournac Bornacum, Saint-Jean de Bournay (Sanctus Johannes Bornini) sur un cours d’eau qui fait mouvoir des moulins ; Borne près de Glandage, Borna, dans les XIIe et XIIIe s ., sur les bords d’un ruisseau ; la Borne, un des premiers affluents que reçoit la Loire, ont la même étymologie. Lang ou Long-Bourne est un ruisseau qui traversait autrefois une partie de Londres à ciel ouvert, et qui coule aujourd’hui dans un canal après avoir laissé son nom à un quartier de la ville. Un bourneau, bornellus, en b. l., est un conduit destiné à renfermer l’eau d’une fontaine : voir Jabron.

Le Buesch de Lus prend sa source dans le canton de Châtillon et se jette dans la Durance. Ce nom veut dire torrent, dans l’ancien idiome alpin (bouel et bouet en pyrénéen, buat et buais en anc. normand). Les noms analogues sont ceux du Bez, affluent de la Drome, et du diminutif Besset (ruisseau), empruntés à la même racine que bessa, bessale, ruisseau, en b. l., besse, en v. fr., etc. Voir Baix. Citons encore buée, amphore ; buer, laver, lessiver ; beuchen, en all., peuchen, en t., etc. Pour Dive, voir § 5, v.o Divajeu, et pour Darentiaca, v. Saillans, § III.

La Drome, Droma en 1203 (Cart. de Die, p. 42), est appelée Druna dans Ausone (Éloge de la Moselle), seul auteur latin qui ait mentionné cette rivière. Cette forme me paraît être le résultat d’une erreur de copie. M. Quicherat semble avoir la même opinion, puisque dans son Vocabulaire géographique, p. 53, il adopte la forme latine Druma, en citant Ausone. On trouve en Normandie un autre cours d’eau appelé la Drome. L’idée que renferme ce nom est celle d’une course rapide, δρομας en gr., d’où ϰαμηλος δρομας, chameau coureur, ou dromadaire, δρομων, vaisseau de course, etc. Le quartier de Dromette, près de Montélimar, est traversé par un torrent. Tous ces mots se rattachent au s. c. t. dram, drava et dru, courir, couler, se mouvoir, qui ont formé dravanti, rivière, torrent, et les noms de la Drave, du Drac, Dravus, en latin[20], et peut-être celui de la Durance (Druentia, en l.), la coureuse , la rapide (Druanti, en s. c. t.).

Notons en passant un néologisme qui pourrait bien « aux Saumaises futurs préparer des tortures », c’est celui de Drome, pour orage, dû aux prédictions atmosphériques et aux almanachs de Mathieu de la Drome. Pour Eurre ou Urre, voir le § IV, et pour Eygalayes, v. Aigues.

L’Estagnol, près de Baume-de-Transit, où se trouvaient autrefois de nombreux étangs, et Lens-Lestang n’ont pas besoin d’explication. Du latin forts, fontaine, dérivent : Fontgrand, Fontbonne, Fondeville, fontis villa, maison de la fontaine, fief situé près d’Ànneyron qui appartenait, dans le XVIIe s., aux Brunier de Larnage, et dans le XVIIIe, aux princes de Rohan-Soubise, comtes d’Albon ; c’est aujourd’hui la propriété de M. Gagnière.

Fontager (fontis ager, domaine de la fontaine). Ce fief, qui est près de Saint-Vallier, d’après M.  l’abbé Vincent, appartenait en 1339 à Lancelot de Briord ; il passa plus tard aux de Gruel et aux Châtelard ; le château appartient aujourd’hui à M.  le baron de Croze. Le mot font était autrefois féminin, comme le prouvent les noms de Fonfrède, Lafont, etc. Pour Galaure, voir le § II, v.o Valloire.

Le nom de la Gervanne, affluent de la Drome, qui brise ses eaux contre des rochers, et coule dans un étroit vallon profondément encaissé, qu’on appelle les Gorges d’Omblèze, veut dire rivière des rochers. On retrouve la première partie du mot guer, guuer, ruisseau, cours d’eau, en corn., gouer et goez, en br. (Zeuss, p. 1119), et dans les noms du Gers, de la Gère, (Jaira, dans le Xe s.), qui se jette dans le Rhône, à Vienne ; de la Gérène ou Gérine, en Suisse ; de Gières, près de Grenoble, Geria, en latin, sur le bord d’un torrent ; du Guiers-Vif (Isère), qui ne tarit jamais ; du Guiers-Mort, qui est souvent à sec pendant l’été ; du village appelé Entre-deux-Guiers ; quant à van et ven, ils veulent dire en c. montagne, rocher, v. le § I, v.o ben. Je ne sais si l’on peut traduire de la même manière le nom du quartier appelé Gervans, entre Hostun et la Motte, et celui du village de Gervans, canton de Tain, près d’un petit torrent qui descend de la montagne, dont le nom était Gervanciacum, en 909 (M. Giraud, Preuves, t. I, p. 132), Girvant, en 1323, Girvandum, en 1470, et qui appartenait dans le siècle dernier aux Saint-Vallier. Pour ac, v. § I, v.o Aleyrac.

Guisans, près de Bourdeaux, sur les bords du Roubion, Guzanz en 1168 et en 1198 (Cart. de Die, p. 28 et 56), qui appartenait aux Chabrillan en 1760 ; Guisanne, rivière des Hautes-Alpes, Aguisiana dans le VIIIe s. ; s’ils ne sont pas, comme le nom du Jabron, les débris d’une forme plus ancienne, ont la même racine que guis, couler, en irl., uisge, eau, rivière, en éc., visa, en s. c. t. (Belloguet, t. I, p. 226). Pour Hauterives, v. Riaille.

Isara est le nom latin de l’Oise et de I’Isère ; cette dernière rivière est appelée Isera par Grégoire de Tours. Les noms analogues sont : l’Isar ou Iser, en Bavière ; l’Yseron, près de Lyon ; l’Yser, dans le département du Nord; l’Ysser, en Algérie ; l’Yssche, dans le Brabant ; le Lison (pour l’Ison, v. § IV, v.o Loriol), affluent du Doubs; l’Yssel, en Hollande (les finales on et el indiquent des diminutifs), etc. Ces mots sont empruntés à un radical sanscrit, visa, eau, rivière (d’où avisa, océan ; Burnouf, p. 58 et 606), qu’on retrouve dans is, iche, isc, en celto-tudesque[21], vis, en hongrois, isge, en irl., uisge, en éc. et en irl. (d’où le nom moderne de l'Oise), etc. Quant à la seconde partie du mot Isara, elle est empruntée, comme dans les suivants : Visera, la Vezère, affluent de la Dordogne, la Vizeraa, en Suède, au mot sanscrit ara, rapide (âra et ir, aller, se mouvoir, ire, en l., ârani, tourbillon, etc. Burnouf, p. 46) ; on le retrouve, probablement sous la forme réduplicative indiquant le superlatif, dans les noms de beaucoup de rivières ou de torrents de la Suisse et de l’Allemagne appelés Aar, et dans l’Aron, l’Arron, l’Arun, l’Arroux, l’Aruin, l’Araxe, et dans ceux d’un grand nombre de torrents des pays pyrénéens, dans lesquels arrecq a le sens de torrent. Isère veut donc dire eau courante ; c’est l’expression cours d’eau renversée.

M. Jacobs[22] pense que les noms d’Arar et de Sauconna (la Saône) étaient deux appellations contemporaines et synonymes, données à deux parties différentes de la même rivière par deux tribus voisines ; la forme Arar conviendrait très-bien à la partie supérieure de son cours, qui se rapproche de la Suisse, où il y a tant d’Aar. Les noms de village Izeau, Izel, Izeron, Izon, Ison paraissent synonymes de celui de la Rivière. Izon, près de Séderon, qui appartenait, dans le XVIIIe siècle, aux de Vaulserre des Adrets, est appelé de Yzone en 1317, et de Yzono en 1467.

Deux cours d’eau nommés Jabron arrosent le département ; l’un se jette dans le Roubion, et l’autre, qui prend sa source dans le canton de Séderon, se perd dans la Durance, près de Sisteron. Ce dernier est désigné ainsi dans un acte de 1264[23] : Ad pontem Aquæ Brunæ, vel vulgariter Agabronis ; quant au premier, il est appelé, en 1404, Riperia Jabronis. Un philologue aussi complaisant qu’érudit, M.  le commandant Mowat, auquel je dois beaucoup de notes et d’idées qui m’ont été très-utiles pour l’Étymologie des noms de la Drome, a bien voulu m’adresser, en 1866, une lettre, insérée dans la Revue archéologique, de laquelle j’extrais ce qui suit : « La forme primitive Agabron s’est contractée eu Abron (qui est aussi le nom d’une rivière de la Nièvre), d’après la règle de la chute de la gutturale entre deux voyelles. D’autre part, Agabron a donné lieu à une autre forme secondaire, par l’aphérèse de l’a initial ; il reste Gabron, qui s’est à son tour affaibli en Jabron, suivant les procédés habituels. Voilà comment on peut s’expliquer que les deux formes Abron et Jabron ne découlent pas l’une de l’autre, mais dérivent chacune indépendamment d’une forme plus ancienne et plus complète, Agabron, donnée par un texte authentique, et laissant clairement entrevoir sa signification, sans qu’il faille recourir au radical avr ou abr, etc. Abron et Jabron constituent un véritable doublet. »

On peut citer beaucoup d’autres exemples d’aphérèses, notamment : la Guisanne, affluent de la Durance, Aguisiana et Aquisiana, dans le VIIIe siècle ; Gusargues (Hérault), Aguzanicæ, dans le XIIe siècle ; Bollène, Abolena, etc. Il ne me paraît pas possible de traduire Aqua Bruna et Agrabron (Jabron) par eau ou rivière brune, trouble, car l’eau de ce torrent est claire, sauf à la suite des pluies abondantes ou des orages. Bron et brun ont plutôt la signification de cours d’eau ; brunnen, en al., brunn, en t., en ang. s. et en suéd., bourn, en ang. (v. Bourne), avaient primitivement le sens de torrent, eau courante ; ils ont pris plus tard celui de source, fontaine[24]. Dans de très-anciens documents, insérés dans les Acta Sanctorum, brunum veut dire rivière, et on croit que chez les Gaulois bronn correspondait au brunn germanique. L’expression Aqua Bruna formerait donc un pléonasme ; elle est synonyme de celle d’Aqua Rubio, donnée au Roubion en 957. J’ai déjà traduit Acunum par la Rivière, et cette mansio était sur la rive gauche du Jabron, dont la première moitié du nom était Aqua, cours d’eau, rivière. Bron a la même racine que Rhône ; les exemples analogues de prosthèse sont : tante, autrefois ante, amita, en l. ; cane, autrefois ane, d’anas, canard ; nombril, autrefois umbril, d’umbilicus, etc.

Lène est un cours d’eau qui prend sa source non loin de Condillac, et se jette dans le Rhône près du village appelé aussi Lène (Lena, dans un acte suspect ou faux de 1099, Cartulaire de Montélimar, p. 14, Lène en 1355, Lena en 1445, Layne en 1521), qui a longtemps appartenu aux Poitiers. Des lettres patentes de 1400 disent que le château de Layne venait d’être détruit par Roger Raymond de Turenne, et M. Delacroix (Statistique, p. 520) raconte sur ce château des choses complètement romanesques. Le nom de Lène, comme le mot lône ou losne, bras de rivière, a la même racine que len, étang, cours d’eau, en br., llyn, en k., ληνος, en gr. ; plusieurs rivières d’Allemagne s’appellent Leine et Lahn[25] ; voir Lionne.

Le Lez, qui coule près de Grignan, a son homonyme dans le département de l’Hérault ; on trouve aussi dans les Pyrénées le Lech, le Léech, la Lesch, le Leck, la Lys, etc. Forstemann[26] cite comme ayant le sens de cours d’eau, en t., leich, leck, lek, laïka, like, et il les rapproche d’une série de noms rappelant l’idée d’eau ou de lac, tels que Louech, Loch, Luchon etc. ; v. § V, v.o Luc.

La Lionne, qui arrose le Royannais, est appelée Liona en 1174 (Cart. de Léoncel, p. 24). Ce nom paraît avoir eu primitivement la signification de cours d’eau et appartenir à la même série que ceux des deux rivières appelées Lyon, dans le Perth et dans l’Inverness ; que le Loin, dans le Banff ; la Line, dans le Cumberland (Taylor, p. 215) ; la Leine, en Hanovre ; la Ligne, en Anjou ; la Lègne, en Champagne ; la Lène, dans l’Hérault ; la Liane, dans le Pas-de-Calais ; de même que la Lène (Drome), ces affluents devraient leur nom au même radical que les mots de lyn et lyan, que L. de Bochat[27] cite comme ayant le sens de cours d’eau en néo-celtique.

L’abbaye de Léoncel, bâtie près d’une des deux sources de la Lionne, a été peuplée, en 1137, par une colonie de religieux venus de Bonnevaux[28]. Léoncel est appelé Abbatia Fontis Lionne en 1154 ; Fontis Lione en 1171 ; Fontis Leone en 1150 ; Fontis Leonne en 1165 ; et plus tard Leoncellum, Lioncellum, Liuncellum, Lyoncellum[29], c’est-à-dire abbaye ou couvent de la Lionne (cellum pour cella). La famille de Lionne, anoblie en 1580, éteinte en 1731[30], et arrivée si rapidement à la fortune et aux honneurs, était originaire de Saint-André-en-Royans, situé à quelques kilomètres de la Lionne. On montrait encore, il y a une cinquantaine d’années, l’humble maison qui servit de berceau à cette famille puissante[31] dont le nom est analogue à ceux de Deloire ou de Loire, de Seine, Degironde, etc. Pour Lus, v. le § V ; pour Maubec, v. Bec, et pour Miscon, v. le § V.

L’Ouvèze, qui passe au Buis, rappelle le patois suisse owa, auwa, ruisseau et quelquefois marais, et le néo-celtique avon, aven, aouen, rivière (ave, awe, ève, eawe, eauve, eau, ruisseau, dans les langues romanes, racines du mot évier[32]).

Les noms du Rhône et du Rhin, comme ceux de la Saône et de la Seine (Saucona et Sequana), ne diffèrent que par une variante dans la prononciation. Ils rappellent l’idée de marche, de mouvement, de course ; les rivières, dit Pascal, sont des chemins qui marchent. On peut citer beaucoup de noms analogues ou identiques, notamment la Roanne, qui se jette dans la Drome près de Saillans ; le Rouanel, qui coule près de Villeneuve-de-Berg ; le Rhônel et le Rounel, dans l’Hérault ; le Rhône, dans Eure-et-Loir (Rodna et Rona dans le XIe s.) ; le Rhins, près de Roanne ; le Petit-Rhône, dans la Meurthe ; la Ronne, dans le Hainaut[33] ; le Roannai, en Belgique ; la Daronne (Ardèche), et la Garonne, dont le radical est peut-être combiné avec l’article breton ar, le et la, altéré par le temps, comme le bron de Jabron, etc.

Tous ces noms font partie de la même famille que rinnen et rennen, courir, couler, en al. et en bol. ; rinnan, en t. ; run, en ang. ; ronnen, en bas-saxon ; ρεειν, en gr. ; ruens, courant, en l. ; rinne, ruisseau, canal, en al. et ang. s. ; runs en t. ; rin, ryn, en hol. ; renna, en sc. ; du sanscrit , aller, couler, d’où : rinas, fluide, etc.[34]. Le latin Rhodanus, Rhodan ou Rodan, en c., est une variante représentant exactement le sanscrit rôdana, cours d’eau, de rud, couler. Cette forme est plus ancienne et moins usée que celle de Rhône, dans laquelle l’accent tonique qui est sur la lettre o, comme en sanscrit, indique une contraction. On la retrouve dans le Rhodaune, qui coule à l’est de Dantzig : c’est l’Eridanus (pour ar rodan, le fleuve) qui, d’après Hérodote, se déchargeait dans la mer du Nord ; le Rhotanus, ancien nom du Tavignano (Corse) ; le Rhodius de la Troade, etc. ; dans rhedu, couler, courir, en gal. ; redi, en br. ; rend, en éc. et en irl. ; rudh et roud, rivière, en zend et en pers., etc.

Riaille, Ribeyre, Rieux, Rieusec, les Ribaux, les Rivoux, les Rivoires (ce dernier nom peut dériver aussi de rovoria ou roboria, bois de chênes, ou de roures, robur, en l.) ; Rimon, près de Saillans, qui appartenait aux Grammont, Rimont en 1231[35], synonyme de Rumont, ruisseau de la montagne (rivus montis ou rivi mons) ; (V. Rimandoule, affluent du Roubion, v.o Mirmande, § I) ; ainsi que rial, ribe, rive, ripe, ruisseau, dans l’idiôme vulgaire, sont empruntés au radical sanscrit , couler, qui a de nombreux dérivés. Tels sont rivière (riviéra, en it., ribera, en esp.), de rivus, ruisseau, auquel la terminaison ière donne l’idée de réunion, de multiplicité, comme dans crapaudière, cressonnière, rizière ; ruisseau est un diminutif de rius, en b. l., pour rivus, qui correspond au grec ρεος et ροος, et au sanscrit rayas.

Hauterives, Alta Ripa en 1083[36], 1284 et 1321, doit son nom, dit M. Lacroix (Bull. arch., 1868, p. 285), aux collines élevées qui servent de rives à la Galaure, de Roybon à Saint-Vallier. Ce fief a appartenu aux d’Hauterives (XIIe s.), aux Poysieu (XVe s.) ; aux Saint-Priest, barons de Saint-Chamond (1499), et aux Borel (1596) ; le dernier Borel, marquis d’Hauterives, se ruina et n’eut qu’une fille, ce qui n’empêche pas que son nom n’est pas éteint. Sa terre, dit M. Lacroix, fut acquise en 1783, pour le prix de 148,585 livres, par M. de Châtelard, aujourd’hui représenté par M. Copin de Miribel.

Le substantif ravin (ravoie, ravoir, ravasse, dans le XIV s.) a beaucoup d’analogie soit avec rivus, soit avec srava, cours d’eau, en sanscrit (sru, couler), soit avec rawa, liquide, en pers.[37] et rawa, aller, couler, en hind. Ravage et ravasclas, averse, en provençal, ont la même origine, ainsi que ravelin (rivellino, en it.), qui désignait primitivement un fossé, un retranchement. Ravel, près de Châtillon, Castrum de Revelio en 1224 et 1343 (Cart. de Die, p. 69 et 116), qui appartenait, dans le siècle dernier, aux Perdeyer et aux Philibert, seigneurs de Venterol, et Revel, Revellum, nom commun à cinq villages, ainsi que Ravières (Yonne), Ribarias en 721 ; Reveillon (Eure-et-Loir), Rivellonium en 1113, Rivellon en 1250 ; Réviers (de Riveriis) ; Révillon, etc., représentent des diminutifs de rivus, tels que rivulus, rius, riulus, en b.l. Ravel et Revel sont aussi des noms d’homme connus depuis le XIe s., formes francisées des noms tudesques Rahlwes, Rahlve, Ralphs, Rolff, cités par Pott, p. 265.

Le Roubion, Aqua Rubio en 957[38], Robio dans le Cart. de Montélimar, et le Rubicon doivent leur nom au même radical que rabi, ravin, en lang. Robina et rubina, en b. l., roubina, en provençal, désignent un canal servant à l’irrigation ou à la navigation, et robinier, un éclusier. Le canal de la Robine, près de Narbonne, et celui de la Roubine, près d’Aigues-Mortes, remontent à l’époque romaine ; le Robinet de Donzère est l’endroit où le canal qui arrose la plaine de Pierrelatte quitte le lit du Rhône ; le substantif robinet a la même étymologie. Dans un acte de 1057 (Générat, p. 12), on mentionne la lône de Rubian (de Rubiano), près de Tarascon ; la Roubine arrose le territoire de Saint-Paul-trois-Châteaux, etc.

D’après le docteur Long[39] et Delacroix (p. 42 et 604), Saillans, Villa de Sallenz en 1201, Sallentz en 1256, Castrum Salientis en 1299, Saillens et Saillenz, ancien fief des évêques de Die, est construit sur l’emplacement de la mutatio appelée Darentiaca dans l’Itinéraire de Bordeaux. L’ancien et le nouveau nom paraissent empruntés tous deux à l’idée d’eau courante ou jaillissante. Darentiaca est le mot sanscrit taranta, torrent et averse (Pictet, t. I, p. 144 ; Burnouf, p. 286), suivi de la finale ac ; on en retrouve la racine dans tara, rapide, en irl. ; tarandus, renne, en scythe ; tarant, en pol. La Darantasia des Itinéraires, qui a donné son nom à la Tarantaise, occupait l’emplacement de Moûtier-sur-Isère. Le nom primitif de Saillans, qu’on peut traduire par maison du torrent, s’est conservé, dit-on, dans celui de la place de la Daraise, sur laquelle on trouve une colonne milliaire.

Lorsque le nom celtique a cessé d’avoir une signification, on lui en a substitué un nouveau. On appelle Saliens ou Saillens, dans certaines provinces, les quartiers où se trouvent des eaux jaillissantes, du latin saliens aqua. On retrouve la même idée dans le nom de la Sorgue (Vaucluse), Sorgia et Surgia dans les anciens actes, dans Sorgeon et Surgeon, source, dans le XIVe s., du l. surgere, surgir, sourdre, pour surrigare (rigare, arroser) ; dans spring, fontaine jaillissante, en al. (springen, jaillir, sauter) ; quell, fontaine (quellen, jaillir), etc.

Si Darentiaca devait son nom au torrent de la Drome[40], Saillans doit le sien à la Drome ou aux fontaines qui arrosent son territoire. On retrouve dans beaucoup de langues le radical dont il est formé, notamment dans sala, salila, eau, fontaine, et sal, aller, couler, en s. c. t. ; silim, couler, distiller, en irl. ; seil, torrent, en ar. ; seille, cours d’eau, en dialecte franc-comtois ; sil et ziil, fossé, canal, en t. et en hol (d’où peut-être le mot sillon) ; sail, mer et sel, en éc. et en irl.[41] ; sal, en l., ainsi que dans le mot salive et dans les noms de divers cours d’eau, tels que la Salaine, affluent de la Drome ; la Sillas, qui coule près de Romans ; la Sala, en Espagne ; le Salat, affluent de la Garonne ; le Salha et le Saleys (Basses-Pyrénées) ; la Saale, en Allemagne ; le Sal, affluent du Don, appelé lui-même Silis par les Scythes, etc. Notons en passant qu’il est quelquefois difficile de distinguer les noms dérivant de salire, jaillir, et de sala, eau, et que les substantifs ayant le sens de cours sont formés de la même manière que les noms des diverses rivières ; ceux-ci ont été substantifs avant de devenir noms propres.

La Savasse, Savacia dans les Xe et XIIe s. (M. Giraud, Preuves, t. III, p. 8 et 136), inondait souvent autrefois les bas quartiers de Romans : c’est le mot sanscrit sava, eau, chose liquide, avec la terminaison péjorative asse, donnée par les Romanais à un cours d’eau très-incommode. On rencontre la même racine dans sua (contraction de sava), torrent, en irl. ; saiws, lac, mer, en goth. ; seo, en t. ; see, en all. ; saba, il a imbibé, en héb. ; sabag, teinturier, en ar. ; sapa, suc, sève, sabaia, bière, en l. ; le Savus de la Pannonie ; le Savo de la Campanie ; la Savena de Bologne ; les deux Sabis (Pictet, t. I, p. 139 ; — Burnouf, p. 701) ; la Saverne, la Sève de Normandie ; la Sauve, qui coule près de Nyons, et la Sepy, près de Die, etc. Le Pont-de-Barret, sur le territoire duquel se trouve une source minérale, s’appelait Savenna avant le Xe s. Ce nom a été conservé, car le quartier de Savenne est à un kilomètre du village (Bull. arc., 1867, p. 225). L’ancien nom a dû tomber en désuétude, lorsque l’on construisit un pont sur le Roubion. Pour Savasse, voir le § V.

Veaunes est un village dont le territoire est traversé par la Veaune, qui se jette dans l’Isère. Il est probable que le cours d’eau a donné son nom au village, appelé Villa Vedena en 909, Vedona en 1031, et Veana dans le titre de l’acte de 1031 (M. Giraud, Preuves, t. I, p. 25 ; t. III, p. 17), Veauna en 1461. Le château, qui était une maison forte sans juridiction, a été acquis en 1389 par Guillaume de Fay ; peu d’années avant 1789, Philippe de Fay-Solignac le légua à M. Bruno du Vivier, son neveu[42]. Il appartient aujourd’hui à M. Savy. Quant au fief, il a été possédé par Diane de Poitiers, et plus tard par MM. Lacroix de Saint-Vallier ; MM. de Fay-Solignac portaient cependant la qualification de seigneurs de Veaunes.

Le nom moderne de la Veaune est usé comme celui du Rhône : il est formé de la même racine que celui de la Vanne (Vedena), qui se jette dans l’Yonne à Sens ; la Vône ou Vonne, qui a donné son nom à Vivonne (Vienne), Vicavedona et Vividona[43], sans doute pour vicus vedonae, bourg de la rivière ; l’Huveaune, près de Marseille, Vueauna en 1368 (du Cange), c’est la forme moderne à laquelle on a ajouté l’article la ou le, comme dans Uppegua, le Pègue : v. le § I. Vonas (Ain) est entouré de cours d’eau, mais je ne sais si telle est l’origine du nom de Védènes (Vaucluse), que divers archéologues croient être Vindalium. Les anciennes formes Vedena et Vedona paraissent être des diminutifs de vadhu et badhu, rivière, en sanscrit ; vaidhi, en zend. (vadi, en ar.). On peut rapprocher ces mots de Venna, rivière, et vaudan, liquide, en s. c. t. ; de wan, cours d’eau, dans les noms ang. s.[44] ; de vatter, eau, en ang. et en hol. ; vatten, en suéd., etc. Dans le nom moderne de Veaunes, la lettre e représente la syllabe de Vedena ou Vedona usée par le temps. Pour la Véoure ou Vioure, v. Berre.


  1. B.on de Belloguet, t. I, p. 226 et 250 ; — Gesenius, p. 12 ; — Houzé, p. 83.
  2. Valbonnays, t. II, p. 19, 64, 103 ; — l’abbé Chevalier, Chartularium Diensis, p. 5, 9, 69.
  3. D.r Long, Recherches sur les antiquités romaines du pays des Vocontiens p. 108; — Greppo, Eaux thermales de la Gaule, p. 25; — de Belloguet, t. I, p. 233.
  4. L’abbé Chevalier, Chartularium civitatis Montilii Ademarii, p. 18 et 36.
  5. L’abbé Vincent, Notice historique sur Montélimar, p. 6 et 43.
  6. Diefenbach, p. 218 ; — de Belloguet, t. I, p. 139 ; — Zeuss, p. 38 — Revue archéologique, septembre 1869, p. 188.
  7. Edwards, p. 212 ; — Bellot, Sanscrit derivations, p. 24.
  8. Étymologies des noms de lieu du Brabant, p. 52.
  9. L’abbé Chevalier, Chartularium de Leoncello, passim.
  10. Idem, Chartularium Sancti Theofredi, p. 41, 42 ; — Bulletin archéologique, 1868, p. 73.
  11. Idem, Chartularium Montilii Adhemarii, p. 24.
  12. Albert du Boys, Album du Vivarais, p. 168.
  13. Ortsetymologische Forchungen, p. 84 ; — L. de Bochat, Mémoires critiques sur la Suisse, t. III, p. 194, traduit aussi par cours d’eau le nom de deux torrents appelés Baye, qui coulent près de Lausanne ; — Burnouf, Dictionnaire sanscrit, p. 388.
  14. E. Mannier, Études étymologiques, etc., p. 89.
  15. Meidinger, Dictionnaire, etc., p. 220.
  16. M. Lacroix, L’arrondissement de Montélimar, t. I, p. 279, donne des details très-complets sur les seigneurs de Bécone ou Béconne.
  17. Eichhoff, Parallèle des langues de l’Europe et de l’Inde, p. 327 ; — Pictet, Origines, t. I, p. 144.
  18. L’abbé Chevalier, Cartulaire de Saint-André-le-Bas, p. 73.
  19. M. Lacroix, L’arrondissement de Montélimar, t. I, p. 86, donne des détails pleins d’intérêt sur les antiquités trouvées à Bondonneau.
  20. Burnouf, Dictionnaire sanscrit, p. 334 ; — Pictet, Origines, t. I, p. 143.
  21. Chotin, Brabant, p. XI et 177 ; — de Belloguet, t. I, p. 226 ; — Taylor, p. 202 et 217 ; — Forstemann, p. 32.
  22. Fleuves et rivières de la Gaule, p. 5.
  23. M. de Laplane, Histoire de Sisteron, t. II, p. 330.
  24. Schoebel, Analogies constitutives de la langue allemande, p. 13. — Dans le Var, il y a encore un Jabron, qui coule près de Comps.
  25. Pour plus de détails, voir : de Coston, Origine des noms, p. 83 et 203 ; — Études étymologiques, p. 17.
  26. Die Deutchen Ortsnamen, p. 34 ; — Morris, The etymology of local names, p. 42.
  27. Mémoires critiques sur la Suisse, t. III, p. 463 et 425.
  28. L’abbé Nadal, Histoire hagiologique du diocèse de Valence, p. 577.
  29. L’abbé Chevalier, Chartularium de Leoncello, passim.
  30. A. Rochas, Biographie du Dauphiné, t. II, p. 84 et 86. Un officier d’artillerie porte cependant le titre et le nom de comte de Lyonne.
  31. L’abbé Clerc-Jacquier, Esquisses historiques sur Saint-Andrè-en-Royans, p. 22.
  32. Gatschet, p. 61 ; — Taylor, p. 197.
  33. Chotin, Brabant, p. 12 ; — Taylor, p. 206.
  34. Eichhoff, p. 355 ; — Meidinger, p. 317 ; — Burnouf, p. 540 et 546 ; — Obry, Du berceau de l'espèce humaine, p. 125 ; — Pictet, t. I, p. 145 ; — Edwards, p. 412.
  35. Gallia Christiana, t. XVI, Preuves, p. 206.
  36. L’abbé Chevalier, Cart. de Saint-André-le-Bas, p. 202.
  37. Pictet, Origines, t. I, p. 136.
  38. L’abbé Chevalier, Chartularium Sancti Theofredi, p. 7.
  39. Recherches sur les antiquités romaines du pays des Vocontiens, p. 85.
  40. M. Delacroix, p. 41, d’après M. Mésengère et la mythologie qu’il a composée pour son usage particulier, traduit Darantiaca par Diva Arrunci Acca, Divine Mère préservant des dangers.
  41. Burnouf, p. 700 ; — Edwards, p. 421 ; — Pictet, t. I, p. 139 ; — Forstemann, p. 75 ; — Bellot, Sanskrit derivations, p. 101.
  42. M. de Rivoire de la Batie, Armorial de Dauphiné, p. 707.
  43. M. Quicherat, De la formation française des anciens noms de lieu, p. 22.
  44. W. Donaldson, Varronianus, p. 45 ; — Burnouf, p. 618 ; — Pictet, t. I, p. 140 ; — Eichhoff, p. 153.