Évangéline (trad. Poullin)/Notice

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Traduction par M. Poullin.
Librairie nationale d’éducation et de récréation (p. 5-12).

H. W. Longfellow.

NOTICE

sur Longfellow et sur l’Acadie




L ongfellow (Henri Wadsworth) naquit le 27 février 1907, à Portland, ville de l’Amérique du Nord. Son père appartenait au barreau de cette ville. Le futur poète d’Évangéline fit d’excellentes études au collège Bowdoris, dans le Nouveau-Brunswick. Avant même d’en être sorti, Longfellow fit paraître, dans les principales revues du pays, des vers qui furent remarqués.

Après être resté quelque temps dans l’étude de son père, Longfellow, cédant à sa vocation, accepta une chaire de littérature et de langues modernes dans le collège Bowdoris, dont il avait été l’orgueil. Il fit alors un voyage en Europe, afin de se familiariser avec les langues qu’il était chargé d’enseigner. Il passa une année à Paris, visita les autres parties de l’Europe et rentra en Amérique, après une absence de trois années.

En 1835, à l’âge de vingt-huit ans, il fut appelé à Cambridge, pour être attaché comme professeur de littérature étrangère à l’Université Harvard, la première et la plus ancienne de l’Amérique. Ce fut pour lui l’occasion d’un nouveau voyage en Europe, dont il explora particulièrement les régions du nord. Ce fut pendant ce second voyage qu’il perdit, à Rotterdam, sa jeune femme Mary Storer Potter. Quelques années après, sa seconde femme, Frances Elizabeth Appleton, lui fut enlevée par un affreux accident : elle fut brûlée vive.

Longfellow occupa sa chaire pendant plus de vingt ans ; il donna sa démission en 1854, et se retira à Boston, dans un asile charmant, situé au milieu des arbres et des fleurs, et qui avait servi un jour de quartier général, avant l’évacuation de cette ville, au père de la patrie, à l’illustre Washington.

Et… (dit le poète)… dans cette chambre où j’écris :

Il s’est reposé aux heures de chagrin,
Le cœur et la tête harassés…

Il se consacra dès lors exclusivement à ses travaux littéraires, qui lui valurent une renommée universelle.

Nos malheurs de 1870 attristèrent profondément Longfellow, qui s’était toujours montré un sincère ami de la France. Il s’informa souvent si la mitraille allemande avait épargné les foyers amis, dont il conservait le souvenir, et qu’il n’osait plus espérer revoir jamais.

Longfellow mourut le 24 mars 1882 ; l’Amérique, qui perdait en lui l’un des hommes dont elle est le plus justement fière, et que l’Europe honore comme une des belles figures du siècle, fit à son illustre enfant des funérailles grandioses et vraiment nationales.

Le nombre des ouvrages de Longfellow est considérable ; mais, parmi ses œuvres, Évangéline, qui parut en 1847, est une des plus remarquables ; c’est encore aujourd’hui la plus populaire aux États-Unis.

Pour nous, Français, le récit d’Évangéline présente un attrait tout particulier : c’est la peinture émouvante des malheurs qu’éprouvèrent nos compatriotes exilés de l’Acadie par les conquérants anglais.

L’Acadie, presqu’île de l’Amérique du Nord, dont les côtes sont très découpées et forment de nombreuses baies, fut découverte par Sébastien Cabot, célèbre navigateur vénitien. Elle fut visitée, en 1524, par le florentin Verrazani, au service de la France, qui l’appela Acadie, et en prit possession au nom de François Ier. Au commencement du xviie siècle, des colons bretons et normands vinrent s’y établir.

Dans ce pays immense, chacun était propriétaire, ou pouvait le devenir. Le farmer — c’était le nom des colons, maître de son domaine, indépendant par sa situation, pouvait vivre à sa guise, chasser, pêcher et cultiver à sa façon. Tout, du reste, contribuait à assurer aux fermiers acadiens la liberté et le bien-être : leurs champs leur donnaient du blé, de l’orge, des pommes de terre et du chanvre ; leurs vergers, des prunes, des noix et des pommes d’une saveur particulière ; en outre, ils trouvaient dans la forêt le bois nécessaire pour la construction de leurs maisons et pour les besoins de leur ménage. La terre, en un mot, leur fournissait à peu près tout ce qui leur était nécessaire.

L’hospitalité était en honneur chez ces braves gens, le voyageur pouvait entrer sans crainte dans leurs maisons. « Petite maison, grand repos », telle était leur devise.

Cette petite colonie, qui comptait alors de seize à dix-sept mille habitants, avait conservé les mœurs et la langue de la mère-patrie ; les femmes portaient le grand bonnet cauchois, et ce fut en vain que les Anglais tentèrent de s’incorporer ces fermiers, ces pêcheurs et ces pâtres, qui conservaient précieusement les mœurs patriarcales et les antiques vertus de leur pays natal.

Ce bonheur, hélas ! ne devait pas être de longue durée.

Chasser les Français de la vallée de l’Ohio et les expulser du Canada, telle était depuis longtemps la pensée commune des Anglais et des Américains.

Cependant c’étaient nos pères qui avaient reconnu et parcouru ce vaste continent de l’Amérique du Nord, c’étaient nos missionnaires et nos coureurs des bois qui avaient établi de tous côtés des communications protégées par nos postes avancés.

Malheureusement, nos riches colonies américaines, depuis si longtemps convoitées par les Anglais, nous furent enlevées en 1715, par le traité d’Utrecht, qui les fit passer sous l’autorité britannique.

À partir de ce moment commencèrent les malheurs des Acadiens, qui, fidèles à leur drapeau, furent punis de leur foi et martyrs de leur loyauté. Catholiques et Français, ils refusèrent de marcher avec les armées anglaises et de se battre contre leurs frères du Canada. C’est en vain qu’ils réclamèrent le bénéfice d’une neutralité que l’humanité faisait à leurs maîtres un devoir de respecter. Pendant un demi-siècle, on leur fit endurer mille vexations pour les punir de la fidélité avec laquelle ils restaient attachés à la foi de leurs pères et au souvenir de la France. Enfin, ne pouvant parvenir à les exterminer, le gouvernement anglais eut recours à un de ces moyens odieux que l’humanité réprouve et sans exemple dans l’histoire moderne : l’exil en masse. Cette mesure inique fut exécutée avec une cruauté qui en doubla l’horreur.

Le 5 septembre 1755, le commandant anglais Winslow notifia aux paysans acadiens, rassemblés dans l’église de Grand-Pré, la terrible sentence royale, et on procéda de même dans tous les villages d’Acadie. Le 10 du même mois, l’embarquement des exilés eut lieu ; Grand-Pré seul en fournit 1 923.

Des scènes déchirantes se déroulèrent alors : des familles furent brutalement divisées, et leurs membres, jetés sur des rivages différents, se trouvèrent ainsi séparés pour toujours ; on tira sur les malheureux qui s’évadaient, et ceux qui réussirent à s’échapper rencontrèrent chez les Indiens sauvages la pitié et l’hospitalité que leur refusait une nation civilisée. Sept mille enfants de la France furent ainsi jetés, comme de vils troupeaux, sur des côtes éloignées, sans autres ressources que le peu de hardes et de provisions qu’ils avaient pu emporter. Mais la haine des persécuteurs n’était pas satisfaite ; elle s’assouvit sur les biens des proscrits. Les Anglais brûlèrent dans le seul district des Mines, 400 maisons, 500 étables ; ils enlevèrent 2,000 bœufs, 3,000 vaches, 5,000 veaux, 600 chevaux, 12,000 moutons et 500 porcs. « On se demande, dit Ney, en lisant ces détails, si c’est bien un peuple civilisé qui a pu ainsi arracher une population tout entière à ses foyers, chasser des cultivateurs paisibles des champs fertiles que leurs ancêtres avaient conquis sur les forêts qu’ils avaient défrichées et arrosées de leur sueur. »

On trouve encore aujourd’hui des débris de la colonie acadienne à Saint-Domingue, dans la Guyane française et à la Louisiane. Une vingtaine d’Acadiens, qui s’étaient embarqués pour la France, vinrent défricher les bruyères sauvages qui environnaient la ville de Châtellerault et en firent des terres fertiles.

Les descendants des proscrits de 1755 sont toujours cités pour la simplicité de leurs mœurs, pour leur respect des anciennes traditions et pour leurs sentiments français.

Tels sont les événements tragiques au milieu desquels ont vécu Évangéline et Gabriel ; tels sont les malheurs qui les ont frappés au printemps d’une vie qui paraissait destinée au bonheur. Mais ces cœurs d’élite ne devaient pas trouver la félicité sur cette terre d’exil ; leurs âmes, épuisées par la souffrance et par la douleur, étaient mûres pour une vie meilleure.