Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 112

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 125-126).

FABLE CXII.

LE LOUP ET LE RENARD.


Un loup, depuis long-temps éprouvant la misère,
Devenoit valétudinaire.
Mais un jour qu’il se trouva mieux,
Qu’il se sentoit assez joyeux,
Il veut revoir le monde et quitter sa demeure.
Sa première visite est chez un fin renard,
Qui venoit de prendre sur l’heure,
Dans une cour voisine, un gras et beau canard,
Le loup le regarde, le flaire,
Du compère renard admire le métier.
Bientôt il aperçoit, au coin de son terrier,
Tout ce qui peut le ragoûter, lui plaire :
Pigeons naissans, nouveaux dindons,

Et des poules et des oisons,
Enfin de quoi faire
Grande chère.
Mon voisin, dit le loup, tu dois avoir pitié
De ma languissante vieillesse,
Oui, j’ai toujours compté sur ta tendre amitié.
Je chassois comme toi dans ma belle jeunesse ;
Et si je rencontrois quelqu’un dans la détresse,
De mon butin souvent je donnois la moitié.
De ces poules, mon cher, au moins que j’en aie une ;
Ce vide sera réparé
Cette nuit au clair de la lune ;
Et moi, pauvre vieillard, je serai restauré.
Vous ne raisonnez rien qui vaille,
Répliqua le renard : il ne faut à vos maux,
Et pour seuls restauran que moutons et chevreaux ;
Gardez-vous de toute volaille ;
C’est un fade ragoût qui ne vous est pas bon,
Un lénitif contraire à votre maladie.
Oh ! oh ! reprit le loup, tu le prends sur ce ton ?
Ta dureté me rend ma force et ma furie.
Je vais te dénoncer à ceux de la maison
Où tu fais ta provision ;
Je décéle ta cache, et ta friponnerie ;
Sur ton chemin un piége sera mis,
Et lorsque tu t’y seras pris,
Alors je viendrai voir quelle sera ta mine.
Renard eut peur, et fit ce que font tant de gens
Depuis long-temps :
Il proposa moitié des fruits de sa rapine.
Notre vieux loup trouva les mets friands, exquis ;
Les deux scélérats partagèrent,
Baisers fraternels se donnèrent,
Et se quittèrent grands amis.