Œuvres complètes de Béranger/Les Adieux à la Gloire
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LES ADIEUX À LA GLOIRE
Chantons le vin et la beauté :
Tout le reste est folie.
Voyez comme on oublie
Les hymnes de la liberté.
Un peuple brave
Retombe esclave :
Fils d’Épicure, ouvrez-moi votre cave.
La France, qui souffre en repos,
Ne veut plus que mal à propos
J’ose en trompette ériger mes pipeaux.
Adieu donc, pauvre Gloire !
Déshéritons l’histoire.
Venez, Amours, et versez-nous à boire.
Quoi ! d’indignes enfants de Mars[1]
Briguaient une livrée,
Quand ma muse éplorée
Recrutait pour leurs étendards !
Ah ! s’il m’arrive
Beauté naïve,
Sous ses baisers ma voix sera captive ;
Ou flattons si bien, que pour moi
On exhume aussi quelque emploi.
Oui, noir ou blanc, soyons le fou du roi.
Adieu donc, pauvre Gloire !
Déshéritons l’histoire.
Venez, Amours, et versez-nous à boire.
Des excès de nos ennemis
Chaque juge est complice,
Et la main de Justice
De soufflets accable Thémis :
Plus de satire !
N’osant médire,
J’orne de fleurs et ma coupe et ma lyre.
J’ai trop bravé nos tribunaux ;
Dans leurs dédales infernaux
J’entends Cerbère et ne vois point Minos.
Adieu donc, pauvre Gloire !
Déshéritons l’histoire.
Venez, Amours, et versez-nous à boire.
Des tyrans par nous soudoyés
La faiblesse est connue :
Gulliver éternue,
Et tous les nains sont foudroyés.
Mais quelle image !
Non, plus d’orage ;
De nos plaisirs redoutons le naufrage.
Opprimés, gémissez plus bas.
Que nous fait, dans un gai repas,
Que l’univers souffre ou ne souffre pas ?
Adieu donc, pauvre Gloire !
Déshéritons l’histoire.
Venez, Amours, et versez-nous à boire.
Du sommeil de la liberté
Les rêves sont pénibles :
Devenons insensibles
Pour conserver notre gaîté.
Quand tout succombe,
Faible colombe,
Ma muse aussi sur des roses retombe.
Lasse d’imiter l’aigle altier,
Elle reprend son doux métier :
Bacchus m’appelle, et je rentre au quartier.
Adieu donc, pauvre Gloire !
Déshéritons l’histoire.
Venez, Amours, et versez-nous à boire.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
↑ Haut
- ↑ Plusieurs généraux de l’ancienne armée sollicitaient et obtenaient des emplois dans la maison du roi.