Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire et théorie de la Terre/Supplément à la théorie de la Terre/Premier mémoire/3

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PREMIER MÉMOIRE

RECHERCHES SUR LE REFROIDISSEMENT DE LA TERRE ET DES PLANÈTES :
Conclusions.




Voici donc, d’après nos hypothèses, l’ordre dans lequel la terre, les planètes et leurs satellites se sont refroidis ou se refroidiront au point de la chaleur actuelle du globe terrestre, et ensuite au point d’une chaleur vingt-cinq fois plus petite que cette chaleur actuelle de la terre :

REFROIDIES
à la température actuelle.
REFROIDIES À 1/25
de la température actuelle.
La Terre
en 074832 ans.
En
168123 ans.
La Lune
en 016409 ans.
En
072514 ans.
Mercure
en 054192 ans.
En
187765 ans.
Vénus
en 091613 ans.
En
228540 ans.
Mars
en 028538 ans.
En
060326 ans.
Jupiter
en 240451 ans.
En
483121 ans.
Satellites de
Jupiter
Le 1er
en 222203 ans.
En
444406 ans.
Le 2e
en 193090 ans.
En
386180 ans.
Le 3e
en 176212 ans.
En
352424 ans.
Le 4e
en 070296 ans.
En
140542 ans.
Saturne
en 130821 ans.
En
262020 ans.
Anneau de Saturne
en 126473 ans.
En
252496 ans.
Satellites de
Saturne
Le 1er
en 124490 ans.
En
248980 ans.
Le 2e
en 119607 ans.
En
239214 ans.
Le 3e
en 111580 ans.
En
223160 ans.
Le 4e
en 054505 ans.
En
109010 ans.
Le 5e
en 015298 ans.
En
067747 ans.

Et à l’égard de la consolidation de la terre, des planètes et de leurs satellites, et de leur refroidissement respectif, jusqu’au moment où leur chaleur propre aurait permis de les toucher sans se brûler, c’est-à-dire sans ressentir de la douleur : nous avons trouvé qu’abstraction faite de toute compensation, et ne faisant attention qu’à la déperdition de leur chaleur propre, les rapports de leur consolidation jusqu’au centre, et de leur refroidissement au point de pouvoir les toucher sans se brûler sont dans l’ordre suivant :

CONSOLIDÉES JUSQU’AU CENTRE. REFROIDIES
à pouvoir les toucher.
La Terre
en 2905 0/1000 ans.
En
033911 0/1000 ans.
La Lune
en 0556 0/1000 ans.
En
006492 0/1000 ans.
Mercure
en 1976 0/10003/10 ans.
En
023054 0/1000 ans.
Vénus
en 3484 0/100022/25 ans.
En
040674 0/1000 ans.
Mars
en 1102 0/100018/25 ans.
En
012873 0/1000 ans.
Jupiter
en 9331 0/1000 ans.
En
108922 0/1000 ans.
Satellites de
Jupiter
Le 1er
en 0231 0/100043/125 ans.
En
002690 0/10002/5 ans.
Le 2e
en 0282 753/1000 ans.
En
003300 0/100067/100 ans.
Le 3e
en 0435 0/100051/200 ans.
En
005149 0/100011/100 ans.
Le 4e
en 0848 0/10001/4 ans.
En
009902 0/1000 ans.
Saturne
en 5078 0/1000 ans.
En
059276 0/1000 ans.
Anneau de Saturne
en 0018 0/100017/25 ans.
En
000217 787/1000 ans.
Satellites de
Saturne
Le 1er
en 0145 0/10003/4 ans.
En
001701 0/100079/125 ans.
Le 2e
en 0178 0/10003/25 ans.
En
002079 0/100035/62 ans.
Le 3e
en 0277 0/100019/20 ans.
En
003244 0/100020/31 ans.
Le 4e
en 0534 0/10003/25 ans.
En
006239 0/10009/16 ans.
Le 5e
en 0534 0/100013/25 ans.
En
006239 0/10009/16 ans.

Ces rapports, quoique moins précis que ceux du refroidissement à la température actuelle, le sont néanmoins assez pour notre objet, et c’est par cette raison que je n’ai pas cru devoir prendre la même peine pour faire l’évaluation de toutes les compensations que la chaleur du soleil, aussi bien que celle de la lune et celle des satellites de Jupiter et de Saturne, ont pu faire à la perte de la chaleur propre de chaque planète pour le temps nécessaire à leur consolidation jusqu’au centre. Comme ces temps ont précédé celui de l’établissement de la nature vivante, et que les prolongements produits par les compensations dont nous venons de parler ne sont pas d’un très grand nombre d’années, cela devient indifférent aux vues que je me propose, et je me contenterai d’établir, par une simple règle de proportion, les rapports de ces prolongements pour les temps nécessaires à la consolidation des planètes, et à leur refroidissement jusqu’au point de pouvoir les toucher ; par exemple, on trouvera le temps de la consolidation de la terre jusqu’au centre, en disant, la période de 74 047 ans du temps nécessaire pour son refroidissement à la température actuelle (abstraction faite de toute la compensation) est à la période de 2 905, temps nécessaire à la consolidation jusqu’au centre (abstraction faite aussi de toute compensation) comme la période 74 832 de son refroidissement à la température actuelle, toute compensation évaluée, est à 2 936 ans, temps réel de sa consolidation, toute compensation aussi comprise : et de même on dira, la période 74 047 du temps nécessaire pour le refroidissement de la terre à la température actuelle (abstraction faite de toute compensation) est à la période de 33 911 ans, temps nécessaire à son refroidissement au point de pouvoir la toucher (abstraction faite aussi de toute compensation), comme la période 74 832 de son refroidissement à la température actuelle, toute compensation évaluée, est à 34 270 ans 1/2, temps réel de son refroidissement jusqu’au point de pouvoir la toucher, toute compensation évaluée.

On aura donc dans la table suivante l’ordre de ces rapports, que je joins à ceux indiqués ci-devant pour le refroidissement à la température actuelle, et à 1/25 de cette température.

CONSOLIDÉES
jusqu’au centre.
REFROIDIES
à pouvoir les toucher.
REFROIDIES
à la température actuelle.
REFROIDIES À 1/25
de la température actuelle.
LA TERRE.
En 2936 ans. En 34270 1/2 ans. En 74832 ans. En 168123 ans.
LA LUNE.
En 644 ans. En 7515 ans. En 16409 ans. En 72514 ans.
MERCURE.
En 2127 ans. En 24813 ans. En 54192 ans. En 187765 ans.
VÉNUS.
En 3596 ans. En 41969 ans. En 91643 ans. En 228540 ans.
MARS.
En 1130 ans. En 13034 ans. En 28538 ans. En 60326 ans.
JUPITER.
En 9433 ans. En 110118 ans. En 240451 ans. En 483121 ans.
1er Satellite.
En 8886 ans. En 101376 ans. En 222203 ans. En 444406 ans.
2e Satellite.
En 7496 ans. En 87500 ans. En 193090 ans. En 386180 ans.
3e Satellite.
En 6821 ans. En 80700 ans. En 176212 ans. En 352424 ans.
4e Satellite.
En 2758 ans. En 32194 ans. En 70296 ans. En 140542 ans.
SATURNE.
En 5140 ans. En 59911 ans. En 130821 ans. En 262020 ans.
Anneau de Saturne.
En 6558 ans. En 76512 ans. En 126473 ans. En 252946 ans.
1er Satellite.
En 4891 ans. En 57011 ans. En 124490 ans. En 248980 ans.
2e Satellite.
En 4688 ans. En 54774 ans. En 119607 ans. En 239214 ans.
3e Satellite.
En 4533 ans. En 51108 ans. En 111580 ans. En 223160 ans.
4e Satellite.
En 2138 ans. En 24962 ans. En 54505 ans. En 109010 ans.
5e Satellite.
En 600 ans. En 7003 ans. En 15298 ans. En 64747 ans.

Il ne manque à cette table, pour lui donner toute l’exactitude qu’elle peut comporter, que le rapport des densités des satellites à la densité de leur planète principale, que nous n’y avons pas fait entrer, à l’exception de la lune, où cet élément est employé. Or ne connaissant pas le rapport réel de la densité des satellites de Jupiter et des satellites de Saturne à leurs planètes principales, et ne connaissant que le rapport de la densité de la lune à la terre, nous nous fonderons sur cette analogie, et nous supposerons en conséquence que le rapport de la densité de Jupiter, ainsi que le rapport de la densité de Saturne, sont les mêmes que celui de la densité de la terre à la densité de la lune, qui est son satellite, c’est-à-dire : 1 000 : 702 ; car il est très naturel d’imaginer, d’après cet exemple que la lune nous offre, que cette différence entre la densité de la terre et de la lune vient de ce que ce sont les parties les plus légères du globe terrestre qui s’en sont séparées dans le temps de la liquéfaction pour former la lune ; la vitesse de la rotation de la terre étant de 9 mille lieues en 23 heures 56 minutes, ou de 6 1/4 lieues par minute, était suffisante pour projeter un torrent de la matière liquide la moins dense, qui s’est rassemblé par l’attraction mutuelle de ses parties à 85 mille lieues de distance, et y a formé le globe de la lune, dans un plan parallèle à celui de l’équateur de la terre. Les satellites de Jupiter et de Saturne, ainsi que son anneau, sont aussi dans un plan parallèle à leur équateur, et ont été formés de même par la force centrifuge, encore plus grande dans ces grosses planètes que dans le globe terrestre, puisque leur vitesse de rotation est beaucoup plus grande. Et de la même manière que la lune est moins dense que la terre dans la raison de 702 à 1 000, on peut présumer que les satellites de Jupiter et ceux de Saturne sont moins denses que ces planètes dans cette même raison de 702 à 1 000. Il faut donc corriger dans la table précédente tous les articles des satellites d’après ce rapport, et alors elle se présentera dans l’ordre suivant :

TABLE PLUS EXACTE DES TEMPS DU REFROIDISSEMENT DES PLANÈTES ET DE LEURS SATELLITES
CONSOLIDÉES
jusqu’au centre.
REFROIDIES
à pouvoir les toucher.
REFROIDIES
à la température actuelle.
REFROIDIES À 1/25
de la température actuelle.
LA TERRE.
En 2936 ans. En 34270 1/2 ans. En 74832 ans. En 168123 ans. 0/6
LA LUNE.
En 644 ans.0 En 7515 ans.0 En 16409 ans. En 72514 ans.0 0/6
MERCURE.
En 2127 ans. En 24813 ans. En 54192 ans. En 187765 ans. 0/6
VÉNUS.
En 3596 ans. En 041969 ans. En 091643 ans. En 228540 0/6 ans.
MARS.
En 1130 ans. En 013034 ans. En 028538 ans. En 060326 0/6 ans.
JUPITER.
En 9433 ans. En 110118 ans. En 240451 ans. En 483121 0/6 ans.
Satellites de Jupiter.
1er en 6238 ans. En 71166 0/3 ans. En 155986 0/6 ans. En 311973 0/6 ans.
1er2e en 5262 ans. En 61425 0/3 ans. En 155549 0/6 ans. En 271098 0/6 ans.
1er3e en 4788 ans. En 56631 2/3 ans. En 123700 5/6 ans. En 247401 4/6 ans.
1er4e en 1936 ans. En 22600 1/3 ans. En 049348 0/6 ans. En 098696 0/6 ans.
SATURNE.
En 5140 ans. En 59911 0/25 ans. En 130821 0/2 ans. En 262020 0/6 ans.
Anneau de Saturne.
En 6558 ans. En 53711 0/25 ans. En 088784 0/2 ans. En 177568 0/6 ans.
Satellites de Saturne.
1er en 3433 0/5 ans. En 40021 9/25 ans. En 87392 0/2 ans. En 174784 0/6 ans.
1er2e en 3291 0/5 ans. En 38451 8/251/3 ans. En 83964 0/2 ans. En 167928 0/6 ans.
1er3e en 3182 0/5 ans. En 35878 0/25 ans. En 78329 0/2 ans. En 156658 0/6 ans.
1er4e en 1502 0/5 ans. En 17523 8/251/3 ans. En 38262 1/2 ans. En 076525 0/6 ans.
1er5e en 0421 1/5 ans. En 04916 0/25 ans. En 10739 0/2 ans. En 047558 0/6 ans.

En jetant un coup d’œil de comparaison sur cette table, qui contient le résultat de nos recherches et de nos hypothèses, on voit :

1o Que le cinquième satellite de Saturne a été la première terre habitable, et que la nature vivante n’y a duré que depuis l’année 4 916 jusqu’à l’année 47 558 de la formation des planètes : en sorte qu’il y a longtemps que cette planète secondaire est trop froide pour qu’il puisse y subsister des êtres organisés semblables à ceux que nous connaissons ;

2o Que la lune a été la seconde terre habitable, puisque son refroidissement, au point de pouvoir en toucher la surface, s’est fait en 7 515 ans, et son refroidissement à la température actuelle s’étant fait en 16 409 ans, il s’ensuit qu’elle a joui d’une chaleur convenable à la nature vivante, peu d’années après les 7 515 ans depuis la formation des planètes, et que par conséquent la nature organisée a pu y être établie dès ce temps, et que depuis cette année 7 515 jusqu’à l’année 72 514, la température de la lune s’est refroidie jusqu’à 1/52 de la chaleur actuelle de la terre, en sorte que les êtres organisés n’ont pu y subsister que pendant 60 mille ans tout au plus ; et enfin qu’aujourd’hui, c’est-à-dire depuis 2 318 ans environ, cette planète est trop froide pour être peuplée de plantes et d’animaux ;

3o Que Mars a été la troisième terre habitable, puisque son refroidissement, au point de pouvoir en toucher la surface, s’est fait en 13 034 ans, et son refroidissement à la température actuelle s’étant fait en 28 538 ans : il s’ensuit qu’il a joui d’une chaleur convenable à la nature vivante peu d’années après les 13 034, et que par conséquent la nature organisée a pu y être établie dès ce temps de la formation des planètes ; et que depuis cette année 13 034 jusqu’à l’année 60 326, la température s’est trouvée convenable à la nature des êtres organisés, qui par conséquent ont pu y subsister pendant 47 292 ans, mais qu’aujourd’hui cette planète est trop refroidie pour être peuplée depuis plus de 14 mille ans ;

4o Que le quatrième satellite de Saturne a été la quatrième terre habitable, et que la nature vivante y a duré depuis l’année 17 523, et durera tout au plus jusqu’à l’année 76 526, de la formation des planètes : en sorte que cette planète secondaire étant actuellement (c’est-à-dire en 74 832) beaucoup plus froide que la terre, les êtres organisés ne peuvent y subsister que dans un état de langueur, ou même n’y subsistent plus ;

5o Que le quatrième satellite de Jupiter a été la cinquième terre habitable, et que la nature vivante y a duré depuis l’année 22 600, et y durera jusqu’à l’année 98 696 de la formation des planètes ; en sorte que cette planète secondaire est actuellement plus froide que la terre, mais pas assez, néanmoins, pour que les êtres organisés ne puissent encore y subsister ;

6o Que Mercure a été la sixième terre habitable, puisque son refroidissement, au point de pouvoir le toucher, s’est fait en 24 mille 813 ans, et son refroidissement à la température actuelle en 54 mille 192 ans ; il s’ensuit donc qu’il a joui d’une chaleur convenable à la nature vivante peu d’années après les 24 mille 813 ans, et que par conséquent la nature organisée a pu y être établie dès ce temps, et que depuis cette année 24 813 de la formation des planètes jusqu’à l’année 187 765, sa température s’est trouvée et se trouvera convenable à la nature des êtres organisés, qui par conséquent ont pu et pourront encore y subsister pendant 162 mille 952 ans : en sorte qu’aujourd’hui cette planète peut être peuplée de tous les animaux et de toutes les plantes qui couvrent la surface de la terre ;

7o Que le globe terrestre a été la septième terre habitable, puisque son refroidissement, au point de pouvoir le toucher, s’est fait en 34 mille 770 ans et son refroidissement à la température actuelle s’étant fait en 74 mille 832, il s’ensuit qu’il a joui d’une chaleur convenable à la nature vivante peu d’années après les 34 mille 770 ans et que par conséquent la nature, telle que nous la connaissons, a pu y être établie dès ce temps, c’est-à-dire il y a 40 mille 62 ans, et pourra encore y subsister jusqu’en l’année 168 123, c’est-à-dire pendant 93 mille 291 ans, à dater de ce jour ;

8o Que le troisième satellite de Saturne a été la huitième terre habitable, et que la nature vivante y a duré depuis l’année 35 878, et y durera jusqu’à l’année 156 658 de la formation des planètes ; en sorte que cette planète secondaire étant actuellement un peu plus chaude que la terre, la nature organisée y est dans sa vigueur et telle qu’elle était sur la terre il y a trois ou quatre mille ans ;

9o Que le second satellite de Saturne a été la neuvième terre habitable, et que la nature vivante y a duré depuis l’année 38 451, et y durera jusqu’à l’année 167 928 de la formation des planètes : en sorte que cette planète secondaire étant actuellement plus chaude que la terre, la nature organisée y est dans sa pleine vigueur et telle qu’elle était sur le globe terrestre il y a huit ou neuf mille ans ;

10o Que le premier satellite de Saturne a été la dixième terre habitable, et que la nature vivante y a duré depuis l’année 40 020, et y durera jusqu’à l’année 174 784 de la formation des planètes : en sorte que cette planète secondaire étant actuellement considérablement plus chaude que le globe terrestre, la nature organisée y est dans sa première vigueur, et telle qu’elle était sur la terre il y a douze à treize mille ans ;

11o Que Vénus a été la onzième terre habitable, puisque son refroidissement, au point de pouvoir la toucher, s’est fait en 41 mille 969 ans, et son refroidissement à la température actuelle s’étant fait en 91 mille 643 ans, il s’ensuit qu’elle jouit actuellement d’une chaleur plus grande que celle dont nous jouissons, et à peu près semblable à celle dont jouissaient nos ancêtres il y a six ou sept mille ans, et que depuis cette année 41 969, ou quelque temps après, la nature organisée a pu y être établie, et que jusqu’à l’année 228 540 elle pourra y subsister : en sorte que la durée de la nature vivante dans cette planète a été et sera de 186 mille 571 ans ;

12o Que l’anneau de Saturne a été la douzième terre habitable, et que la nature vivante y est établie depuis l’année 53 711, et y durera jusqu’à l’année 177 568 de la formation des planètes ; en sorte que cet anneau étant beaucoup plus chaud que le globe terrestre, la nature organisée y est dans sa première vigueur, telle qu’elle était sur la terre il y a treize à quatorze mille ans ;

13o Que le troisième satellite de Jupiter a été la treizième terre habitable, et que la nature vivante y est établie depuis l’année 56 651, et y durera jusqu’en l’année 247 401 de la formation des planètes ; en sorte que cette planète secondaire étant de beaucoup plus chaude que la terre, la nature organisée ne fait que commencer de s’y établir ;

14o Que Saturne a été la quatorzième terre habitable, puisque son refroidissement, au point de pouvoir le toucher, s’est fait en 59 mille 911 ans, et son refroidissement à la température actuelle devant se faire en 130 mille 821 ans, il s’ensuit que la nature vivante a pu y être établie peu de temps après cette année 59 911 de la formation des planètes, et que par conséquent elle y a subsisté et pourra y subsister encore jusqu’en l’année 262 020 ; en sorte que la nature vivante y est actuellement dans sa première vigueur, et pourra durer dans cette grosse planète pendant 262 mille 20 ans ;

15o Que le second satellite de Jupiter a été la quinzième terre habitable, et que la nature vivante y est établie depuis l’année 61 425, c’est-à-dire depuis 13 407 ans, et qu’elle y durera jusqu’à l’année 271 098 de la formation des planètes ;

16o Que le premier satellite de Jupiter a été la seizième terre habitable, et que la nature vivante y est établie depuis l’année 71 166, c’est-à-dire depuis 3 mille 666 ans, et qu’elle y durera jusqu’en l’année 311 973 de la formation des planètes ;

17o Enfin, que Jupiter est le dernier des globes planétaires sur lequel la nature vivante pourra s’établir. Nous devons donc conclure, d’après ce résultat général de nos recherches, que des dix-sept corps planétaires il y en a en effet trois, savoir : le cinquième satellite de Saturne, la lune et Mars où notre nature serait gelée ; un seul, savoir, Jupiter, où la nature vivante n’a pu s’établir jusqu’à ce jour, par la raison de la trop grande chaleur encore subsistante dans cette grosse planète ; mais que dans les treize autres, savoir : le quatrième satellite de Saturne, le quatrième satellite de Jupiter, Mercure, le globe terrestre, le troisième, le second et le premier satellite de Saturne, Vénus, l’anneau de Saturne, le troisième satellite de Jupiter, Saturne, le second et le premier satellite de Jupiter, la chaleur, quoique de degrés très différents, peut néanmoins convenir actuellement à l’existence des êtres organisés, et on peut croire que tous ces vastes corps sont, comme le globe terrestre, couverts de plantes et même peuplés d’êtres sensibles à peu près semblables aux animaux de la terre. Nous démontrerons ailleurs, par un grand nombre d’observations rapprochées, que dans tous les lieux où la température est la même on trouve non seulement les mêmes espèces de plantes, les mêmes espèces d’insectes, les mêmes espèces de reptiles sans les y avoir portées, mais aussi les mêmes espèces de poissons, les mêmes espèces de quadrupèdes, les mêmes espèces d’oiseaux sans qu’ils y soient allés ; et je remarquerai en passant qu’on s’est souvent trompé en attribuant à la migration et au long voyage des oiseaux les espèces de l’Europe qu’on trouve en Amérique ou dans l’orient de l’Asie, tandis que ces oiseaux d’Amérique et d’Asie, tout à fait semblables à ceux de l’Europe, sont nés dans leur pays, et ne viennent pas plus chez nous que les nôtres ne vont chez eux. La même température nourrit, produit partout les mêmes êtres, mais cette vérité générale sera démontrée plus en détail dans quelques-uns des articles suivants.

On pourra remarquer : 1o que l’anneau de Saturne a été presque aussi longtemps à se refroidir aux points de la consolidation et du refroidissement à pouvoir le toucher, que Saturne même, ce qui ne paraît pas vrai ni vraisemblable, puisque cet anneau est fort mince, et que Saturne est d’une épaisseur prodigieuse en comparaison ; mais il faut faire attention d’abord à l’immense quantité de chaleur que cette grosse planète envoyait dans les commencements à son anneau, et qui dans le temps de l’incandescence était plus grande que celle de cet anneau, quoiqu’il fût aussi lui-même dans cet état d’incandescence, et que par conséquent le temps nécessaire à sa consolidation a dû être prolongé de beaucoup par cette première cause ;

2o Que, quoique Saturne fût lui-même consolidé jusqu’au centre en 5 mille 140 ans, il n’a cessé d’être rouge et très brûlant que plusieurs siècles après, et que par conséquent il a encore envoyé dans les siècles postérieurs à sa consolidation, une quantité prodigieuse de chaleur à son anneau, ce qui a dû prolonger son refroidissement dans la proportion que nous avons établie : seulement il faut convenir que les périodes du refroidissement de Saturne, au point de la consolidation et du refroidissement à pouvoir le toucher, sont trop courtes, parce que nous n’avons pas fait l’estimation de la chaleur que son anneau et ses satellites lui ont envoyée, et que cette quantité de chaleur, que nous n’avons pas estimée, ne laisse pas d’être considérable, car l’anneau, comme très grand et très voisin, envoyait à Saturne dans le commencement, non seulement une partie de sa chaleur propre, mais encore il lui réfléchissait une grande portion de celle qu’il en recevait, en sorte que je crois qu’on pourrait, sans se tromper, augmenter d’un quart le temps de la consolidation de Saturne, c’est-à-dire assigner 6 mille 857 ans pour sa consolidation jusqu’au centre ; et de même augmenter d’un quart les 59 mille 911 ans que nous avons indiqués pour son refroidissement au point de le toucher, ce qui donne 79 mille 881 ans ; en sorte que ces deux termes peuvent être substitués dans la table générale aux deux premiers.

Il est de même très certain que le temps du refroidissement de Saturne, au point de la température actuelle de la terre, qui est de 130 mille 821 ans, doit par les mêmes raisons être augmenté non pas d’un quart, mais peut-être d’un huitième, et que cette période au lieu d’être de 130 mille 821 ans, pourrait être de 147 mille 173 ans.

On doit aussi augmenter un peu les périodes du refroidissement de Jupiter, parce que ses satellites lui ont envoyé une portion de leur chaleur propre, et en même temps une partie de celle que Jupiter leur envoyait ; en estimant un dixième le prolongement que cette addition de chaleur a pu faire aux trois premières périodes du refroidissement de Jupiter, il ne se sera consolidé jusqu’au centre qu’en 10 mille 376 ans, et ne se refroidira au point de pouvoir le toucher qu’en 121 mille 129 ans, et au point de la température actuelle de la terre, en 264 mille 506 ans.

Je n’admets qu’un assez petit nombre d’années entre le point où l’on peut commencer à toucher, sans se brûler, les différents globes, et celui où la chaleur cesse d’être offensante pour les êtres sensibles ; car j’ai fait cette estimation d’après les expériences très souvent réitérées dans mon second Mémoire, par lesquelles j’ai reconnu qu’entre le point auquel on peut, pendant une demi-seconde, tenir un globe sans se brûler, et le point où on peut le manier longtemps et où sa chaleur nous affecte d’une manière douce et convenable à notre nature, il n’y a qu’un intervalle assez court ; en sorte, par exemple, que s’il faut 20 minutes pour refroidir un globe au point de pouvoir le toucher sans se brûler, il ne faut qu’une minute de plus pour qu’on puisse le manier avec plaisir. Dès lors en augmentant d’un vingtième les temps nécessaires au refroidissement des globes planétaires, au point de pouvoir les toucher, on aura plus précisément les temps de la naissance de la nature dans chacun, et ces temps seront dans l’ordre suivant :

Date de la formation des planètes......74 832 ans.


COMMENCEMENT, FIN ET DURÉE DE L’EXISTENCE DE LA NATURE ORGANISÉE
DANS CHAQUE PLANÈTE.

 
COMMENCEMENT
de la formation
des planètes
FIN
de la formation
des planètes
DURÉE
absolue
DURÉE
à dater
de ce jour
ans. ans.
Ve  Satellite de Saturne 5161 47558 42189 0
La Lune 7890 72514 64624 0
Mars 13685 60326 56641 0
IVe  Satellite de Saturne 18399 76525 58126 1693
IVe  Satellite de Jupiter 23730 98696 74966 23864
Mercure 26053 187765 161712 112933
La Terre 35983 168123 132140 99952
IIIe  Satellite de Saturne 37672 156658 118986 81826
IIe  Satellite de Saturne 40373 167928 127655 93096
Ier  Satellite de Saturne 42021 174784 132763 99952
Vénus 44067 228540 184473 153708
Anneau de Saturne 56396 177568 121172 102736
IIIe  Satellite de Jupiter 59483 247401 187948 172569
Saturne 62906 262020 199114 187188
IIe  Satellite de Jupiter 64496 271098 206602 196266
Ier  Satellite de Jupiter 74724 311973 237249 237141
Jupiter 115623 483121 367498

D’après ce dernier tableau, qui approche le plus de la vérité, on voit :

1o Que la nature organisée telle que nous la connaissons n’est point encore née dans Jupiter, dont la chaleur est trop grande encore aujourd’hui pour pouvoir en toucher la surface, et que ce ne sera que dans 40 mille 791 ans que les êtres vivants pourraient y subsister, mais qu’ensuite, s’ils y étaient établis, ils dureraient 367 mille 498 ans dans cette grosse planète ;

2o Que la nature vivante, telle que nous la connaissons, est éteinte dans le cinquième satellite de Saturne depuis 27 mille 274 ans ; dans Mars, depuis 14 mille 506 ans, et dans la lune depuis 2 318 ans ;

3o Que la nature est prête à s’éteindre dans le quatrième satellite de Saturne, puisqu’il n’y a plus que 1 693 ans pour arriver au point extrême de la plus petite chaleur nécessaire au maintien des êtres organisés ;

4o Que la nature vivante est faible dans le quatrième satellite de Jupiter, quoiqu’elle puisse y subsister encore pendant 23 mille 864 ans ;

5o Que sur la planète de Mercure, sur la terre, sur le troisième, sur le second et sur le premier satellite de Saturne, sur la planète de Vénus, sur l’anneau de Saturne, sur le troisième satellite de Jupiter, sur la planète de Saturne, sur le second et sur le premier satellite de Jupiter, la nature vivante est actuellement en pleine existence, et que par conséquent tous ces corps planétaires peuvent être peuplés comme le globe terrestre.

Voilà mon résultat général et le but auquel je me proposais d’atteindre. On jugera, par la peine que m’ont donnée ces recherches[1], et par le grand nombre d’expériences préliminaires qu’elles exigeaient, combien je dois être persuadé de la probabilité de mon hypothèse sur la formation des planètes. Et pour qu’on ne me croie pas persuadé sans raison, et même sans de très fortes raisons, je vais exposer dans le Mémoire suivant les motifs de ma persuasion, en présentant les faits et les analogies sur lesquelles j’ai fondé mes opinions, établi l’ordre de mes raisonnements, suivi les inductions que l’on en doit déduire, et enfin tiré la conséquence générale de l’existence réelle des êtres organisés et sensibles dans tous les corps du système solaire, et l’existence plus que probable de ces mêmes êtres dans tous les autres corps qui composent les systèmes des autres soleils, ce qui augmente et multiplie presque à l’infini l’étendue de la nature vivante, et élève en même temps le plus grand de tous les monuments à la gloire du Créateur.




Notes de Buffon
  1. Les calculs que supposaient ces recherches sont plus longs que difficiles, mais assez délicats pour qu’on puisse se tromper. Je ne me suis pas piqué d’une exactitude rigoureuse, parce qu’elle n’aurait produit que de légères différences, et qu’elle m’aurait pris beaucoup de temps que je pouvais mieux employer. Il m’a suffi que la méthode que j’ai suivie fût exacte, et que mes raisonnements fussent clairs et conséquents, c’est là tout ce que j’ai prétendu. Mon hypothèse sur la liquéfaction de la terre et des planètes, m’a paru assez fondée pour prendre la peine d’en évaluer les effets, et j’ai cru devoir donner en détail ces évaluations, comme je les ai trouvées, afin que s’il s’est glissé dans ce long travail quelques fautes de calcul ou d’inattention, mes lecteurs soient en état de les corriger eux-mêmes.