Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Des roches vitreuses de deux et trois substances

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DES ROCHES VITREUSES

DE DEUX ET TROIS SUBSTANCES, ET EN PARTICULIER DU PORPHYRE.

Après avoir parlé du quartz, du jaspe, du mica, du feldspath et du schorl, qui sont les cinq substances les plus simples que la nature ait produites par le moyen du feu, nous allons suivre les combinaisons qu’elle en a faites, en les mêlant deux, trois ou quatre, et même toutes cinq ensemble, pour composer d’autres matières par le même moyen du feu dans les premiers temps de la consolidation du globe : ces cinq verres primitifs, en se combinant seulement deux à deux, ont pu former dix matières différentes, et de ces dix combinaisons il n’y en a que trois qui n’existent pas ou du moins qui ne soient pas connues.

Les dix combinaisons de ces cinq verres primitifs pris deux à deux sont :

1o  Le quartz et le jaspe : cette matière se trouve dans les fentes perpendiculaires et dans les autres endroits où le jaspe est contigu au quartz ; ils sont même quelquefois comme fondus ensemble dans leur jonction, et quelquefois aussi le quartz forme des veines dans le jaspe. J’ai vu une plaque de jaspe noir traversée d’une veine de quartz blanc.

2o  Le quartz et le mica : cette matière est fort commune, et se trouve par grandes masses et même par montagnes ; on pourrait l’appeler quartz micacé[1].

3o  Le quartz et le feldspath : il y a des roches de cette matière en Provence et en Laponie, d’où M. de Maupertuis nous en a apporté un échantillon[2]. Quelques naturalistes ont appelé cette pierre granit simple, parce qu’elle ne contient que du quartz et du feldspath sans mélange de mica ni de schorl ; et c’est de cette même composition qu’est formée la roche de Provence décrite par M. Angerstein[3] sous le nom mal appliqué de pétrosilex.

4o  Le quartz et le schorl : cette matière est composée de quartz blanc ou blanchâtre et de schorl, tantôt noir et tantôt vert ou verdâtre, distribué par taches irrégulières ; ce premier mélange, taché de noir sur un fond blanc, a été nommé improprement jaspe d’Égypte et granit oriental, et le second mélange a été tout aussi mal nommé porphyre vert. Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire d’avertir que cette pierre quartzeuse, tachetée de noir ou de vert par le mélange d’un schorl de l’une ou de l’autre de ces couleurs, n’est ni jaspe, ni granité, ni porphyre ; j’ignore si cette matière se trouve en grande masse, mais je sais qu’elle reçoit un beau poli et qu’elle frappe agréablement les yeux par le contraste des couleurs.

5o  Le jaspe et le mica ; cette combinaison n’existe peut-être pas dans la nature ; du moins je ne connais aucune substance qui la représente ; et lorsque le mica se trouve avec le jaspe il est seulement uni légèrement à sa surface et non pas incorporé dans sa substance.

6o  Le jaspe et le feldspath, et 7o  le jaspe et le schorl : ces deux mélanges forment également des porphyres.

8o  Le mica et le feldspath : il en est de ce mélange, à peu près comme du cinquième, c’est-à-dire de celui du jaspe et du mica ; on trouve en effet du feldspath couvert et chargé de mica, mais qui n’est point incorporé dans sa substance.

9o  Le mica et le schorl : cette combinaison ne m’est pas mieux connue, et peut-être n’existe pas plus dans la nature que la précédente et la cinquième.

10o  Le feldspath et le schorl : ce mélange est celui qui a formé la matière des ophites, dont il y a plusieurs variétés ; mais toutes composées de feldspath plus ou moins mêlé de schorl de différentes couleurs.

Des dix combinaisons de ces mêmes cinq verres primitifs, pris trois à trois, et qui dans la spéculation paraissent être également possibles, nous n’en connaissons néanmoins que trois, dont deux forment les granits, et la troisième un porphyre différent des deux premiers : car, 1o  le quartz, le feldspath et le mica composent la substance de plusieurs granits ; 2o  d’autres granits au lieu de mica sont mêlés de schorl ; et 3o  il y a du porphyre composé de jaspe, de feldspath et de schorl.

Enfin des quatre combinaisons des cinq verres primitifs pris quatre à quatre, nous n’en connaissons qu’une qui est encore un granit, dans la composition duquel le quartz, le mica, le feldspath et le schorl se trouvent réunis. Je doute qu’il y ait aucune matière de première formation qui contienne ces cinq matières ensemble ; tant il est vrai que la nature ne s’est jamais soumise à nos abstractions ! car de ces vingt-cinq combinaisons, toutes également possibles en spéculation, nous n’en pouvons compter en réalité que onze, et peut-être même dans ce nombre y en a-t-il quelques-unes qui n’ont pas été produites comme les autres par le feu primitif, et qui n’ont été formées que des détriments des premières réunis par l’intermède de l’eau.

Quoi qu’il en soit, le porphyre est la plus précieuse de ces matières composées ; c’est, après le jaspe, la plus belle des substances vitreuses en grandes masses ; il est, comme nous venons de le dire, formé de jaspe[NdÉ 1], de feldspath et de petites parties de schorl incorporées ensemble. On ne peut le confondre avec les jaspes, puisque ceux-ci sont d’une substance simple et ne contiennent ni feldspath, ni schorl ; on ne doit pas non plus mettre le porphyre au nombre des granits, parce qu’aucun granit ne contient du jaspe, et qu’ils sont composés de trois et même de quatre autres substances qui sont le quartz, le feldspath, le schorl et le mica ; de ces trois ou quatre substances, il n’y a que le feldspath et le schorl qui soient communs aux deux ; le porphyre a donc sa nature propre et particulière, et il paraît être plus éloigné du granit que du jaspe ; car le quartz, qui entre toujours dans la composition des granits ne se trouve point dans les porphyres qui tous ne contiennent que du jaspe, du feldspath et du schorl.

Le nom de porphyre semblerait désigner exclusivement une matière d’un rouge de pourpre, et c’est en effet la couleur du plus beau porphyre ; mais cette dénomination s’est étendue à tous les porphyres de quelque couleur qu’ils soient, car il en est des porphyres comme des jaspes : il y en a de plus ou moins colorés de rouge, de brun, de vert et de différentes nuances de quelques autres couleurs. Le porphyre rouge est semé de très petites taches plus ou moins blanches et quelquefois rougeâtres ; ces taches présentent les parties du feldspath et du schorl, qui sont disséminées et incorporées dans la pâte du jaspe, et le caractère essentiel de tous les porphyres et par lequel ils sont toujours reconnaissables, c’est ce mélange du feldspath ou du schorl, ou de tous deux ensemble, avec la matière du jaspe : ils sont d’autant plus opaques et plus colorés, que le jaspe est entré en plus grande quantité dans leur composition, et ils prennent au contraire un peu de transparence lorsque le feldspath y est en grande quantité. Nous pouvons à ce sujet observer qu’en général, dans les matières vitreuses produites par le feu primitif, plus il y a de transparence et plus il y a de dureté, au lieu que dans les matières calcinables, toutes formées par l’intermède de l’eau, la transparence indique la mollesse. Ainsi moins un porphyre est opaque, plus il est dur, et au contraire plus un marbre est transparent, plus il est tendre : on le voit évidemment dans le marbre de Paros et dans les albâtres ; cette différence vient de ce que le spath calcaire est plus tendre que la pâte du marbre dans laquelle il est mêlé, et que le feldspath et le schorl sont aussi durs que le quartz et le jaspe, avec lesquels ils sont incorporés dans les porphyres et les granits.

Il n’y a ni quartz ni mica dans les porphyres, et il est aisé de les distinguer des granits qui contiennent toujours du quartz et souvent du mica ; il y a plus de cohérence entre les parties de la matière dans les porphyres que dans les granits, surtout dans ceux où le mélange du mica diminue non seulement la cohésion des parties, mais aussi la densité de la masse. Dans le porphyre, c’est le fond ou la pâte qui est profondément colorée, et les grains de feldspath et de schorl sont blancs, ou quelquefois ils sont de la couleur du fond, et alors seulement d’une teinte plus faible ; dans le granite, au contraire, c’est le feldspath et le schorl qui sont colorés, et le quartz, que l’on peut regarder comme sa pâte, est toujours blanc, et c’est ce qui prouve que le porphyre a la matière du jaspe pour base, comme le granit celle du quartz.

Quelques naturalistes, en convenant avec moi que le feldspath et le schorl entrent comme parties constituantes dans les porphyres, se refusent à croire que la matière qui en fait la pâte soit réellement du jaspe, et ils se fondent sur ce que la cassure du porphyre n’est pas aussi nette que celle du jaspe ; mais ils ne font pas attention que parmi les jaspes, il y en a qui ont la cassure un peu terreuse comme le porphyre, et qu’on ne doit le comparer qu’aux jaspes communs qui se trouvent en grandes masses et non aux jaspes fins qui sont de seconde formation. Ces nouveaux jaspes ont la cassure plus brillante que celle des anciens, desquels ils tirent leur origine, et ces anciens jaspes ne diffèrent pas par leur cassure de la matière qui fait la pâte des porphyres.

Quoique beaucoup moins commun que les granits, le porphyre ne laisse pas de se trouver en fortes masses et même par grands blocs en quelques endroits[4] ; il est ordinairement voisin des jaspes, et tous deux portent comme le granit sur des roches quartzeuses ; et cette proximité indique entre eux une formation contemporaine. La solidité très durable de la substance du porphyre atteste de même son affinité avec le jaspe ; ils ne se ternissent tous deux que par une très-longue impression des éléments humides, et de toutes les matières du globe que l’on peut employer en grand volume, le quartz, le jaspe et le porphyre sont les plus inaltérables : le temps a effacé et détruit en partie les caractères hiéroglyphiques des colonnes et des pyramides du granit égyptien, au lieu que les jaspes et les porphyres, dans les monuments les plus anciens, ne paraissent avoir reçu que de légères atteintes du temps, et il est à croire qu’il en serait de même des ouvrages faits de quartz, si les anciens l’eussent employé ; mais comme il n’a ni couleurs brillantes, ni variétés dans sa substance, et que sa grande dureté le rend très difficile à travailler et à polir, on l’a toujours rejeté ; et, d’autre part, les porphyres et les jaspes ne se trouvant que rarement en grandes masses continues, on a de tout temps préféré les granits à ces premières matières pour les grands monuments.

Le quartz, qui forme la roche intérieure du globe, est en même temps la base universelle des autres matières vitreuses ; il soutient les masses des granits et celles des porphyres et des jaspes, et tous sont plus ou moins contigus à cette roche primitive à laquelle ils tiennent comme à leur matrice ou mère commune, qui semble les avoir nourris des vapeurs qu’elle a laissé transpirer, et qui leur a fait part des trésors de son sein en les teignant des plus riches couleurs.

M. Ferber, ayant curieusement examiné tous les porphyres en Italie, les distingue en cinq sortes, 1o  le porphyre rouge qui est le plus commun, et dont le fond est d’un rouge foncé avec de petites taches blanches et oblongues, souvent irrégulières ou parallélipipèdes. Le fond de ce porphyre est d’un rouge plus ou moins foncé, et quelquefois si brun qu’il tire sur le noir. « On ne peut nier, dit-il, que la matière de ces taches ne soit du spath dur, opaque, compacte, blanc de lait, et en même temps de la nature du schorl, ce que la forme et la simple vue indiquent assez ; il en est de même des autres sortes de porphyres, et il me paraît que ces taches sont d’une espèce de pierre qui tient le milieu entre le feldspath et le schorl. En général, continue-t-il, il y a très-peu de différence essentielle entre le schorl, le spath dur ou feldspath, le quartz, les autres cailloux et les grenats. »

Je dois observer que tout ce que dit ici M. Ferber, loin de répandre de la lumière sur ce sujet, y porte de la contusion. Le schorl ne doit pas être confondu avec le feldspath ; il n’y a point de pierre dont la substance tienne le milieu entre le feldspath et le schorl. La substance qui, dans les porphyres, se trouve incorporée avec la matière du jaspe, n’est pas uniquement du schorl, mais aussi du feldspath. La différence du schorl au feldspath est bien connue, et certainement le schorl, le spath dur (feldspath), le quartz, les cailloux et les grenats, ont chacun entre eux des différences essentielles que ce minéralogiste n’aurait pas dû perdre de vue.

« 2o  Le porphyre taché de blanc, continue M. Ferber, dont il y a deux variétés : la première est le porphyre noir, proprement dit, dont le fond est entièrement noir avec de petites taches oblongues, et qui ne diffère du porphyre rouge que par cette couleur du fond ; la seconde variété est la serpentine noire antique, dont le fond est noir avec de grandes taches blanches oblongues ou parallélipipèdes.

» 3o  Le porphyre à fond brun avec de grandes taches verdâtres oblongues ; il s’en trouve aussi dont le fond est d’un brun rougeâtre avec des taches d’un vert clair, et d’autres dont le fond est d’un brun noirâtre avec des taches moitié noirâtres et moitié verdâtres.

» 4o  Le porphyre vert dont il y a plusieurs variétés : 1o  la serpentine verte antique, dont le fond est vert, et les taches oblongues et parallélipipèdes sont d’un vert plus ou moins clair, et de la nature du feldspath ou du schorl. On trouve quelquefois dans ces pierres des bulles telles que celles qui se forment dans les matières fondues par la sortie de l’air qui y est renfermé ; on y voit aussi assez souvent des taches blanches et transparentes arrondies irrégulièrement, et qui paraissent être de la nature de l’agate. 2o  Le porphyre à fond vert taché de blanc. 3o  Le porphyre à fond vert foncé avec des taches noires. 4o  Le porphyre à fond vert clair ou plutôt jaune verdâtre taché de noir.

» 5o  Le porphyre vert, proprement dit, qui a plusieurs variétés. La première à fond vert foncé presque noir, de la nature du jaspe, avec des taches blanches distinctes, oblongues, en forme de schorl, plus grandes que les taches du porphyre noir, et plus petites que celles de la serpentine noire antique. La seconde variété est à fond de la nature du jaspe, d’un vert foncé avec de petites taches blanches, rondes et longues, et ressemble, à la couleur près, au porphyre rouge. La troisième à fond vert foncé, qui est de la nature du trapp ; les taches sont blanches, quartzeuses, irrégulières, et quelquefois si grandes et si nombreuses, qu’on dirait, avec raison, que le fond est blanc ; de temps en temps le fond s’est cristallisé en rayons de schorl ; alors cette espèce de porphyre vert se rapproche beaucoup de l’espèce du granit qui est mêlé de schorl au lieu de mica. La quatrième à fond vert foncé de la nature du trapp, comme celle du précédent, avec de petites taches blanches serrées, oblongues comme du schorl, rarement d’une figure régulière ou déterminée, mais entrelacées les unes dans les autres et repliées comme de petits vers ; les ouvriers appellent cette variété porphyre vert fleuri. La cinquième d’un fond vert clair de la nature du trapp, avec de petites taches oblongues, de figure déterminée, et détachées les unes des autres, et de petits rayons de schorl noir[5]. »

Je ne puis m’empêcher d’observer encore que cet habile minéralogiste confond ici le schorl avec le feldspath dans sa description de la première variété du porphyre vert, et qu’en même temps qu’il semble attribuer au feu la formation de cette pierre, il dit qu’on y trouve des agates ; or, l’agate étant formée par l’eau, il n’est pas probable que cette pierre de porphyre ait été pour le reste produite par le feu, à moins d’imaginer que l’agate s’est produite par infiltration dans les bulles dont M. Ferber remarque que cette pierre est soufflée.

Je remarquerai aussi que, sur ces cinq variétés, il n’y a que les deux premières qui soient de vrais porphyres, et qu’à l’égard des trois dernières variétés dont le fond n’est pas de jaspe, mais de la matière tendre appelée trapp, on ne doit pas les mettre au nombre des porphyres, puisqu’elles en diffèrent non seulement par leur moindre dureté, mais même par leur composition, et autant que le jaspe diffère du trapp : ceci nous démontre que M. Ferber a confondu, sous le nom de porphyre, plusieurs substances qui sont d’une autre essence, et que celles qu’il nomme serpentines noires antiques et serpentines vertes antiques sont peut-être, comme le trapp, des matières différentes du porphyre ; nous pouvons même dire que ceux qui, comme M. Ferber, dans le Vicentin, et M. Soulavie, dans le Vivarais, n’ont observé la nature qu’en désordre, n’ont pu prendre que de fausses idées de ses ouvrages et se méprendre sur leur formation. Dans ces terrains bouleversés, les matières produites par le feu primitif, mêlées à celles qui ont ensuite été formées par le transport ou l’intermède de l’eau, et toutes confondues avec celles qui ont été altérées, dénaturées ou fondues par le feu des volcans, se présentent ensemble ; ils n’ont pu reconnaître leur origine ni même les distinguer assez pour ne pas tomber dans de grandes erreurs sur leur formation et leur essence ; il me paraît donc que, quoique M. Ferber soit l’un des plus attentifs de ces observateurs, on ne peut rien conclure de ses descriptions et observations, sinon qu’il se trouve dans ces terrains vulcanisés des matières presque semblables aux vrais porphyres ; et, si cela est, n’y a-t-il pas toute raison de penser avec moi que le feu primitif a formé les premiers porphyres, dans lesquels je n’ai admis que le mélange du jaspe, du feldspath et du schorl, parce que je n’ai jamais vu dans le porphyre des parties quartzeuses, et que je pense qu’il faut distinguer les vrais et anciens porphyres produits par le feu primitif de ceux qui l’ont été postérieurement par celui des volcans ? ceux-ci peuvent être mêlés de plusieurs autres matières de seconde formation, au lieu que les premiers ne pouvaient être composés que des verres primitifs, seules matières qui existaient alors.

Après le quartz, le jaspe, le mica, le feldspath et le schorl, qui sont les substances les plus simples, on peut donc dire que, de toutes les autres matières en grandes masses et produites par le feu, le porphyre et les roches vitreuses, dont nous venons de parler, sont les plus simples, puisqu’elles ne contiennent que deux ou trois de ces premières substances : cependant ces mêmes roches vitreuses et les porphyres ne sont pas à beaucoup près aussi communs que le granit qui contient trois et souvent quatre de ces substances primitives ; c’est de toutes les matières vitreuses la plus abondante et celle qui se trouve en plus grandes masses, puisque le granit forme les chaînes de la plupart des montagnes primitives sur tout le globe de la terre ; c’est même cette grande quantité de granit qui a fait penser à quelques naturalistes qu’on devait le regarder comme la pierre primitive de laquelle toutes les autres pierres vitreuses avaient tiré leur origine : je conviens avec eux que le granit a donné naissance à un grand nombre d’autres substances par ses différentes exsudations et décompositions ; mais comme il est lui-même composé de trois ou quatre matières très évidemment reconnaissables, il faut nécessairement admettre la priorité de l’existence de ces mêmes matières, et par cette raison regarder le quartz, le mica, le feldspath et le schorl qu’il contient, comme des substances dont la formation est antérieure à la sienne.

En suivant l’ordre qui nous conduit des substances simples aux matières composées, et toujours en grandes masses, nous avons donc d’abord le quartz, le jaspe, le mica, le feldspath et le schorl, que nous regardons comme des matières simples ; ensuite les roches vitreuses, qui ne contiennent que deux de ces cinq premières substances ; après quoi viennent les porphyres et les granits, qui en contiennent trois ou quatre : on verra qu’en général le développement des causes et des effets dans la formation des masses primitives du globe s’est fait dans une succession relative aux différents degrés de leur densité, solidité et fusibilité respectives, et que, de tous les mélanges ou combinaisons qui se sont faites des cinq verres primitifs, celle de la réunion du quartz, du mica, du feldspath et du schorl est non seulement la plus commune, mais qu’elle est tellement universelle et si générale que les granits semblent avoir exclu les résultats de la plupart des autres combinaisons de ces verres primitifs.


Notes de Buffon
  1. « La pierre, dit M. Ferber, que les Allemands appellent schiste corné ou schiste de corne est formée de quartz et de mica, et ce schiste de corne n’est pas la même que la pierre de corne ; celle-ci est une espèce de silex ou pierre à fusil. »

    Nous ne pouvons nous dispenser d’observer que cet habile minéralogiste est ici tombé dans une double méprise : d’abord il n’y a aucun schiste qui soit formé de quartz et de mica, et il n’eût point dû appliquer à ce composé de quartz et de mica le nom de schiste de corne, puisqu’il dit que ce schiste de corne n’a rien de commun avec la pierre de corne qui, selon lui, est un silex, ce qui est une seconde méprise, car la pierre de corne n’est point un silex, mais une pierre composée de schiste et de matière calcaire ; tout quartz mêlé de mica doit être appelé quartz micacé tant que le mica n’a pas changé de nature, et, lorsque par sa décomposition il s’est converti en argile ou en schiste, il faut nommer quartz schisteux ou schiste quartzeux la pierre composée des deux.

    « Il y a dans le Piémont, continue M. Ferber, des montagnes calcaires et des montagnes quartzeuses ; celles-ci ont des raies plus ou moins fortes de mica, et c’est de cette espèce de pierres que sont formées les montagnes voisines de Turin. On les nomme sarris ; on s’en sert pour les fondations des bâtiments, pour des colonnes, etc. » Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, p. 456.

    Le même M. Ferber (p. 344), en parlant d’un prétendu granit à deux substances, quartz et mica, s’exprime encore dans les termes suivants : « Quand il n’entre point du tout de spath dur (feldspath) dans la composition des granits, on nomme alors ce mélange de quartz et de mica hornberg, hornfels, gestellstein, ce qui vient de l’usage qu’on en fait dans les fourneaux de fonderie ; lorsque le mica y est plus abondant, la pierre est schisteuse. »

    Le nom de gestellstein (pierre de fondement ou base des fourneaux) me paraît aussi impropre que celui de schiste corné, pour désigner la matière vitreuse qui n’est composée que de quartz et de mica et non de schiste ; et M. le baron de Dietrich remarque avec raison (p. 491 et 492 des Lettres sur la minéralogie, note du traducteur) « qu’il y a beaucoup de roches composées qui n’ont aucune dénomination ; que d’autres, au contraire, en ont tant et de si indéterminées que l’on ne s’entend point lorsqu’on se sert de ces noms : par exemple, le granit, la roche cornée, ce qu’on nomme en allemand gestellstein, sont des noms que l’on confond souvent et que l’on applique mal. Chaque granit, proprement dit, doit renfermer du quartz, du spath dur (feldspath) et du mica ; mais on nomme aussi granit cette même espèce de pierre quand il n’y a pas de feldspath, tandis qu’alors elle doit être nommée roche cornée (en suédois, graeberg) ; car les parties essentielles de la roche cornée sont du quartz, dans lequel il y a des taches ou des raies grossières de mica, séparées les unes des autres ; mais lorsque ces raies de mica sont très rapprochées, et que par là la roche devient schisteuse ou feuilletée, on la nomme en allemand gestellstein, d’après l’usage que l’on en fait pour les fourneaux… On désigne aussi par roche de corne quelques cailloux (pétrosilex)… On ne devrait donner le nom de schiste corné qu’à l’espèce de pierre dans laquelle le quartz est intimement lié avec le mica, de manière qu’ils ne sauraient être distingués l’un de l’autre à la vue. »

    Le savant traducteur finit, comme l’on voit, à l’égard du prétendu schiste corné, par tomber dans la mauvaise application des noms qu’il censure.

  2. Il s’en est aussi trouvé depuis dans les Alpes : « J’ai trouvé dans les environs de Genève, dit M. de Saussure, deux variétés du granit simple, c’est-à-dire composé seulement de quartz et de feldspath : dans l’une, un feldspath blanc forme le fond de la pierre, et le quartz y est parsemé par petits grains ; dans l’autre un feldspath de couleur fauve est entremêlé, à dose à peu près égale, avec du quartz blanc fragile. » Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 103.
  3. « Dans la forêt de l’Esterelle en Provence, entre Cannes et Fréjus, il y a une montagne de roche grossière et grisâtre, entremêlée de mica, de quartz et de feldspath, les mêmes espèces qui entrent dans la composition des granits, avec cette différence qu’elles sont plus mûres, plus fines et plus compactes dans ceux-ci que dans l’autre… Et plus loin on trouve une pierre rougeâtre appelée pétrosilex, c’est-à-dire caillou de roche, qui est la mère des porphyres et des jaspes, de même que la pierre brute grise, dont je viens de parler, est la mère des granits. On trouve des pétrosilex qui sont noirs, bruns, rougeâtres, verts et bleuâtres.

    » À mesure qu’on avance, cette pierre devient plus dure ; on y voit des taches opaques d’un petit feldspath, semblables à celles qu’on voit dans le porphyre d’Égypte : on y aperçoit aussi de petites taches de plomb, lesquelles se trouvent aussi, quoique rarement, dans les porphyres antiques ; ces taches sont cristallisées comme les autres ; mais on juge par la couleur que c’est un minéral qu’on appelle molybdène, lequel, aussi bien que le schorl ou le corneus cristallisatus, peut être compté parmi les minéraux inconnus… Vers le sommet de la montagne de l’Esterelle, ce même porphyre acquiert encore une autre sorte de taches qui, par leur transparence, ressemblent au verre, étant formées en cristaux spatheux, pyramidaux et pointus aux deux bouts ; mais, à mesure que les taches nouvelles s’accroissent, les autres disparaissent. Ce nouveau porphyre est plus beau que l’autre dans son poli, et ses taches deviennent entièrement transparentes quand on le scie en plaques minces. »

    Je remarquerai que cette pierre, que M. Angerstein a ci-devant regardée comme la mère du porphyre, devient ici une matière dont la finesse de grain, la dureté et la consistance l’ont déterminé à placer cette pierre parmi les jaspes.

    « En avançant quelques lieues, continue-t-il, dans les bois de l’Esterelle, on ne remarque plus qu’une continuité de ce changement alternatif de porphyre et de jaspe ; mais dans certains endroits, et surtout du côté de Fréjus, ces deux sortes de pierre sont amoncelées et congelées l’une avec l’autre, et forment un produit qui a le caractère du marbre sérancolin des Pyrénées.

    » Au sud-ouest, on trouve au pied de la montagne le pétrosilex : dans cet endroit il est tantôt rouge brun, tantôt tirant sur le bleu céleste, tantôt sur le vert ; ce qui fait présumer que l’on pourrait y trouver encore des jaspes et des porphyres verts et bleuâtres, parce qu’on a vu ci-devant que le pétrosilex, ou le caillou de roche d’un rouge brun, a donné l’origine aux jaspes et aux porphyres de la même couleur.

    En dernier lieu, on remarque une petite colline d’une pierre appelée corneus, d’un gris foncé, mêlée de fibres en forme de petits filets, et de taches de spath cristallisé à quatorze pans, et quelquefois congelées en forme de grappes : arrivé à Fréjus, toutes ces pierres disparaissent. » Remarques sur les montagnes de Provence, par M. Angerstein, dans les Mémoires des savants étrangers, t. II.

    Nous devons faire observer que cette idée de M. Angerstein, de regarder la roche grossière et grisâtre de la forêt de l’Esterelle en Provence comme la mère des granits, est sans aucun fondement ; car les granits ne sont pas des pierres enfantées immédiatement par d’autres pierres, et cette prétendue mère des granits n’est elle-même qu’un granit gris qui ressemble aux autres par sa composition, puisqu’il contient du quartz, du mica et de feldspath, de l’aveu même de l’auteur. Il dit de même que son pétrosilex est la mère des porphyres et des jaspes, ce qui n’est pas plus fondé, puisque ni le jaspe ni le porphyre ne contiennent point de quartz ; tandis que ce prétendu pétrosilex, étant composé de quartz et de feldspath, n’a point de rapport avec les jaspes ; il est du nombre des matières de la troisième combinaison dont nous venons de parler, ou, si l’on veut, il fait la nuance entre cette pierre et les granits, parce qu’on y voit quelques taches de plomb noir ou molybdène, qui, comme l’on sait, est une matière micacée ; il n’est donc pas possible que ce pétrosilex ait produit des jaspes, puisqu’il n’en contient pas la matière ; ainsi la distinction que cet observateur fait entre le granit, la roche grisâtre, mère des granits, et son pétrosilex, mère des porphyres et des jaspes, ne me paraît pas établie sur une juste comparaison ; et, de plus, nous verrons que le vrai pétrosilex est une matière différente de celle à laquelle M. Angerstein en applique ici le nom.

  4. On en voit à Constantinople de très hautes colonnes d’une seule pièce, dans l’église de Sainte-Sophie ; on croit que ces colonnes viennent de la Thébaïde.
  5. Lettres sur la minéralogie, p. 337 et suiv.
Notes de l’éditeur
  1. Le porphyre ne contient pas de jaspe ; il est formé principalement de quartz, de feldspath et de mica [Note de Wikisource : les porphyres les plus communs — rouges et verts — ne comportent que des cristaux de feldspath, notés dans une pâte siliceuse colorée apparemment amorphe]. Buffon réunit, du reste, sous le nom de porphyre, plusieurs substances distinctes.