Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Des schistes et de l’ardoise

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DES SCHISTES ET DE L’ARDOISE

L’argile diffère des schistes et de l’ardoise en ce que ses molécules sont spongieuses et molles, au lieu que les molécules de l’ardoise ou du schiste ont perdu cette mollesse et cette texture spongieuse qui fait que l’argile peut s’imbiber d’eau : le dessèchement seul de l’argile peut produire cet effet, surtout si elle a été exposée à une longue et forte chaleur, puisque nous avons vu ci devant qu’en réduisant cette argile cuite en poudre, on ne peut plus en faire une pâte ductile ; mais il me paraît aussi que deux mélanges ont pu contribuer à diminuer cette mollesse naturelle de l’argile et à la convertir en schiste et en ardoise. Le premier de ces mélanges est celui du mica, le second celui du bitume ; car toutes les ardoises et les schistes sont plus ou moins parsemés ou pétris de mica, et contiennent aussi une certaine quantité de bitume plus grande dans les ardoises, moindre dans la plupart des schistes, et rendue sensible dans tous deux par la combustion.

Ce mélange de mica et cette teinture de bitume nous montrent la production des schistes et des ardoises comme une formation secondaire dans les argiles, et même en fixent l’époque par deux circonstances remarquables : la première est celle du mica disséminé, qui prouve que dès lors les eaux avaient enlevé des particules de la surface des roches vitreuses primitives et surtout des granits dont elles transportaient les débris ; car dans les argiles pures il ne se trouve pas de mica, ou du moins il y a changé de nature par le travail intime de l’eau sur les poudres vitrescibles dont a résulté la terre argileuse. La seconde circonstance est celle du bitume dont les ardoises se trouvent plus ou moins imprégnées ; ce qui, joint aux empreintes d’animaux et de végétaux sur ces matières, prouve démonstrativement que leur formation est postérieure à l’établissement de la nature vivante dont elles contiennent des débris.

La position des grandes couches des schistes et des lits feuilletés des ardoises mérite encore une attention particulière : les lits de l’ardoise n’ont pas régulièrement une position horizontale ; ils sont souvent fort inclinés comme ceux des charbons de terre[1], analogie que l’on doit réunir à celle de la présence du bitume dans les ardoises. Leurs feuillets se délitent suivant le plan de cette inclinaison, ce qui prouve que les lits ont été déposés suivant la pente du terrain, et que les feuillets se sont formés par le dessèchement et la retraite de la matière, suivant les lignes plus ou moins approchantes de la perpendiculaire.

Les couches des schistes, infiniment plus considérables et plus communes que les lits d’ardoise[2], sont généralement adossées aux flancs des montagnes primitives, et descendent avec elles pour s’enfouir dans les vallons, et souvent reparaître au delà en se relevant sur la montagne opposée[3].

Après le quartz et le granit, le schiste est la plus abondante des matières solides du genre vitreux : il forme des collines et enveloppe souvent les noyaux des montagnes jusqu’à une grande hauteur. La plupart des monts les plus élevés n’offrent à leur sommet que des quartz ou des granits ; et ensuite, sur leurs pentes et dans leurs contours, ces mêmes quartz et granits qui composent le noyau de la montagne sont environnés d’une grande épaisseur de schiste, dont les couches qui couvrent la base de la montagne se trouvent quelquefois mêlées de quartz et de granits détachés du sommet.

On peut réduire tous les différents schistes à quatre variétés générales : la première, des schistes simples, qui ne sont que des argiles plus ou moins durcies, et qui ne contiennent que très peu de bitume et de mica ; la seconde, des schistes qui, comme l’ardoise, sont mêlés de beaucoup de mica et d’une assez grande quantité de bitume pour en exhaler l’odeur au feu ; la troisième, des schistes où le bitume est en telle abondance, qu’ils brûlent à peu près comme les charbons de terre de mauvaise qualité ; et enfin les schistes pyriteux, qui sont les plus durs de tous dans leur carrière, mais qui se décomposent dès qu’ils en sont tirés, et s’effleurissent à l’air et par l’humidité. Ces schistes, mêlés et pénétrés de matière pyriteuse, ne sont pas si communs que les schistes imprégnés de bitume ; néanmoins on en trouve des couches et des bancs très considérables en quelques endroits[4]. Nous verrons dans la suite que cette matière pyriteuse est très abondante à la surface et dans les premières couches de la terre.

Tous les schistes sont plus ou moins mélangés de particules micacées, et il y en a dans lesquels le mica paraît être en plus grande quantité que l’argile[5]. Ces schistes, ne contenant que peu de bitume et beaucoup de mica, sont les meilleures pierres dont on puisse se servir pour les fourneaux de fusion des mines de fer et de cuivre ; ils résistent au feu plus longtemps que le grès, qui s’égrène, quelque dur qu’il soit ; ils résistent aussi mieux que les granits, qui se fondent à un feu violent et se convertissent en émail ; et ils sont bien préférables à la pierre calcaire, qui peut à la vérité résister pendant quelques mois à l’action de ces feux, mais qui se réduit en poussière de chaux au moment qu’ils cessent et que l’humidité de l’air la saisit, au lieu que les schistes conservent leur nature et leur solidité pendant et après l’action de ces feux continuée très longtemps[6], car cette action se borne à entamer leur surface, et il faudrait un feu de plusieurs années pour en altérer la masse à quelques pouces de profondeur.

Les lits les plus extérieurs des schistes, c’est-à-dire ceux qui sont immédiatement sous la couche de terre végétale, se divisent en grands morceaux qui affectent une figure rhomboïdale[7], à peu près comme les grès, qui sont mêlés de matière calcaire, affectent cette même figure en petit ; et, dans les lits inférieurs des schistes, cette affectation de figure est beaucoup moins sensible et même ne se remarque plus : autre preuve que la figuration des minéraux dépend des parties organiques qu’ils renferment, car les premiers lits de schiste reçoivent par la stillation des eaux les impressions de la terre végétale qui les recouvre, et c’est par l’action des éléments actifs contenus dans cette terre que les schistes du lit supérieur prennent une sorte de figuration régulière, dont l’apparence ne subsiste plus dans les lits inférieurs, parce qu’ils ne peuvent rien recevoir de la terre végétale, en étant trop éloignés et séparés par une grande épaisseur de matière impénétrable à l’eau.

Au reste, le schiste commun ne se délite pas en feuillets aussi minces que l’ardoise, et il ne résiste pas aussi longtemps aux impressions des éléments humides ; mais il résiste également à l’action du feu avant de se vitrifier, et, comme il contient une petite quantité de bitume, il semble brûler avant de se fondre ; et, comme nous venons de le dire, il y a même des schistes qui sont presque aussi inflammables que le charbon de terre. Ce dernier effet a déçu quelques minéralogistes, et leur a fait penser que le fond du charbon de terre n’était, comme celui des schistes, que de l’argile mêlée de bitume, tandis que la substance de ce charbon est, au contraire, de la matière végétale plus ou moins décomposée, et que, s’il se trouve de l’argile mêlée dans le charbon, ce n’est que comme matière étrangère ; mais il est vrai que la quantité de bitume et de matière pyriteuse est peut-être aussi grande dans certains schistes que dans les charbons de terre impurs et de mauvaise qualité. Il y a même des argiles, surtout dans les couches les plus basses, qui sont mêlées d’une assez grande quantité de bitume et de pyrite pour devenir inflammables ; elles sont en même temps sèches et dures à peu près comme le schiste, et ce bitume des argiles et des schistes s’est formé dès les premiers temps de la nature vivante par la décomposition des végétaux et des animaux, dont les huiles et les graisses, saisies par l’acide, se sont converties en bitumes ; et les schistes, comme les argiles, contiennent ordinairement d’autant plus de bitume, qu’ils sont situés plus profondément et qu’ils sont plus voisins des veines de charbon auxquelles ils servent de lits et d’enveloppe ; car, lorsqu’on ne trouve pas l’ardoise au-dessous des schistes, on peut espérer d’y trouver des charbons de terre.

Dans les couches les plus profondes, il y a aussi des argiles qui ressemblent aux schistes, et même aux ardoises, par l’apparence de leur dureté, de leur couleur et de leur inflammabilité ; cependant cette argile, exposée à l’air, démontre bientôt les différences qui la séparent de l’ardoise : elle n’est pas longtemps sans s’exfolier, s’imbiber d’humidité, se ramollir et reprendre sa qualité d’argile, au lieu que les ardoises, loin de s’amollir à l’air, ne font que s’y durcir davantage, et l’on doit mettre les mauvais schistes au nombre de ces argiles dures.

Comme toutes les argiles, ainsi que les schistes et les ardoises, ont été primitivement formées des sables vitreux atténués et décomposés dans l’eau, on ne peut se dispenser d’admettre différents degrés de décomposition dans ces sables : aussi trouve-t-on dans l’argile des grains encore entiers de ce sable vitreux qui ne sont que peu ou point altérés, d’autres qui ont subi un plus grand degré de décomposition. On y trouve de même de petits lits de ce sable à demi décomposé, et dans les ardoises et les schistes le mica y est souvent aussi atténué, aussi doux au toucher que le talc ; en sorte qu’on peut suivre les nuances successives de cette décomposition des sables vitreux jusqu’à leur conversion en argile. Les glaises mélangées de ces sables vitreux, trop peu décomposés, n’ont point encore acquis leur entière ductilité ; mais en général l’argile, même la plus molle, devient d’autant plus dure qu’elle est plus desséchée et plus imprégnée de bitume, et d’autant plus feuilletée qu’elle est plus mêlée de mica.

Je ne vois pas qu’on puisse attribuer à d’autres causes qu’au dessèchement et au mélange du mica et du bitume cette sécheresse des ardoises et des schistes, qui se reconnaît jusque dans leurs molécules, et j’imagine que comme elles sont mêlées de particules micacées en assez grande quantité, chaque paillette de mica aura dû attirer l’humidité de chaque molécule d’argile, et que le bitume, qui se refuse à toute humidité, aura pu durcir l’argile au point de la changer en schiste et en ardoise ; dès lors les molécules d’argile seront demeurées sèches, et les schistes composés de ces molécules desséchées et de celles du mica auront acquis assez de dureté pour être, comme les bitumes, impénétrables à l’eau ; car, indépendamment de l’humidité que les micas ont dû tirer de l’argile, on doit encore observer qu’étant mêlés en quantité dans tous les schistes et ardoises, le seul mélange de ces particules sèches, qui paraît être moins intime qu’abondant, a dû laisser de petits vides par lesquels l’humidité contenue dans les molécules d’argile a pu s’échapper.

Cette quantité de mica que contiennent les ardoises, me semble leur donner quelques rapports avec les talcs ; et si l’argile fait le fond de la matière de l’ardoise, on peut croire que le mica en est l’alliage et lui donne la forme, car les ardoises se délitent, comme le talc, en feuilles minces, elles participent de sa sécheresse et résistent de même aux impressions des éléments humides ; enfin elles se changent également en verre brun par un feu violent. L’ardoise paraît donc participer de la nature de ce verre primitif ; on le voit en la considérant attentivement au grand jour : sa surface présente une infinité de particules micacées, d’autant plus apparentes que l’ardoise est de meilleure qualité.

La bonne ardoise ne se trouve jamais dans les premières couches du schiste ; les ardoisières les moins profondes sont à trente ou quarante pieds ; celles d’Angers sont à deux cents. Les derniers lits de l’ardoise, comme ceux de l’argile, sont plus noirs que les premiers : cette ardoise noire des lits inférieurs, exposée à l’air pendant quelque temps, prend néanmoins comme les autres la couleur bleuâtre que nous leur connaissons et que toutes conservent très longtemps ; elles ne perdent cette couleur bleue que pour en prendre une plus tendre d’un blanc grisâtre, et c’est alors qu’elles brillent de tous les reflets des particules micacées qu’elles contiennent, et qui se montrent d’autant plus que ces ardoises ont été plus anciennement exposées aux impressions de l’air.

L’ardoise ne se trouve pas dans les argiles molles et pénétrées de l’humidité des eaux, mais dans les schistes, qui ne sont eux-mêmes que des ardoises grossières ; les minières d’ardoises s’annoncent ordinairement[8] par un lit de schiste noirâtre de quelques pouces d’épaisseur, qui se trouve immédiatement sous la couche de terre végétale : ce premier lit de pierre schisteuse est divisé par un grand nombre de fentes verticales, comme le sont les premiers lits des pierres calcaires, et l’on peut également en faire du moellon ; mais ce schiste, quoique assez dur, n’est pas aussi sec que l’ardoise ; il est même spongieux et se ramollit par l’humidité lorsqu’il y est longtemps exposé. Les bancs qui sont au-dessous de ce premier lit ont plus d’épaisseur et moins de fentes verticales ; leur continuité augmente avec leur masse à mesure que l’on descend, et il n’est pas rare de trouver des bancs de cette pierre schisteuse de quinze ou vingt pieds d’épaisseur sans délits remarquables. La finesse du grain de ces schistes, leur sécheresse, leur pureté et leur couleur noire augmentent aussi en raison de leur situation à de plus grandes profondeurs, et d’ordinaire c’est au plus bas que se trouve la bonne ardoise.

L’on voit sur quelques-uns de ces feuillets d’ardoise des impressions de poissons à écailles, de crustacés et de poissons mous, dont les analogues vivants ne nous sont pas connus, et en même temps on n’y voit que très peu ou point de coquilles[9]. Ces deux faits paraissent au premier coup d’œil difficiles à concilier, d’autant que les argiles, dont on ne peut douter que les ardoises ne soient au moins en partie composées, contiennent une infinité de coquilles, et rarement des empreintes de poissons. Mais on doit observer que les ardoises, et surtout celles où l’on trouve des impressions de poissons, sont toutes situées à une grande profondeur, et qu’en même temps les argiles contiennent une plus grande quantité de coquilles dans leurs lits supérieurs que dans les inférieurs, et que même, lorsqu’on arrive à une certaine profondeur, on n’y trouve plus de coquilles ; d’autre part, on sait que le plus grand nombre des coquillages vivants n’habitent que les rivages ou les terrains élevés dans le fond de la mer, et qu’en même temps il y a quelques espèces de poissons et de coquillages qui n’en habitent que les vallées à une profondeur plus grande que celle où se trouvent communément tous les autres poissons et coquillages. Dès lors on peut penser que les sédiments argileux qui ont formé les ardoises à cette plus grande profondeur, n’auront pu saisir en se déposant que ces espèces, en petit nombre, de poissons ou de coquillages qui habitent les bas-fonds, tandis que les argiles qui sont situées plus haut que les ardoises, auront enveloppé tous les coquillages des rivages et des hauts-fonds, où ils se trouvent en bien plus grande quantité[10].

Nous ajouterons aux propriétés de l’ardoise, que, quoiqu’elle soit moins dure que la plupart des pierres calcaires, il faut néanmoins employer la masse et les coins pour la tirer de sa carrière ; que la bonne ardoise ne fait pas effervescence avec les acides, et qu’aucune ardoise ni aucun schiste ne se réduit en chaux, mais qu’ils se convertissent par un feu violent en une sorte de verre brun, souvent assez spumeux pour nager sur l’eau. Nous observerons aussi qu’avant de se vitrifier, ils brûlent en partie en exhalant une odeur bitumineuse ; et enfin que, quand on les réduit en poudre, celle de l’ardoise est douce au toucher comme la poussière de l’argile séchée, mais que cette poudre d’ardoise, détrempée avec de l’eau, ne reprend pas en se séchant sa dureté, ni même autant de consistance que l’argile.

Le même mélange de bitume et de mica, qui donne à l’ardoise sa solidité, fait en même temps qu’elle ne peut s’imbiber d’eau ; aussi lorsqu’on veut éprouver la qualité d’une ardoise, il ne faut qu’en faire tremper dans l’eau le bord d’une feuille suspendue verticalement ; si l’eau n’est pas pompée par la succion capillaire, et qu’elle n’humecte pas l’ardoise au-dessus de son niveau, on aura la preuve de son excellente qualité, car les mauvaises ardoises, et même la plupart de celles qu’on emploie à la couverture des bâtiments, sont encore spongieuses et s’imbibent plus ou moins de l’humidité, en sorte que la feuille d’ardoise, dont le bord est plongé dans l’eau, s’humectera à plus ou moins de hauteur en raison de sa bonne ou mauvaise qualité[11] : la bonne ardoise peut se polir, et on en fait des tables de toutes dimensions ; on en a vu de dix à douze pieds en longueur sur une largeur proportionnée.

Quoiqu’il y ait des schistes plus ou moins durs, cependant on doit dire qu’en général ils sont encore plus tendres que l’ardoise, et que la plupart sont d’une couleur moins foncée ; ils ne se divisent pas en feuillets aussi minces que l’ardoise, et néanmoins ils contiennent souvent une plus grande quantité de mica, mais l’argile qui en fait le fond est vraisemblablement composée de molécules grossières, et qui, quoiqu’en partie desséchées, conservent encore leur qualité spongieuse et peuvent s’imbiber d’eau, ou bien leur mica plus aigre et moins atténué n’a pas acquis en s’adoucissant cette tendance à la conformation talqueuse ou feuilletée qu’il paraît communiquer aux ardoises : aussi lorsqu’on réduit le schiste en lames minces, il se détériore à l’air et ne peut servir aux mêmes usages que l’ardoise, mais on peut l’employer en masses épaisses pour bâtir.

J’ai dit que les collines calcaires avaient l’argile pour base, et j’ai entendu non seulement les glaises ou argiles molles communes, mais aussi les schistes ou argiles desséchées ; la plupart des montagnes calcaires sont posées sur l’argile ou sur le schiste[12]. « Les montagnes, dit M. Ferber, de la Styrie inférieure, de toute la Carniole, et jusqu’à Vienne en Autriche, sont formées de couches horizontales plus ou moins épaisses (de pierre calcaire), entassées les unes sur les autres, et ont pour base un véritable schiste argileux, c’est-à-dire une ardoise bleue ou noire, ou bien un schiste de corne mélangé de quartz et de mica, pénétré d’une petite partie d’argile. J’ai eu, dit-il, presque à chaque pas l’occasion de me convaincre que ce schiste s’étend sans interruption sous ces montagnes calcaires ; quelquefois même on le voit à découvert s’élever au-dessus du rez de terre, mais lorsqu’il s’est montré pendant un certain temps, il s’enfouit de nouveau sous la pierre calcaire[13]. »

L’argile, ou sous sa propre forme, ou sous celle d’ardoise et de schiste, compose donc la première terre, et forme les premières couches qui aient été transportées et déposées par les eaux ; et ce fait s’unit à tous les autres pour prouver que les matières vitrescibles sont les substances premières et primitives, puisque l’argile formée de leurs débris est la première terre qui ait couvert la surface du globe. Nous avons vu de plus que c’est dans cette terre que se trouvent généralement les coquilles d’espèces anciennes, comme c’est aussi sur les ardoises qu’on voit les empreintes des poissons inconnus qui ont appartenu au premier Océan. Ajoutons à ces grands faits une observation non moins importante, et qui rappelle à la fois et l’époque de la formation des couches d’argile et les grands mouvements qui bouleversaient encore alors la première nature : c’est qu’un grand nombre de ces lits de schistes et d’ardoises ne paraissent s’être inclinés que par violence, ayant été déposés sur les voûtes des grandes cavernes avant que leur affaissement ne fît pencher les masses dont elles étaient surmontées, tandis que les couches calcaires, déposées plus tard sur la terre affermie, offrent rarement de l’inclinaison dans leurs bancs, qui sont assez généralement horizontaux, ou beaucoup moins inclinés que ne le sont communément les lits des schistes et des ardoises.


Notes de Buffon
  1. Dans les ardoisières d’Angers, les lits sont presque perpendiculaires ; ils sont aussi fort inclinés à Mézières près de Charleville, à Lavagna dans l’État de Gênes ; cependant en Bretagne, les ardoises sont par lits horizontaux comme les couches de l’argile.
  2. On n’a que deux ou trois bonnes carrières d’ardoise en France ; on n’en connaît qu’une ou deux en Angleterre, et une seule en Italie, à Lavagna, dans les États de Gênes : cette ardoise quoique noire est très bonne ; toutes les maisons de Gênes en sont couvertes, et l’on en revêt l’intérieur des citernes, dans lesquelles on conserve l’huile d’olive à Lucques et ailleurs : l’huile s’y conserve mieux que dans les citernes de plomb ou enduites de plâtre.
  3. Le pays schisteux (de la partie des Cévennes voisines de la montagne de l’Espéron) commence, à partir du village de Beaulieu, par le chemin qui conduit au Vigan ; et lorsqu’on est arrivé au ruisseau de Gazel, on trouve des talcs ; quand on est au cap de Morèse et que l’on a descendu environ cinquante toises dans un petit vallon, on trouve des rochers de schiste et d’ardoise propres à couvrir les maisons : le milieu du cap de Morèse, qui regarde le levant, est de talc ; les rochers qui commencent à la rivière d’Arre, et qui se continuent jusqu’au pont de l’Arbon, sont de schiste très dur et d’ardoise qui s’exfolie aisément : cette étendue peut avoir environ une demi-lieue en longueur et largeur ; dès qu’on est parvenu à mi-côte… on trouve de grandes tables de schistes, qui composent la couverture du terrain schisteux et ardoisé : ce schiste est ordinairement très dur, parsemé dans toutes ses parties d’un quartz également très dur, et qui forme avec lui une liaison intime… Ces rochers schisteux se divisent par couches, depuis quatre lignes jusqu’à trois pouces d’épaisseur ; ils sont presque toujours dans des bas-fonds, ensevelis à un ou deux pieds dans la terre. Le rocher qui donne de l’ardoise tendre prend toujours de la dureté quand elle est exposée à l’air ; toutes les maisons de ces cantons sont couvertes de cette ardoise. Lorsqu’on monte sur la montagne de l’Espéron, qui commence au cap de Coste, situé sur le chemin qui se trouve presque au haut de la montagne, on observe que le rocher n’est que de schiste ou d’ardoise ; il se continue sur toute la surface de la montagne qui est vis-à-vis de Montpellier, au-dessus du logis du cap de Coste : la plus grande partie du terrain est d’ardoise assez tendre. Mémoires de M. Montet dans ceux de l’Académie des sciences, année 1777, p. 640.
  4. « Plus on avance, dit M. Monnet, vers la Ferrière-Bechet en Normandie, plus la roche de cette chaîne de collines devient schisteuse, et, lorsqu’on est parvenu dans le village, on trouve que la roche a fait un saut considérable ; car on ne voit alors qu’un schiste noir et feuilleté, en un mot, un vrai schiste pyriteux… La couleur noire de cette substance, qui paraissait au jour, fit croire à différents particuliers qu’elle était de même nature que le crayon noir… Le curé de la Ferrière-Bechet fit fouiller dans sa cour, où ce prétendu crayon paraissait le meilleur, c’est-à-dire le plus noir… Mais, tandis qu’il formait des projets de fortune, on s’aperçut que les traces que l’on faisait avec cette matière disparaissaient, et que cette même matière, mise en tas, s’échauffait et tombait en poussière, que les eaux qui les avaient lavées étaient vitrioliques et alumineuses…

    » Par tout ce que nous venons de dire, on voit que le schiste de la Ferrière-Bechet diffère essentiellement de beaucoup de schistes colorés et de beaucoup d’autres qui ne le sont pas : on a donc eu grand tort de le confondre avec eux, et surtout de lui attribuer les mêmes qualités, comme d’engraisser les terres… Quelques particuliers ayant mis de cette matière dans leurs champs, elle y brûla tout en fleurissant. » Mémoire sur la carrière de schiste de la Ferrière-Bechet ; Journal de Physique, mois de septembre 1777, p. 214 et suiv.

  5. Le macigno des Italiens est un schiste de cette espèce ; il y en a des collines entières à Fiesoli près de Florence : « Les couches supérieures de ces carrières de macigno, dit M. Ferber, sont feuilletées et minces, entremêlées de petites couches argileuses » (l’auteur aurait dû dire limoneuses ; car je suis persuadé que ces petites couches entremêlées sont de terre végétale, et non d’argile) ; « le macigno devient plus compact en entrant dans la profondeur, et ne forme plus qu’une masse : on en tire de très grands blocs… On trouve par-ci par-là, dans le macigno compact, des rognons d’argile endurcie et une multitude de petites taches noires, quelquefois même des couches ou veines de charbon de terre » (autre preuve que ce n’est pas de l’argile, mais de la terre végétale ou limoneuse ; c’est le bitume de cette terre limoneuse qui a formé les taches noires) : « il y a du macigno de deux couleurs ; mais le meilleur pour bâtir et le plus durable est celui qui est d’un jaune grisâtre, mélangé d’ocre ferrugineuse. » Lettres sur la minéralogie, etc., p. 4.
  6. Il y a à Walcy, à dix lieues de Clermont en Argonne, près de Sainte-Ménéhould, une pierre dont il semble qu’on peut tirer de très grands avantages : elle est de couleur argileuse, sans fentes et sans gerçures, même apparentes ; l’eau-forte n’y fait aucune impression. Sa principale propriété est de pouvoir résister à l’action du feu le plus violent sans se calciner, si elle est employée sèche ; elle peut servir à la construction des voûtes de fourneaux de verreries, de faïencerie, etc. : on assure qu’elle y dure vingt ans sans altération. Journal historique et politique, mois de juillet 1774, p. 173.
  7. Cette propriété, dit M. Guettard, est trop singulière pour n’en pas dire ici quelque chose : c’est ordinairement dans les petits morceaux qui composent le banc le plus extérieur, et qu’on appelle cosse, que cette figure se remarque principalement. Ces morceaux forment des rhombes, des carrés longs, des carrés presque parfaits, des rhomboïdes ou des figures coupées irrégulièrement, mais dont les faces sont toujours d’un parallélogramme : on ne distingue pas aussi bien ces différentes figures dans les quartiers des grands bancs ; on peut cependant dire que ces bancs forment de grands carrés longs assez réguliers ; c’est une idée qui se présente d’abord lorsqu’on observe exactement une carrière d’ardoise, c’est du moins celle que j’ai prise en voyant la carrière de la Ferrière en Normandie.

    Cette carrière, de même que celle d’Angers, a un banc de cosse qui peut avoir un pied ou deux ; ce banc n’est qu’un composé de petites pierres posées obliquement sur les autres qui se détachent assez facilement, et qui affectent la figure d’un parallélogramme régulier ou irrégulier ; leurs côtés sont unis, ordinairement bien plans, ce qui fait que les pierres tiennent peu, et qu’il est aisé de les séparer les unes des autres. Lorsque ces côtés sont coupés obliquement, l’union de ces pierres est plus grande, elles sont en quelque sorte mieux entrelacées, et font un banc plus difficile à rompre, quoique en général il le soit peu.

    Les lits qui suivent celui-ci sont beaucoup plus considérables en hauteur ; leurs pierres ne sont pas en petites masses comme celles du lit précédent ; elles ont quelquefois quinze ou vingt pieds de hauteur, au lieu que les pierres du lit de cosse n’ont quelquefois que deux ou trois pouces de longueur sur quelques-uns de largeur et d’épaisseur…

    Celles des autres bancs qui ont vingt pieds de hauteur sont ordinairement des bancs les plus inférieurs, et même de ceux dont on fait usage ; les bancs qui précèdent approchent plus ou moins de cette hauteur, selon qu’ils en sont plus voisins, et la hauteur est toujours proportionnée à la profondeur : c’est aussi suivant ce rapport qu’ils sont d’une pierre plus fine et plus aisée à travailler… On fouille cinquante, soixante pieds, et même davantage, avant de trouver un bon banc, et lorsqu’on l’a atteint on continue de fouiller jusqu’à ce que le banc change, de sorte que ces carrières ont quelquefois plus de cent pieds de profondeur… Mémoires de M. Guettard, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1757, p. 52.

  8. « L’ardoise d’Angers est formée par des bancs plus ou moins hauts, d’une pierre qu’on lève aisément par feuillets, et qui sont inclinés à l’horizon : ces bancs ont en général une hauteur verticale assez considérable ; les premiers sont ordinairement ceux qui sont les moins hauts, et celui qui est à la surface de la terre n’est souvent composé que de petits quartiers de pierre qui ont une figure rhomboïdale, et qui se détachent aisément les uns des autres.

    » Après ce banc, il n’est pas rare d’en voir qui ont plusieurs pieds de hauteur, et cette hauteur augmente à mesure que les bancs sont plus profonds, de façon que ceux d’en bas ont vingt à trente pieds dans cette dimension sur une largeur indéterminée ; ce sont communément ceux qui se délitent avec le plus de facilité ; ils sont aussi d’une pierre plus fine, et probablement plus homogène.

    » Ces lits sont rarement séparés les uns des autres par des couches de matières étrangères… On ne peut presque jamais creuser une carrière d’ardoise au delà de vingt-cinq foncées ou deux cent vingt-cinq pieds ; on en est empêché par le danger où l’on pourrait se trouver dans les dernières, les chutes de pierres devenant plus à craindre

    » Ordinairement la pierre des dernières foncées est la plus parfaite ; il n’y a cependant pas de règle sûre à ce sujet ; quelquefois la pierre qu’on tire après la première découverte se trouve bonne pendant deux ou trois foncées, et elle se dément ensuite pendant quatre ou cinq ; d’autres fois, la carrière ne donne de bonne pierre qu’à la quinzième ou seizième foncée… d’autres fois enfin, la carrière continue à ne rien valoir ; telles ont été celles de terre rouge et de la maze

    » Un point intéressant, c’est de détacher les lames d’ardoise d’une manière uniforme, de manière qu’elles aient une égale épaisseur dans toute leur étendue… La façon dont les bancs d’ardoise sont composés facilite ce travail ; ce sont en quelque sorte de grands feuillets appliqués les uns sur les autres et posés de champ. Ainsi les ouvriers les écartent perpendiculairement au moyen de leurs coins : cette direction doit faire que les quartiers qu’on veut détacher ne résistent pas beaucoup aux efforts des ouvriers. » Mémoires de M. Guettard, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1757, p. 52 et suiv.

  9. L’ardoise est très commune dans le canton de Glarus (ou Glaris en Suisse) ; les plus belles carrières sont dans la vallée de Seruft, d’où l’on en tire des feuilles assez grandes et assez épaisses pour faire des tables, qui font un article considérable d’exportation. — Parmi ces ardoises, on en trouve une quantité innombrable qui portent les plus belles empreintes de plantes marines et terrestres, d’insectes et de poissons, soit entiers, soit en squelettes. J’en ai vu, de choisies dans le Blattenberg, dont la netteté, la perfection et la grandeur ne laissent rien à désirer. Lettres sur la Suisse, par M. Will. Coxe, avec les additions de M. Ramond, t. Ier, p. 69.
  10. Il se trouve aussi, quoique rarement, des poissons pétrifiés dans les substances calcaires au-dessus des montagnes ; mais les espèces de ces poissons ne sont pas inconnues ou perdues, comme celles qui se trouvent dans les ardoises. M. Ferber rapporte qu’on trouve dans la collection de M. Moreni, de Vérone, le poisson ailé et quelques poissons du Brésil, qui ne vivent ni dans la Méditerranée ni dans le golfe Adriatique, la pinne marine, des os d’animaux, des plantes exotiques, pétrifiées et imprimées sur un schiste calcaire, toutes tirées de la montagne du Véronais appelée Monte-Bolca. (Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, p. 27.) — Observons que ces poissons, dont les analogues vivants existent encore, n’ont été pétrifiés que bien longtemps après ceux dont les espèces sont perdues ; aussi se trouvent-ils au-dessus des montagnes, tandis que les autres ne se trouvent que dans les ardoises à de grandes profondeurs.
  11. M. Samuel Colepress dit que l’ardoise d’Angleterre dure très longtemps, et qu’il en reste sur les maisons pendant plusieurs siècles. « Pour connaître, dit-il, la bonne ardoise, prenez : 1o la pierre coupée fort mince, frappez-la contre quelque matière dure : s’il en sort un son clair, cette pierre n’est point fêlée, mais solide et bonne ; 2o lorsqu’on la coupe, il ne faut pas qu’elle se brise sous le tranchant ; 3o si, après avoir été dans l’eau pendant deux, quatre et même huit heures, elle pèse plus étant bien essuyée qu’auparavant, c’est une preuve qu’elle s’imbibe d’eau et qu’elle ne peut durer longtemps ; 4o la bleue tirant sur le noir prend volontiers l’eau ; celle qui est d’un bleu léger est toujours la plus compacte et la plus solide : au toucher, elle doit paraître dure et raboteuse, et non soyeuse ; 5o si, étant plongée la moitié dans l’eau pendant une journée entière, elle n’attire pas l’eau au-dessus de six lignes de son niveau, ce sera une preuve que l’ardoise est d’une contexture ferme. » (Collection académique, partie étrangère, t. IV, p. 10 et 11.)
  12. « J’ai reconnu… qu’il y a toujours du schiste sous les terrains calcaires des montagnes du Padouan, du Vicentin et du Véronais, qui font partie de la chaîne qui sépare l’Allemagne de l’Italie, ainsi que dans les montagnes de l’Autriche, de la Styrie et de la Carniole. M. Arduini m’a assuré qu’il en est de même dans une partie des Apennins, et c’est aussi la remarque de M. Targioni Tozzetti dans ses Voyages en Toscane, et de M. le professeur Baldasari, in actis Academiæ Sienensis… Il n’y a pas jusqu’au marbre salin de Carrara et de Seravezza qui n’ait du schiste pour base… Qu’il vous suffise quant à présent (il parle à M. le chevalier de Born) de savoir que le schiste s’étend sous les montagnes calcaires du Vicentin et du Véronais, et que, malgré le silence des plus grands écrivains, il y eut autrefois, dans beaucoup de parties de ces montagnes, des éruptions de volcans, qui vraisemblablement avaient leur foyer au-dessous de la pierre calcaire, dans le schiste et même plus bas. » Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, p. 30 et suiv.
  13. Lettres sur la minéralogie, etc., p. 4.