Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du schorl

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DU SCHORL.

Le schorl[NdÉ 1] est le dernier de nos cinq verres primitifs ; et comme il a plusieurs caractères communs avec le feldspath, nous verrons, en les comparant ensemble par leurs ressemblances et par leurs différences, que tous deux ont une origine commune, et qu’ils se sont formés en même temps et par les mêmes effets de nature lors de la vitrification générale.

Le schorl est un verre spathique, c’est-à-dire composé de lames longitudinales comme le feldspath ; il se présente de même en petites masses cristallisées, et ses cristaux sont des prismes surmontés de pyramides, au lieu que ceux du feldspath sont en rhombes ; ils sont tous deux également fusibles sans addition, seulement la fusion du feldspath s’opère sans bouillonnement, au lieu que celle du schorl se fait en bouillonnant. Le schorl blanc donne, comme le feldspath, un verre blanc, et le schorl brun ou noirâtre donne un verre noir ; tous deux étincellent sous le choc de l’acier, tous deux ne font aucune effervescence avec les acides ; la base de tous les deux est également quartzeuse, mais il paraît que le quartz est encore plus mélangé de matières étrangères dans le schorl que dans le feldspath, car ses couleurs sont plus fortes et plus foncées, ses cristaux plus opaques, sa cassure moins nette et sa substance moins homogène ; enfin, tous deux entrent comme parties constituantes dans la composition de plusieurs matières vitreuses en grandes masses, et en particulier dans celle des porphyres et des granits.

Je sais que quelques naturalistes récents ont voulu regarder comme un schorl les grandes masses d’une matière qui se trouve en Limousin, et qu’ils ont indiquée sous les noms de basalte antique ou de gabro ; mais cette matière, qui ne me paraît être qu’une sorte de trapp, est très différente du schorl primitif ; elle ne se présente pas en petites masses cristallisées en prismes surmontés de pyramides ; elle est au contraire en masses informes, et personne assurément ne pourra se persuader que les cristaux de schorl, que nous voyons dans les porphyres et les granits, soient de cette même matière de trapp ou de gabro, qui diffère du vrai schorl, tant par l’origine que par la figuration et par le temps de leur formation, puisque le schorl a été formé par le feu primitif, et que ce trapp ou ce gabro n’a été produit que par le feu des volcans.

Souvent les naturalistes, et plus souvent encore les chimistes, lorsqu’ils ont observé quelques rapports communs entre deux ou plusieurs substances, n’hésitent pas de les rapporter à la même dénomination : c’est là l’erreur majeure de tous les méthodistes ; ils veulent traiter la nature par genres, même dans les minéraux, où il n’y a que des sortes et point d’espèces ; et ces sortes plus ou moins différentes entre elles, ne peuvent par conséquent être indiquées par la même dénomination ; aussi les méthodes ont-elles mis plus de confusion dans l’histoire de la nature que les observations n’y ont apporté de connaissances ; un seul trait de ressemblance suffit souvent pour faire classer dans le même genre des matières dont l’origine, la formation, la texture et même la substance sont très différentes ; et pour ne parler que du schorl, on verra avec surprise, chez ces créateurs de genres, que les uns ont mis ensemble le schorl, le basalte, le trapp et la zéolithe ; que d’autres l’ont associé non seulement à toutes ces matières, mais encore aux grenats, aux amiantes, au jade, etc. ; d’autres à la pierre d’azur et même aux cailloux ; est-il nécessaire de peser ici sur l’obscurité et la confusion qui résultent de ces assemblages mal assortis, et néanmoins présentés avec confiance sous une dénomination commune et comme choses de même genre ?

C’est du schorl qui se trouve incorporé dans les porphyres et les granits dont il est ici question, et certainement ce schorl n’est ni basalte, ni trapp, ni caillou, ni grenat, et il faut même le distinguer des tourmalines, des pierres de croix et des autres schorls de seconde formation, qui ne doivent leur origine qu’à la stillation des eaux : ces schorls secondaires sont différents du schorl primitif, et nous en traiterons ainsi que de la pierre de corne et du trapp dans des articles particuliers ; mais le vrai, le premier schorl, est, comme le feldspath, un verre primitif qui fait partie constituante des plus anciennes matières vitreuses, et qui quelquefois se trouve dans les produits de leur décomposition, comme dans le cristal de roche, les chrysolithes, les grenats, etc.

Au reste, les rapports du feldspath et du schorl sont même si prochains, si nombreux, qu’on pourrait en rigueur ne regarder le schorl que comme un feldspath un peu moins pur et plus mélangé de matières étrangères, d’autant plus que tous deux sont entrés en même temps dans la composition des matières vitreuses dont nous allons parler.


Notes de l’éditeur
  1. Les schorls sont des silicates très variables de composition et de caractères. [Note de Wikisource : Aujourd’hui, le nom de schorl ne désigne plus qu’une sorte de tourmaline noire riche en fer ; il regroupait jusqu’au xixe siècle des roches qui n’avait ni origine ni composition commune.]