Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/046

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 265-266).

XLVI
À M. DUFIEUX.
Ferney, 19 octobre 1849

Mon cher ami,

Vous êtes bien aimable de renouveler à Ferney vos bonnes visites de Lyon. Sans doute je ne suis point le plus malheureux des hommes je vis dans un beau pays, au milieu d’une excellente famille qui me soigne, me choie, me distrait de toutes façons. Cependant je ne puis songer sans mauvaise humeur que je respire à l’ombre des arbres de Voltaire, à deux pas de la cité de Calvin. Vous voyez donc que vos lettres sont les bienvenues pour me rappeler que je ne suis point tout à fait retranché de la communion des saints. Ajoutez-y vos prières, et je sortirai sain et sauf de cette terre de réprobation. Déjà je vais mieux de ma personne ; surtout j’ai la joie de voir ma femme, mon enfant, ma belle-mère en bonne santé : j’espère donc pouvoir acheminer bientôt ma petite caravane vers Paris, qui malheureusement n’est pas tout à fait la terre promise depuis que la guerre et la peste y font leur séjour.

Vous me proposez une question politique où je n’aurai garde de m’engager pour le moment, la Faculté de médecine ayant décidé que jusqu’à nouvel ordre la politique n’est pas de mon régime. En présence de ces admirables montagnes qui bornent notre horizon, les querelles des hommes me paraissent bien petites, et je ne puis concevoir qu’ils soient si pressés de se déchirer au lieu de jouir des œuvres de Dieu. Quant aux affaires de notre bien-aimé pays, vous savez que, si je m’en occupe, elles me tourmentent au point de troubler mon sommeil, et cependant je brûle d’être remis au courant car je sortirai de Ferney comme je reviendrais de Chine sans rien savoir ni de la France ni de l’Europe. Nous y reviendrons ensemble, et tout à l’aise, et sans être harcelés par le courrier, si je puis passer par Lyon comme j’en aurais le vif désir. Comment, en effet, ne serais-je pas heureux de revoir encore une fois ceux qui m’ont fait un si fraternel accueil ! En attendant, faites-leur toutes mes amitiés à vous le tendre attachement de votre ami qui voudrait vous voir un moment déchargé de cette couronne d’épines si méritoire mais si lourde.