Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/101

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 541-543).
CI
À M. JERUSALEMY.
San Jacopo,6 mai 1853.

Mon cher ami, Il y a déjà longtemps que vous m’avez écrit une bien affectueuse lettre. J’avais chargé mon frère de vous remercier, mais je me proposais toujours de vous écrire, et je l’aurais fait avec joie, si je ne m’étais pas trouvé si faible. Mais la main du Seigneur m’a touché, je crois, comme Job, comme Ezéchias, comme Tobie, non pas jusqu’à la mort, mais jusqu’à m’éprouver longuement. Malheureusement je n’ai pas la patience de ces justes, je me laisse abattre facilement par la souffrance, et je ne me consolerais pas de ma faiblesse, si je ne trouvais dans les Psaumes des cris de douleur que David pousse vers Dieu, et auxquels Dieu répond à la fin en lui accordant le pardon et la paix. Ah ! mon ami, quand on a le bonheur d’être devenu chrétien, c’est un grand honneur d’être né israélite, de se sentir le fils de ces Patriarches et de ces Prophètes dont les paroles sont si belles, que l’Eglise n’a rien trouvé de plus beau à mettre dans la bouche de ses enfants. Pendant de longues semaines de langueur, les Psaumes ne sont guère sortis de mes mains. Je ne me lassais pas de relire ces plaintes sublimes, ces élans d’espérance, ces supplications pleines d’amour qui répondent à tous les besoins, à toutes les détresses de la nature humaine. Il y a bientôt trois mille ans qu’un roi improvisait ces chants dans ses jours de désolation et de repentir et nous y trouvons encore l’expression de nos angoisses et la consolation de nos maux. Il est de l’office du prêtre de les répéter chaque jour  ; des milliers de monastères ont été fondés afin que ces Psaumes fussent chantés à toute heure, et que cette voix suppliante ne se tût jamais. L’Évangile seul est supérieur aux hymnes de David, et encore parce qu’il en est l’accomplissement, parce que tous les vœux, toutes les ardeurs, toutes les saintes impatiences du prophète trouvent leur fin dans le Sauveur sorti de sa race. Tel est le lien des deux Testaments, que le Sauveur lui-même n’a pas de nom qui lui soit plus cher que celui de fils de David. Les deux aveugles de Jéricho l’appelaient ainsi, et moi-même je lui crie souvent comme eux : « Fils de David, ayez pitié de nous. »

Je ne sais si je vous ai dit, mais mon frère Charles peut vous le conter avec plus de détail, comment nous aussi, nous croyons notre famille d’origine israélite. C’est un lien de plus entre vous et nous, et vous devez mieux comprendre pourquoi nous nous associons avec un tendre intérêt à tout ce qui vous touche. J’ai suivi de loin les succès par lesquels il a plu à la divine Providence de récompenser vos sacrifices. Vous continuerez, j’en suis sûr, à justifier la confiante affection de M. de Dalmas. Mais, en même temps, vous n’oubliez pas les bontés, quoique un peu sévères, de M. Gossin. Vous aurez été profondément affecté comme nous tous du coup qui a frappé ce saint homme et qui l’enlève au service des pauvres. Je vous félicite du travail de traduction confié à vos soins par M. Victor Rendu : voilà encore un chrétien bien éprouvé de Dieu. Mon frère m’écrit que vous dînez avec lui chez madame de Salvo ; je suis tout fier, de vous avoir introduit dans une si respectable maison. Je pense que Charles vous aura aussi présenté dans une compagnie que je trouve encore meilleure, c’est-à-dire dans une conférence de Saint-Vincent de Paul. Il, me serait doux d’apprendre que nous sommes unis encore de cette manière. Ne vous lassez pas de m’aimer, mon cher Jerusalemy, et de prier pour votre dévoué.