Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Les Remois

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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2
Contes, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 169-174).


III. — LES REMOIS.



Il n’est cité que je prefere à Rheims :
C’est l’ornement et l’honneur de la France ;
Car, sans conter l’Ampoule et les bons vins,
Charmans objets y sont en abondance.
Par ce point-là je n’entends, quant à moy
Tours ny portaux, mais gentilles Galoises,
Ayant trouvé telle de nos Remoises
Friande assez pour la bouche d’un Roy.
Une avoit pris un Peintre en mariage,
Homme estimé dans sa profession :
Il en vivoit : que faut-il davantage ?
C’estoit assez pour sa condition.
Chacun trouvoit sa femme fort heureuse.
Le drosle estoit, grace à certain talent,
Trés bon Epoux, encor meilleur Galant.
De son travail mainte Dame amoureuse
L’alloit trouver ; et le tout à deux fins,
C’estoit le bruit, à ce que dit l’Histoire :
Moy qui ne suis en cela des plus fins,
Je m’en rapporte à ce qu’il en faut croire.
Dés que le Sire avoit Donzelle en main,
Il en rioit avecque son Epouse.
Les droits d’hymen allant toûjours leur train,
Besoin n’estoit qu’elle fist la jalouse.
Mesme elle eust pû le payer de ses tours,
Et comme luy voyager en Amours ;

Sauf d’en user avec plus de prudence,
Ne luy faisant la mesme confidence.
Entre les gens qu’elle sceut attirer,
Deux siens voisins se laisserent leurrer
A l’entretien libre et gay de la Dame ;
Car c’estoit bien la plus trompeuse femme
Qu’en ce point-là l’on eust sceu rencontrer ;
Sage sur tout, mais aimant fort à rire.
Elle ne manque incontinent de dire
A son mary l’amour des deux Bourgeois
Tous deux gens sots, tous deux gens à sornettes :
Luy raconta mot pour mot leurs fleurettes,
Pleurs et soûpirs, gemissemens Gaulois.
Ils avoient leu ou plustost oüy dire,
Que d’ordinaire en amour on soûpire.
Ils taschoient donc d’en faire leur devoir,
Que bien que mal, et selon leur pouvoir.
A frais communs se conduisoit l’affaire.
Ils ne devoient nulle chose se taire.
Le premier d’eux qu’on favoriseroit
De son bon-heur part à l’autre feroit.
Femmes, voilà souvent comme on vous traite.
Le seul plaisir est ce que l’on soubaite.
Amour est mort : le pauvre compagnon
Fut enterré sur les bords du Lignon.
Nous n’en avons icy ny vent ny voye.
Vous y servez de joüet et de proye
A jeunes gens indiscrets, scelerats :
C’est bien raison qu’au double on le leur rende :
Le beau premier qui sera dans vos lacs,
Plumez le moy, je vous le recommande.
La Dame donc, pour tromper ses voisins,
Leur dit un jour : Vous boirez de nos vins
Ce soir chez nous. Mon mary s’en va faire
Un tour aux champs ; et le bon de l’affaire
C’est qu’il ne doit au giste revenir.
Nous nous pourrons à l’aise entretenir.
Bon, dirent-ils, nous viendrons sur la brune.

Or, les voilà compagnons de fortune.
La nuit venuë, ils vont au rendez-vous.
Eux introduits, croyans Ville gagnée,
Un bruit survint ; la feste fut troublée.
On frape à l’huis ; le logis aux verroux
Estoit fermé : la femme à la fenestre
Court en disant : Celuy-là frape en Maistre ;
Seroit-ce point par mal-heur mon Epoux ?
Oüy, cachez-vous, dit-elle, c’est luy mesme.
Quelque accident, ou bien quelque soupçon,
Le font venir coucher à la maison.
Nos deux Galands, dans ce peril extreme,
Se jettent viste en certain Cabinet :
Car s’en aller, comment auroient-ils fait ?
Ils n’avoient pas le pied hors de la chambre,
Que l’Epoux entre, et void au feu le membre
Accompagné de maint et maint pigeon,
L’un au hastier, les autres au chaudron.
Oh ! oh ! dit-il, voilà bonne cuisine !
Qui traitez-vous ? Alis nostre voisine,
Reprit l’Epouse, et Simonette aussi.
Loüé soit Dieu qui vous rameine icy,
La compagnie en sera plus complete.
Madame Alis, Madame Simonette,
N’y perdront rien. Il faut les avertir
Que tout est prest, qu’elles n’ont qu’à venir :
J’y cours moy-mesme. Alors la creature
Les va prier. Or c’estoient les moitiez
De nos Galands et chercheurs d’aventure
Qui, fort chagrins de se voir enfermez,
Ne laissoient pas de loüer leur Hostesse
De s’estre ainsi tirée avec adresse
De cet aprest. Avec elle à l’instant
Leurs deux moitiez entrent tout en chantant.
On les saluë, on les baise, on les louë
De leur beauté, de leur ajustement ;
On les contemple, on patine, on se jouë.
Cela ne plut aux maris nullement.

Du Cabinet la porte à demy close
Leur laissant voir le tout distinctement,
Ils ne prenoient aucun goust à la chose :
Mais passe encor pour ce commencement.
Le souper mis presque au mesme moment,
Le Peintre prit par la main les deux femmes,
Les fit asseoir, entre-elles se plaça.
Je bois, dit-il, à la santé des Dames :
Et de trinquer ; passe encor pour cela.
On fit raison ; le vin ne dura guere.
L’Hostesse estant alors sans Chambriere,
Court à la cave, et de peur des esprits
Meine avec soy Madame Simonette.
Le Peintre reste avec Madame Alis,
Provinciale assez belle, et ben faite,
Et s’en piquant, et qui pour le Païs
Se pouvoit dire honnestement coquete.
Le Compagnon vous la tenant seulette,
La conduisit de fleurette en fleurette
Jusqu’au toucher, et puis un peu plus loin ;
Puis tout à coup levant la colerette,
Prit un baiser dont l’Epoux fut témoin.
Jusques-là passe : Epoux, quand ils sont sages,
Ne prennent garde à ces menus suffrages,
Et d’en tenir registre c’est abus :
Bien est-il vray qu’en rencontre pareille
Simples baisers font craindre le surplus ;
Car Satan lors vient fraper sur l’orelle.
De tel qui dort, et fait tant qu’il s’éveille.
L’Epoux vid donc que, tandis qu’une main
Se promenoit sur la gorge à son aise,
L’autre prenoit tout un autre chemin,
Ce fut alors, Dame, ne vous déplaise,
Que, le courroux luy montant au cerveau,
Il s’en alloit, enfonçant son chapeau,
Mettre l’alarme en tout le voisinage,
Batre sa femme, et dire au Peintre rage,
Et témoigner qu’il n’avoit les bras gourds.

Gardez-vous bien de dire une sottise,
Luy dit tout bas son Compagnon d’amours,
Tenez-vous coy. Le bruit en nulle guise
N’est bon icy, d’autant plus qu’en vos lacs
Vous estes pris : ne vous montrez donc pas,
C’est le moyen d’étouffer cette affaire.
Il est écrit qu’à nul il ne faut faire
Ce qu’on ne veut à soy-mesme estre fait.
Nous ne devons quitter ce Cabinet
Que bien à poinct, et tantost, quand cet homme
Estant au lit prendra son premier somme.
Selon mon sens, c’est le meilleur party.
A tard viendroit aussi bien la querelle.
N’estes-vous pas cocu plus d’à demy ?
Madame Alis au fait a consenty :
Cela suffit : le reste est bagatelle.
L’Epoux gousta quelque peu ces raisons.
Sa femme fit quelque peu de façon,
N’ayant le temps d’en faire davantage.
Et puis ? Et puis ; comme personne sage
Elle remit sa coëffure en estat.
On n’eust jamais soupçonné ce ménage
Sans qu’il restoit un certain incarnat
Dessus son teint ; mais c’estoit peu de chose ;
Dame Fleurette en pouvoit estre cause.
L’une pourtant des tireuses de vin
De luy sourire au retour ne fit faute :
Ce fut la Peintre. On se remit en train :
On releva grillades et festin ;
On but encore à la santé de l’Hoste,
Et de l’Hostesse, et de celle des trois
Qui la premiere auroit quelque avanture.
Le vin manqua pour la seconde fois.
L’Hostesse, adroite et fine creature,
Soustient toûjours qu’il revient des esprits
Chez les voisins. Ainsi madame Alis
Servit d’escorte. Entendez que la Dame
Pour l’autre employ inclinoit en son ame ;

Mais on l’emmeine, et par ce moyen-là
De faction Simonette changea.
Celle-cy fait d’abord plus la severe,
Veut suivre l’autre, ou feint le vouloir faire ;
Mais, se sentant par le Peintre tirer,
Elle demeure, estant trop mesnagere
Pour se laisser son habit déchirer.
L’Epoux, voyant quel train prenoit l’affaire,
Voulut sortir. L’autre luy dit : Tout doux !
Nous ne voulons sur vous nul avantage.
C’est bien raison que Messer cocüage
Sur son estat vous couche ainsi que nous :
Sommes-nous pas compagnons de fortune ?
Puisque le Peintre en a caressé l’une,
L’autre doi suivre. Il faut, bon gré, mal gré,
Qu’elle entre en danse ; et, s’il est necessaire,
Je m’offriray de luy tenir le pied :
Vouliez ou non, elle aura son affaire.
Elle l’eut donc : nostre Peintre y pourveut
Tout de son mieux : aussi le valoit-elle.
Cette derniere eut ce qu’il luy falut ;
On en donna le loisir à la Belle.
Quand le vin fut de retour, on conclut
Qu’il ne faloit s’atabler davantage.
Il estoit tard, et le Peintre avoit fait
Pour ce jour-là suffisamment d’ouvrage.
On dit bon soir. Le drosle satisfait
Se met au lit : nos gens sortent de cage.
L’Hostesse alla tirer du Cabinet
Les regardans, honteux, mal-contens d’elle,
Cocus de plus. Le pis de leur méchef
Fut qu’aucun d’eux ne pust venir à chef
De son dessein, ny rendre à la Donzelle
Ce qu’elle avoit à leurs femmes presté ;
Par consequent c’est fait ; j’ay tout conté.