Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Contes, troisiesme partie

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TROISIESME PARTIE [1]




I. — LES OYES DE FRERE PHILIPPE.
Nouvelle tirée de Bocace[2].


Je dois trop au beau sexe ; il me fait trop d’honneur
De lire ces recits, si tant est qu’il les lise.
Pourquoy non ? c’est assez qu’il condamne en son cœur
Celles qui font quelque sottise.
Ne peut-il pas, sans qu’il le dise,
Rire sous-cape de ces tours,
Quelque avanture qu’il y trouve ?
S’ils sont faux, ce sont de vains discours ;
S’ils sont vrays, il les desaprouve.
Iroit-il aprés tout s’alarmer sans raison
Pour un peu de plaisanterie ?
Je craindrois bien plûtost que la cajolerie
Ne mist le feu dans la maison.
Chassez les soûpirans, Belles, souffrez mon Livre ;
Je réponds de vous corps pour corps :
Mais pourquoy les chasser ? ne sçauroit-on bien vivre
Qu’on ne s’enferme avec les morts ?

Le monde ne vous connoist gueres,
S’il croit que les faveurs sont chez vous familieres :
Non pas que les heureux amans
Soient ny Phenix ni corbeaux blancs ;
Aussi ne sont-ce fourmilleres.
Ce que mon Livre en dit doit passer pour chansons.
J’ay servy des beautez de toutes les façons :
Qu’ay-je gagné ? trés-peu de chose ;
Rien. Je m’aviserois sur le tard d’estre cause
Que la moindre de vous commist le moindre mal.
Contons ; mais contons bien ; c’est le point principal ;
C’est tout ; à cela prés, Censeurs, je vous conseille
De dormir comme moy sur l’une et l’autre oreille.
Censurez tant qu’il vous plaira
Mechans vers et phrases mechantes ;
Mais pour bons tours, laissez-les là ;
Ce sont choses indifferentes ;
Je n’y vois rien de perilleux.
Les meres, les maris, me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus !
Voyez un peu la belle affaire !
Ce que je n’ay pas fait, mon Livre iroit le faire !
Beau sexe, vous pouvez le lire en seureté ;
Mais je voudrois m’estre acquitté
De cette grace par avance.
Que puis-je faire en récompense ?
Un conte où l’on va voir vos appas triompher :
Nulle précaution ne les put étouffer.
Vous auriez surpassé le Printemps et l’Aurore
Dans l’esprit d’un garçon, si dés ses jeunes ans,
Outre l’éclat des Cieux, et les beautez des champs,
Il eust veu les vostres encore.
Aussi dés qu’il les vid il en sentit les coups ;
Vous surpassâtes tout ; il n’eut d’yeux que pour vous ;
Il laissa les palais : enfin vostre personne
Luy parut avoir plus d’attraits
Que n’en auroient à beaucoup prés
Tous les joyaux de la Couronne.

On l’avoit dés l’enfance élevé dans un bois.
Là son unique compagnie
Consistoit aux oyseaux : leur aimable harmonie
Le desennuyoit quelquesfois.
Tout son plaisir estoit cet innocent ramage :
Encor ne pouvoit-il entendre leur langage.
En une école si sauvage
Son pere l’amena dés ses plus tendres ans.
Il venoit de perdre sa mere,
Et le pauvre garçon ne connut la lumiere
Qu’afin qu’il ignorast les gens :
Il ne s’en figura pendant un fort long-temps
Point d’autres que les habitans
De cette forest ; c’est à dire
Que des loups, des oyseaux, enfin ce qui respire
Pour respirer sans plus, et ne songer à rien.
Ce qui porta son pere à fuir tout entretien,
Ce furent deux raisons ou mauvaises ou bonnes ;
L’une, la haine des personnes,
L’autre la crainte ; et depuis qu’à ses yeux
Sa femme disparut s’envolant dans les Cieux,
Le monde luy fut odieux ;
Las d’y gémir et de s’y plaindre,
Et par tout des plaintes oüir,
Sa moitie le luy fit par son trépas haïr,
Et le reste des femmes craindre.
Il voulut estre hermite, et destina son fils
A ce mesme genre de vie.
Ses biens aux pauvres départis,
Il s’en va seul, sans compagnie
Que celle de ce fils, qu’il portoit dans ses bras :
Au fonds d’une forest il arreste ses pas.
(Cet homme s’appelloit Philippe, dit l’histoire.)
Là, par un saint motif, et non par humeur noire,
Nostre Hermite nouveau cache avec trés-grand soin
Cent choses à l’enfant ; ne luy dit prés ny loin
Qu’il fust au monde aucune femme,
Aucuns desirs, aucun amour ;

Au progrés de ses ans reglant en ce sejour
La nourriture de son ame.
A cinq il luy nomma des fleurs, des animaux,
L’entretint de petits oyseaux ;
Et parmy ce discours aux enfans agreable,
Mesla des menaces du diable ;
Luy dit qu’il estoit fait d’une étrange façon :
La crainte est aux enfans la premiere leçon.
Les dix ans expirez, matiere plus profonde
Se mit sur le tapis : un peu de l’autre monde
Au jeune enfant fut revelé,
Et de la femme point parlé.
Vers quinze ans luy fut enseigné,
Tout autant que l’on put, l’Auteur de la nature,
Et rien touchant la creature.
Ce propos n’est alors déja plus de saison
Pour ceux qu’au monde on veut soustraire ;
Telle idée en ce cas est fort peu necessaire.
Quand ce fils eut vingt ans, son pere trouva bon
De le mener à la Ville prochaine.
Le Vieillard tout cassé ne pouvoit plus qu’à peine
Aller querir son vivre : et luy mort, aprés tout,
Que feroit ce cher fils ? comment venir à bout
De subsister sans connoistre personne ?
Les loups n’estoient pas gens qui donnassent l’aumône.
Il sçavoit bien que le garçon
N’auroit de luy, pour heritage
Qu’une besace et qu’un bâton :
C’estoit un étrange partage.
Le pere à tout cela songeoit sur ses vieux ans.
Au reste il estoit peu de gens
Qui ne luy donnassent la miche.
Frere Philippe eust esté riche
S’il eust voulu. Tous les petits enfans
Le connoissoient, et du haut de leur teste,
Ils crioient : Aprestez la queste ;
Voila Frere Philippe. Enfin dans la cité
Frere Philippe souhaité

Avoit force devots ; de devotes pas une,
Car il n’en vouloit point avoir.
Si-tost qu’il crut son fils ferme dans son devoir,
Le pauvre homme le meine voir
Les gens de bien, et tente la fortune.
Ce ne fut qu’en pleurant qu’il exposa ce fils.
Voilà nos Hermites partis ;
Ils vont à la Cité superbe, bien bastie,
Et de tous objets assortie :
Le Prince y faisoit son sejour.
Le jeune homme tombé des nuës
Demandoit : Qu’est-ce là ? Ce sont des gens de Cour.
Et là ? Ce sont palais. Icy ? Ce sont statuës.
Il consideroit tout ; quand de jeunes beautez
Aux yeux vifs, aux traits enchantez,
Passerent devant luy ; dés-lors nulle autre chose
Ne pût ses regards attirer.
Adieu Palais ; adieu ce qu’il vient d’admirer ;
Voicy bien pis, et bien une autre cause
D’étonnement.
Ravi comme en extase à cet objet charmant :
Qu’est-ce là, dit-il à son pere,
Qui porte un si gentil’habit ?
Comment l’appelle-t-on ? Ce discours ne plut guere
Au bon Vieillard, qui répondit :
C’est un oyseau qui s’appelle Oye.
O l’agreable oyseau ! dit le fils plein de joye.
Oye, hélas, chante un peu, que j’entende ta voix.
Peut-on point un peu te connoistre[3] ?
Mon pere, je vous prie et mille et mille fois,
Menons en une en nostre bois,
J’auray soin de la faire paistre.


II. — LA MANDRAGORE.
Nouvelle tirée de Machiavel[4].


Au present Conte on verra la sottise
D’un Florentin. Il avoit femme prise,
Honneste et sage autant qu’il est besoin,
Jeune pourtant ; du reste toute belle,
Et n’eust-on crû de joüissance telle
Dans le païs, ny mesme encor plus loin.
Chacun l’aimoit, chacun la jugeoit digne
D’un autre époux : car, quant à celuy-cy,
Qu’on appelloit Nicia Calfucci,
Ce fut un sot, en son temps, trés-insigne.
Bien le monstra lors que bon gré, mal gré,
Il resolut d’estre pere appellé ;
Crût qu’il feroit beaucoup pour sa patrie,
S’il la pouvoit orner de Calfuccis.
Sainte ny Saint n’estoit en Paradis
Qui de ses vœux n’eust la teste étourdie.
Tous ne sçavoient où mettre ses presens.
Il consultoit Matrones, Charlatans,
Diseurs de mots, experts sur cette affaire :
Le tout en vain : car il ne pût tant faire
Que d’estre pere. Il estoit buté là,
Quand un jeune homme, aprés avoir en France
Etudié, s’en revint à Florence,
Aussi leurré qu’aucun de par delà,
Propre, galant, cherchant par tout fortune,
Bienfait de corps, bien-voulu de chacune :

Il sceut dans peu la Carte du païs,
Connut les bons et les méchans maris ;
Et de quel bois se chauffoient leurs femelles,
Quels surveillans ils avoient mis prés d’elles ;
Les si, les car, enfin tous les detours ;
Comment gagner les confidens d’Amours,
Et la Nourrice, et le Confesseur mesme,
Jusques au chien ; tout y fait quand on aime[5].
Tout tend aux fins, dont un seul iota
N’estant omis, d’abord le personnage
Jette son plomb sur Messer Nicia,
Pour luy donner l’ordre de Cocüage.
Hardy dessein ! L’epouse de leans ;
A dire vray, recevoit bien des gens ;
Mais c’estoit tout ; aucun de ses Amans
Ne s’en pouvoit promettre davantage.
Celuy-cy seul, Callimaque nommé,
Dés qu’il parut fut trés-fort à son gré.
Le Galant donc prés de la forteresse
Assiet son camp, vous investit Lucrece,
Qui ne manqua de faire la tygresse
A l’ordinaire, et l’envoya joüer :
Il ne savoit à quel Saint se voüer,
Quand le mary, par sa sottise extrême,
Luy fit juger qu’il n’estoit stratagême,
Panneau n’estoit, tant estrange semblast,
Où le pauvre homme à la fin ne donnast
De tout son cœur et ne sen affublast.
L’Amant et luy, comme estans gens d’étude,
Avoient entre-eux lié quelque habitude ;
Car Nice estoit Docteur en Droit-Canon :
Mieux eust valu l’estre en autre science,

Et qu’il n’eust pris si grande confiance
En Callimaque. Un jour au compagnon
Il se plaignit de se voir sans lignée.
A qui la faute ? il estoit vert-galant,
Lucrece jeune, et drüe, et bien taillée :
Lorsque j’estois à Paris, dit l’Amant,
Un curieux y passa d’avanture.
Je l’allay voir, il m’apprit cents secrets,
Entr’autres un pour avoir geniture,
Et n’estoit chose à son conte plus seure.
Le Grand Mogol l’avoit avec succés
Depuis deux ans éprouvé sur sa femme.
Mainte Princesse, et mainte et mainte Dame
En avoit fait aussi d’heureux essais.
Il disoit vray, j’en ay vû des effets.
Cette recepte est une medecine
Faite du jus de certaine racine,
Ayant pour nom Mandragore, et ce jus
Pris par la femme opere beaucoup plus
Que ne fit onc nulle ombre Monachale
D’aucun Couvent de jeunes Freres plein.
Dans dix mois d’hui je vous fais pere enfin,
Sans demander un plus long intervalle.
Et touchez là : dans dix mois et devant
Nous porterons au baptesme l’enfant.
Dites-vous vray ? repartit Messer Nice.
Vous me rendez un merveilleux office.
Vray ? je l’ay vû ; faut-il repeter tant ?
Vous moquez-vous d’en douter seulement ?
Par vostre foy, le Mogor[6] est-il homme
Que l’on osast de la sorte affronter ?
Ce Curieux en toucha telle somme
Qu’il n’eut sujet de s’en mécontenter.
Nice reprit : Voila chose admirable !
Et qui doit estre à Lucrece agreable !
Quand luy verray-je un poupon sur le sein ?

Nostre feal, vous serez le Parrein :
C’est la raison ; dés hui je vous en prie.
Tout doux, reprit alors nostre galant,
Ne soyez pas si prompt, je vous supplie :
Vous allez viste ; il faut auparavant
Vous dire tout. Un mal est dans l’affaire :
Mais icy bas pût-on jamais tant faire
Que de trouver un bien pur et sans mal ?
Ce ius doüé de vertu tant insigne
Porte d’ailleurs qualité trés-maligne.
Presque toûjours il, se trouve fatal
A celuy-là qui le premier caresse
La patiente ; et souvent on en meurt.
Nice reprit aussi-tost : Serviteur ;
Plus de vostre herbe, et laissons-là Lucrece
Telle qu’elle est ; bien grammercy du soin.
Que servira, moy mort, si je suis pere ?
Pourvoyez-vous de quelque-autre compere :
C’est trop de peine ; il n’en est pas besoin.
L’Amant luy dit : Quel esprit est le vostre !
Toûjours il va d’un excés dans un autre.
Le grand desir de vous voir un enfant
Vous transportoit n’aguere d’allegresse :
Et vous voilà, tant vous avez de presse,
Découragé sans attendre un moment.
Oyez le reste ; et sçachez que Nature
A mis remede à tout, fors à la mort.
Qu’est-il de faire afin que l’avanture
Nous réüssisse, et qu’elle aille à bon port ?
Il nous faudra choisir quelque jeune homme
D’entre le peuple ; un pauvre mal-heureux
Qui vous precede au combat amoureux ;
Tente la voye, attire et prenne en somme
Tout le venin : puis le danger osté,
Il conviendra que de vostre costé
Vous agissiez sans tarder davantage ;
Car soyez seur d’estre alors garenty.
Il vous faut faire in anima vili

Ce premier pas, et prendre un personnage
Lourd et de peu, mais qui ne soit pourtant
Mal fait de corps, ny par trop dégoustant,
Ny d’un touche si rude et si sauvage
Qu’à vostre femme un supplice ce soit.
Nous sçavonS bien que Madame Lucrece,
Accoustumée à la delicatesse
De Nicia, trop de peine en auroit.
Mesme il se peut qu’en venant à la chose
Jamais son cœur n’y voudroit consentir.
Or ay-je dit un jeune homme, et pour cause :
Car plus sera d’âge pour bien agir,
Moins laissera de venin, sans nul-doute :
Je vous promets qu’il n’en laissera goute.
Nice d’abord eut peine à digerer
L’expedient ; allegua le danger,
Et l’infamie ; il en seroit en peine :
Le Magistrat pourroit le rechercher
Sur le soupçon d’une mort si soudaine.
Empoisonner un de ses citadins !
Lucrece estoit échappée aux blondins,
On l’alloit mettre entre les bras d’un rustre !
Je suis d’avis qu’on prenne un homme illustre,
Dit Callimaque, ou quelqu’un qui bien-tost
En mille endroits cornera le mystere
Sottise et peur contiendront ce pitaut.
Au pis aller l’argent le fera taire.
Vostre moitié n’ayant lieu de s’y plaire,
Et le coquin mesme n’y songeant pas,
Vous ne tombez proprement dans le cas
De cocüage. Il n’est pas dit encore
Qu’un tel paillard ne resiste au poison.
Et ce nous est une double raison
De le choisir tel que la Mandragore
Consume en vain sur luy tout son venin
Car quand je dis qu’on meurt, je n’entends dire
Assurément. Il vous faudra demain
Faire choisir sur la brune le sire,

Et dés ce soir donner la potion.
J’en ay chez moy de la confection.
Gardez-vous bien au reste, Messer Nice,
D’aller paroistre en aucune façon.
Ligurio choisira le garçon :
C’est là son fait ; laissez-luy cet office.
Vous vous pouvez fier à ce valet
Comme à vous-mesme : il est sage et discret.
J’oublie encor que pour plus d’assurance
On bandera les yeux à ce paillard ;
Il ne sçaura qui, quoy, n’en quelle part,
N’en quel logis, ny si dedans Florence,
Ou bien dehors, on vous l’aura mené.
Par Nicia le tout fut approuvé.
Restoit sans plus d’y disposer sa femme.
De prime face elle crut qu’on rioit ;
Puis se fascha ; puis jura sur son ame
Que mille fois plustost on la tueroit.
Que diroit-on si le bruit en couroit ?
Outre l’offense et peché trop enorme,
Calfuce et Dieu sçavoient que de tout temps
Elle avoit craint ces devoirs complaisans,
Qu’elle enduroit seulement pour la forme.
Puis il viendroit quelque mastin difforme
L’incommoder, la mettre sur les dents ?
Suis-je de taille à souffrir toutes gens ?
Quoy ! recevoir un pitaut dans ma couche ?
Puis-je y songer qu’avecque du dédain ?
Et, par saint Jean, ny pitaut, ny blondin,
Ny Roy, ny Roc, ne feront qu’autre touche
Que Nicia jamais onc à ma peau.
Lucrece estant de la sorte arrestée,
On eut recours à frere Timothée :
Il la prescha ; mais si bien et si beau,
Qu’elle donna les mains par penitence.
On l’assura de plus qu’on choisiroit
Quelque garçon d’honneste corpulence,
Non trop rustaut, et qui ne luy feroit

Mal ny dégoust. La potion fut prise.
Le lendemain nostre amant se déguise,
Et s’enfarine en vray garçon Meusnier ;
Un faux menton, barbe d’estrange guise ;
Mieux ne pouvoit se metamorphoser.
Ligurio, qui de la faciende
Et du complot avoit toûjours esté
Trouve l’Amant tout tel qu’il le demande,
Et ne doutant qu’on n’y fust attrapé,
Sur le minuit la meine à Messer Nice,
Les yeux bandez, le poil teint, et si bien
Que nostre Espoux ne reconnut en rien.
Le Compagnon. Dans le lit il se glisse
En grand silence ; en grand silence aussi,
La patience attend sa destinée ;
Bien blanchement, et ce soir atournée.
Voire ce soir ? atournée ; et pour qui ?
Pour qui ? J’entends : n’est-ce pas que la Dame
Pour un Meustrier prenoit trop de soucy ?
Vous vous trompez ; le sexe en use ainsi.
Meusniers ou Roys, il veut plaire à toute ame.
C’est double honneur, ce semble, en une femme,
Quand son merite échaufffe un esprit lourd,
Et fait aimer les cœurs nez sans amour.
Le travesty changea de personnage
Si-tost qu’il eut Dame de tel corsage
A ses costez, et qu’il fut dans le lit.
Plus de Meusnier ; la Galande sentit
Auprés de soy la peau d’un honneste homme.
Et ne croyez qu’on employast au somme
De tels momens. Elle disoit tout bas :
Qu’est-cecy donc ? ce compagnon n’est pas
Tel que j’ay crû : le drole a la peau fine.
C’est grand dommage : il ne merite, helas !
Un tel destin : j’ay regret qu’au trespas
Chaque moment de plaisir l’achemine.
Tandis l’Epoux, enrollé tout de bon,
De sa moitié plaignoit bien fort la peine.

Ce fut avec une fierté de Reyne
Qu’elle donna la premiere façon
de cocüage ; et, pour le décoron,
Point ne voulut y joindre ses caresses.
A ce garçon la perle des Lucreces
Prendroit du goust ? Quand le premier venin
Fut emporté, nostre Amant prit la main
De sa Maistresse, et de baisers de flâme
La parcourant : Pardon (dit-il) Madame,
Ne vous faschez du tour qu’on vous a fait ;
C’est Callimaque ; approuvez son martyre.
Vous ne sçauriez ce coup vous en dédire ;
Vostre rigueur n’est plus d’aucun effet.
S’il est fatal toutesfois que j’expire ;
J’en suis content : vous avez dans vos mains
Un moyen seur de me priver de vie,
Et le plaisir, bien mieux qu’aucuns venins,
M’achevera ; tout le reste est folie.
Lucrece avoit jusques-là resisté,
Non par defaut de bonne volonté,
Ny que l’Amant ne plust fort à la Belle ;
Mais la pudeur et la simplicité
L’avoient renduë ingrate en dépit d’elle.
Sans dire mot, sans oser respirer,
Pleine de honte et d’amour tout ensemble,
Elle se met aussi-tost à pleurer.
A son Amant peut-elle se montrer
Aprés cela ? qu’en pourra-t-il penser,
Dit-elle en soy, et qu’est-ce qu’il luy semble ?
J’ay bien manqué de courage et d’esprit.
Incontinent un excés de dépit
Saisit son cœur, et fait que la pauvrette
Tourne la teste, et vers le coin du lit
Se va cacher pour derniere retraite.
Elle y voulut tenir bon, mais en vain.
Ne luy restant que ce peu de terrain,
La place fut incontinent renduë.
Le vainqueur l’eut à sa discretion ;

Il en usa selon sa passion :
Et plus ne fut de larme répanduë.
Honte cessa ; scrupule autant en fit.
Heureux sont ceux qu’on trompe à leur profit.
Aurore vint trop tost pour Callimaque,
Trop tost encor pour l’objet de ses vœux.
Il faut, dit-il, beaucoup plus d’une attaque
Contre un venin tenu si dangereux,
Les jours suivans, nostre couple amoureux
Y sceut pourvoir : l’Epoux ne tarda gueres
Qu’il n’eust attaint tous ses autres Confreres.
Pour ce coup-là falut se separer ;
L’Amant courut chez soy se recoucher.
A peine au lit il s’estoit mis encore,
Que nostre Epoux, joyeux et triomphant,
Le va trouver, et luy conte comment
S’estoit passé le jus de Mandragore.
D’abord, dit-il, j’allay tout doucement
Auprés du lit écouter si le Sire
S’approcheroit, et s’il en voudroit dire.
Puis je priay nostre Epouse tout bas
Qu’elle luy fist quelque peu de caresse,
Et ne craignist de gaster ses appas.
C’estoit au plus une nuit d’embarras.
Et ne pensez, ce luy dis-je, Lucrece,
Ny l’un ny l’autre en cecy me tromper ;
Je sçauray tout ; Nice se peut vanter
D’estre homme à qui l’on en donne à garder ;
Vous sçavez bien qu’il y va de ma vie.
N’allez donc point faire la rencherie.
Monstrez par là que vous sçavez aimer
Vostre mary plus qu’on ne croit encore :
C’est un beau champ. Que si cette pecore
Fait le honteux, envoyez sans tarder
M’en avertir ; car je me vais coucher :
Et n’y manquez ; nous y mettrons bon ordre.
Besoin n’en eus : tout fut bien jusqu’au bout.
Sçavez-vous bien que ce rustre y prit goust ?

Le drosle avoit tantost peine à démordre :
J’en ay pitié ; je le plains, aprés tout.
N’y songeons plus ; qu’il meure, et qu’on l’enterre.
Et quant à vous, venez nous voir souvent.
Nargue de ceux qui me faisoient la guerre :
Dans neuf mois d’huy je leur livre un enfant.



III. — LES REMOIS.



Il n’est cité que je prefere à Rheims :
C’est l’ornement et l’honneur de la France ;
Car, sans conter l’Ampoule et les bons vins,
Charmans objets y sont en abondance.
Par ce point-là je n’entends, quant à moy
Tours ny portaux, mais gentilles Galoises,
Ayant trouvé telle de nos Remoises
Friande assez pour la bouche d’un Roy.
Une avoit pris un Peintre en mariage,
Homme estimé dans sa profession :
Il en vivoit : que faut-il davantage ?
C’estoit assez pour sa condition.
Chacun trouvoit sa femme fort heureuse.
Le drosle estoit, grace à certain talent,
Trés bon Epoux, encor meilleur Galant.
De son travail mainte Dame amoureuse
L’alloit trouver ; et le tout à deux fins,
C’estoit le bruit, à ce que dit l’Histoire :
Moy qui ne suis en cela des plus fins,
Je m’en rapporte à ce qu’il en faut croire.
Dés que le Sire avoit Donzelle en main,
Il en rioit avecque son Epouse.
Les droits d’hymen allant toûjours leur train,
Besoin n’estoit qu’elle fist la jalouse.
Mesme elle eust pû le payer de ses tours,
Et comme luy voyager en Amours ;

Sauf d’en user avec plus de prudence,
Ne luy faisant la mesme confidence.
Entre les gens qu’elle sceut attirer,
Deux siens voisins se laisserent leurrer
A l’entretien libre et gay de la Dame ;
Car c’estoit bien la plus trompeuse femme
Qu’en ce point-là l’on eust sceu rencontrer ;
Sage sur tout, mais aimant fort à rire.
Elle ne manque incontinent de dire
A son mary l’amour des deux Bourgeois
Tous deux gens sots, tous deux gens à sornettes :
Luy raconta mot pour mot leurs fleurettes,
Pleurs et soûpirs, gemissemens Gaulois.
Ils avoient leu ou plustost oüy dire,
Que d’ordinaire en amour on soûpire.
Ils taschoient donc d’en faire leur devoir,
Que bien que mal, et selon leur pouvoir.
A frais communs se conduisoit l’affaire.
Ils ne devoient nulle chose se taire.
Le premier d’eux qu’on favoriseroit
De son bon-heur part à l’autre feroit.
Femmes, voilà souvent comme on vous traite.
Le seul plaisir est ce que l’on soubaite.
Amour est mort : le pauvre compagnon
Fut enterré sur les bords du Lignon.
Nous n’en avons icy ny vent ny voye.
Vous y servez de joüet et de proye
A jeunes gens indiscrets, scelerats :
C’est bien raison qu’au double on le leur rende :
Le beau premier qui sera dans vos lacs,
Plumez le moy, je vous le recommande.
La Dame donc, pour tromper ses voisins,
Leur dit un jour : Vous boirez de nos vins
Ce soir chez nous. Mon mary s’en va faire
Un tour aux champs ; et le bon de l’affaire
C’est qu’il ne doit au giste revenir.
Nous nous pourrons à l’aise entretenir.
Bon, dirent-ils, nous viendrons sur la brune.

Or, les voilà compagnons de fortune.
La nuit venuë, ils vont au rendez-vous.
Eux introduits, croyans Ville gagnée,
Un bruit survint ; la feste fut troublée.
On frape à l’huis ; le logis aux verroux
Estoit fermé : la femme à la fenestre
Court en disant : Celuy-là frape en Maistre ;
Seroit-ce point par mal-heur mon Epoux ?
Oüy, cachez-vous, dit-elle, c’est luy mesme.
Quelque accident, ou bien quelque soupçon,
Le font venir coucher à la maison.
Nos deux Galands, dans ce peril extreme,
Se jettent viste en certain Cabinet :
Car s’en aller, comment auroient-ils fait ?
Ils n’avoient pas le pied hors de la chambre,
Que l’Epoux entre, et void au feu le membre
Accompagné de maint et maint pigeon,
L’un au hastier, les autres au chaudron.
Oh ! oh ! dit-il, voilà bonne cuisine !
Qui traitez-vous ? Alis nostre voisine,
Reprit l’Epouse, et Simonette aussi.
Loüé soit Dieu qui vous rameine icy,
La compagnie en sera plus complete.
Madame Alis, Madame Simonette,
N’y perdront rien. Il faut les avertir
Que tout est prest, qu’elles n’ont qu’à venir :
J’y cours moy-mesme. Alors la creature
Les va prier. Or c’estoient les moitiez
De nos Galands et chercheurs d’aventure
Qui, fort chagrins de se voir enfermez,
Ne laissoient pas de loüer leur Hostesse
De s’estre ainsi tirée avec adresse
De cet aprest. Avec elle à l’instant
Leurs deux moitiez entrent tout en chantant.
On les saluë, on les baise, on les louë
De leur beauté, de leur ajustement ;
On les contemple, on patine, on se jouë.
Cela ne plut aux maris nullement.

Du Cabinet la porte à demy close
Leur laissant voir le tout distinctement,
Ils ne prenoient aucun goust à la chose :
Mais passe encor pour ce commencement.
Le souper mis presque au mesme moment,
Le Peintre prit par la main les deux femmes,
Les fit asseoir, entre-elles se plaça.
Je bois, dit-il, à la santé des Dames :
Et de trinquer ; passe encor pour cela.
On fit raison ; le vin ne dura guere.
L’Hostesse estant alors sans Chambriere,
Court à la cave, et de peur des esprits
Meine avec soy Madame Simonette.
Le Peintre reste avec Madame Alis,
Provinciale assez belle, et ben faite,
Et s’en piquant, et qui pour le Païs
Se pouvoit dire honnestement coquete.
Le Compagnon vous la tenant seulette,
La conduisit de fleurette en fleurette
Jusqu’au toucher, et puis un peu plus loin ;
Puis tout à coup levant la colerette,
Prit un baiser dont l’Epoux fut témoin.
Jusques-là passe : Epoux, quand ils sont sages,
Ne prennent garde à ces menus suffrages,
Et d’en tenir registre c’est abus :
Bien est-il vray qu’en rencontre pareille
Simples baisers font craindre le surplus ;
Car Satan lors vient fraper sur l’orelle.
De tel qui dort, et fait tant qu’il s’éveille.
L’Epoux vid donc que, tandis qu’une main
Se promenoit sur la gorge à son aise,
L’autre prenoit tout un autre chemin,
Ce fut alors, Dame, ne vous déplaise,
Que, le courroux luy montant au cerveau,
Il s’en alloit, enfonçant son chapeau,
Mettre l’alarme en tout le voisinage,
Batre sa femme, et dire au Peintre rage,
Et témoigner qu’il n’avoit les bras gourds.

Gardez-vous bien de dire une sottise,
Luy dit tout bas son Compagnon d’amours,
Tenez-vous coy. Le bruit en nulle guise
N’est bon icy, d’autant plus qu’en vos lacs
Vous estes pris : ne vous montrez donc pas,
C’est le moyen d’étouffer cette affaire.
Il est écrit qu’à nul il ne faut faire
Ce qu’on ne veut à soy-mesme estre fait.
Nous ne devons quitter ce Cabinet
Que bien à poinct, et tantost, quand cet homme
Estant au lit prendra son premier somme.
Selon mon sens, c’est le meilleur party.
A tard viendroit aussi bien la querelle.
N’estes-vous pas cocu plus d’à demy ?
Madame Alis au fait a consenty :
Cela suffit : le reste est bagatelle.
L’Epoux gousta quelque peu ces raisons.
Sa femme fit quelque peu de façon,
N’ayant le temps d’en faire davantage.
Et puis ? Et puis ; comme personne sage
Elle remit sa coëffure en estat.
On n’eust jamais soupçonné ce ménage
Sans qu’il restoit un certain incarnat
Dessus son teint ; mais c’estoit peu de chose ;
Dame Fleurette en pouvoit estre cause.
L’une pourtant des tireuses de vin
De luy sourire au retour ne fit faute :
Ce fut la Peintre. On se remit en train :
On releva grillades et festin ;
On but encore à la santé de l’Hoste,
Et de l’Hostesse, et de celle des trois
Qui la premiere auroit quelque avanture.
Le vin manqua pour la seconde fois.
L’Hostesse, adroite et fine creature,
Soustient toûjours qu’il revient des esprits
Chez les voisins. Ainsi madame Alis
Servit d’escorte. Entendez que la Dame
Pour l’autre employ inclinoit en son ame ;

Mais on l’emmeine, et par ce moyen-là
De faction Simonette changea.
Celle-cy fait d’abord plus la severe,
Veut suivre l’autre, ou feint le vouloir faire ;
Mais, se sentant par le Peintre tirer,
Elle demeure, estant trop mesnagere
Pour se laisser son habit déchirer.
L’Epoux, voyant quel train prenoit l’affaire,
Voulut sortir. L’autre luy dit : Tout doux !
Nous ne voulons sur vous nul avantage.
C’est bien raison que Messer cocüage
Sur son estat vous couche ainsi que nous :
Sommes-nous pas compagnons de fortune ?
Puisque le Peintre en a caressé l’une,
L’autre doi suivre. Il faut, bon gré, mal gré,
Qu’elle entre en danse ; et, s’il est necessaire,
Je m’offriray de luy tenir le pied :
Vouliez ou non, elle aura son affaire.
Elle l’eut donc : nostre Peintre y pourveut
Tout de son mieux : aussi le valoit-elle.
Cette derniere eut ce qu’il luy falut ;
On en donna le loisir à la Belle.
Quand le vin fut de retour, on conclut
Qu’il ne faloit s’atabler davantage.
Il estoit tard, et le Peintre avoit fait
Pour ce jour-là suffisamment d’ouvrage.
On dit bon soir. Le drosle satisfait
Se met au lit : nos gens sortent de cage.
L’Hostesse alla tirer du Cabinet
Les regardans, honteux, mal-contens d’elle,
Cocus de plus. Le pis de leur méchef
Fut qu’aucun d’eux ne pust venir à chef
De son dessein, ny rendre à la Donzelle
Ce qu’elle avoit à leurs femmes presté ;
Par consequent c’est fait ; j’ay tout conté.


IV. — LA COUPE ENCHANTÉE.


Nouvelle tirée de l’Arioste[7].


Les maux les plus cruels ne sont que des chansons
Prés de ceux qu’aux Maris cause la jalousie.
Figurez-vous un Fou chez qui tous les soupçons
Sont bien venus, quoy qu’on luy die.
Il n’a pas un moment de repos en sa vie :
Si l’oreille luy tinte, ô Dieux ! tout est perdu.
Ses songes sont toûjours que l’on le fait cocu.
Pourvû qu’il songe, c’est l’affaire.
Je ne vous voudrois pas un tel point garantir ;
Car pour songer il faut dormir,
Et les jaloux ne dorment guere.
Le moindre bruit éveille un mary soupçonneux ;
Qu’alentour de sa femme une mouche bourdonne,
C’est cocuage qu’en personne
Il a vû de ses propres yeux,
Si bien vû que l’erreur n’en peut estre effacée.
Il veut à toute force estre au nombre des sots.
Il se maintient Cocu, du moins de la pensée,
S’il ne l’est en chair et en os.
Pauvres gens, dites-moy, qu’est-ce que cocuage ?
Quel tort vous fait-il ? quel dommage ?
Qu’est-ce enfin que ce mal dont tant de gens de bien
Se moquent avec juste cause ?
Quand on l’ignore, ce n’est rien,

Quand on le sçait, c’est peu de chose.
Vous croyez cependant que c’est un fort grand cas :
Tâchez donc d’en douter, et ne ressemblez pas
A celuy-là qui bût dans la Coupe enchantée.
Profitez du mal-heur d’autruy.
Si cette histoire peut soulager vostre ennuy,
]e vous l’auray bien tost contée.

Mais je vous veux premierement
Prouver par bon raisonnement
Que ce mal, dont la peur vous mine et vous consume,
N’est mal qu’en vostre idée, et non point dans l’effet :
En mettez-vous vostre bonnet
Moins aisément que de coustume ?
Cela s’en va-t-il pas tout net ?
Voyez-vous qu’il en reste une seule apparence,
Une tache qui nuise à vos plaisirs secrets ?
Ne retrouvez-vous pas toûjours les mesmes traits ?
Vous appercevez-vous d’aucune difference ?
Je tire donc ma cosequence,
Et dis, malgré le peuple ignorant et brutal :
Cocuage n’est point un mal.

Oüy, mais l’honneur est une estrange affaire !
Qui vous soustient que non ? ay-je dit le contraire ?
Et bien ! l’honneur, l’honneur ! je n’entends que ce mot.
Aprenez qu’à Paris ce n’est pas comme à Rome ;
Le Cocu qui s’afflige y passe pour un sot,
Et le Cocu qui rit, pour un fort honneste homme :
Quand on prend comme il faut cet accident fatal,
Cocuage n’est point un mal.
Prouvons que c’est un bien : la chose est fort facile.
Tout vous rit, vostre femme est souple comme un gan ;
Et vous pourriez avoir vingt Mignonnes en ville[8],

Qu’on n’en sonneroit pas deux mots, en tout un an,
Quand vous parlez, c’est dit notable ;
On vous met le premier à table :
C’est pour vous la place d’honneur,
Pour vous le morceau du Seigneur :
Heureux qui vous le sert ! la Blondine chiorme
Afin de vous gagner n’épargne aucun moyen :
Vous estes le Patron, dont je conclus en forme :
Cocuage est un bien.
 
Quand vous perdez au jeu, l’on vous donne revanche ;
Mesme vostre homme escarte et ses As et ses Rois.
Avez-vous sur les bras quelque Monsieur Dimanche,
Mille bourses vous sont ouvertes à la fois.
Ajoutez que l’on tient vostre femme en haleine,
Elle n’en vaut que mieux, n’en a que plus d’appas :
Menelas rencontra des charmes dans Helene,
Qu’avant qu’estre à Paris la Belle n’avoit pas.
Ainsi de vostre Epouse : on veut qu’elle vous plaise :
Qui dit prude au contraire, il dit laide ou mauvaise,
Incapable en amour d’apprendre jamais rien.
Pour toutes ces raisons je persiste en ma these :
Cocuage est un bien.

Si ce Prologue est long, la matiere en est cause :
Ce n’est pas en passant qu’on traite cette chose.
Venons à nostre histoire. Il estoit un Quidam,
Dont je tairay le nom, l’estat, et la patrie :
Celuy-cy, de peur d’accident,
Avoit juré que de sa vie
Femme ne luy seroit autre que bonne amie,
Nimphe si vous voulez, Bergere, et cetera ;
Pour épouse, jamais il n’en vint jusques-là.
S’il eut tort ou raison, c’est un poinct que je passe.
Quoy qu’il en soit, Hymen n’ayant pû trouver grace
Devant cet homme, il falut que l’amour
Se meslât seul de ses affaires,
Eust soin de le fournir des choses necessaires,

Soit pour la nuit, soit pour le jour.
Il luy procura donc les faveurs d’une Belle,
Qui d’une fille naturelle
Le fit Pere et mourut : le pauvre homme en pleura,
Se plaignit, gemit, soûpira,
Non comme qui perdroit sa femme :
Tel deuil n’est bien souvent que changement d’habitt,
Mais comme qui perdroit tous ses meilleurs amis,
Son plaisir, son cœur, et son ame.
La fille crust, se fit ; on pouvoit déja voir
Hausser et baisser son mouchoir.
Le temps coule ; on n’est pas si-tost à la bavette
Qu’on trotte, qu’on raisonne, on devient grandelette,
Puis grande tout à fait, et puis le servilteur.
Le Pere avec raison eut peur
Que sa fille, chassant de race,
Ne le previnst, et ne previnst encor,
Prestre, Notaire, Himen, accord ;
Choses qui d’ordinaire ostent toute la grace
Au present que l’on fait de soy.
La laisser sur sa bonne foy,
Ce n’estoit pas chose trop sûre.
Il vous mit donc la Creature
Dans un Couvent : là, cette Belle apprit
Ce qu’on apprend, à manier l’éguille.
Point de ces livres qu’une fille
Ne lit qu’avec danger, et qui gastent l’esprit :
Le langage d’amour estoit jargon pour elle.
On n’eust sû tirer de la Belle
Un seul mot que de sainteté.
En spiritualité
Elle auroit confondu le plus grand personnage.
Si l’une des Nonains la loüoit de beauté,
Mon Dieu, fi ! disoit-elle ; ah ! ma sœur, soyez sage :
Ne considerez point des traits qui periront ;
C’est terre que cela, les vers le mangeront.
Au reste, elle n’avoit au monde sa pareille
A manier un cannevas,

Filoit mieux que Cloton, brodoit mieux que Pallas,
Tapissoit mieux qu’Arachne, et mainte autre merveille.
Sa sagesse, son bien, le bruit de ses beautez,
Mais le bien plus que tout y fit mettre la presse ;
Car la Belle estoit là comme en lieux empruntez,
Attendant mieux, ainsi que l’on y laisse
Les bons partis, qui vont souvent
Au Moustier sortant du Couvent.
Vous sçaurez que le Pere avoit long-temps devant
Cette fille legitimée[9] ;
Caliste (c’est le nom de nostre Renfermée)
N’eut pas la clef des champs, qu’Adieu les livres saints.
Il se presenta des Blondins,
De bons Bourgeois, des Paladins,
Des gens de tous Estats, de tout poil, de tout âge.
La Belle en choisit un, bien fait, beau personnage,
D’humeur commode, à ce qu’il luy sembla ;
Et pour gendre aussi-tost le Pere l’agrea.
La dot fut ample ; ample rut le doüaire :
La fille estoit unique, et le garçon aussi.
Mais ce ne fut pas là le meilleur de l’affaire ;
Les mariez n’avoient souci
Que de s’aimer et de se plaire.
Deux ans de Paradis s’estant passez ainsi,
L’enfer des enfers vint en suite.
Une jalouse humeur saisit soudainement
Nostre Epoux, qui fort sottement
S’alla mettre en l’esprit de craindre la poursuite
D’un Amant, qui sans luy se seroit morfondu.
Sans luy le pauvre homme eust perdu
Son temps à l’entour de la Dame
Quoy que pour la gagner il tentast tout moyen.

Que doit faire un mary quand on aime sa femme ?
Rien.
Voicy pourquoy je luy conseille
De dormir, s’il se peut, d’un et d’autre costé.
Si le Galant est escouté,
Vos soins ne feront pas qu’on luy ferme l’oreille.
Quant à l’occasion, cent pour une. Mais si
Des discours du Blondin la Belle n’a souci,
Vous le luy faites naitre, et la chance se tourne.
Volontiers où soupçon sejourne
Cocuage sejourne aussi.

Damon, c’est nostre Epoux, ne comprit pas ceci.
Je l’excuse et le plains, d’autant plus que l’ombrage
Luy vint par conseil seulement.
Il eust fait un trait d’homme sage,
S’il n’eust crû que son mouvement.
Vous allez entendre comment.
 
L’enchanteresse Nerie
Fleurissoit lors ; et Circé,
Au prix d’elle, en diablerie
N’eust esté qu’à l’A. B. C.
Car Nerie eut à ses gages
Les Intendans des Orages,
Et tint le destin lié.
Les Zephyrs estoient ses pages ;
Quant à ses Valets de pied,
C’estoient Messieurs les Borées,
Qui portoient par les contrées
Ses mandats souventes-fois,
Gens dispos, mais peu courtois.
 
Avec route sa science,
Elle ne put trouver de remede à l’Amour :
Damon la captiva : celle dont la puissance
Eust arresté l’Astre du jour
Brille pour un mortel, qu’en vain elle souhaite

Posseder une nuit à son contentement.
Si Nerie eust voulu des baisers seulement,
C’estoit une affaire faite ;
Mais elle alloit au poinct, et ne marchandoit pas.
Damon, quoy qu’elle eust des appas,
Ne pouvoit se resoudre à fausser la promesse
D’estre fidelle à sa moitié,
Et vouloit que l’Enchanteresse
Se tinst aux marques d’amitié.

Où sont-ils ces maris ? la race en est cessée ;
Et mesme je ne sçay si jamais on en vid.
L’Histoire en cet endroit est, selon ma pensée,
Un peu sujette à contredit.
L’Hipogrife n’a rien qui me choque l’esprit,
Non plus que la lance enchantée,
Mais ceci, c’est un poinct qui d’abord me surprit :
Il passera pourtant, j’en ay fait passer d’autres.
Les gens d’alors estoient d’autres gens que les nostres ;
On ne vivoit pas comme on vit.
 
Pour venir à ses fins, l’amoureuse Nerie
Employa philtres et brevets,
Eut recours aux regards remplis d’affeterie ;
Enfin n’omit aucuns secrets[10].
Damon à ces ressorts opposoit l’Himenée.

Nerie en fut fort estonnée.
Elle luy dit un jour : Vostre fidelité
Vous paroist heroïque et digne de loüange,
Mais je voudrois sçavoir comment de son costé
Caliste en use, et luy rendre le change[11].
Quoy donc, si vostre femme avoit un favory,
Vous feriez l’homme chaste auprés d’une Maistresse ?
Et pendant que Caliste, attrapant son mary,
Pousseroit jusqu’au bout ce qu’on nomme tendresse,
Vous n’iriez qu’à moitié chemin ?
Je vous croyois beaucoup plus fin,
Et ne vous tenois pas homme de mariage.
Laissez les bons Bourgeois se plaire en leur ménage ;
C’est pour eux seuls qu’Himen fit les plaisirs permis.
Mais vous, ne pas chercher ce qu’amour a d’exquis !
Les plaisirs deffendus n’auront rien qui vous pique,
Et vous les bannirez de vostre republique !
Non, non, je veux qu’ils soient desormais vos amis.
Faites-en seulement l’épreuve ;
Ils vous feront trouver Caliste toute neuve
Quand vous reviendrez au logis.
Apprenez tout au moins si vostre femme est chaste.
Je trouve qu’un certain Eraste
Va chez vous fort assidument.
Seroit-ce en qualité d’Amant,
Reprit Damon, qu’Eraste nous visite ?
Il est trop mon amy pour toucher ce point-là.
Vostre amy tant qu’il vous plaira,
Dit Nerie honteuse et depite,
Caliste a des appas, Eraste a du merite ;
Du costé de l’adresse il ne leur manque rien ;
Tout cela s’accommode bien.
 
Ce discours porta coup, et fit songer nostre homme.
Une Epouse fringante, et jeune, et dans son feu,

Et prenant plaisir à ce jeu
Qu’il n’est pas besoin que je nomme :
Un personnage expert aux choses de l’amour,
Hardy comme un homme de Cour,
Bien-fait, et promettant beaucoup de sa personne ;
Où Damon jusqu’alors avoit-il mis ses yeux ?
Car d’amis ! Moquez-vous ; c’est une bagatelle.
En est-il de Religieux
Jusqu’à desemparer alors que la Donzelle
Montre à demy son sein sort du lit un bras blanc,
Se tourne, s’inquiete, et regarde un Galant
En cent façons de qui la moins friponne
Veut dire : Il y fait bon, l’heure du Berger sonne ;
Estes vous sourd ? Damon a dans l’esprit
Que tout cela s’est fait, du moins qu’il s’est pû faire.
Sur ce beau fondement le pauvre homme bâtit
Maint ombrage et mainte chimere.
Nerie en a bien-tost le vent,
Et pour tourner en certitude
Le soupçon et l’inquietude
Dont Damon s’est coiffé si mal-heureusement,
L’Enchanteresse luy propose
Une chose ;
C’est de se frotter le poignet
D’une eau dont les Sorciers ont trouvé le secret,
Et qu’ils appellent l’eau de la metamorphose,
Ou des miracles autrement.
Cette drogue en moins d’un moment
Luy donneroit d’Eraste et l’air, et le visage,
Et le maintien, et le corsage,
Et la voix ; et Damon, sous ce feint personnage,
Pourroit voir si Caliste en viendroit à l’effet.
Damon n’attend pas davantage.
Il se frote, il devient l’Eraste le mieux fait
Que la nature ait jamais fait.

En cet estat il va trouver sa femme,
Met la fleurette au vent ; et cachant son ennuy :

Que vous estes belle aujourd’huy !
Luy dit-il : Qu’avez-vous, Madame,
Qui vous donne cet air d’un vray jour de Printemps[12]
Caliste, qui sçavoit les propos des Amans,

Tourna la chose en raillerie.
Damon changea de baterie.
Pleurs et soûpirs furent tentez,
Et pleurs et soûpirs rebutez.

Caliste estoit un roc ; rien n’émouvoit la Belle.
Pour derniere machine, à la fin nostre Epoux
Proposa de l’argent ; et la somme fut telle
Qu’on ne s’en mit point en courroux.

La quantité rend excusable.
Caliste enfin l’inexpugnable
Commença d’écouter raison ;
Sa chasteté plia ; car comment tenir bon
Contre ce dernier adversaire ?

Si tout ne s’ensuivit, il ne tint qu’à Damon,
L’argent en auroit fait l’affaire.
Et quelle affaire ne fait point
Ce bien-heureux métail[13], l’argent maistre du monde ?
Soyez beau, bien-disant, ayez perruque blonde,
N’omettez un seul petit poinct ;
Un Financier viendra qui sur vostre moustache
Enlevera la Belle ; et dés le premier jour
Il fera present du panache ;
Vous languirez encore apres un an d’amour.
 
L’argent sceut donc fléchir ce cœur inexorable.
Le rocher disparut : un mouton succeda ;
Un mouton qui s’accommoda
A tout ce qu’on voulut, mouton doux et traitable,
Mouton qui sur le poinct de ne rien refuser,
Donna pour arrhes un baiser.
L’Epoux ne voulut pas pousser plus loin la chose,
Ny de sa propre honte estre luy-mesme cause.
Il reprint[14] donc sa forme ; et dit à sa moitié :
Ah ! Caliste, autrefois de Damon si cherie,
Caliste, que j’aimay cent fois plus que ma vie,
Caliste, qui m’aimas d’une ardente amitié,
L’argent t’est-il plus cher qu’une union si belle ?
Je devrois dans ton sang éteindre ce forfait :
Je ne puis, et je t’aime encor tout infidelle :
Ma mort seule expiera le tort que tu m’as fait.
 
Nostre Epouse voyant cette metamorphose

Demeura bien surprise ; elle dit peu de chose :
Les pleurs furent son seul recours.
Le mary passa quelques jours
A raisonner sur cette affaire :
Un Cocu se pouvoit-il faire
Par la volonté seule et sans venir au poinct ?
L’estoit-il ? ne l’estoit-il point ?
Cette difficulté fut encore éclaircie
Par Nerie.
Si vous estes, dit-elle, en doute de cela,
Beuvez dans cette coupe-là :
On la fit par tel art que dés qu’un personnage
Dûment atteint de cocuage
Y veut porter la lévre, aussitost tout s’en va ;
Il n’en avale rien, et répand le breuvage
Sur son sein, sur sa barbe, et sur son vestement.
Que s’il n’est point censé Cocu suffisamment,
Il boit tout sans répandre goute.
Damon, pour éclaircir son doute
Porte la lévre au vase : il ne se répand rien.
C’est, dit-il, réconfort ; et pourtant je sçais bien
Qu’il n’a tenu qu’à moy. Qu’ay-je affaire de coupe ?
Faites-moy place en vostre troupe,
Messieurs de la grand’bande. Ainsi disoit Damon,
Faisant à sa femelle un étrange sermon.
Misérables humains, si pour les cocuages
Il faut en ces païs faire tant de façon,
Allons-nous-en chez les Sauvages.
 
Damon, de peur de pis, établit des Argus
A l’entour de sa femme, et la rendit Coquette.
Quand les Galands sont défendus,
C’est alors que l’on les souhaite.
Le mal-heureux époux s’informe, s’inquiete,
Et de tout son pouvoir court au devant d’un mal
Que la peur bien souvent rend aux hommes fatal.
De quart-d’heure en quart-d’heure il consulte la tasse.
Il y boit huit jours sans disgrace.


 
Mais à la fin il y boit tant,
Que le breuvage se répand.
Ce fut bien là le comble. O science fatale,
Science que Damon eust bien fait d’éviter ;
Il jette de fureur cette coupe infernale.
Luy-mesme est sur le point de se précipiter.
Il enferme sa femme en une Tour quarrée
Luy va soir et matin reprocher son forfait :
Cette honte qu’auroit le silence enterrée,
Court le païs, et vit du vacarme qu’il fait.
 
Caliste cependant meine une triste vie.
Comme on ne luy laissoit argent ny pierrerie,
Le Geolier fut fidelle ; elle eut beau le tenter.
Enfin la pauvre mal-heureuse
Prend son temps que Damon, plein d’ardeur amoureuse
Estoit d’humeur à l’éouter.
J’ay, dit-elle, commis un crime inexcusable :
Mais quoy, suis-je la seule ? helas, non ; peu d’époux
Sont exempts, ce dit-on, d’un accident semblable.
Que le moins entaché se moque un peu de vous.
Pourquoy donc estre inconsolable ?
Hé bien, reprit Damon, je me consoleray,
Et mesme vous pardonneray,
Tout incontinent que j’auray
Trouvé de mes pareils une telle legende
Qu’il s’en puisse former une armée assez grande
Pour s’appeler Royale. Il ne faut qu’employer
Le vase qui me sceut vos secrets reveler.

Le mary sans tarder executant la chose,
Attire les passans, tient table en son Château.
Sur la fin des repas, à chacun il propose
L’essay de cette coupe, essay rare et nouveau.
Ma femme, leur dit-il, m’a quitté pour un autre ;
Voulez-vous sçavoir si la vostre
Vous est fidelle ? il est quelquefois bon
D’apprendre comme tout se passe à la maison.

 

En voicy le moyen ; buvez dans cette tasse.
Si vostre femme de sa grace
Ne vous donne aucun suffragant
Vous ne répandrez nullement.
Mais si du Dieu nommé Vulcan
Vous suivez la baniere, estant de nos confreres
En ces redoutables mysteres,
De part et d’autre la boisson
Coulera sur vostre menton.

Autant qu’il s’en rencontre à qui Damon propose
Cette pernicieuse chose,
Autant en font l’essay : presque tous y sont pris.
Tel en rit, tel en pleure ; et selon les esprits
Cocuage en plus d’une sorte
Tient sa morgue parmy ses gens.
Déja l’armée est assez forte
Pour faire corps, et battre aux champs.
La voila tantost qui menace
Gouverneurs de petite place,
Et leur dit qu’ils seront pendus
Si de tenir ils ont l’audace :
Car pour estre royale il ne luy manque plus
Que peu de gens : c’est une affaire
Que deux ou trois mois peuvent faire.
Le nombre croist de jour en jour
Sans que l’on batte le tambour.
Les differens degrez où monte cocuage
Reglent le pas et les employs :
Ceux qu’il n’a visité seulement qu’une fois
Sont fantassins pour tout potage.
On fait les autres Cavaliers.
Quiconque est de ses familiers,
On ne manque pas de l’élire
Ou Capitaine, ou Lieutenant,
Ou l’on luy donne un Regiment,
Selon qu’entre les mains du sire
Ou plus ou moins subitement

La liqueur du vase s’épand.
Un versa tout en un moment ;
Il fut fait General : et croyez que l’armée
De hauts Officiers ne manqua :
Plus d’un Intendant se trouva ;
Cette charge fut partagée.

Le nombre des soldats estant presque complet,
Et plus que suffisant pour se mettre en campagne ;
Renaud, neveu de Charlemagne,
Passe par ce Chasteau : l’on l’y traite à souhait :
Puis le Seigneur du lieu luy fait
Mesme harangue qu’à la troupe.
Renaud dit à Damon : Granmercy de la coupe :
Je crois ma femme chaste, et cette foy suffit.
Quand la coupe me l’aura dit,
Que m’en reviendra-t-il ? Cela sera-t-il cause
De me faire dormir de plus que de deux yeux ?
Je dors d’autant, graces aux Dieux :
Puis-je demander autre chose ?
Que sçay-je ? par hazard si le vin s’épandoit ?
Si je ne tenois pas vostre vase assez droit ?
Je suis quelquefois maladroit :
Si carte coupe enfin me prenoit pour un autre ?
Messire Damon, je suis vostre :
Commandez-moy tout, hors ce poinct.
Ainsi Renaud partit, et ne hazarda point.
Damon dit : Celuy-cy,Messieurs, et bien plus sage
Que nous n’avons esté : consolons-nous pourtant :
Nous avons des pareils ; c’est un grand avantage.
Il s’en rencontra tant et tant,
Que l’armée à la fin Royale devenuë,
Caliste eut liberté, selon le convenant,
Par son mary chere tenue
Tout de mesme qu’auparavant.

Epoux, Renaud vous montre à vivre.
Pour Damon, gardez de le suivre.

Peut-estre le premler eust eu charge de l’ost,
Que sçait-on ? Nul mortel, soit Roland, soit Renaud,
Du danger de répandre exempt ne se peut croire.
Charlemagne luy-mesme auroit eu tort de boire.



V. — LE FAUCON.


Nouvelle tirée de Bocace[15].


Je me souviens d’avoir damné jadis
L’amant avare ; et je m’en dédis.
Si la raison des contraires est bonne,
Le liberal doit estre en Paradis :
Je m’en rapporte à Messieurs de Sorbonne.
Il estoit donc autrefois un Amant
Qui dans Florence aima certaine femme.
Comment aimer ? c’estoit si follement,
Que, pour luy plaire, il eust vendu son ame.
S’agissoit-il de divertir la Dame,
A pleines mains il vous jettoit l’argent
Sçachant tres-bien qu’en amour comme en guerre
On ne doit plaindre un métail[16] qui fait tout,
Renverse murs, jette portes par terre,
N’entreprend rien dont il ne vienne à bout ;
Fait taire chiens, et, quand il veut, servantes,
Et, quand il veut, les rend plus eloquentes
Que Ciceron, et mieux persuadantes :
Bref, ne voudroit avoir laissé debout
Aucune place, et tant forte fust-elle.
Si laissa-t-il sur ses pieds nostre Belle.
Elle tint bon ; Federic échoüa
Prés de ce roc, et le nez s’y cassa ;
Sans fruit aucun vendit et fricassa

Tout son avoir ; comme l’on pourroit dire
Belles Comtez, beaux Marquisats de Dieu,
Qu’il possedoit en plus et plus d’un lieu.
Avant qu’aimer on l’appeloit Messire
A longue queuë ; enfin, grace à l’Amour,
Il ne fut plus que Messire tout court.
Rien ne resta qu’une ferme au pauvre homme,
Et peu d’amis ; mesme amis Dieu sçait comme.
Le plus zelé de tout se contenta,
Comme chacun, de dire c’est dommage.
Chacun le dit, et chacun s’en tint là :
Car de prester, à moins que sur bon gage,
Point de nouvelle : on oublia les dons,
Et le merite, et les belles raisons
De Federic, et sa premiere vie.
Le Protestant de Madame Clitie
N’eut du credit qu’autant qu’il eut du fonds.
Tant qu’il dura, le Bal, la Comedie
Ne manqua point à cet heureux objet :
De maints tournois elle fut le sujet ;
Faisant gagner marchands de toutes guises,
Faiseurs d’habits, et faiseurs de devises,
Musiciens, gens du sacré valon :
Federic eut à sa table Apollon.
Femme n’estoit ny fille dans Florence
Qui n’employast, pour débaucher le cœur
Du Cavalier, l’une un mot suborneur,
L’autre un coup d’œil, l’autre quelqu’autre avance :
Mais tout cela ne faisoit que blanchir.
Il aimoit mieux Clitie inexorable
Qu’il n’auroit fait Helene favorable.
Conclusion, qu’il ne la put fléchir.
Or, en ce train de dépense effroyable,
Il envoya les Marquisats au diable
Premierement ; puis en vint aux Comtez,
Titres par luy plus qu’aucuns regretez,
Et dont alors on faisoit plus de conte.
De-là les monts chacun veut estre Comte,

Icy Marquis, Baron peut estre ailleurs.
Je ne sçay pas lesquels sont les meilleurs ;
Mais je sçay bien qu’avecque la patente
De ces beaux noms on s’en aille au marché,
L’on reviendra comme on estoit allé :
Prenez le titre, et laissez-moy la rente.
Clitie avoit aussi beaucoup de bien,
Son mary mesme estoit grand terrien.
Ainsi jamais la belle ne prit rien,
Argent ny dons ; mais souffrit la dépense
Et les cadeaux, sans croire pour cela
Estre obligée à nulle recompense.
S’il m’en souvient, j’ay dit qu’il ne resta
Au pauvre Amant rien qu’une métairie,
Chetive encor, et pauvrement bastie.
Là Federic alla se confiner ;
Honteux qu’on vist sa misere en Florence ;
Honteux encor de n’avoir sceu gagner,
Ny par amour, ny par magnificence,
Ny par six ans de devoirs et de soins
Une beauté qu’il n’en aimoit pas moins.
Il s’en prenoit à son peu de merite,
Non à Clitie ; elle n’oüit jamais,
Ny pour froideurs, ny pour autres sujets,
Plainte de luy ny grande ny petite.
Nostre amoureux subsista comme il put
Dans sa retraite, où le pauvre homme n’eut
Pour le servir qu’une vieille édentée,
Cuisine froide et fort peu frequentée ;
A l’écurie un cheval assez bon,
Mais non pas fin : sur la perche un Faucon
Dont à l’entour de cette métairie
Défunt Marquis s’en alloit, sans valets,
Sacrifiant à sa mélancolie
Mainte perdrix, qui, las ! ne pouvoit mais
Des cruautez de Madame Clitie.
Ainsi vivoit le mal-heureux Amant ;
Sage s’il eust, en perdant sa fortune,

Perdu l’amour qui l’alloit consumant ;
Mais de ses feux la memoire importune
Le talonnoit ; toûjours un double ennuy
Alloit en croupe à la chasse avec luy.
Mort vint saisir le mary de Clitie.
Comme ils n’avoient qu’un fils pour tous enfans,
Fils n’ayant pas pour un pouce de vie,
Et que l’Epoux, dont les biens estoient grands,
Avoit toûjours consideré sa femme,
Par testament il declare la Dame
Son heritiere, arrivant le deceds
De l’enfançon, qui peu de temps aprés
Devint malade. On sçait que d’ordinaire
A ses enfans mere ne sçait que faire,
Pour leur montrer l’amour qu’elle a pour eux ;
Zele souvent aux enfans dangereux.
Celle-cy, tendre et fort passionnée,
Autour du sien est toute la journée
Luy demandant ce qu’il veut, ce qu’il a ;
S’il mangeroit volontiers de cela,
Si ce joüet, enfin si cette chose
Est à son gré. Quoy que l’on luy propose
Il le refuse ; et pour toute raison
Il dit qu’il veut seulement le Faucon
De Federic ; pleure et meine une vie
A faire gens de bon cœur detester :
Ce qu’un enfant a dans la fantaisie
Incontinent il faut l’executer,
Si l’on ne veut l’ouïr toûjours crier.
Or il est bon de sçavoir que Clitie
A cinq cens pas, de cette métairie,
Avoit du bien, possedoit un Chasteau :
Ainsi l’enfant avoit pu de l’oyseau
Ouïr parler : on en disoit merveilles ;
On en contoit des choses nompareilles :
Que devant luy jamais une perdrix
Ne se sauvoit, et qu’il en avoit pris
Tant ce matin, tant cette apresdinée ;

Son maistre n’eust donné pour un tresor
Un tel Faucon. Qui fut bien empeschée,
Ce fut Clitie. Aller oster encor
A Federic l’unique et seule chose
Qui luy restoit ! et supposé qu’elle ose
Luy demander ce qu’il a pour tout bien,
Auprés de luy meritoit-elle rien ?
Elle l’avoit payé d’ingratitude :
Point de faveurs ; toûjours hautaine et rude
En son endroit. De quel front s’en aller
Aprés cela le voir et luy parler,
Ayant esté cause de sa ruine ?
D’autre costé l’enfant s’en va mourir,
Refuse tout, tient tout pour medecine :
Afin qu’il mange il faut l’entretenir
De ce Faucon : il se tourmente, il crie :
S’il n’a l’oiseau c’est fait que de sa vie.
Ces raisons-cy l’emporterent enfin.
Chez Federic la Dame un beau matin
S’en va sans suite, et sans nul équipage.
Federic prend pour un Ange des Cieux
Celle qui vient d’apparoistre à ses yeux.
Mais cependant, il a honte, il enrage,
De n’avoir pas chez soy pour luy donner
Tant seulement un mal-heureux disner.
Le pauvre estat où sa Dame le treuve
Le rend confus. Il dit donc à la veuve :
Quoy ! venir voir le plus humble de ceux
Que vos beautez ont rendus amoureux !
Un Villageois, un haire, un miserable !
C’est trop d’honneur ; vostre bonté m’accable.
Assurément vous alliez autre part.
A ce propos nostre veuve repart :
Non, non, Seigneur, c’est pour vous la visite.
Je viens manger avec vous ce matin.
Je n’ay, dit-il, cuisinier ny marmite :
Que vous donner ? N’avez-vous pas du pain,
Reprit la Dame. Incontinent luy-mesme

Il va chercher quelque œuf au poulailler,
Quelque morceau de lard en son grenier.
Le pauvre Amant en ce besoin extreme
Void son Faucon, sans raisonner le prend,
Luy tord le cou, le plume, le fricasse,
Et l’assaisonne, et court de place en place.
Tandis la vieille a soin du demeurant ;
Foüille au bahu ; choisit pour cette feste
Ce qu’ils avoient de linge plus honeste ;
Met le couvert ; va cueillir au jardin
Du serpolet, un peu de romarin,
Cinq ou six fleurs, dont la table est jonchée.
Pour abreger, on sert la fricassée.
La Dame en mange, et feint d’y prendre goust.
Le repas fait, cette femme resoud
De hazarder l’incivile Requeste,
Et parle ainsi : Je suis folle, Seigneur,
De m’en venir vous arracher le cœur
Encore un coup ; il ne m’est guere honneste
De demander à mon défunt Amant
L’oiseau qui fait son seul contentement :
Doit-il pour moy s’en priver un moment ?
Mais excusez une mere affligée,
Mon fils se meurt : il veut vostre Faucon :
Mon procedé ne merite un tel don :
La raison veut que je sois refusée.
Je ne vous ay jamais accordé rien.
Vostre repos, vostre honneur, vostre bien,
S’en sont allez aux plaisirs de Clitie.
Vous m’aimiez plus que vostre propre vie
A cet amour j’ay trés-mal répondu :
Et je m’en viens, pour comble d’injustice,
Vous demander…. et quoy ? c’est temps perdu ;
Vostre Faucon. Mais non, plustot perisse
L’enfant, la mere, avec le demeurant,
Que de vous faire un déplaisir si grand.
Souffrez sans plus que cette triste mere,
Aimant d’amour la chose la plus chere

Que jamais femme au monde puisse avoir,
Un fils unique, une unique esperance,
S’en vienne au moins s’acquitter du devoir
De la nature, et pour route allegeance
En votre sein décharge sa douleur.
Vous sçavez bien par vostre experience
Que c’est d’aimer, vous le sçavez, Seigneur.
Ainsi je crois trouver chez vous excuse.
Helas ! reprit l’Amant infortuné,
L’oiseau n’est plus ; vous en avez disné.
L’oiseau n’est plus ! dit la veuve confuse.
Non, reprit-il ; plust au Ciel vous avoir
Servy mon cœur, et qu’il eust pris la place
De ce Faucon : mais le sort me fait voir
Qu’il ne sera jamais en mon pouvoir
De meriter de vous aucune grace.
En mon pailler rien ne m’estoit resté :
Depuis deux jours la beste a tout mangé,
J’ay veu l’oiseau ; je l’ay tué sans peine :
Rien couste-t-il quand on reçoit sa Reine ?
Ce que je puis pour vous est de chercher
Un bon Faucon ; ce n’est chose si rare
Que dés demain nous n’en puissions trouver.
Non, Federic, dit-elle, je declare
Que c’est assez. Vous ne m’avez jamais
De vostre amour donné plus grande marque.
Que mon fils soit enlevé par la parque,
Ou que le Ciel le rende à mes souhaits,
J’auray pour vous de la reconnoissance.
Venez me voir, donnez m’en l’esperance.
Encore un coup, venez nous visiter.
Elle partit, non sans luy presenter
Une main blanche, unique témoignage
Qu’Amour avoit amolly ce courage.
Le pauvre Amant prit la main, la baisa,
Et de ses pleurs quelque temps l’arrosa.
Deux jours aprés l’enfant suivit le pere.
Le deüil fut grand : la trop dolente mere

Fit dans l’abord force larmes couler.
Mais, comme il n’est peine d’ame si forte
Qu’il ne s’en faille à la fin consoler,
Deux Medecins la traiterent de sorte
Que sa douleur eut un terme assez court ;
L’un fut le Temps, et l’autre fut l’Amour.
On épousa Federic en grand’pompe,
Non seulement par obligation,
Mais, qui plus est, par inclination,
Par amour mesme. Il ne faut qu’on se trompe
À cet exemple, et qu’un pareil espoir
Nous fasse ainsi consumer nostre avoir :
Femmes ne sont toutes reconnoissantes.
À cela prés, ce sont choses charmantes.
Sous le Ciel n’est un plus bel animal.
Je n’y comprens le sexe en general.
Loin de cela, j’en vois peu d’avenantes.
Pour celles-cy, quand elles sont aymantes[17],
J’ay les desseins du monde les meilleurs :
Les autres n’ont qu’à se pourvoir ailleurs.



VI. — LA COURTISANNE AMOUREUSE.


Le jeune Amour, bien qu’il ait la façon
D’un Dieu qui n’est encor qu’à sa leçon,
Fut de tout temps grand faiseur de miracles.
En gens coquets il change les Catons ;
Par luy les sots deviennent des oracles ;
Par luy les loups deviennent des moutons :
Il fait si bien que l’on n’est plus le mesme.
Témoin Hercule, et témoin Polyphême,

Mangeurs de gens : l’un sur un roc assis
Chantoit aux vents ses amoureux soucis
Et, pour charmer sa Nymphe joliette,
Tailloit sa barbe, et se miroit dans l’eau.
L’autre changea sa massuë en fuseau
Pour le plaisir d’une jeune fillette.
J’en dirois cent : Bocace en rapporte un[18],
Dont j’ay trouvé l’exemple peu commun.
C’est de Chimon, jeune homme tout sauvage,
Bien fait de corps, mais ours quant à l’esprit.
Amour le léche, et tant qu’il le polit.
Chimon devint un galand personnage.
Qui fit cela ? deux beaux yeux seulement.
Pour les avoir apperceus un moment,
Encore à peine, et voilez par le somme,
Chimon aima, puis devint honneste homme.
Ce n’est le poinct dont il s’agit icy.
Je veux conter comme une de ces femmes
Qui font plaisir aux enfans sans soucy
Put en son cœur loger d’honnestes flâmes.
Elle estoit fiere et bizarre sur tout :
On ne sçavoit comme en venir à bout.
Rome c’estoit le lieu de son negoce :
Mettre à ses pieds la Mitre avec la Crosse
C’estoit trop peu ; les simples Monseigneurs
N’estoient d’un rang digne de ses faveurs.
Il luy faloit un homme du Conclave,
Et des premiers, et qui fust son esclave ;
Et mesme encore il y profitoit peu,
A moins que d’estre un Cardinal nepveu.
Le Pape enfin, s’il se fut piqué d’elle,
N’auroit esté trop bon pour la Donzelle.
De son orgueil ses habits se sentoient.
Force brillans sur sa robe éclatoient,
La chamarure avec la broderie.
Luy voyant faire ainsi la rencherie,

Amour se mit en teste d’abaisser
Ce cœur si haut ; et pour un Gentilhomme
Jeune, bien fait, et des mieux mis de Rome,
Jusques au vif il voulut la blesser.
L’adolescent avoit pour nom Camille,
Elle Constanse. Et bien qu’il fust d’humeur
Douce, traitable, à se prendre facile,
Constanse n’eut si-tost l’amour au cœur,
Que la voila craintive devenuë.
Elle n’osa declarer ses desirs
D’autre façon qu’avecque des soûpirs.
Auparavant pudeur ny retenuë
Ne l’arrestoient ; mais tout fut bien changé.
Comme on n’eust cru qu’Amour se fust logé
En cœur si fier, Camille n’y prit garde.
Incessamment Constanse le regarde ;
Et puis soûpirs, et puis regards nouveaux ;
Toûjours resveuse au milieu des cadeaux :
Sa beauté mesme y perdit quelque chose ;
Bien-tost le lys l’emporta sur la rose.
Avint qu’un soir Camille regala
De jeunes gens : il eut aussi des femmes.
Constanse en fut. La chose se passa
Joyeusement ; car peu d’entre ces Dames
Estoient d’humeur à tenir des propos
De sainteté ny de philosophie.
Constanse seule, estant sourde aux bons mots,
Laissoit rail[er toute la compagnie.
Le soupé fait, chacun se retira.
Tout dés l’abord Constanse s’éclipsa,
S’allant cacher en certaine rüelle.
Nul n’y prit garde, et l’on crut que chez elle,
Indisposée, ou de mauvaise humeur,
Ou pour affaire elle estoit retournée.
La Compagnie estant donc retirée,
Camille dit à ses gens, par bon-heur,
Qu’on le laissast, et qu’il vouloit écrire.
Le voila seul, et comme le desire

Celle qui l’aime, et qui ne sçait comment
Ny l’aborder, ny par quel compliment
Elle pourra luy declarer sa flame.
Tremblante enfin, et par necessité
Elle s’en vient. Qui fut bien estonné,
Ce fut Camille : Hé quoy, dit-il, Madame,
Vous surprenez ainsi vos bons amis ?
Il la fit seoir ; et puis s’estant remis :
Qui vous croyoit, reprit-il, demeurée[19] ?
Et qui vous a cette cache montrée ?
L’amour, dit-elle. À ce seul mot sans plus
Elle rougit ; chose que ne font guere
Celles qui sont Prestresses de Venus :
Le vermillon leur vient d’autre maniere.
Camille avoit déja quelque soupçon
Que l’on l’aimoit ; il n’estoit si novice,
Qu’il ne connust ses gens à la façon ;
Pour en avoir un plus certain indice,
Et s’égayer, et voir si ce cœur fier
Jusques au bout pourroit s’humilier,
Il fit le froid. Nostre Amante en soûpire ;
La violence enfin de son martyre
La fait parler : elle commence ainsi :
Je ne sçay pas ce que vous allez dire,
De voir Constanse oser venir icy
Vous declarer sa passion extreme.
Je ne sçaurois y penser sans rougir :
Car du mestier de Nymphe me couvrir,
On n’en est plus dés le moment qu’on aime.
Puis, quelle excuse ! helas ! si le passé
Dans vostre esprit pouvoit estre effacé !
Du moins, Camille, excusez ma franchise.
Je vois fort bien que quoy que je vous dise,
Je vous déplais. Mon zele me nuira.
Mais nuise ou non, Constanse vous adore :

Méprisez-la, chassez-la, batez-la ;
Si vous pouvez, faites-luy pis encore ;
Elle est à vous. Alors le Jouvenceau :
Critiquer gens m’est, dit-il, fort nouveau ;
Ce n’est mon fait ; et toutefois Madame
Je vous diray tout net que ce discours
Me surprend fort, et que vous n’estes femme
Qui deust ainsi prévenir nos amours.
Outre le sexe, et quelque bienseance
Qu’il faut garder, vous vous estes fait tort.
À quel propos toute cette éloquence ?
Vostre beauté m’eust gagné sans effort,
Et de son chef. Je vous le dis encor,
Je n’aime point qu’on me fasse d’avance.
Ce propos fut à la pauvre Constanse
Un coup de foudre. Elle reprit pourtant :
J’ay merité ce mauvais traitement,
Mais ose-t-on vous dire sa pensée ?
Mon procedé ne me nuiroit pas tant,
Si ma beauté n’estoit point effacée.
C’est compliment ce que vous m’avez dit ;
J’en suis certaine, et lis dans votre esprit :
Mon peu d’appas n’a rien qui vous engage.
D’où me vient-il ? Je m’en rapporte à vous.
N’est-il pas vray que n’aguere, entre-nous,
À mes attraits chacun rendoit hommage ?
Ils sont esteints, ces dons si précieux :
L’amour que j’ay m’a causé ce dommage ;
Je ne suis plus assez belle à vos yeux,
Si je l’estois, je serois assez sage.
Nous parlerons tantost de ce poinct-là,
Dit le Galand ; il est tard, et voilà
Minuit qui sonne ; il faut que je me couche.
Constanse crut qu’elle auroit la moitié
D’un certain lit que d’un œil de pitié
Elle voyoit : mais d’en ouvrir la bouche,
Elle n’osa de crainte de refus.
Le Compagnon, feignant d’estre confus,

Se teut long-temps ; puis dit : Comment feray-je ?
Je ne me puis tout seul des-habiller.
Et bien, Monsieur, dit-elle, appelleray-je ?
Non reprit-il ; gardez-vous d’appeller.
Je ne veux pas qu’en ce lieu l’on vous voye ;
Ny qu’en ma chambre une fille de joye
Passe la nuit au sceu de tous mes gens.
Cela suffit, Monsieur, repartit-elle.
Pour éviter ces inconveniens,
Je me pourrois cacher en la ruelle :
Mais faisons mieux, et ne laissons venir
Personne icy : l’amoureuse Constanse
Veut aujourd’huy de Laquais vous servir :
Accordez-luy pour toute recompense
Cet honneur-là. Le jeune homme y consent.
Elle s’approche ; elle le déboutonne ;
Touchant sans plus à l’habit, et n’osant
Du bout du doigt toucher à la personne.
Ce ne fut tout, elle le déchaussa.
Quoy ! de sa main ! quoy ! Constanse elle-mesme !
Qui fust-ce donc ? Est-ce trop que cela ?
Je voudrois bien déchausser ce que j’aime.
Le Compagnon dans le lit se plaça ;
Sans la prier d’estre de la partie.
Constance crut dans le commencement
Qu’il la vouloit éprouver seulement ;
Mais tout cela passoit la raillerie.
Pour en venir au poinct plus important :
Il fait, dit-elle, un temps froid comme glace ;
Où me coucher ?
 
Camille.
Par tout où vous voudrez.
 
Constanse.
Quoy ! sur ce siege ?
 
Camille
Et bien ! non ; vous viendrez

Dedans mon lit.

Constanse.
Delacez-moy, de grace.

Camille.
Je ne sçaurois, il fait froid, je suis nu ;
Delacez-vous.
Nostre Amante ayant veu
Prés du chevet un poignard dans sa gaisne,
Le prend, le tire, et coupe ses habits,
Corps piqué d’or, garnitures de prix,
Ajustemens de Princesse et de Reine.
Ce que les gens en deux mois à grand’peine
Avoient brodé perit en un moment,
Sans regreter ny plaindre aucunement
Ce que le sexe aime plus que sa vie.
Femmes de France, en feriez-vous autant ?
Je crois que non, j’en suis seur, et partant
Cela fut beau sans doute en Italie.
La pauvre Amante approche en tapinois,
Croyant tout fait, et que pour cette fois
Aucun bizarre et nouveau stratagême
Ne viendroit plus son aise reculer.
Camille dit : C’est trop dissimuler ;
Femme qui vient se produire elle-mesme
N’aura jamais de place à mes costez.
Si bon vous semble, allez vous mettre aux pieds.
Ce fut bien-là qu’une douleur extreme
Saisit la belle, et si lors par hazard
Elle avoit eu dans ses mains le poignard,
C’en estoit fait : elle eust de part en part
Percé son cœur. Toutefois l’esperance
Ne mourut pas encor dans son esprit.
Camille estoit trop connu de Constanse,
Et que ce fust tout de bon qu’il eust dit
Chose si dure, et pleine d’insolence,
Luy qui s’estoit jusque-là comporté
En homme doux, civil, et sans fierté,

Cela sembloit contre toute apparence.
Elle va donc en travers se placer
Aux pieds du Sire, et d’abord les luy baise ;
Mais point trop fort, de peur de le blesser
On peut juger si Camille estoit aise.
Quelle victoire ! Avoir mis à ce poinct
Une beauté si superbe et si fiere !
Une beauté ! Je ne la décris point ;
Il me faudroit une semaine entiere :
On ne pouvoit reprocher seulement
Que la pasleur à cet objet charmant ;
Pasleur encor dont la cause estoit telle
Qu’elle donnoit du lustre à nostre Belle.
Camille donc s’estend, et sur un sein
Pour qui l’yvoire auroit eu de l’envie
Pose ses pieds, et sans ceremonie
Il s’accommode, et se fait un coussin[20] :
Puis feint qu’il cede aux charmes de Morphée :
Par les sanglots nostre Amante estouffée
Lasche la bonde aux pleurs cette fois-là.
Ce fut la fin. Camille l’appella
D’un ton de voix qui plut fort à la Belle.
Je suis content, dit-il, de vostre amour :
Venez, venez, Constanse, c’est mon tour.
Elle se glisse ; et luy s’approchant d’elle :
M’avez-vous cru si dur et si brutal
Que d avoir fait tout de bon le severe ?
Dit-il d’abord ; vous me connoissez mal :
Je vous voulois donner lieu de me plaire.
Or bien je sçais le fonds de vostre cœur.
Je suis contant, satisfait, plein de joye,
Comblé d’amour : et que vostre rigueur,
Si bon luy semble a son tour se deploye ;
Elle le peut : usez-en librement.
Je me declare aujourd’huy vostre Amant,

Et vostre Epoux, et ne sçais nulle Dame,
De quelque rang et beauté que ce soit,
Qui vous valust pour maistresse et pour femme ;
Car le passé rappeler ne se doit
Entre nous deux. Une chose ay-je à dire :
C’est qu’en secret il nous faut marier.
Il n’est besoin de vous specifier
Pour quel sujet : cela vous doit suffire.
Mesme il est mieux de cette façon là.
Un tel Himen a des Amours ressemble ;
On est Epoux et Galand tout ensemble.
L’histoire dit que le drosle ajoûta :
Voulez-vous pas, en attendant le Prestre,
A vostre Amant vous fier aujourd’huy ?
Vous le pouvez, je vous réponds de luy ;
Son cœur n’est pas d’un perfide et d’un traître.
A tout cela Constanse ne dit rien.
C’estoit tout dire : il le reconnut bien,
N’estant Novice en semblables affaires.
Quand au surplus, ce sont de tels mysteres,
Qu’il n’est besoin d’en faire le recit.
Voila comment Constanse réussit.
Or, faites-en, Nymphes, vostre profit.
Amour en a dans son Academie,
Si l’on vouloit venir à l’examen,
Que j’aimerois pour un pareil Himen
Mieux que mainte autre à qui l’on se marie.
Femme qui n’a filé route sa vie
Tasche à passer bien des choses sans bruit.
Témoin Constanse et tout ce qui s’ensuit,
Noviciat d’épreuves un peu dures :
Elle en receut abondamment le fruit :
Nonnes, je sçais qui voudroient, chaque nuit,
En faire un tel, à toutes avantures.
Ce que possible on ne croira pas vray,
C’est que Camille en caressant la Belle,
Des dons d’Amour luy fit gouster l’essay.
L’essay ? je faux : Constanse en estoit-elle

Aux Elemens ? Ouy, Constanse en estoit
Aux Elemens : ce que la Belle avoit
Pris et donné de plaisir en sa vie,
Conter pour rien jusqu’à lors se devoit :
Pourquoy cela ? Quiconque aime le die[21].



VII. — NICAISE.


Un apprenty Marchand estoit,
Qu’avec droit Nicaise on nommoit ;
Garcon tres-neuf, hors sa boutique,
Et quelque peu d’Arithmetique ;
Garçon Novice dans les tours
Qui se pratiquent en Amours.
Bons Bourgeois du temps de nos peres
S’avisoient tard d’estre bons freres.
Ils n’aprenoient cette leçon
Qu’ayans de la barbe au menton.
Ceux d’aujourd’huy, sans qu’on les flate,
Ont soin de s’y rendre sçavans
Aussi-tost que les autres gens.
Le Jouvenceau de vieille-date,
Possible un peu moins avancé,
Par les degrez n’avoit passé.
Quoy qu’il en soit, le pauvre sire
En trés-beau chemin demeura,
Se trouvant court par celuy-là :
C’est par l’esprit que je veux dire.

Une Belle pourtant l’aima :
C’estoit la fille de son Maistre,
Fille aimable autant qu’on peut l’estre,
Et ne tournant autour du pot ;
Soit par humeur franche et sincere,
Soit qu’il fust force d’ainsi faire,
Estant tombée aux mains d’un sot.
Quelqu’un de trop de hardiesse
Ira la taxer, et moy non :
Tels procedez ont leur raison.
Lors que l’on aime une Deesse,
Elle fait ces avances-là :
Nostre Belle sçavoit cela.
Son esprit, ses traits, sa richesse,
Engageoient beaucoup de jeunesse
A sa recherche : heureux seroit
Celuy d’entre-eux qui cueilleroit
En nom d’Himen, certaine chose
Qu’à meilleur titre elle promit
Au Jouvenceau cy-dessus dit :
Certain Dieu parfois en dispose,
Amour nommé communément.
Il plut à la Belle d’élire
Pour ce point l’apprenty Marchand.
Bien est vray (car il faut tout dire)
Qu’il estoit trés-bien fait de corps,
Beau, jeune, et frais : ce sont tresors
Que ne méprise aucune Dame,
Tant soit son esprit precieux.
Pour une qu’Amour prend par l’ame,
Il en prend mille par les yeux.
Celle-cy donc, des plus galantes,
Par mille choses engageantes
Taschoit d’encourager le gars,
N’estoit chiche de ses regards,
Le pinçoit, luy venoit sousrire,
Sur les yeux luy mettoit la main,
Sur le pied luy marchoit enfin.

A ce langage il ne sceut dire
Autre chose que des soûpirs,
Interpretes de ses desirs.
Tant fut, à ce que dit l’histoire,
De part et d’autre soûpiré,
Que leur feu dument déclaré,
Les jeunes gens, comme on peut croire,
Ne s’épargnerent ny sermens,
Ny d’autres poincts bien plus charmans,
Comme baisers à grosse usure ;
Le tout sans compte et sans mesure.
Calculateur que fust l’Amant,
Broüiller faloit incessamment ;
La chose estoit tant infinie,
Qu’il y faisoit toujours abus.
Somme toute, il n’y manquoit plus
Qu’une seule cérémonie.
Bon fait aux filles l’épargner.
Ce ne fut pas sans témoigner
Bien du regret, bien de l’envie.
Par vous disoit la belle amie,
Je me la veux faire enseigner,
Ou ne la sçavoir de ma vie.
Je la sçauray, je vous promets ;
Tenez-vous certain desormais
De m’avoir pour vostre apprentie.
Je ne puis pour vous que ce poinct.
Je suis franche ; n’attendez point
Que par un langage ordinaire
Je vous promette de me faire
Religieuse, à moins qu’un jour.
L’Himen ne suive nostre amour.
Cet Himen seroit bien mon conte,
N’en doutez point ; mais le moyen ?
Vous m’aimez trop pour vouloir rien
Qui me pust causer de la honte.
Tels et tels m’ont fait demander ;
Mon pere est prest de m’accorder.

Moy, je vous permets d’esperer
Qu’à qui que ce soit qu’on m’engage,
Soit Conseiller, soit President,
Soit veille ou jour de Mariage,
Je seray vostre auparavant,
Et vous aurez mon Pucelage.
Le garçon la remercia
Comme il put. A huit jours de là,
Il s’offre un party d’importance.
La Belle dit a son amy :
Tenons-nous-en à celuy-cy ;
Car il est homme, que je pense,
A passer la chose au gros sas.
La Belle en estant sur ce cas,
On la promet ; on la commence ;
Le jour des Noces se tient prest.
Entendez cecy, s’il vous plaist.
Je pense voir vostre pensée,
Sur ce mot-là de commencée.
C’estoit alors, sans point d’abus,
Fille promise et rien de plus.
Huit jours donnez à la Fiancée,
Comme elle apprehendoit encor
Quelque rupture en cet accord,
Elle differe le negoce
Jusqu’au propre jour de la noce ;
De peur de certain accident
Qui les filletes va perdant.
On meine au moustier cependant
Nostre Galande encor pucelle ;
Le ouy fut dit à la chandelle.
L’Epoux voulut avec la Belle
S’en aller coucher au retour.
Elle demande encor ce jour,
Et ne l’obtient qu’avecque peine ;
Il falut pourtant y passer.
Comme l’Aurore estoit prochaine,
L’Epouse, au lieu de se coucher,

S’habille. On eust dit une Reine.
Rien ne manquoit aux vestemens,
Perles, joyaux et diamans.
Son Epousé la faisoit Dame.
Son amy pour la faire femme
Prend heure avec elle au matin.
Ils devoient aller au jardin,
Dans un bois propre à telle affaire.
Une compagne y devoit faire
Le guet autour de nos Amans,
Compagne instruite du mystere.
La Belle s’y rend la premiere,
Sous le pretexte d’aller faire
Un bouquet, dit-elle à ses gens.
Nicaise, aprés quelques momens,
La va trouver ; et le bon Sire,
Voyant le lieu, se met à dire :
Qu’il fait icy d’humidité !
Foin, vostre habit sera gasté.
Il est beau ; ce seroit dommage ;
Souffrez sans tarder davantage
Que j’aille querir un tapis.
Eh ! mon Dieu laissons les habits ;
Dit la Belle toute-piquée.
Je diray que je suis tombée.
Pour la perte, n’y songez point :
Quand on a temps si fort à poinct,
Il en faut user ; et périssent
Tous les vestemens du païs ;
Que plustost tous les beaux habits
Soient gastez, et qu’ils se salissent,
Que d’aller ainsi consumer
Un quart-d’heure ; un quart-d’heure est cher :
Tandis que tous les gens agissent
Pour ma noce, il ne tient qu’à vous
D’employer des momens si doux.
Ce que je dis ne me sied guere :
Mais je vous cheris, et vous veux.

Rendre honneste homme si je peux.
En verité, dit l’Amoureux
Conserver estoffe si chere
Ne sera point mal fait à nous.
Je cours ; c’est-fait ; je suis à vous ;
Deux minutes feront l’affaire.
Là-dessus il part, sans laisser
Le temps de luy rien repliquer.
Sa sottise guerit la Dame ;
Un tel dédain luy vint en l’ame,
Qu’elle reprit dés ce moment
Son cœur, que trop indignement
Elle avoit placé : quelle honte !
Prince des sots, dit-elle en soy,
Va, je n’ay nul regret de toy :
Tout autre eust esté mieux mon compte.
Mon bon Ange a consideré
Que tu n’avois pas merité
Une faveur si precieuse.
Je ne veux plus estre amoureuse
Que de mon mary ; j’en fais vœu.
Et de peur qu’un reste de feu
A le trahir ne me rengage,
Je vais sans tarder davantage,
Luy porter un bien qu’il auroit
Quand Nicaise en son lieu seroit.
A ces mots, la pauvre Epousée
Sort du bois fort scandalisée.
L’autre revient ; et son tapis :
Mais ce n’est plus comme jadis
Amans, la bonne heure ne sonne
A toutes les heures du jour.
J’ay leu dans l’Alphabet d’Amour
Qu’un Galand prés d’une personne
N’a toûjours le temps comme il veut :
Qu’il le prenne donc comme il peut.
Tous delays y font du dommage :
Nicaise en est un témoignage.

Fort essoufflé d’avoir couru,
Et joyeux de telle proüesse,
Il s’en revient, bien resolu
D’employer tapis et Maistresse :
Mais quoy, la Dame au bel habit,
Mordant ses lèvres de dépit,
Retournoit voir la compagnie[22] ;
Et, de sa flame bien guerie,
Possible alloit dans ce moment,
Pour se venger de son Amant,
Porter à son mary la chose
Qui luy causoit ce dépit-là.
Quelle chose ? C’est celle-là
que fille dit toûjours qu’elle a.
Je le crois ; mais d’en mettre ja
Mon doit au feu, ma foy je n’ose :
Ce que je sçay, c’est qu’en tel cas
Fille qui ment ne peche pas.
Grace à Nicaise nostre Belle,
Ayant sa fleur en dépit d’elle,
S’en retournoit tout en grondant ;
Quand Nicaise, la rencontrant :
A quoy tient, dit-il à la Dame,
Que vous ne m’ayez attendu ?
Sur ce tapis bien étendu
Vous seriez en peu d’heure femme.
Retournons donc sans consulter ;
Venez cesser d’estre pucelle,
Puis que je puis sans rien gaster
Vous témoigner quel est mon zele.
Non pas cela, reprit la Belle ;
Mon pucelage dit qu’il faut
Remettre l’affaire à tantost.
J’aime vostre santé, Nicaise,
Et vous conseille auparavant

De reprendre un peu vostre vent.
Or, respirez tout à vostre aise.
Vous estes apprenty Marchand ;
Faites-vous apprenty Galand :
Vous n’y serez pas si-tost Maistre.
A mon égard, je ne puis estre
Vostre Maistresse en ce mestier.
Sire Nicaise, il vous faut prendre
Quelque servante du quartier.
Vous sçavez des estoffes vendre,
Et leur prix en perfection ;
Mais ce que vaut l’occasion
Vous l’ignorez, allez l’apprendre.



VIII. — LE BAST.


Un peintre estoit, qui, jaloux de sa femme,
Allant aux Champs lui peignit un baudet
Sur le nombril, en guise de cachet.
Un sien confrere, amoureux de la Dame,
La va trouver, et l’asne efface net ;
Dieu sçait comment ; puis un autre en remet
Au mesme endroit, ainsi que l’on peut croire.
A celuy-cy, par faute de memoire,
Il mit un Bast ; l’autre n’en avait point.
L’Epoux revient, veut s’éclaircir du poinct.
Voyez, mon fils, dit la bonne commere,
L’asne est témoin de ma fidelité.
Diantre soit fait, dit l’Epoux en colere
Et du témoin, et de qui l’a basté.


IX. — LE BAISER RENDU.


Guillot passoit avec sa mariée.
Un Gentilhomme à son gré la trouvant :
Qui t’a, dit-il, donné telle Epousée ?
Que je la baise à la charge d’autant.
Bien volontiers, dit Guillot à l’instant.
Elle est, Monsieur, fort à vostre service.
Le Monsieur donc fait alors son office,
En appuyant ; Perronnelle en rougit.
Huit jours aprés, ce Gentilhomme prit
Femme à son tour : à Guillot il permit
Mesme faveur. Guillot tout plein de zele :
Puisque Monsieur, dit-il, est si fidele,
J’ay grand regret, et je suis bien fâché
Qu’ayant baisé seulement Perronnelle,
Il n’ait encore avec elle couché.



X. — EPIGRAMME [23].


Alis malade, et se sentant presser,
Quelqu’un luy dit : Il faut se confesser ;
Voulez-vous pas mettre en repos vostre ame ?
Oüy, je le veux, luy répondit la Dame :
Qu’à Pere André l’on aille de ce pas ;
Car il entend d’ordinaire mon cas.
Un Messager y court en diligence ;

Sonne au Convent de toute sa puissance.
Qui venez-vous demander ? luy dit-on.
C’est Pere André, celuy qui d’ordinaire
Entend Alis dans sa confession :
Vous demandez, reprit alors un Frere,
Le Pere André, le Confesseur d’Alis ?
Il est bien loin : helas ! le pauvre Pere
Depuis dix ans confesse en Paradis.



XI. — IMITATION D’ANACRÉON [24]


O toy qui peins d’une façon galante,
Maistre passé dans Cytere et Paphos,
Fais un effort ; peins-nous Iris absente.
Tu n’as point veu cette beauté charmante,
Me diras-tu : tant mieux pour ton repos.
Je m’en vais donc t’instruire en peu de mots.
Premierement, mets des lys et des roses ;
Aprés cela des Amours et des Ris.
Mais à quoy bon le détail de ces choses ?
D’une Venus tu peux faire une Iris.
Nul ne sçauroit découvrir le mystere :
Traits si pareils jamais ne se sont veus ;
Et tu pourras à Paphos et Citere
De cette Iris refaire une Venus.


XII. — AUTRE IMITATION D’ANACRÉON [25].


J’estois couché mollement,
Et, contre mon ordinaire,
Je dormois tranquillement,
Quand un enfant s’en vint faire
A ma porte quelque bruit.
Il pleuvoit fort cette nuit ;
Le vent, le froid, et l’orage
Contre l’enfant faisoient rage.
Ouvrez, dit-il, je suis nu.
Moy, charitable et bon homme,
J’ouvre au pauvre morfondu,
Et m’enquiers comme il se nomme,
Je te le diray tantost,
Repartit-il ; car il faut
Qu’auparavant je m’essuye.
J’allume aussi-tost du feu.
Il regarde si la pluye
N’a point gasté quelque peu
Un arc dont je me méfie.
Je m’aproche toutefois,
Et de l’enfant prends les doigts,
Les réchauffe ; et dans moy-mesme
Je dis : Pourquoy craindre tant ?
Que peut-il ? c’est un enfant :
Ma coüardise est extreme
D’avoir eu le moindre effroy ;
Que seroit-ce si chez moy

J’avois receu Polyphême ?
L’enfant, d’un air enjoué,
Ayant un peu secoüé
Les pieces de son armure,
Et sa blonde chevelure,
Prend un trait, un trait vainqueur,
Qu’il me lance au fond du cœur.
Voila, dit-il, pour ta peine.
Souviens-toy bien de Climene
Et de l’Amour ; c’est mon nom.
Ah ! je vous connois, luy dis-je,
Ingrat et cruel garçon ;
Faut-il que qui vous oblige
Soit traité de la façon ?
Amour fit une gambade ;
Et le petit scelerat
Me dit : Pauvre camarade,
Mon arc est en bon estat ;
Mais ton cœur est bien malade.



XIII. — LE PETIT CHIEN


QUI SECOUE DE L’ARGENT ET DES PIERRERIES.


La clef du coffre fort et des cœurs, c’est la mesme
Que si ce n’est celle des cœurs,
C’est du moins celle des faveurs :
Amour doit à ce stratagême
La plus grand’part de ses exploits :
A-t-il épuisé son carquois,
Il met tout son salut en ce charme suprême.
Je tiens qu’il a raison ; car qui hait les presens ?
Tous les humains en sont friands,

Princes, Roys, Magistrats : ainsi quand une belle
En croira l’usage permis,
quand Venus ne fera que ce que fait Themis,
Je ne m’écrieray pas contre-elle.
On a bien plus d’une querelle
A luy faire sans celle-là,
Un Juge Mantoüan belle femme épousa.
Il s’appelloit Anselme ; on la nommoit Argie ;
Luy déja vieux barbon, elle jeune et jolie,
Et de tous charmes assortie.
L’Epoux, non content de cela,
Fit si bien par sa jalousie,
Qu’il rehaussa de prix celle-là qui d’ailleurs
Meritoit de se voir servie
Par les plus beaux et les meilleurs.
Elle le fut aussi : d’en dire la maniere,
Et comment s’y prit chaque Amant,
Il seroit long ; suffit que cet objet charmant
Les laissa soûpirer, et ne s’en emût guere.
Amour établissoit chez le Juge ses loix ;
Quand l’Estat Mantoüan, pour chose de grand poids,
Resolut d’envoyer ambassade au Saint Pere.
Comme Anselme estoit Juge, et de plus Magistrat,
Vivoit avec assez d’éclat ;
Et ne manquoit pas de prudence,
On le députe en diligence.
Ce ne fut pas sans resister,
Qu’au choix qu’on fit de luy consentit le bon homme :
L’affaire estoit longue à traiter ;
Il devoit demeurer dans Rome
Six mois, et plus encor ; que sçavoit-il combien ?
Tant d’honneur pouvoit nuire au conjugal lien :
Longue ambassade et long voyage
Aboutissent à cocüage.
Dans cette crainte, nostre Epoux
Fit cette harangue à la Belle.
On nous sépare, Argie ; adieu, soyez fidele
A celuy qui n’aime que vous.

Jurez le moy : car, entre-nous,
J’ay sujet d’estre un peu jaloux.
Que fait autour de nostre porte
Cette soûpirante cohorte ?
Vous me direz que jusqu’icy
La cohorte a mal reüssi :
Je le crois ; cependant, pour plus grande assurance,
Je vous conseille en mon absence
De prendre pour séjour nôtre maison des champs.
Fuyez la Ville et les Amans,
Et leurs presens ;
L’invention en est damnable ;
Des machines d’Amour c’est la plus redoutable :
De tout temps le monde a veu Don
Estre le pere d’abandon.
Declarez-luy la guerre ; et soyez sourde, Argie,
A sa sœur cajolerie.
Dés que vous sentirez approcher les blondins,
Fermez vite vos yeux, vos oreilles, vos mains.
Rien ne vous manquera ; je vous fais la maistresse
De tout ce que le Ciel m’a donné de richesse :
Tenez, voila les clefs de l’argent, des papiers ;
Faites-vous payer des fermiers ;
Je ne vous demande aucun conte :
Suffit que je puisse sans honte
Aprendre vos plaisirs ; je vous les permets tous,
Hors ceux d’amour, qu’à vostre Epoux
Vous garderez entiers pour son retour de Rome :
C’en estoit trop pour le bon homme ;
Helas ! il permettoit tous plaisirs, hors un point
Sans lequel seul il n’en est point.
Son Epouse luy fit promesse solemnelle
D’estre sourde, aveugle, et cruelle,
Et de ne prendre aucun present ;
Il la retrouveroit au retour route telle
qu’il la laissoit en s’en allant,
Sans nul vestige de Galant.
Anselme estant party, tout aussi-tost Argie

S’en alla demeurer aux champs ;
Et tout aussi-tost les Amans
De l’aller voir firent partie.
Elle les renvoya ; ces gens l’embarrassoient,
L’atiedissoient, l’affadissoient,
L’endormoient en contant leur flame :
Ils déplaisoient tous à la Dame,
Hormis certain jeune blondin,
Bienfait, et beau par excellence,
Mais qui ne put par sa souffrance
Amener à son but cet objet inhumain.
Son nom c’estoit Atis, son mestier paladin.
Il ne plaignit en son dessein
Ny les soûpirs ny la dépense.
Tout moyen par luy fut tenté :
Encor si des soûpirs il se fut contenté !
La source en est inépuisable ;
Mais de la dépense, c’est trop.
Le bien de nostre Amant s’en va le grand galop ;
Voila mon homme miserable.
Que fait-il ? il s’éclipse ; il part, il va chercher
Quelque desert pour se cacher.
En chemin il rencontre un homme,
Un Manant, qui, foüillant avecque son bâton,
Vouloit faire sortir un serpent d’un buisson ;
Atis s’enquit de la raison.
C’est, reprit le Manant, afin que je l’assomme.
Quand j’en rencontre sur mes pas,
Je leur fais de pareilles festes.
Amy, reprit Atis, laisse-le ; n’est-il pas
Creature de Dieu comme les autres bestes ?
Il est à remarquer que nostre Paladin
N’avoit pas cette horreur commune au genre humain
Contre la gent reptile, et toute son espece ;
Dans ses armes il en portoit,
Et de Cadmus il descendoit,
Celuy-là qui devint serpent sur sa vieillesse.
Force fut au Manant de quitter son dessein.

Le serpent se sauva ; nostre Amant à la fin
S’establit dans un bois écarté, solitaire :
Le silence y faisoit sa demeure ordinaire,
Hors quelque oiseau qu’on entendoit,
Et quelque Echo qui répondoit.
Là le bon-heur et la misere
Ne se distinguoient point, égaux en dignité
Chez les 1oups qu’hébergeoit ce lieu peu frequenté.
Atis n’y rencontra nulle tranquillité.
Son amour l’y suivit ; et cette solitude,
Bien loin d’estre un remede à son inquietude,
En devint mesme l’aliment,
Par le loisir qu’il eut d’y plaindre son tourment.
Il s’ennuya bien-tost de ne plus voir sa Belle.
Retournons, ce dit-il, puis que c’est nostre sort :
Atis, il t’est plus doux encor
De la voir ingrate et cruelle,
Que d’estre privé de ses traits :
Adieu ruisseaux, ombrages frais,
Chants amoureux de Philomele ;
Mon inhumaine seule attire à soy mes sens :
Esloigné de ses yeux, je ne vois ny n’entends.
L’esclave fugitif se va remettre encore
En ses fers, quoy que durs, mais, helas ! trop cheris.
Il approchoit des murs qu’une Fee a bastis ;
Quand sur les bords du Mince, à l’heure que l’Aurore
Commence à s’eloigner du sejour de Thetis,
Une Nimphe en habit de Reine,
Belle, majestueuse, et d’un regard charmant ;
Vint s’offrir tout d’un coup aux yeux du pauvre Amant
Qui resvoit alors à sa peine.
Je veux, dit-elle, Atis, que vous soyez heureux :
Je le veux, je le puis, estant Manto la Fée,
Vostre amie et vostre obligée.
Vous connoissez ce nom fameux.
Mantouë en tient le sien : jadis en cette terre,
J’ay posé la premiere pierre
De ces murs, en durée égaux aux bastimens

Dont Menphis void le Nil laver les fondemens.
La Parque est inconnuë à toutes mes pareilles :
Nous operons mille merveilles ;
Mal-heureuses pourtant de ne pouvoir mourir ;
Car nous sommes d’ailleurs capables de souffrir
Toute infirmité de la nature humaine :
Nous devenons serpens un jour de la semaine.
Vous souvient-il qu’en ce lieu-cy
Vous en tirastes un de peine ?
C’estoit moy, qu’un Manant s’en alloit assommer ;
Vous me donnastes assistance :
Atis, je veux, pour recompense,
Vous procurer la joüissance
De celle qui vous fait aimer.
Allons-nous-en la voir, je vous donne assurance
Qu’avant qu’il soit deux jours de temps
Vous gagnerez par vos presens
Argie et tous ses surveillans.
Dépensez, dissipez, donnez à tout le monde,
A pleines mains répandez l’or,
Vous n’en manquerez point, c’est pour vous le tresor
Que Lucifer me garde en sa grote profonde.
Vostre Belle sçaura quel est nostre pouvoir.
Mesme, pour m’approcher de cette inexorable,
Et vous la rendre favorable,
En petit chien vous m’allez
Faisant mile tours sur l’herbette ;
Et vous, en pelerin joüant de la musette,
Me pourrez à ce son mener chez la beauté
Qui tient vostre cœur enchanté.
Aussi-tost fait que dit ; nostre Amant et la Fée
Changent de forme en un instant :
Le voila pelerin chantant comme un Orphée,
Et Manto petit chien faisant tours et sautant.
Ils vont au Chasteau de la Belle.
Valets et gens du lieu s’assemblent autour d’eux :
Le petit chien fait rage, aussi fait l’amoureux ;
Chacun danse, et Guillot fait sauter Perronnelle.

Madame entend ce bruit, et sa Nourrice y court.
On luy dit qu’elle vienne admirer à son tour
Le Roy des épagneux, charmante creature,
Et vray miracle de nature.
Il entend tout, il parle, il danse, il fait cent tours :
Madame en fera ses amours ;
Car, veuille ou non son Maistre, il faut qu’il le luy vende,
S’il n’aime mieux le luy donner.
La Nourrice en fait la demande.
Le Pelerin, sans tant tourner,
Luy dit tout bas le prix qu’il veut mettre à la chose ;
Et voicy ce qu’il luy propose :
Mon chien n’est point à vendre, à donner encor moins,
Il fournit à tous mes besoins :
Je n’ay qu’à dire trois paroles,
Sa pate entre mes mains fait tomber à l’instant,
Au lieu de puces, des pistoles,
Des perles, des rubis, avec maint diamant.
C’est un prodige enfin ; Madame cependant
En a, comme on dit, la monnoye.
Pourveu que j’aye cette joye
De coucher avec elle une nuit seulement,
Favory sera sien dés le mesme moment.
La proposition surprit fort la Nourrice.
Quoy ! Madame l’Ambassadrice !
Un simple Pelerin ! Madame à son chevet
Pourroit voir un bourdon ! Et si l’on le sçavoit !
Si cette mesme nuit quelque Hospital avoit
Hebergé le Chien et son Maistre !
Mais ce Maistre est bienfait, et beau comme le jour ;
Cela fait passer en Amour ;
Quelque bourdon que ce puisse estre.
Atis avoit changé de visage et de traits ;
On ne le connut pas, c’estoient d’autres attraits.
La Nourrice ajoustoit : A gens de cette mine
Comment peut-on refuser rien ?
Puis celuy-cy possede un Chien
Que le Royaume de la Chine

Ne payeroit pas de tout son or :
Une nuit de Madame aussi c’est un tresor.
J’avois oublié de vous dire
Que le drole à son Chien feignit de parler bas :
Il tombe auss-tost dix ducats
Qu’à la Nourrice offre le Sire.
Il tombe encore un diamant :
Atis en riant le ramasse.
C’est, dit-il, pour Madame ; obligez-moy, de grace,
De le luy presenter avec mon compliment.
Vous direz à son Excellence
Que je luy suis acquis. La Nourrice à ces mots
Court annoncer en diligence
Le petit Chien et sa science,
Le Pelerin et son propos.
Il ne s’en falut rien qu’Argie
Ne batist sa Nourrice. Avoir l’effronterie
De luy mettre en l’esprit une telle infamie !
Avec qui ? Si c’estoit encor le pauyre Atis !
Helas ! mes cruautez sont cause de sa perte.
Il ne me proposa jamais de tels partis.
Je n’aurois pas d’un Roy cette chose soufferte ;
Quelque don que l’on pust m’offrir,
Et d’un porte-bourdon je la pourrois souffrir,
Moy qui suis une Ambassadrice !
Madame, reprit la Nourrice,
Quand vous seriez Imperatrice,
Je vous dis que ce Pelerin
A dequoy marchander, non pas une mortelle,
Mais la Deesse la plus belle.
Atis, vostre beau Paladin,
Ne vaut pas seulement un doigt du personnage.
Mais mon mary m’a fait jurer,
Eh quoy ? de luy garder la foy de mariage.
Bon jurer ? ce serment vous lie-t-il davantage
Que le premier n’a fait ? qui l’ira declarer ?
Qui le sçaura ? J’en vois marcher teste levée,
Qui n’iroient pas ainsi, j’ose vous l’assurer,

Si sur le bout du nez tache pouvoit montrer
Que telle chose est arrivée ;
Cela nous fait-il empirer
D’une ongle ou d’un cheveu ? Non, Madame, il faut estre
Bien habile pour reconnoistre
Bouche ayant employé son temps et ses appas
D’avec bouche qui s’est tenuë à ne rien faire ;
Donnez-vous, ne vous donnez pas,
Ce sera toûjours mesme affaire.
Pour qui mesnagez-vous les tresors de l’Amour ?
Pour celuy qui, je crois, ne s’en servira guere ;
Vous n’aurez pas grand’peine à fester son retour.
La fausse vieille sceut tant dire,
Que tout se reduisit seulement à douter
Des merveilles du Chien et des charmes du sire :
Pour cela l’on les fit monter :
La Belle estoit au lit encore.
L’Univers n’eut jamais d’aurore
Plus paresseuse à se lever.
Nostre feint Pelerin traversa la ruelle
Comme un homme ayant veu d’autres gens que des Saints
Son compliment parut galand et des plus fins :
Il surprit et charma la Belle.
Vous n’avez pas, ce luy dit-elle,
La mine de vous en aller
A S. Jacques de Compostelle.
Cependant, pour la regaler,
Le Chien a son tour entre en lice.
On eust veu sauter Favory
Pour la Dame et pour la Nourrice,
Mais point du tout pour le Mary.
Ce n’est pas tout ; il se secouë :
Aussi-tost perles de tomber,
Nourrice de les ramasser,
Soubrettes de les enfiler,
Pelerin de les attacher
A de certains bras dont il louë
La blancheur et le reste. Enfin il fait si bien,

Qu’avant que partir de la place
On traite avec luy de son Chien.
On luy donne un baiser pour arrhes de la grace
Qu’il demandoit, et la nuit vint.
Aussi-tost que le drosle tint
Entre ses bras Madame Argie,
Il redevint Atis ; la Dame en fut ravie ;
C’estoit avec bien plus d’honneur
Traiter Monsieur l’Ambassadeur.
Cette nuit eut des sœurs, et mesme en trés-bon nombre.
Chacun s’en apperceut ; car d’enfermer sous l’ombre
Une telle aise, le moyen ?
Jeunes gens font-ils jamais rien
Que le plus aveugle ne voye ?
A quelques mois de là, le S. Pere renvoye
Anselme avec force Pardons,
Et beaucoup d’autres menus dons.
Les biens et les honneurs pleuvoient sur sa personne.
De son vicegerent il apprend tous les soins :
Bons certificats des voisins ;
Pour les Valets, nul ne luy donne
D’éclaircissement sur cela,
Monsieur le Juge interrogea
La Nourrice avec les Soubrettes,
Sages personnes et discretes ;
Il n’en put tirer ce secret :
Mais, comme parmy les femelles
Volontiers le Diable se met,
Il survint de telles querelles,
La Dame et la Nourrice eurent de tels debats,
Que celle-cy ne manqua pas
A se venger de l’autre, et declarer l’affaire.
Deust-elle aussi se perdre, il falut tout conter.
D’exprimer jusqu’où la colere
Ou plûtost la fureur de l’Epoux put monter,
Je ne tiens pas qu’il soit possible ;
Ainsi je m’en tairay : on peut par les effets
Juger combien Anselme estoit homme sensible.

Il choisit un de ses Valets,
Le charge d’un billet, et mande que Madame
Vienne voir son Mary malade en ta Cité.
La Belle n’avoit point son Village quitté :
L’époux alloit, venoit, et laissoit là sa femme.
Il te faut en chemin écarter tous ses gens,
Dit Anselme au porteur de ces ordres pressans ;
La perfide a couvert mon front d’ignominie :
Pour satisfaction je veux avoir sa vie.
Poignarde-la ; mais prends ton temps :
Tasche de te sauver : voila pour ta retraite ;
Prend cet or : si tu fais ce qu’Anselme souhaite,
Et punis cette offense-là,
Quelque part que tu sois, rien ne te manquera.
Le valet va trouver Argie,
Qui par son Chien est avertie.
Si vous me demandez comme un Chien avertit,
Je crois que par la jupe il tire ;
Il se plaint, il jappe, il soûpire,
Il en veut à chacun ; pour peu qu’on ait d’esprit,
On entend bien ce qu’il veut dire.
Favory fit bien plus ; et tout bas il apprit
Un tel peril à sa Maistresse.
Partez pourtant, dit-il, on ne vous fera rien :
Reposez-vous sur moy ; j’en empescheray bien
Ce valet à l’ame traistresse.
Ils estoient en chemin, prés d’un bois qui servoit
Souvent aux voleurs de refuge :
Le Ministre cruel des vengeances du Juge
Envoye un peu devant le train qui les suivoit ;
Puis il dit l’ordre qu’il avoit.
La Dame disparoist aux yeux du personnage :
Manto la cache en un nüage.
Le valet estonné retourne vers l’Epoux,
Luy conte le miracle ; et son Maistre en courroux
Va luy-mesme à l’endroit. O prodige ! ô merveille !
Il y trouve un Palais de beauté sans pareille :
Une heure auparavant c’estoit un champ tout nu.

Anselme, à son tour éperdu,
Admire ce Palais basty non pour des hommes,
Mais apparamment pour des Dieux :
Appartemens dorez, meubles trés-precieux,
Jardins et bois delicieux ;
On auroit peine à voir, en ce siecle où nous sommes,
Chose si magnifique et si riante aux yeux.
Toutes les portes sont ouvertes ;
Les chambres sans hoste et desertes ;
Pas une ame en ce Louvre ; excepté qu’à la fin
Un More trés-lippu, trés-hideux, trés-vilain,
S’offre aux regards du Juge, et semble la copie
D’un Esope d’Ethiopie.
Nostre Magistrat l’ayant pris
Pour le Balayeur du logis,
Et croyant l’honorer luy donnant cet office :
Cher amy, luy dit-il, apprend-nous à quel Dieu
Appartient un tel edifice ;
Car de dire un Roy, c’est trop peu.
Il est à moy, reprit le More.
Nostre Juge à ces mots se prosterne, l’adore,
Luy demande pardon de sa temerité.
Seigneur, ajousta-t-il, que vostre Deïté
Excuse un peu mon ignorance.
Certe, tout l’Univers ne vaut pas la chevance
Que je rencontre icy. Le More luy répond :
Veux-tu que je t’en fasse un don ?
De ces lieux enchantez je te rendray le Maistre,
A certaine condition.
Je ne ris point ; tu pourras estre
De ces lieux absolu Seigneur,
Si tu me veux servir deux jours d’enfant d’honneur.
…. Entends-tu ce langage ?
Et sçais-tu quel est cet usage ?
Il te le faut expliquer mieux.
Tu connois l’Echanson du Monarque des Dieux ?

Anselme.
Ganimede ?

Le More.
Celuy-là mesme.
Prend que je sois Jupin le Monarque suprême,
Et que tu sois le Jouvenceau :
Tu n’es pas tout-à-fait si jeune ny si beau.
Anselme.
Ah Seigneur, vous raillez, c’est chose par trop sure :
Regardez la vieillesse, et la magistrature.
Le More.
Moy railler ? point du tout.
Anselme.
Seigneur.
Le More.
Ne veux-tu point ?
Anselme.
Seigneur… Anselme ayant examiné ce point
Consent à la fin au mystere.
Maudit amour des dons, que ne fais-tu pas faire !
En Page incontinent son habit est changé :
Toque au lieu de chapeau, haut-de-chausse troussé.
La barbe seulement demeure au personnage.
L’enfant d’honneur Anselme avec cet équipage
Suit le More par tout. Argie avoit oüy
Le Dialogue entier, en certain coin cachée.
Pour le More lippu, c’estoit Manto la Fée,
Par son art métamorphosée,
Et par son art ayant basty
Ce Louvre en un moment ; par son art fait un Page
Sexagenaire et grave. A la fin au passage
D’une chambre à une autre, Argie à son mary
Se montre tout d’un coup : Est-ce Anselme, dit-elle,
Que je vois ainsi déguisé ?
Anselme ? il ne se peut ; mon œil est abusé.
Le vertueux Anselme à la sage cervelle
Me voudroit-il donner une telle leçon ?

C’est luy pourtant. Oh ! oh ! Monsieur nostre barbon,
Nostre Legislateur, nostre homme d’ambassade,
Vous estes à cet âge homme de mascarade ?
Homme de ? la pudeur me défend d’achever.
Quoy ! vous jugez les gens à mort pour mon affaire
Vous qu’Argie a pensé trouver
En un fort plaisant adultere !
Du moins n’ay-je pas pris un More pour Galant :
Tout me rend excusable, Atis, et son merite,
Et la qualité du present.
Vous verrez tout incontinent
Si femme qu’un tel don à l’amour solicite
Peut resister un seul moment.
More, devenez Chien. Tout aussi-tost le More
Redevient petit Chien encore.
Favory, que l’on danse ; à ces mots Favory
Danse, et tend la pate au mary.
Qu’on fasse tomber des pistoles ;
Pistoles tombent à foison :
Eh bien, qu’en dites-vous ? sont-ce choses frivoles ?
C’est de ce Chien qu’on m’a fait don.
Il a basty cette maison.
Puis faites-moy trouver au monde une Excellence,
Une Altesse, une Majesté,
Qui refuse sa joüissance
A dons de cette qualité,
Sur tout quand le donneur est bienfait et qu’il aime,
Et qu’il merite d’estre aimé.
En eschange du Chien, l’on me vouloit moy-mesme ;
Ce que vous possedez de trop, je l’ay donné,
Bien entendu, Monsieur ; suis-je chose si chere ?
Vrayment vous me croiriez bien pauvre ménagere
Si je laissois aller tel Chien à ce prix-là.
Sçavez-vous qu’il a fait le Louvre que voila ?
Le Louvre pour lequel… Mais oublions cela ;
Et n’ordonnez plus qu’on me tuë,
Moy qu’Atis seulement en ses laqs a fait cheoir ;
Je le donne à Lucrece, et voudrois bien la voir

Des mesmes armes combatuë.
Touchez-là, mon mary ; la paix ; car aussi bien
Je vous défie ayant ce Chien :
Le fer ny le poison pour moy ne sont à craindre :
Il m’avertit de tout ; il confond les jaloux ;
Ne le soyez donc point ; plus on veut nous contraindre,
Moins on doit s’assurer de nous.
Anselme accorda tout : qu’eust fait le pauvre Sire ?
On luy promit de ne pas dire
Qu’il’ avoit esté Page. Un tel cas estant teu,
Cocüage, s’il eust voulu,
Auroit eu ses franches coudées.
Argie en rendit grace : et compensations
D’une et d’autre part accordées,
On quitta la campagne à ces conditions.
Que devint le Palais ? dira quelque critique.
Le Palais ? que m’importe ? il devint ce qu’il put.
A moy ces questions ! suis-je homme qui se pique
D’estre si regulier ? Le Palais disparut.
Et le Chien ? le Chien fit ce que l’Amant voulut.
Mais que voulut l’Amant ? Censeur, tu m’importunes.
Il voulut par ce Chien tenter d’autres fortunes.
D’une seule conqueste est-on jamais content ?
Favory se perdoit souvent :
Mais chez sa premiere Maistresse
Il revenoit toûjours. Pour elle, sa tendresse
Devint bonne amitié. Sur ce pied, nostre Amant
L’alloit voir fort assidument :
Et mesme en l’accommodement
Argie à son Epoux fit un serment sincere
De n’avoir plus aucune affaire.
L’Epoux jura de son costé
Qu’il n’auroit plus aucun ombrage,
Et qu’il vouloit estre foüetté
Si jamais on le voyoit Page.




  1. Publiée en 1671.
  2. Decameron, giornata IV, dans le préambule.
  3. Edition de 1685 :
    Ne pourroit-on point te connoistre ?
  4. D’une comédie intitulée : Mandragola.
  5. Molière a dit, l’année suivante dans les Femmes
    savantes, acte I, sc. 3 :
    Un Amant fait sa Cour où s’attache son cœur ;
    Il veut de tout le Monde y gagner la faveur,
    Et, pour n’avoir personne à sa flame contraire,
    Jusqu’au Chien du Logis il s’efforce de plaire.
  6. Ainsi dans l’édition de 1671,Mogol, dans celle de 1685.
  7. Orlando furioso, canto XLII-XLIII. -- Jean Sambix, libraire à Leyde, publia en 1669 un long fragment de La Coupe enchantée ; La Fontaine le donna à son tour au public, dans le courant de la même année, à la suite des deux premières parties des Contes ; c’est seulement en 1671? que cette nouvelle parut complète à la place qu’elle occupe ici.
  8. Edition publiée en 1669 par J. Sambix :
      Et vous pourriez avoir cent Mignonnes en ville.
  9. La Fontaine a supprimé ici les quatre vers suivants, qu’on lit dans les éditions de 1669 :
    Soit par affection, soit pour joüer d’un tour
    A des collateraux, nation affamée,
    Qui des escus de l’homme ayant eu la fumée,
    Luy faisoit reglement sa Cour.
  10. Dans les éditions de 1669, on lit, au lieu de ces quatre derniers vers, les onze qui suivent :
    Pour venir à ce que j’ay dit,
    Il n’est herbe, ny racine,
    Pillule, ny Medecine,
    Philtre, charme, ny brevet,
    Dont nostre Amante en vain ne tentast le secret
    Et ne fist joüer la machine.
    Des filtres elle en vint aux regards languissans,
    Aux soûpirs, aux façons pleines d’affeterie :
    Quand les charmes sont impuissans,
    Il ne faut pas que de sa vie
    Une femme pretende ensorceler les sens.
  11. Edition publiée en 1669 par J. Sambix :
    Caliste en use, et luy rendra le change.
  12. Le fragment publié dans les éditions de 1669 se termine ainsi :

    Le feint Eraste en mesme temps
    Luy presente un miroir de poche ;
    Caliste s’y regarde, et le Galant s’approche.
    Il contemple, il admire, il leve au Ciel les yeux,
    Il fait tant qu’il attrape un soûris gracieux.
    Mauvais commencement, ce dit-il en soy-même,
    Hé bien ! poursuivit-il, quand d’un amour extrême
    On vous ayme,
    A-t-on raison ? je m’en rapporte à vous.
    Peut-on resister à ces charmes ?
     
    Caliste.
    On sçait bien, car comment ne pas devenir fous
    Quand vos cœurs ont affaire à de si fortes armes ?
    Sans mentir, Messieurs les Amans,
    Vous me semblez divertissans :
    J’aurois regret qu’on vous fist taire.
    Mais sçavez-vous que vostre encens
    Peut à la longue nous déplaire ?
     
    Le feint Eraste.
    Et pouvons-nous autrement faire ?
    Tenez, voyez encor ces traits.
     
    Caliste.
    Je les vois, je les considere,
    Je sçay quels ils sont, mais aprés ?
     
    Le feint Eraste.
    Aprés ? L’aprés est bon. Faut-il toûjours vous dire
    Qu’on brusle, qu’on languit, qu’on meurt sous vostre empire ?
     
    Caliste.
    Mon Dieu ! non, je le sçais, mais aprés ?
     
    Le feint Eraste.
    Il suffit.
    Et quand on est mort c’est tout dit.
    Caliste.
    Vous n’estes pas si mort que vos yeux ne remuent,
    Contenez-les, de grace, ou bien s’ils continuent,
    Je mettray mon Touret(*) de nés.
    (*)Espece de masque ancien. (Note des éditions de 1669.)
    Le feint Eraste.
    Vostre Touret de nés ? Gardez-vous de le faire.
    Caliste.
    Cessez donc et vous contenez.
    Le feint Eraste.
    Quoy ! deffendre les yeux ? c’est estre trop severe ;
    Passe encor pour les mains.
    Caliste.
    Ah ! pour les mains, je croy
    que vous riez.
    Le feint Eraste.
    Point trop.
    Caliste.
    C’est donc à moy
    De me garder.
    Le feint Eraste.
    Ma passion commence
    A se lasser de la longueur du temps.
    Si mon calcul est bon, voicy tantost deux ans
    Que je vous sers sans recompense.
    Caliste
    Quelle vous la faut-il ?
    Le feint Eraste.
    Tout, sans rien excepter.
    Caliste.
    Un remerciment donc ne vous peut contenter ?
    Le feint Eraste.
    Des remercimens ? bagatelles.
    Caliste.
    De l’amitié ?
    Le feint Eraste.
    Point de nouvelles.
    Caliste.
    De l’Amour ?
    Le feint Eraste.
    Bon ! cela. Mais je veux du plus fin,
    Qui me laisse avancer chemin
    En moins de deux ou trois visites,
    Moyennant quoy nous serons quites.
    Et si vous voulez mettre à prix cet amour-là,
    Je vous en donneray tout ce qui vous plaira ;
    Cette boëte de filigrane.
    Caliste.
    Le liberal Amant qu’est Eraste ! Voyez.
    Le feint Eraste.
    Madame, avant qu’on la condamne
    Il faut l’ouvrir ; peut estre vous croiez
    Qu’elle est vuide ?
    Caliste.
    Non pas ; ce sont des pierreries ?
    Le feint Eraste.
    Ouvrez, vous le verrez.
    Caliste.
    Tréve de railleries.
    Le feint Eraste.
    Moy, me railler ! ouvrez.
    Caliste.
    Et quand je l’aurois fait ?
    Je ne sçay qui me tient qu’avec un bon soufflet…
    Mais non, si jamais plus cette insolence extrême…
    Le feint Eraste.
    Je vois bien ce que c’est, il faut l’ouvrir moy-mesme.
    Disant ces mots, il l’ouvre, et, sans autre façon,
    Il tire de la boëte et d’entre du coton
    De ces appeaux à prendre Belles,
    Assez pour flêchir six Cruelles,
    Assez pour creer six Cocus,
    Un collier de vingt mille escus.
    Caliste n’estoit pas tellement en colere
    Qu’elle ne regardast ce don du coin de l’œil.
    Sa vertu, sa foy, son orgueil,
    Eurent peine à tenir contre un tel adversaire.
    Mais il ne faloit pas si tost changer de ton.
    Eraste, à qui Nerie avoit fait la leçon….

    Dans l’édition de Jean Sambix, on trouve ici l’avis suivant :

    Je ne vous aurois pas donné cette nouvelle imparfaite comme elle est, si je n’avois sceu de bonne part que son illustre auteur n’est pas dans le dessein de l’achever. Mais, en quelque estat qu’elle soit, vous devez toûjours m’en estre obligé, puisque son Prologue est tenu, par les plus éclairés, pour un chef-d’œuvre.

    La Fontaine, dans son édition de 1669, répond ainsi à cette note :
    Sans l’impression de Holande j’aurois attendu que cet ouvrage fust achevé avant que de le donner au public ; les fragmens de ce que je fais n’estant pas d’une telle consequence que je doive croire qu’on s’en soucie. En cela et en autre chose cette impression de Holande me fait plus d’honneur que je n’en mérite. J’aurois souhaité seulement que celuy qui s’en est donné le soin n’eust pas ajousté qu’il sçait de trés-bonne part que je laisseray cette Nouvelle sans l’achever. C’est ce que je ne me souviens pas d’avoir jamais dit, et qui est tellement contre mon intention que la premiere chose à quoy j’ay dessein de travailler, c’est cette Coupe enchantée.
  13. Ainsi dans l’édition de 1671, métal dans celle de 1685.
  14. En 1685 : Il reprit
  15. Decameron, giornata V, novella IX.
  16. Ainsi dans l’édition de 1671 ; métal dans celle de 1685.
  17. L’édition de 1671 porte charmantes, mais dans presque tous les exemplaires que j’ai vus la syllabe char a été effacée, et l’on a écrit au dessus : ay. Cette correction paroît être toujours de la même main, et a probablement été faite par La Fontaine.
  18. Decameron, giornata V, novella I.
  19. Edition de 1685 :
    Qui vous croiroit, reprit-il, demeurée ?
  20. Edition de 1685 :
    Il s’accommode et s’en fait un coussin.
  21. La Fontaine a expliqué ailleurs (page 30) ce qu’il laisse deviner ici :
    … Quand l’amour d’un et d’autre costé
    Veut s’entremettre, et prend part à l’affaire,
    Tout va bien mieux, comme m’ont asseuré
    Ceux que l’on tient sçavans en ce mystere.
  22. Edition de 1685 :
    Retournoit vers la compagnie.
  23. Dans l’édition de 1685 et dans les suivantes cette piece est intitulée : Alix malade
  24. Imitation des odes 28 et 29, (εἰς τήν ἑαυτοῦ ἑταίραν et εἰς βάθυλλον). Dans les éditions publiées par M. Walckenaer cette pièce est intitulée : Portrait d’Iris.
  25. Ode 3, (εἰς Ἔρωτα), pièce généralement connue sous le titre de : L’Amour mouillé. M. Walckenaer le luy a conservé dans ses éditions de La Fontaine.