Harmonies poétiques et religieuses/éd. 1860/Hymne du matin/Commentaire

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 263-264).
COMMENTAIRE

DE LA TROISIÈME HARMONIE



Cette Harmonie fut écrite à Montenero, comme la précédente, pendant une halte de toute une journée sous les chênes verts de ce beau cap. Elle fut notée sur les feuilles blanches d’une belle édition in-quarto de Pétrarque que je portais souvent avec moi. Au moment où je détachais ces feuilles, elles me furent enlevées par le vent violent du soir qui s’élève de Limone, et qui souffle par rafale à la mer. Elles tourbillonnèrent un moment au-dessus de moi, et retombèrent à mille pieds sous la concavité du cap. Je les crus englouties par les lames. Je les regrettai un moment, puis je retournai prendre mon cheval à la locanda, et je n’y pensai plus.

Le surlendemain, une jolie enfant à demi nue, fille d’un pauvre ramasseur de coquillages des faubourgs de Livourne, me les rapporta, toutes trempées de l’eau salée. Elle me dit que son père les avait trouvées surnageant sur l’écume au bas du cap de Montenero ; qu’il les avait fait lire aux capucins du couvent ; que les capucins, ne comprenant pas cette langue, avaient dit qu’il fallait reporter ces papiers au Français, à la villa Palmieri. Je remerciai la petite fille ; je lui donnai pour son père autant d’écus italiens qu’il y avait de pages, et pour elle une robe de cotonnade rayée de rouge, une chemise et des souliers. Elle s’en alla joyeuse et les mains pleines de figues, croyant sans doute qu’elle m’avait rapporté un trésor. Hélas ! ce n’était que des feuilles arrachées au vent de mer, et rejetées au vent du temps !