Harmonies poétiques et religieuses/éd. 1860/La Lampe du Temple/Commentaire

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 271-272).
COMMENTAIRE

DE LA QUATRIÈME HARMONIE



J’ai toujours aimé, non pas les ténèbres de l’homme, mais les ténèbres de Dieu : elles redoublent en nous le sentiment de la solitude. Or, la solitude avec Dieu, c’est la jouissance sans distraction de l’infini, c’est la conversation sans témoin avec ce qu’on adore. Aussi toutes les fois qu’un édifice marqué du signe de la Divinité, un temple en ruines au Parthénon, une colonne en tronçons au cap Sunium, un fronton de marbre jaune doré du soleil sur la croupe des montagnes d’Égine, une avenue de piliers dans le désert de Balbek, un ermitage de caloyer grec sur un rocher du Péloponèse, une abbaye démantelée dans les forêts de sapins du Jura ou du Bugey, une croix sur un chemin, frappent mes yeux, mon âme salue la seule grande pensée, la pensée de Dieu.

C’est sous l’impression de ce sentiment habituel chez moi que j’écrivis un soir ces vers. Il y avait dans les bois de Limone, près de Livourne, deux ou trois petits sanctuaires abandonnés par les ermites, mais où la piété des villageois voisins entretenait toujours une de ces lampes votives que les Italiennes allument jusque dans les maisons. Surpris un soir par la nuit en cherchant ma route, j’aperçus une de ces lueurs : je crus que c’était un foyer où je trouverais un asile ou un guide ; ce n’était qu’une de ces chapelles désertes. J’y entrai pour attendre la lune, qui ne devait pas tarder à se lever. Le feu a la vie et la parole comme l’eau, comme tous les éléments doués de mouvement ; voilà pourquoi les paysans disent que le feu tient compagnie. Il tient compagnie non-seulement à l’homme, mais à Dieu qui l’a créé : c’est pour cela sans doute qu’il fait partie de tous les cultes. Pendant que cette petite clarté vacillait au vent sur son huile d’or, dans son vase suspendu de cristal, je composai deux ou trois de ces strophes, et je bénis du cœur la main qui l’avait allumée.

La lune se leva, je repris mon sentier où j’achevai ces strophes à la clarté de la mer, en traversant la plaine qui s’étend entre les montagnes de Limone et la villa Palmieri.