Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 3/Secondes Harmonies poétiques et religieuses/Milly, ou la Terre natale/Commentaire

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 29-30).
COMMENTAIRE

DE LA DEUXIÈME HARMONIE



C’est dans les Confidences qu’on retrouvera tout ce qui concerne cette Harmonie. J’y ai oublié seulement un trait. Le voici ; il n’a d’intérêt qu’en famille.

Quand j’écrivis cette Harmonie, j’étais en Italie. Je l’envoyai à ma mère : elle vit que j’avais parlé d’un lierre qui tapissait, au nord, le mur humide et froid de la maison. C’était une erreur, le lierre n’existait pas ; il n’y avait que de la mousse, des vignes vierges, des pariétaires. Ma mère, qui était la sincérité jusqu’au scrupule, souffrit de ce petit mensonge poétique. Elle ne voulut pas que son fils eût menti, même pour donner une couleur de plus à un tableau imaginaire ; elle planta de ses propres mains un lierre à l’endroit où il manquait. Sans doute que Dieu bénit ce petit plant et que les pluies d’hiver l’arrosèrent, car, en peu d’années, il habilla complètement le mur. Ma mère mourut ; le lierre grandit toujours ; et maintenant il est devenu si vigoureux, si ramifié, si touffu, si usurpateur de toute la maison, qu’il fait une corniche verte et flottante au toit, et qu’il gêne les persiennes du côté du nord. Les étrangers et les paysans en coupent parfois des branches, en mémoire de ma mère ; mais il en repousse suffisamment pour couvrir tout un champ des morts.

En écrivant cette note, je ne puis m’empêcher de faire un triste retour sur les vicissitudes de la vie. Le lierre restera attaché à cette maison ; et les enfants seront forcés de la quitter pour jamais. Milly sera sans doute vendu dans peu de jours.

Chose étrange ! le jour où j’écris cette note (24 octobre 1849), j’ouvre un journal, et j’y lis ceci : « La Porte Ottomane fait une concession immense de terrain en Asie à M. de Lamartine, pour un établissement agricole. » Si cela est vrai, j’irai ; j’y bâtirai un toit, je l’appellerai Milly ; j’y emporterai un rejet de ce lierre, je le planterai dans ce sol, et je retrouverai dans ses feuilles cette séve des larmes du cœur de ma mère, le faux Simoïs de Virgile !