Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Seconde satyre

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Œuvres complètes de Théophile, Texte établi par Charles Alleaume de CugnonJannetTome 1 (p. 241-244).
SECONDE SATYRE.


Cognois-tu ce fascheux qui contre la fortune
Aboyé impudemment comme un chien à la lune.
Et qui voudroit, ce semble, en destourner le cours
Par l’importunité d’un outrageux discours ?
D’une sotte malice en son ame il s’afflige
Quand la faveur du roy ses favoris oblige.
Un homme dont le nom est à peine cogneu,
D’un pays estranger nouvellement venu,
Que la fortune aveugle, en promenant sa roue,
Tira sans y penser d’une ornière de boue,
Malgré toute l’envie au dessus du malheur,
D’un crédit insolent gourmande la valeur.
Et nous le permettons ! Et le François endure
Qu’à ses propres despens ceste grandeur luy dure !
Nos princes autrefois estoient bien plus hardis :
Où se cache aujourd’huy la vertu de jadis ?
Apprends, malicieux, comme tu sais mal vivre,

Qu’une fortune est d’or et que l’autre est de cuivre ;
Que le sort a des loix qu’on ne sçauroit forcer ;
Que son compas est droict, qu’on ne le peut fausser.
Nous venons tous du ciel pour posséder la terre,
La faveur s’ouvre aux uns, aux autres se resserre:
Une nécessité, que le ciel establit,
Deshonore les uns, les autres anoblit ;
Un ignoble souvent de riches biens hérite,
L’autre dans l’hospital est tout plein de mérite.
Pour trouver le meilleur, il faudroit bien choisir ;
Ne crois point que les Dieux soient si pleins de loisir.
Encor si chaque infâme estoit marqué d’un signe
Qui de toutes vertus le fit trouver indigne.
Les roys qui soubs les dieux disposent du bonheur,
Enrichiroient tousjours le mérite et l’honneur.
Que si l’ame des dieux est la mesme justice,
Qu’elle ayme la vertu, qu’elle abhorre le vice[1],
Les roys, qui sont leurs fils et lieutenans icy,
Peuvent juger des bons et des mauvais aussi ;
Et, sans flater mon roy, je trouve bien estrange
Qu’un vulgaire ignorant et tiré de la fange
Contre sa majesté se monstre injurieux,
Dessus ses actions portant l’œil curieux.
Quant à moy, je repute une faveur bien mise
Envers le plus chetif que le roy favorise ;
Quoy que tousjours bien pauvre et tousjours dédaigné,
Sur mon esprit l’envie encor n’a rien gaigné.
Qu’un homme de trois jours de soye et d’or se couvre,
Du bruit de sa carrosse importune le Louvre;
Qu’un estranger heureux se mocque des François,
Qu’il ait mille suivans, pourveu que je n’en sois[2],

Je leur fais ce souhait en mon humeur hardie ;
Je ne crains point faillir, quoy que ma Muse die ;
Ma liberté dit tout sans toutesfois nommer,

Par une vaine aigreur, ceux que je veux blasmer.
Aussi n’attends jamais que je te fasse rire
D’un vers que sans danger je ne sçaurois escrire.
Ceux-là sont fols vrayraent qui vendent un bon mot
De cent coups de bâton que fait donner un sot,
Esclaves imprudens de leur humeur mauvaise,
Ne sçavent méditer un vers qu’il ne desplaise.
Des pasquins contre aucun je ne compose icy,
Et ne sçaurois souffrir des injures aussi.
Le Dieu des vers m’inspire une modeste flame,
Qui n’est propre à donner ny recevoir du blasme ;
Jehay la médisance, et ne puis consentir
De gaigner avec peine un triste repentir.
Chacun qui voit mes vers, s’il a les yeux d’un homme,
Cognoistra son portraict, combien qu’on ne le nomme.
Qui ne lict ma satyre, il n’en est pas tancé:
Plusieurs s’en fascheront à qui je n’ay pensé ;
Qui hait trop la laideur de son vilain visage,
ne devroit jamais en regarder l’image ;
Qui craint d’estre repris, il n’a qu’à se cacher,
Et dès-là mon dessein n’est plus de le fascher [3].

  1. La Parnasse satyrique (éd. de 1625) donne aussi ce vers :
    Si ce qui leur desplaist porte le nom de vice.
  2. La Parnasse satyrique ajoute :
    Et qu’on ne marche point pour un honteux salaire. D’un maistre avec lequel je ne me puis desplaire,
    Où je ne suis tenu de rien juger à faux,
    Qui ne m’oblige point à flater ses deffauts,
    Chez qui la liberté tout entière demeure,
    Là, ma condition attendra que je meure.
    Il a l’esprit fort bon, il aime les bons mots,
    Et ne sçauroit souffrir la hantise des sots.
    Il hait la gentillesse et la cour familière,
    N’ayme point les balets, ny l’humeur cavalière,
    Se mocque avecque moy du mal fait et du beau,
    Sçait que tous sont de mesme à l’ombre du tombeau,
    Coule avecque douceur les plaisirs de la vie,
    Rit de l’ambition, et ne sent point l’envie ;
    Ne tourmente son ame à penser seulement
    A la nécessité du passé mouvement.
    Il craint Dieu, comme il doit, et jamais ne s’obstine
    A sonder saintement ce que le ciel destine.
    Quelque nouveau souhait qu’en presche l’univers,
    Qu’on ne craigne jamais ny son bras ny ses vers.
    Qui voudra pénitence aux déserts se consomme,
    Qui vive tout ainsi que s’il n’estoit plus homme,
    Ne mange que du foin, ne boive que de l’eau,
    Au plus fort de l’hyver n’ait robe ny manteau,
    Se fouette tous les jours, et d’une vie austère
    Accomplisse de Christ le glorieux mystère.
    Moy qui suis d’un humeur trop enclin à pécher.
    D’un fardeau si pesant je ne puis m’empescher.
    Suy ta dévotion, et ne croy point, hermite,
    Que mon ame te blasme, et moins qu’elle t’imite,
    Puissent les envieux de la faveur du roy,
    Bien que leur rage encor ne se soit prise à moy,
    De tels désespérez croistre le triste nombre !
    Reclus dans un rocher plein de silence et d’ombre ;
    Qu’ils ne puissent trouver le doux air de la cour,
    Et ne voyent jamais un agréable jour !
    Je leur fais ce souhait, etc.
  3. La pièce se termine ainsi dans le Parnasse satyrique
    La satyre au front noir, et à la voix farouche,
    Est pour la conscience une pierre de touche,
    C’est un parfaict miroir : elle ne voit que ceux
    Qui dans leur propre objet veulent estre apperceus.
    Encor cest advantage est joinct à ma censure,
    Que tes yeux seulement regardent ta figure,
    Que toy mesme, entendant reprendre ces deffauts,
    Jugeras si je suis ou véritable ou faux ;
    Bien que ta seule voix de ton vice ne crie,
    Ton seul ressentiment de bien faire te prie;
    Tu te reprens toy mesme, et de ta propre main,
    Tu te donne à ton aise un chastiment humain.