Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/À Cloris (stances)

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À CLORIS.

STANCES.


S’il est vray, Cloris, que tu m’aymes,
Mais j’entens que tu m’aymes bien,
Je ne croy point que les roys mesmes
Ayent un heur comme le mien.
Que la mort seroit importune
De venir changer ma fortune
À la félicité des dieux !
Tout ce qu’on dit de l’ambroisie

Ne touche point ma fantaisie,
Au prix des graces de tes yeux.

Sur mon ame, il m’est impossible
De passer un jour sans te voir
Qu’avec un tourment plus sensible
Qu’un damné n’en sçauroit avoir.
Le sort, qui menaça ma vie
Quand les cruautez de l’envie
Me firent esloigner du roy,
M’exposant à tes yeux en proye,
Me donna beaucoup plus de joye
Qu’il ne m’avoit donné d’effroy.

Que je me pleus dans ma misere !
Que j’aymay mon bannissement !
Mes ennemis ne valent guere
De me traicter si doucement.
Cloris, prions que leur malice
Fasse bien durer mon supplice ;
Je ne veux point partir d’icy ;
Quoy que mon innocence endure,
Pourveu que ton amour me dure,
Que mon exil me dure aussi.

Je jure l’amour et sa flame
Que les doux regards de Cloris
Me font desjà trembler dans l’ame
Quand on me parle de Paris.
Insensé ! je commence à craindre
Que mon prince me va contraindre
À souffrir que je sois remis.
Vous, qui le mistes en cholere,
Si vous l’empeschez de le faire
Vous n’estes plus mes ennemis.

Toy qui si vivement pourchasses
Les remedes de mon retour,
Prens bien garde, quoy que tu fasses,

De ne point fascher mon amour.
Arreste un peu ; rien ne me presse.
Ton soin vaut moins que ta paresse ;
Me bien servir, c’est m’affliger.
Je ne crains que ta diligence,
Et prepare de la vengeance
À qui tasche de m’obliger.

Il te semble que c’est un songe
D’entendre que je m’ayme icy,
Et que le chagrin qui me ronge
Vienne d’un amoureux soucy ;
Tu penses que je ne respire
Que de savoir où va l’empire,
Que devient ce peuple mutin,
Et quand Rome se doit résoudre
À faire partir une foudre
Qui consomme le Palatin.

Toutes ces guerres insensées,
Je les trouve fort à propos :
Ce ne sont point là les pensées
Qui s’opposent à mon repos.
Quelques maux qu’apportent les armes,
Un amant verse peu de larmes
Pour flechir le courroux divin ;
Pourveu que Cloris m’accompagne,
Il me chaut peu que l’Allemagne
Se noye de sang ou de vin.

Et, combien qu’un appas funeste
Me traine aux pompes de la cour,
Et que tu sçais bien qu’il me reste
Un soin d’y retourner un jour ;
Quoy que la fortune appaisée
Se rendist à mes vœux aisée,
Aujourd’huy je ne pense pas,
Soit-il le roy qui me rappelle,

Que je puisse m’esloigner d’elle
Sans trouver la mort sur mes pas.

Mon esprit est forcé de suivre
L’aymant de son divin pouvoir,
Et tout ce que j’appelle vivre,
C’est de luy parler et la voir.
Quand Cloris me faict bon visage,
Les tempestes sont sans nuage,
L’air le plus orageux est beau ;
Je ris quand le tonnerre gronde,
Et ne croy point que tout le monde
Soit capable de mon tombeau.

La felicité la plus rare
Qui flatte mon affection,
C’est que Cloris n’est point avare
De caresse et de passion.
Le bon-heur nous tourne en coustume ;
Nos plaisirs sont sans amertume,
Nous n’avons ny courroux ny fard ;
Nos trames sont toutes de soye,
Et la Parque, après tant de joye,
Ne les peut achever que tard.