Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Au Roy

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Œuvres complètes de Théophile, Texte établi par Charles Alleaume de CugnonJannetTome 1 (p. 140-142).

AU ROY[1].


Cher object des yeux et des cœurs,
Grandroy, dont les exploits vainqueurs
N’ont rien que de doux et d’auguste,
Usez moins de vostre amitié :
Vous perdrez ce tiltre de Juste
Si vous usez trop de pitié.

Quand un roy, par tant de projects,
Voit dans l’ame de ses sujects
Son authorité dissipée,
Quoy que raisonne le conseil,
Je pense que les coups d’espée
Sont un salutaire appareil.

L’honneur d’un juste potentat
Est de faire qu’en son estat
La paix ay des racines fermes.
Par là se doit-il maintenir
Et demeurer tousjours aux termes
De pardonner et de punir.

Contre ces esprits insensez,
Qui se tiennent interessez
En la calamité publique,
Selon la loy que nous tenons,
Il ne faut point qu’un roy s’explique
Que par la bouche des canons.

Les forts bravent les impuissans,
Les vaincus sont obeïssans,
La justice estouffe la rage :

Il les faut rompre sous le faix.
Le tonnerre finit l’orage,
Et la guerre apporte la paix.

Henry, destourne icy tes yeux,
Et, regardant ces tristes lieux
Consacrez à ta sepulture,
Considere comme ton cœur
Se lasche, et contre sa nature
Reçoit un ennemy vainqueur.

Toutesfois, grand astre des roys[2],
Celle qui te print autrefois
Encore impunement te brave ;
Ton cœur ne luy resiste pas,
Et demeure tousjours esclave
De ses victorieux appas.

Grande reyne, en faveur des lys
Avec luy presque ensevelis,
N’offencez point ses funerailles ;
Pour l’avoir, à quoy le dessein
De venir rompre des murailles
Si vous l’avez dans vostre sein ?

Merveilleux changement du sort !
Ce grand roy, que devant sa mort
Vous gaigniez avecques des larmes,
Est-il si puissant aujourd’huy
Qu’il vous faille employer des armes
Pour avoir empire sur luy ?

Quoy que ce grand cœur genereux,
Forcé d’un respect amoureux,
Ait flechy devant vostre face,
Il n’est point si fort abattu,
Que son fils n’y trouve une place

Où faire luyre sa vertu.

Nous croyons que ces revoltez,
À nostre abord espouvantez,
Se defendront mal à la breche ;
Et qui fera comparaison
De vingt canons contre une fleche,
Dira que nous avons raison.


  1. Cette ode et la suivante sont de 1620. Une ligue de mécontents s’étoit formée, et la reine-mère étoit à la tête du parti. Elle s’étoit avancée jusqu’à La Flèche, où le cœur de Henri IV avoit été déposé, selon sa volonté, dans l’église du collège des jésuites. Les révoltés furent bientôt soumis, et les articles de la paix furent arrêtés le 9 août.
  2. Les quatre strophes qui suivent ne se trouvent pas dans la première édition.