Œuvres de Albert Glatigny/Fiat voluntas tua

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 51-55).



Fiat voluntas tua.



        Maître de la terre et du ciel,
Démon pétri de boue, ange immatériel,
Amour aux mains pleines de fiel,

Je n’ai pas résisté quand ta voix souveraine
        M’a crié : — Descends dans l’arène,
Lutteur que je verrai mourir rame sereine !

        Aux foudres mon front s’est offert ;
Il a fallu saigner, et mon flanc s’est ouvert ;
        Tu m’as dit : — Souffre ! — et j’ai souffert !


Quand l’odeur de mon sang dilatait ta narine
        Et lorsqu’au fond de ma poitrine
Tes ongles ravissaient leur couleur purpurine,

        Ô Dieu qui remplis les forêts
Et les vastes cités d’insondables secrets,
        Amour puissant, je t’adorais !

Mes yeux s’éblouissaient des splendeurs de ta gloire ;
        En vain tu me forçais à boire
L’amertume, partout je disais ta victoire.

        Eh bien, inexorable Amour !
Vois mon cœur, il en reste assez encore pour
        Le bec du farouche vautour.

Que ton souffle, pareil au grand vent qui balaie
        L’espace, ravive ma plaie ;
Viens ! puisque tu le veux, me voilà sur la claie !

        Ainsi que la première fois
Ce n’est plus un enfant confiant que tu vois :
        Je te connais ! Pourtant ma voix

Ne blasphémera pas, ô le plus beau des anges !
        Même en proie aux douleurs étranges,
Et toujours, et bien haut, je dirai tes louanges !



        Le retour de tes javelots,
Je le veux célébrer en épandant les flots
        De mes harmonieux sanglots !

Déjà j’ai chancelé sous ta nouvelle atteinte,
        Je sais où ta pourpre fut teinte,
Seigneur, c’est dans mon sang ! Et mon oreille tinte,

        Et, comme un cortège de loups,
J’entends, j’entends hurler tous les soupçons jaloux ;
        J’ouvre les mains, plantez les clous !

Bourreau divin, auguste oppresseur de mon âme,
        Oh ! maintiens-moi sur l’arbre infâme,
Car je me suis repris aux parfums de la femme !

        Car l’enchanteresse Circé
Pose dun air vainqueur, sur mon front abaissé,
        Son pied par les roses froissé !

Et je sais que jamais, idole puérile,
        Fille vaine, terrain stérile,
Elle ne comprendra ma passion fébrile !

        Ah ! pourquoi la vouloir toucher ?
Mais la vague, pourquoi vient-elle donc lécher
        Inutilement le rocher ?



Pourquoi la pluie au sable et la rosée aux pierres,
        Et pourquoi les clartés altières
Vont-elles de l’aveugle arroser les paupières ?

        Eh ! que vous dirai-je, après tout ?
J’aime et je ne sais rien de plus ; et mon sang bout,
        Et je pends mes lèvres au bout

Des seins aigus et lourds de la folle Chimère,
        Et, comme il plaît au victimaire,
J’y puise le nectar ou la liqueur amère !

        Je me sens attiré vêts un fatal miroir,
Un miroir grimaçant, qui me laisse entrevoir
        Les voluptés du désespoir !

Blâmez donc l’Océan pendant les jours d’orage
        De sa fureur et de sa rage !
Est-ce ma faute, à moi, si je suis sans courage

        Devant la grandeur de la chair ?
Si le charme des corps de femmes, doux et fier,
        Me passionne et m’est si cher ?

Chevelures en flamme, ô cols souples et lisses,
        Lèvres, adorables calices,
Je souffre avec bonheur, je meurs avec délices !



        Que l’Amour me soit inclément,
Qu’il fasse de ma vie un éternel tourment,
        Je veux aimer obstinément ;

Ramper à deux genoux devant la bien-aimée,
        Et quand sa jupe parfumée
S’arrondit, me sentir l’âme demi-pâmée ;

        Goûter, sans en être étonné,
Le vertige ; rouler vers l’abîme entraîné,
        Et par les fleurs assassiné !

Sur ses lèvres, mon ciel promis et ma géhenne,
        Sentir s’envoler mon haleine,
En mêlant âprement la tendresse et la haine.



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