Œuvres de Albert Glatigny/Maquillage

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 135-138).
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Maquillage.


I



J’éprouve à suivre, ma petite,
Tes mouvements capricieux,
Un âcre plaisir qui m’irrite
Et me fait t’aimer encor mieux.

Rien n’est vrai dans ton gaspillage
De frais parfums et de couleurs,
Et tu voles au Maquillage
Tes charmes les plus querelleurs.

Bien que je devine ta ruse,
Je ne t’en veux pas. Sur ton front,
Malgré la couche de céruse,
Mes baisers nombreux descendront.

La pommade et les aromates
Te donnent l’éclat du métal
Et ces pâleurs vives et mates,
À l’effet bruyant et brutal,


C’est par la poudre que plus rousse
Ta crinière épand ses parfums,
Et c’est le pinceau qui retrousse
Tes sourcils bizarres, si bruns I

Une légère tache d’ombre
Autour de tes yeux vient bleuir,
Afin que ta prunelle sombre
Puisse mieux briller et s’enfuir.

Pas un endroit qui par le plâtre
Sur ta face ne soit atteint,
Et tes lèvres que j’idolâtre,
C’est le vinaigre qui les teint.

Oui, tout est faux en ta personne,
Faux et charmant en même temps,
Bien que dans ton beau corps frissonne
La sève de tes dix-huit ans.

Je t’aime ainsi, c’est mon idée,
Pour ta beauté faite de soins.
Si je te voyais moins fardée,
Sans doute tu me plairais moins.

Qu’importe qu’elle soit factice,
Pourvu que, bien harmonieux,
Son assemblage retentisse,
Chant et lumière pour les yeux !


Elle est pareille à nos ivresses,
Cette beauté qui trompe et ment ;
À nos artistiques caresses,
Qui dérobent un bâillement !

II


Ah ! lorsque nous sommes ensemble
À la recherche du plaisir,
À cette heure où la bouche tremble
Et s’empourpre aux feux du désir,

Lorsque nous mettons à sa place,
Pour bien nous abuser encor,
Notre caprice qui se glace,
Ainsi qu’on installe un décor,

Les amants dont l’insouciance
Court par les chemins non frayés
Devant notre froide science
S’arrêteraient tout effrayés.

Notre prudente mise en scène
Épouvanterait ces enfants
Dont la lèvre amoureuse et saine
A des baisers si triomphants.


Ah ! c’est qu’ils comprennent la vie
D’une autre manière que nous.
N’en rions pas. Je les envie
Souvent, en baisant tes genoux.

Ô mon indolente poupée !
N’en rions pas. Car bien des fois
Ma pauvre âme s’est échappée
De mon corps pour les suivre au bois,

Pour les voir effeuiller des roses
Sur leurs fronts confiants et frais,
Pour entendre ces folles choses
Que nous ne nous dirons jamais ;

Puis, honteux de mon impuissance,
Près de toi je suis revenu
Demander à la jouissance
Ce qu’elle a de plus inconnu,

Et, dans les parfums où se noie
Ton cher corps ivre de langueur,
Chercher le faux semblant de joie
Que je ne veux pas de ton cœur.