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Œuvres de François Fabié - Tome 3/La Lavandière

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Œuvres de François Fabié
Alphonse Lemerre, éditeur (Poésies 1905-1918 : Ronces et Lierres. Les Paysans et la Guerrep. 34-36).
LA LAVANDIÈRE




NICHES-TU toujours, fine lavandière,
Au roc du moulin, près du déversoir
Dont l’eau rejaillit comme une poussière
Où s’érige un bel arc-en-ciel, le soir ?

Dès les premiers jours d’avril, joli couple,
Allez-vous glanant, au flanc du coteau,
Brins d’herbe séchée ou de laine souple,
Amoureux pressés de faire un berceau ?

Peinant pour asseoir sur la roche lisse
La base en talus du petit palais,
Tremblant que dans l’eau farouche il ne glisse
Sous le poids des œufs ou des oiselets ;

Puis matelassant la frêle demeure,
La capitonnant de plume et de crin,
— Au bruit du torrent qui gronde ou qui pleure
Et fuit emportant votre clair refrain ;

Ensuite, pendant deux semaines lentes,
Captive endurant la soif et la faim,
Sous un vert rideau de mousses tremblantes,
Vas-tu donc couver et couver sans fin ?

Tandis que le long du ruisseau qui jase
Ton mâle sautille et cueille à son gré
Moucherons de l’air ou vers de la vase
Et mire au flot clair son jabot doré…

Ah ! pourvu que nul fripon de l’école,
Nul fils du meunier à l’œil pénétrant,
Nul chat attiré par tout ce qui vole
Ne grimpe à ton nid malgré le torrent,

Et pourvu qu’en mai ta couvée essaime,
Vaillante, emplissant de son gai concert
Le vallon étroit où jadis moi-même
J’eus mon nid bien chaud — maintenant désert !