Œuvres de François Fabié - Tome 3/Les Castagnaïres
HUIT jours le vent du sud en flottes fantastiques
A charrié de lourds nuages ruisselants
Qui passèrent, là-bas, sur nos sommets celtiques
Et gonflèrent marrons et glands.
Et je songe qu’au clair soleil d’octobre, ou même
Sous un ciel gris et doux traversé de corbeaux,
A grand bruit le menu peuple des mas essaime
Vers les combes et les coteaux
* Ramasseurs de châtaignes.
Où les châtaigniers roux de leurs larges ramures
Ont déjà laissé choir sur le sol blanc d’aiguail,
Par vastes chapelets bruns, les châtaignes mûres
En fin corset glacé d’émail.
Les corneilles en ont déjà croqué plus d’une,
Et sur d’autres le lièvre a mis sa dent, la nuit ;
L’écureuil même a profité du clair de lune
Pour en rouler vers son réduit.
Mais les paniers pansus et les amples corbeilles
Et le char s’empliront encore bien des fois,
Malgré le lièvre et l’écureuil et les corneilles
Et tous les écumeurs des bois…
À l’œuvre tous ! — Les mains plongent dans l’herbe fraîche,
Et plus d’un a l’onglée et souffle sur ses doigts ;
Mais on fait de grands feux, on se chauffe, on se sèche,
On rit, on chante à pleine voix.
Des disputes, des flirts rustiques, la trouvaille
D’une tribu de beaux cèpes, d’un hérisson,
— Bogue grise et vivante, et celle-là de taille,
Et qui n’ouvre pas sa prison…
Tout amuse et distrait. Et quand l’estomac clame,
Dans un tronc caverneux où, l’hiver, le loir dort,
Les marmots font griller sur la fougère en flamme
Les châtaignes de sucre et d’or.
Le soir on s’en retourne à la ferme lointaine,
Beaucoup moins las qu’au temps des foins et des moissons
La jupe un peu trempée, ou le tricot de laine,
Mais la lèvre ouverte aux chansons.
Un brouillard fin bleuit la cime des futaies
Que le vent du midi berce en les effeuillant ;
Le long du chemin creux le merle dans les haies
Sautille et s’enfuit en riant,
Parce que, sous le houx épais qui les protège
Au détour du chemin et leur permet d’oser,
Il a surpris un jeune échappé de collège
Dérobant à Rose un baiser…
Une idylle d’automne, aussi douce et plus pure
Que celles qu’abritaient les cerisiers en fleurs ;
A qui ne manque rien, — pas même la torture
De l’adieu prochain et des pleurs…
Ralentissez vos pas dans le chemin propice,
Blottissez-vous bien près l’un de l’autre en marchant,
Jouissez des émois de votre amour novice
Et de vos deux cœurs se touchant ;
Et sachez que jamais, jamais, quoi qu’il arrive,
Vous ne retrouverez, vivriez-vous cent ans,
Mes pauvres chers petits, la source fraîche et vive
Où vous buvez quelques instants.