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Œuvres de Lucile de Chateaubriand/Au vicomte de Chateaubriand, 1804 (1)

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Texte établi par Louis Thomas Élément soumis aux droits d’auteur. Cliquer pour en savoir plus.Société des trentes, Albert Messein (p. 97-98).


Au vicomte de Chateaubriand.


Sans date (1804).

Me crois-tu sérieusement, mon ami, à l’abri de quelque impertinence de M. Chênedollé ? Je suis bien décidée à ne point l’inviter à continuer ses visites ; je me résigne à ce que celle de mardi soit la dernière. Je ne veux pas gêner sa politesse. Je ferme pour toujours le livre de ma destinée, et je le scelle du sceau de la raison ; je n’en consulterai pas plus les pages, maintenant, sur les bagatelles que sur les choses importantes de la vie. Je renonce à toutes mes folles idées ; je ne veux m’occuper ni me chagriner de celles des autres ; je me livrerai à corps perdu à tous les événements de mon passage dans ce monde. Quelle pitié que l’attention que je me porte ! Dieu ne peut plus m’affliger qu’en toi. Je le remercie du précieux, bon et cher présent qu’il m’a fait en ta personne et d’avoir conservé ma vie sans tache : voilà tous mes trésors. Je pourrais prendre pour emblème de ma vie la lune dans un nuage, avec cette devise : Souvent obscurcie, jamais ternie. Adieu, mon ami. Tu seras peut-être étonné de mon langage depuis hier matin. Depuis t’avoir vu, mon cœur s’est relevé vers Dieu, et je l’ai placé tout entier au pied de la croix, sa seule et véritable place.