Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Préface

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Œuvres de Turgot, Texte établi par Eugène DaireGuillaumintome I (p. v-vi).


PRÉFACE
DE CETTE NOUVELLE ÉDITION.


Il n’est pas, au dix-huitième siècle, de nom qui honore plus l’humanité que celui de Turgot. Peut-être même serait-il difficile de trouver, à aucune autre époque de l’histoire, un homme qui ait réuni au même degré le double mérite de l’intelligence et de la vertu.

La philosophie et l’économie sociale comptent Turgot parmi leurs disciples les plus sages ; l’administration n’a jamais eu de représentant plus moral et plus habile, et la politique doit le placer en tête des hommes d’État qui ont dévoué leur existence au bonheur du peuple et au progrès général de la civilisation.

Aussi la postérité, rarement injuste, conserve-t-elle une vénération profonde pour la mémoire de l’écrivain et du ministre. La gloire de ce véritable ami de l’humanité n’a fait que grandir, pendant que pâlissait celle d’une foule de ses contemporains.

Énoncer ces faits, c’est démontrer toute la valeur des Œuvres de Turgot, et surtout le droit qu’elles ont de prendre place dans la Collection des principaux économistes. On se bornera donc à ajouter qu’on n’a rien négligé pour élever à l’auteur un monument plus digne de lui sous le rapport matériel.

Les Œuvres de Turgot ont été recueillies et publiées pour la première fois, il y a plus de trente ans, par Dupont de Nemours. On peut, sans manquer à la gratitude qu’on doit à l’ami du ministre-philosophe, affirmer que l’édition qu’il en donna, et qui se trouve épuisée depuis longtemps, n’offre qu’un véritable chaos en neuf volumes. Telle devait être, en effet, la conséquence de la marche suivie par Dupont de Nemours, qui s’attacha presque exclusivement à l’ordre chronologique pour classer les nombreux écrits de Turgot, embrassant tout à la fois la philosophie morale, la métaphysique, la philologie, la politique, l’économie politique et l’histoire.

Nous avons fait disparaître cette confusion, par un ordre méthodique qui permettra au lecteur de saisir, dans leur ensemble, toutes les idées de Turgot sur un même sujet. Ce soin était surtout indispensable en ce qui concerne les actes officiels du ministre, et nous les avons disposés de telle sorte, qu’il ne sera pas même nécessaire de recourir à la table pour trouver la déclaration, l’édit, l’arrêt du Conseil, etc., qu’on désirera connaître.

Nous avons, en outre, enrichi cette édition : 1o de la traduction faite et annotée par Turgot, des Questions importantes sur le commerce, de Josias Tucker ; 2o de vingt-cinq lettres inédites de cet homme célèbre ; 3o enfin, du procès-verbal du lit de justice, appelé par Voltaire lit de bienfaisance, et tenu à Versailles le 12 mars 1776, pour l’enregistrement des édits sur l’abolition des jurandes et de la corvée, l’un des documents officiels les plus curieux que présente l’histoire de l’économie politique à la fin du dernier siècle. Aux notes nombreuses de Dupont de Nemours, M. Hippolyte Dussard et nous-même avons ajouté des observations sur les principaux écrits de l’auteur, et des notes nouvelles.

Enfin, cette édition est précédée d’une Notice sur la vie et les ouvrages de Turgot, dans laquelle, en profitant des travaux antérieurs de Dupont de Nemours et de Condorcet, nous avons jugé seul, selon nos lumières et l’inspiration de notre conscience, le philosophe, l’économiste et l’homme d’État.

Eug. DAIRE.

Paris, 31 mars 1844.